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Jurisprudence : Droit d'auteur

jeudi 06 novembre 2008
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Tribunal de grande instance de Paris 31ème chambre Jugement du 18 septembre 2008

Editions Neressis / Arkadia, Stéphane V. C.

accès - base de données - collecte déloyale - contrat - contrefaçon - données personnelles - droit d'auteur - extraction substantielle - fraude informatique - site

PROCEDURE

Par ordonnance de l’un des juges d’instruction de ce siège en date du 16 avril 2008 sont renvoyés devant le tribunal correctionnel Stéphane V. C. et la société Arkadia :

Pour avoir courant 2005 et 2006, en tout cas durant temps non prescrit à Paris (75), Vallauris (06), et sur le territoire national, contrefait des oeuvres de l’esprit par reproduction et diffusion sur le site “Arkadia.com” de modèles de contrats et de modèles de lettres créées et commercialisées par la société les Editions Neressis.

Faits prévus et réprimés par les articles L 335-2, L 335-3, L 335-6 et L 335-7 du code de la propriété intellectuelle.

Pour avoir courant 2006, en tout cas durant temps non prescrit à Paris (75), Vallauris (06) et sur le territoire national, commis le délit d’accès et maintien frauduleux dans tout ou partie du système de traitement automatisé de données de la société Les Editions Neressis (nom de domaine “www.pap.fr”).

Faits prévus et réprimés par les articles 323-1, 323-6 du code pénal.

Pour avoir dans les mêmes circonstances de temps et de lieu, procédé à une extraction frauduleuse du contenu de la base de données de la société Neressis.

Faits prévus et réprimés par les articles L 342-1, L 343-1 et L 343-2 du code de la propriété intellectuelle.

Pour avoir dans les mêmes circonstances de temps et de lieu, collecté des données à caractère personnel par moyen frauduleux, déloyal ou illicite (notamment numéro de téléphone et e-mail du particulier annonceur).

Faits prévus et réprimés par l’article 226-18 du code pénal.

[…]

DISCUSSION

Sur l‘action publique

Sur les faits et la procédure

Le 27 juillet 2006 la société par actions simplifiée “Les Editions Neressis” (D 2) portait plainte à deux reprises avec constitution de partie civile contre personne non dénommée en exposant les faits suivants (D 1) :
– premier groupe de presse immobilier en France, depuis 1975 elle édite la revue hebdomadaire “De Particulier A Particulier” (D 4)
– depuis 1976 la société propose au public des modèles de contrats et de lettres type couvrant l’ensemble des domaines du droit immobilier ; ces contrats et modèles de lettres sont rédigés et actualisés en fonction des modifications législatives
– ces modèles ont fait l’objet d’une commercialisation et peuvent être vendus à l’unité en version papier (D 5), dans un guide publié par les éditions de – Particulier A Particulier – (D 8), en version électronique sur support CD Rom (D 9) et enfin par téléchargement payant sur le site PAP.FR (D 10).

Selon la partie civile les modèles de contrats et de lettres type créés et qui ont été commercialisés par la société constituent des oeuvres de l’esprit devant, à ce titre, bénéficier de la protection instituée par le code de la propriété intellectuelle ; la plaignante souligne que les documents mis au point par ses soins constituent des – oeuvres collectives – au sens de l’article L 113-2 du dit code.

La société plaignante fait valoir que ces contrats et modèles de lettres ont été mis au point à son initiative elle en supporte le coût et la responsabilité éditoriale ; ils constituent une contribution concrète et une réalisation collective de plusieurs personnes réunies au sein du service juridique de la société “Les Editions Neressis” ; ils aboutissent à un résultat indivis et à une fusion des contributions.

La société estime, en conséquence, être investie des droits patrimoniaux sur les modèles créés à son initiative et sous sa responsabilité et être bien fondée à demander réparation de toute atteinte directe et/ou indirecte causée à ses droits.

La société “Les Editions Neressis” précisait s’être aperçue que les modèles de lettres et de contrats pouvaient gratuitement être téléchargés sur un site – Arkadia.com -.

La matérialité de ces faits (D 13 et D 24) avait été confirmée par les vérifications opérées par huissier le 21 juin 2006 puis lors d’un second constat le 4, le 6 et le 13 juillet 2006.

La société à responsabilité limitée “Arkadia” et Stéphane V. C. étaient mis en examen ; ce dernier indiquait « il ne m‘est jamais venu l‘idée qu‘il fallait en tant que tel demander l’autorisation à cette société avant d‘utiliser ces modèles. »

Au terme des investigations conduites par le magistrat instructeur ces deux personnes mises en examen ont été renvoyées devant le Tribunal pour contrefaçon, accès et maintien frauduleux dans un service de traitement automatisé de données, collecte frauduleuse d’une base de données et collecte par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite d’une base de données.

Sur la culpabilité

Sur le délit de contrefaçon

L’article L 335-2 du code de la propriété intellectuelle énonce « toute édition d’écrits,…, ou de toute autre production, imprimée ou gravée en entier ou en partie, au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs est une contrefaçon ; et toute contrefaçon est un délit… » ; l’article L 111-1 du même code prévoit la protection de l’auteur d’une oeuvre de l’esprit et les droits y afférents mais il est constant que pour être accessible à la protection l’oeuvre doit être originale.

L’originalité implique une création et une recherche d’ordre esthétique notamment portant l’empreinte de la personnalité de l’auteur.

En l’espèce les écrits établis par la partie civile sont des contrats et/ou des modèles de lettres (D 13-66 à D 13-241) dont l’examen révèle le caractère utilitaire et essentiellement de technique juridique ce qui ne témoigne d’aucun investissement personnel inédit.

En conséquence, les documents considérés ne peuvent être qualifiés d’oeuvres de l’esprit et ne peuvent, en conséquence, être protégés conformément aux dispositions précitées.

Sur le délit d’extraction frauduleuse du contenu d’une base de données

L’article L 342-1 du code de la propriété intellectuelle précise que « le producteur d‘une base de données a le droit d’interdire 1° L ‘extraction, par transfert permanent ou temporaire de la totalité ou d’une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu d’une base de données sur un autre support, par tout moyen et sous toute forme que ce soit… »

Les constats dressés à la demande de la partie civile (D 13 et D 24) font état du caractère – massif – de l’extraction réalisée mais ne précisent, pour justifier cette conclusion, aucune donnée chiffrée permettant d’apprécier à partir de la base de données de la société “Les Editions Neressis” – le caractère quantitativement substantiel – de l’extraction reprochée à Stéphane V. C.

Le Tribunal constate qu’aucune vérification de quelque nature que ce soit n’a été faite à ce propos.

En droit un élément constitutif du délit examiné fait défaut de sorte que la culpabilité ne peut être retenue.

Sur le délit d’accès frauduleux dans un système de traitement automatisé de données

L’article 323-1 du code pénal réprime « le fait d’accéder ou de se maintenir frauduleusement dans tout ou partie d’un système de traitement automatisé de données ».

Entendu par les fonctionnaires de police le 4 avril 2007 Stéphane V. C. précisait (D 63 et D 66) :
– exercer une activité commerciale immobilière au travers d’un site internet exploité par la société à responsabilité limitée “Arkadia”
– il avait téléchargé et extrait des données à partir du site de la société “Les Editions Neressis” au moyen d’ – un robot d’indexation – qui explorait et collectait les ressources indexées par un moteur de recherche
– dans le cadre selon lui d’une veille concurrentielle il aspirait le site www.pap.fr à l’aide d’un logiciel paramètre par ses soins ; il s’agissait d’un navigateur internet non pas mis en page (tel qu’internet Explorer) mais en ligne de commande
– il affirmait avoir obtenu les modèles de contrats et de lettres bien des années auparavant puis les aurait mis en ligne sans se douter de leur provenance dans la mesure où il s’agissait de fichiers texte (format Microsoft Word) ne permettant d’en identifier l’auteur.

Stéphane V. C. conteste toute responsabilité pénale.

Cependant, en premier lieu, il est de jurisprudence que le délit considéré est constitué dés lors qu’une personne non autorisée pénètre dans un système informatique que celui-ci soit ou non protégé.

En second lieu, il apparaît, en l’espèce, peu probable qu’un internaute muni de simples moyens conventionnels de consultation ait pu accéder à la partie confidentielle de la base de données considérée ; aucune procédure d’alerte ne pouvait prévenir une telle manipulation.

En conclusion les faits reprochés à Stéphane V. C. sont établis.

Sur le délit de collecte de données à caractère personnel par moyen frauduleux

L’article 226-18 du code pénal interdit le fait de collecter des données à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite.

La matérialité des faits est établie.

Sur le plan de l’intention, au regard des explications qui précèdent, il apparaît que les données des particuliers ont été collectées sur la partie confidentielle du site qui n’était pas accessible au public.

Ces mêmes données avaient été confiées par les particuliers à la société “Les Editions Neressis” et aucun tiers n’avait l’autorisation d’en faire usage.

Les faits sur ce point sont établis et il y a lieu d’entrer en voie de condamnation de ce chef.

Sur la peine

Compte tenu des circonstances de l’espèce et de leurs conséquences il convient de prononcer selon les modalités déterminées ci-après une peine d’amende avec sursis contre la personne physique et une peine d’amende contre la personne morale au nom et pour le compte de laquelle les faits ont été commis.

S’agissant de Stéphane V. C. il peut être fait droit à sa demande de non inscription sur l’extrait numéro 2 du casier judiciaire.

Sur l’action civile

Les demandes régularisées par la partie civile sont recevables en la forme.

Sur le fond elles doivent être rejetées pour les faits de contrefaçon et pour ceux d’extraction d’une base de données.

Pour le surplus les dommages intérêts doivent être fixés dans les limites fixées au dispositif de même que les demandes au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale.

Au regard des faits il convient de mettre ces sommes à la charge de la société “Arkadia”.

Les autres prétentions doivent être rejetées.

DECISION

Le tribunal statuant publiquement, en matière correctionnelle, en premier ressort et par jugement contradictoire à l’encontre de Stéphane V. C., et de la société Arkadia, prévenus, et à l’égard de la société Les Editions Neressis, partie civile ;

Sur l’action publique

. Déclare Stéphane V. C. non coupable et le relaxe des fins de la poursuite pour les faits qualifiés de :
– contrefaçon par diffusion ou représentation d’oeuvre de l’esprit au mépris des droits de l’auteur, faits commis courant 2005 et 2006, depuis temps non prescrit, à Paris et à Vallauris et sur le territoire national,
– atteinte aux droits du producteur d’une base de données, faits commis courant 2006, depuis temps non prescrit, à Paris et à Vallauris et sur le territoire national.

. Déclare Stéphane V. C. coupable pour les faits qualifiés de :
– accès frauduleux dans un système de traitement automatisé de données, faits commis courant 2006, depuis temps non prescrit, à Paris et à Vallauris et sur le territoire national,
– maintien frauduleux dans un système de traitement automatisé de données, faits commis courant 2006, depuis temps non prescrit, à Paris et à Vallauris et sur le territoire national,
– collecte de données nominatives par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite, faits commis courant 2006, depuis temps non prescrit, à Paris et à Vallauris et sur le territoire national.

Vu les articles susvisés :

. Condamne Stéphane V. C. à une amende délictuelle de 5000 €.

. Vu les articles 132-29 à 132-34 du Code pénal :

. Dit qu’il sera sursis totalement à l’exécution de cette peine dans les conditions prévues par ces articles.

. Dit qu’en application des dispositions de l’article 775-1 du Code de procédure pénale, il ne sera pas fait mention au bulletin n° 2 du casier judiciaire de Stéphane V. C. de la condamnation qui vient d’être prononcée.

. Déclare la société Arkadia non coupable et la relaxe des fins de la poursuite pour les faits qualifiés de :
– contrefaçon par diffusion ou représentation d’oeuvre de l’esprit au mépris des droits de l’auteur, faits commis courant 2005 et 2006, depuis temps non prescrit, à Paris et à Vallauris et sur le territoire national,
– atteinte aux droits du producteur d’une base de données, faits commis courant 2006, depuis temps non prescrit, à Paris et à Vallauris et sur le territoire national.

. Déclare la société Arkadia coupable pour les faits qualifiés de :
– Accès frauduleux dans un système de traitement automatisé de données, faits commis courant 2006, depuis temps non prescrit à Paris et à Vallauris et sur le territoire national,
– maintien frauduleux dans un système de traitement automatisé de données, faits commis courant 2006, depuis temps non prescrit, à Paris et à Vallauris et sur le territoire national,
– collecte de données nominatives par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite, faits commis courant 2006, depuis temps non prescrit, à Paris et à Vallauris et sur le territoire national.

Vu les articles susvisés :

. Condamne la société Arkadia à une amende délictuelle de 15 000 €.

Sur l’action civile :

. Reçoit la société Les Editions Neressis en sa constitution de partie civile.

. Rejette les demandes pour les faits de contrefaçon et pour ceux d’extraction d’une base de données.

. Condamne la société Arkadia à payer à la société Les Editions Neressis la somme de 50 000 € à titre de dommages-intérêts toutes causes confondues et en outre la somme de 3000 € au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale.

. La déboute du surplus de ses demandes.

Le tribunal : : Mme Marie-Christine Plantin (président), Mme Jeanne Drevet, (vice-président), M. Jean François Monereau (juge).

Avocats : Me Isabelle Laratte, Me Ignacio Diez

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.