Jurisprudence : Droit d'auteur
Tribunal de grande instance de Nanterre, Ordonnance de référé du 16 avril 1999
Studio V. et Claude V. / la société B. Frères
fermeture du site web - reproduction illicite de photographie
Nous, juge des référés, après avoir entendu les parties présentes ou leurs conseil à l’audience du 7 avril 1999, avons mis l’affaire en délibéré à ce jour :
Vu l’assignation en date du 24 Février 1999 par laquelle la société Studio V. et Claude V. sollicitent :
qu’il soit fait interdiction à la société B. Frères, sous astreinte, de reproduire, représenter ou faire représenter sur un site internet les photographies réalisées par les demandeurs ;
que la société B. Frères remette sous astreinte la liste intégrale de toutes les exploitations conduites avec les photographies litigieuses et en particulier le nombre de visiteurs qui se sont connectés au site internet avec l’indication des dates et durées de connexion ainsi que le chiffre d’affaires réalisé depuis la mise en service du site ;
la condamnation provisionnelle de la société B. Frères, à payer :
– à la société Studio V. la somme de 100000 F en réparation de son préjudice patrimonial, à Claude V. la somme de 80000 F en répartition de son préjudice patrimonial ;
le bénéfice de l’article 700 ;
en raison des reproductions illicites de photographies employées par la société B. Frères pour une utilisation non convenue entre les parties ;
Vu les conclusions en défense faisant état :
de la fermeture du site Internet ;
de l’absence de chiffre d’affaires à partir de ce site ;
de l’absence d’atteinte aux droits des demandeurs aux motifs que la société B. Frères est propriétaire des ektachromes et qu’elle s’était fait céder les droits afférents à l’utilisation du catalogue, ce qui constitue une contestation sérieuse ;
de l’incompétence du juge des référés à allouer des dommages et intérêts ;
et tendant au rejet de la demande ainsi qu’au bénéfice de l’article 700 ;
DECISION
Claude V. exerce l’activité de photographe au sein de la société Studio V. qu’il a créée ;
Il a réalisé 30 photographies des produits de la société B. Frères destinées à illustrer un catalogue de vente par correspondance, ce catalogue étant conçu et réalisé par la société A. ;
Ce catalogue a été reproduit sur le site Internet créé par la société B. Frères ;
Celle-ci soutient que sa reproduction était parfaitement licite puisqu’elle est propriétaire des ektas, support matériel des photographies, et que la société A. lui avait cédé les droits afférents au catalogue pour une utilisation sur Internet pendant un an ;
Il convient d’observer :
que le caractère protégeable au titre des œuvres de l’esprit des photographies litigieuses n’est pas contesté ;
que la propriété du support matériel d’une œuvre est indépendante de la propriété incorporelle des droits d’auteur qui s’exercent sur elle ;
que les photographies sont des œuvres distinctes du catalogue auquel elles ont été intégrées dans le cadre d’une œuvre de collaboration ;
que la cession des droits portant sur le catalogue ne signifie nullement que la société A. était cessionnaire des droits s’exerçant sur les photographies, ce qu’elle a d’ailleurs précisé expressément à la société B. Frères par courrier du 3 septembre 1998 attirant son attention sur le fait que la « propriété artistique » des photographies demeurait au Studio V. ;
que le mode d’exploitation sur Internet est différent d’un mode d’exploitation sur catalogue papier, ce qui n’est pas discuté ;
que la preuve n’est pas rapportée que les demandeurs aient consenti à une exploitation différente de leur œuvre conçue en vue de l’édition d’un catalogue papier ;
que le nom du photographe n’est pas rapporté sur les pages web critiquées ;
Dans ces conditions, l’exploitation des photographies par la société B. Frères apparaît contrefaisante et cause indubitablement aux demandeurs un trouble manifestement illicite qu’il convient de faire cesser par les mesures prises au dispositif ;
L’obligation de la société B. Frères à réparer le préjudice subi n’est pas sérieusement contestable ce qui légitime la demande de production d’éléments permettant de le chiffrer précisément et celle en paiement d’une provision ;
Le réseau Internet ayant une vocation mondiale, l’ouverture d’un site commercial traduit une volonté de toucher un public ne se limitant pas au territoire français ;
La présence des photographies de Claude V. réalise une atteinte au droit de reproduction dans le cadre de la création du site, une atteinte au droit de représentation lors de chaque connexion ;
Cette atteinte au droit patrimonial de la société Studio V. justifie l’allocation d’une provision de 80000 F ;
L’absence de mention du nom de Claude V. porte atteinte à son droit moral et justifie l’allocation d’une provision de 40000 F ;
Attendu qu’il y a lieu, compte tenu des circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article 700 et d’allouer à ce titre aux demandeurs une somme de 12000 F ;
PAR CES MOTIFS
Donnons acte à la société B. Frères de ce qu’elle a fermé provisoirement le site http : //ww.beyne-frères.fr/. ;
En tant que de besoin, lui faisons interdiction sous astreinte de 50000 F par infraction constatée, de représenter ou faire représenter sur un site Internet les photographies litigieuses ;
Ordonnons à la société B. Frères, sous astreinte de 1000 F par jour de retard passé le délai d’un mois après la signification de la présente ordonnance, de remettre aux demandeurs le nombre de visiteurs qui se sont connectés au site avec l’indication des dates et durées de connexion ainsi que le chiffre d’affaires réalisé depuis la mise en service du site ;
Condamnons la société B. Frères à payer à titre provisionnel :
à la société Studio V. : 80000 F,
à Claude V. : 40000 F ;
Condamnons la société B. Frères à payer aux demandeurs la somme de 12000 F au titre de l’article 700 ;
La condamnons aux dépens.
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.