Jurisprudence : Marques
Tribunal de Grande Instance de Créteil 1ère chambre civile Jugement du 29 mai 2001
SA Recif / Sarl Réseaux et Communications Informatiques Françaises (dite "Recif")
contrefaçon de marque - marques - nom de domaine - risque de confusion
Faits et prétentions des parties
Par acte d’huissier en date du 4 février 1999, la SA Recif a fait assigner la Sarl Recif aux fins d’obtenir :
– qu’il soit fait interdiction à la société en défense de poursuivre l’utilisation de la marque “Recif”, cela sous astreinte,
– qu’il soit procédé à l’annulation de la marque déposée à ce titre, et que la décision à rendre soit transmise à l’Inpi pour procéder aux formalités nécessaires,
– qu’il soit constaté que l’usage de la marque en litige constitue des actes de contrefaçon, et qu’il soit ordonné à la défenderesse qu’elle procède à sa radiation auprès de l’organisme chargé de l’attribution de domaines en matière de sites internet,
– que l’assignée soit condamnée à lui verser le somme de 100 000 F de dommages-intérêts et celle de 10 000 F en vertu de l’article 700 du nouveau code de procédure civile,
– que la publication du jugement à rendre soit prescrite, et que l’exécution provisoire du jugement à rendre soit ordonnée.
La société en demande expose qu’elle a déposé la marque “Recif” le 12 juillet 1988 pour les produits suivants :
– services rendus aux entreprises dan l’exploitation et la direction de leurs affaires, conseils en formation, dispenses de formation, ingénierie pédagogique et sociale, création et diffusion de systèmes de formation, logiciels, progiciels, publications et enregistrements phonographiques, photographies et cinématographiques relatifs aux formations et à l’ingénierie pédagogique et sociale. Services permettant à plusieurs personnes de communiquer. Education et institution d’enseignement, divertissement :
Que le dépôt dont s’agit a été effectué pour les classes 35, 38, 41 et 42 ;
Que son objet social consiste en :
– la création et l’exploitation de conseils en formation d’ingénierie pédagogique et sociale,
– l’étude sur les formations,
– la dispense directe ou indirecte de formation,
– l’organisation et l’animation de stages de formation,
– la création et la vente de systèmes de formation clés en main,
– la création,
– la conception,
– l’exploitation,
– l’achat et la vente de logiciels,
– progiciels,
– matériels informatiques,
– matériels pédagogiques,
– la réalisation,
– l’édition,
– la publication,
– la diffusion d’ouvrages.
La demanderesse précise qu’elle a découvert que la Sarl Recif intervient dans les mêmes domaines qu’elle et que l’intéressée a procédé le 19 novembre 1997 au dépôt de la marque “Recif” pour les classes 9, 35, 38, 42 ;
Qu’il est ainsi démontré que le dépôt effectué par la défenderesse porte sur trois classes communes avec les siennes, que les produits et services pour lesquels la marque contestée a été déposée, sont partiellement identiques ou similaires à ceux correspondant à son activité ;
Que, par ailleurs, la société en défense utilise la marque “Recif” à titre de nom de domaine pour internet, ce qui a bloqué sa propre installation ;
Qu’il résulte de l’ensemble de ces éléments que ses demandes sont justifiées.
La Sarl Recif a constitué avocat.
Les parties ont conclu par des écritures en date des 1er décembre 1999 et 21 mars 2000.
Dans des conclusions récapitulatives du 28 juin 2000, la Sarl Recif répond :
– que son activité spécifique est celle d’un fournisseur d’accès à internet, communément appelé un “Internet Service Provider” ; qu’il s’agit de fournir un service de connexion à internet aux entreprises à titre professionnel et au public à titre individuel, mais également un accès à des services en ligne à ses abonnés ; qu’elle offre à distance l’accès à un réseau, à du matériel, à des programmes, à des bases de données, ainsi qu’à des services de communication et d’information,
– qu’elle a été habilitée à obtenir un nom de domaine spécifique du type “.fr” pour le compte de ses clients, et à fournir à ces derniers des adresses e-mail,
– que son sigle et son nom commercial “Recif” sont devenus un code de référence qui correspond, de plus, aux références “Domain-Name-Server”,
– qu’elle a déposé la marque en litige pour les classes 35, 38 et 42, après avoir procédé à une recherche d’antériorité auprès de l’Inpi qui s’était révélée négative.
La concluante indique qu’elle démontre :
– qu’elle n’a pas la même activité que la demanderesse,
– que le dépôt de la marque en litige, pour les deux sociétés en cause, concerne des produits et des services différents,
– que son utilisation du nom de domaine “Recif” n’interdit pas à la demanderesse de disposer d’un site sur internet,
– qu’il n’existe aucun risque de confusion entre les deux sociétés dont s’agit.
La Sarl Recif sollicite :
– que la SA Recif soit déboutée de toutes ses demandes et qu’elle soit condamnée à lui payer les sommes de 100 000 F de dommages-intérêts et de 30 000 F en vertu de l’article 700 du nouveau code de procédure civile,
– que la publication du jugement à intervenir soit ordonnée sur son site internet et dans un journal de presse spécialisée en la matière.
Dans des écritures récapitulatives du 18 octobre 2000, la SA Recif réplique qu’elle établit :
– que l’activité déclarée par la défenderesse rejoint largement la sienne,
– qu’elle exerce elle-même une fonction de producteur de site internet,
– qu’elle a été contrainte de créer un site sur une référence moins identifiable que celle utilisée en défense,
– que le risque de confusion est évident compte tenu des activités en litige.
La concluante s’est opposée aux prétentions présentées par la Sarl Recif et a maintenu l’intégralité de ses demandes.
Motifs
Attendu qu’aux termes de l’article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public, la reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque ainsi que l’usage d’une marque reproduite pou des produits ou des services similaires à ceux désignés dans l’enregistrement ;
Attendu que la protection des marques s’étend non seulement aux produits et services énumérés dans le dépôt, mais également à ceux qui leur sont similaires, c’est-à-dire à ceux qui, en raison de leur nature, de leur usage, de leur destination ou de leur complémentarité, peuvent être attribués par le public à la même origine ;
Attendu que la classification des produits et services pouvant être désignés par une marque n’a qu’une valeur administrative, sans portée juridique ;
Attendu qu’en l’espèce, la SA Recif soutient que la défenderesse a déposé sa marque sur trois classes communes à la sienne ; que les produits et services désignés par les parties sont partiellement identiques ou similaires, et qu’il résulte de l’identité de dénomination sociale et de marque un risque de confusion dans l’esprit du public ;
Attendu qu’il est constant que l’objet social de la SA Recif en demande est le suivant :
– la création et l’exploitation d’une activité de conseil en formation, d’ingénierie pédagogique et sociale sur les formations, la dispense directe ou indirecte de formation, l’organisation et l’animation de stages de formation, la création et la vente de systèmes de formation clés en main, la création, la conception, l’exploitation et la vente de logiciels, progiciels, matériels informatiques, matériels pédagogiques, la réalisation, l’édition, la publication, la diffusion d’ouvrages ayant un lien direct ou indirect avec l’objet défini ;
Attendu qu’il s’agit, en conséquence, d’une activité spécialisée d’ingénierie et de formation en informatique, la SA Recif étant un cabinet d’études techniques chargé de la création et de l’exploitation de conseils en formation ;
Attendu que la Sarl Recif a, quant à elle, l’objet social suivant :
– toutes opérations industrielles, commerciales se rapportant à la conception, la réalisation, l’achat, la vente, l’importation, l’exportation de tous travaux matériels et logiciels destinés à l’informatique, l’électronique, la télématique et la téléphonie ;
Attendu que la Sarl Recif soutient qu’en réalité, son activité porte exclusivement sur la fourniture aux entreprises ou au public d’un service de connexion à internet ; qu’elle propose aux abonnés l’accès à un ensemble de services en ligne, c’est-à-dire qu’elle assure l’accès à distance à un réseau, à du matériel, à des programmes, à des bases de données ou à des services de communication et d’information ;
Attendu qu’il n’est sérieusement contesté que la défenderesse a pour mission d’installer l’infrastructure du réseau, à savoir les liaisons proprement dites, les équipements de communication qui permettent d’établir une connexion ;
Attendu que l’examen des objets sociaux précités permet de relever que les deux sociétés en litige n’ont pas d’activités identiques, sachant que la Sarl Recif ne fournit aucun produit de formation ou de nature pédagogique ;
Attendu, dans son dépôt de marque en date du 12 juillet 1988 régulièrement renouvelé, que la SA Recif vise les services suivants :
– services rendus aux entreprises dans l’exploitation et la direction de leurs affaires,
– conseils en formation,
– dispense de formations et ingénierie pédagogique et sociale,
– création et diffusion de systèmes de formation,
– logiciels,
– progiciels,
– publications,
– enregistrements phonographiques, photographiques et cinématographiques relatifs aux formations et à l’ingénierie pédagogique et sociale,
– services permettant à plusieurs personnes de communiquer,
– éducation,
– institutions d’enseignement,
– divertissements,
– classes 35, 38, 41, 42 ;
Attendu que ceux indiqués par la Sarl Recif, dans son dépôt du 19 novembre 1997, sont les suivants :
– appareils pour la transmission,
– la reproduction,
– le stockage du son et des images,
– supports d’enregistrement magnétiques,
– disques optiques,
– acoustiques, y compris disques compacts à mémoire morte,
– distributeurs automatiques et mécanismes pour appareils à prépaiement,
– appareils pour le traitement de l’information et les ordinateurs,
– fourniture de noms de domaine toutes catégories avec assistance administrative,
– télécommunications, fourniture d’accès au réseau internet par toutes liaisons air-terre-mer, y compris satellite,
– conception et réalisation tant matériel que logiciel de serveurs internet et intranet,
– sécurité tous réseaux, y compris téléphone mobile,
– gestion technique en vue de l’enregistrement de noms de domaine de toutes catégories,
– travaux d’ingénieurs,
– consultations professionnelles sans rapport avec la conduite des affaires,
– imprimerie,
– location de temps d’accès à un centre de données,
– conception et réalisation graphique pour le développement, conception et réalisation logicielle de toutes catégories,
– classes 9, 35, 38, 42 :
Attendu que si les services des deux sociétés dont s’agit sont inscrits dans des classes communes, cela n’entraîne pas automatiquement que ceux-ci sont identiques ou similaires ;
Attendu, à la lecture de ces éléments, qu’il apparaît avec certitude que la Sarl Recif n’exerce aucune activité d’enseignement ; que ce service n’est pas mentionné dans son objet social, ni dans le dépôt de la marque contestée ;
Attendu, par contre, qu’il est incontestable que la défenderesse assure la conception et la réalisation de logiciels ; qu’il s’agit là du seul service mentionné dans les deux enregistrements examinés ;
Attendu, cependant, que ce service, en soi, n’entraîne pas automatiquement une similitude avec celui de la SA Recif qui fournit :
– la création,
– la conception,
– l’exploitation,
– l’achat et la vente de logiciels,
– progiciels,
– matériels informatiques
– et de matériels pédagogiques,
sachant que les outils informatiques sont désormais d’un usage généralisé et que la conception et la réalisation de logiciels n’entraînent pas une confusion ou une similitude avec les activités dont ils ne sont que le support ;
Attendu que la marque dont est propriétaire la SA Recif protège son activité informatique caractérisée par les études, le conseil en ingénierie et la formation mais non l’ensemble des services dans lesquels sont susceptibles d’être utilisés des produits informatiques, la création et la réalisation de logiciels ;
Attendu qu’il résulte de ces éléments que le dépôt de marque effectué par la demanderesse ne protège pas les produits identiques ou similaires à ceux de la Sarl Recif, car aucun des caractères exigés en matière de similitude n’est constitué, puisque les services en litige, respectivement fournis par les parties, n’ont pas la même nature, ni la même destination et ne sont pas complémentaires, sachant que la société en défense assure la conception et la réalisation de logiciels des liaisons et serveurs internet et intranet ;
Attendu qu’il n’est pas démontré dans ces conditions une atteinte caractérisée au droit de propriété de la SA Recif sur la marque dont elle est titulaire ;
Attendu que la dénomination sociale dispose d’une protection spécifique qui repose sur les dispositions de l’article 1382 du code civil ;
Attendu que la société en demande n’établit pas l’existence d’une faute, cause d’un préjudice direct pour elle, qui serait imputable à la Sarl Recif, sachant qu’il résulte des pièces versées aux débats et qu’il est incontestable que la SA Recif exploite un site sur internet sous la nom de “recif-sa.com” et qu’elle dispose également d’un domaine sous le nom de “recif-sa.fr” ;
Attendu, en définitive, que la SA Recif sera déboutée de l’intégralité de ses demandes ;
Attendu que la Sarl Recif ne justifie pas du préjudice qu’elle allègue qui serait la conséquence de la présente procédure ; que sa demande de dommages-intérêts sera rejetée ;
Attendu qu’il n’existe aucun motif de droit ou de fait justifiant la publication du présent jugement ; que la réclamation formée de ce chef à titre reconventionnel par la défenderesse sera écartée ;
Attendu, par contre, qu’il apparaît équitable d’allouer à la Sarl Recif la somme de 10 000 F en vertu de l’article 700 du nouveau code de procédure civile, pour ses frais irrépétibles.
Par ces motifs
Le tribunal, statuant publiquement, contradictoirement, et en premier ressort :
. déboute la SA Recif de toutes ses demandes,
. condamne la SA Recif à payer à la Sarl Recif la somme de 10 000 F en vertu de l’article 700 du nouveau code de procédure civile,
. rejette toutes autres demandes, fins et conclusions,
. condamne la SA Recif en tous les dépens dont distraction au profite de Me de Soete, avocat aux offres de droit, conformément aux dispositions de l’article 699 du nouveau code de procédure civile.
Le tribunal : Mme Reygner (vice-président), Mme Grasso et M. Guiguesson (juges).
Avocat : Me Xavier Risselet et Me Véronica de Soete (cabinet Cramesnil de Laleu, Griset de Soete).
Notre présentation de la décision
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