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Jurisprudence : Droit d'auteur

vendredi 06 juillet 2012
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Tribunal de grande instance de Paris 3ème chambre 1ère section Jugement du 15 mai 2012

Motorola Mobility France / Copie France

FAITS ET PRÉTENTIONS

Les acteurs, les textes et les décisions du Conseil d’Etat

La société Motorola Mobility France SAS (ci-après Motorola) est constructeur de téléphones mobiles et de divers accessoires se rapportant à ces matériels.

Les sociétés Copie France et Sorecop sont des sociétés de perception et de répartition des droits (SPRD) régies par les dispositions du chapitre unique du titre II du livre III du code de la propriété intellectuelle (articles L. 321-1 et suivants) ayant la forme de sociétés civiles régies par les articles 1832 et suivants du code civil. Le capital social de ces sociétés est réparti entre d’autres SPRI) organisées en trois collèges distincts représentant respectivement les auteurs, les artistes interprètes et les producteurs.

En juillet 2011, la société Copie France a fusionné avec la société Sorecop.
La société Copie France a notamment pour objet de percevoir, au nom de ses associés dont elle reçoit « délégation à titre exclusif », la rémunération due au titre de l’exercice de la copie privée audiovisuelle et sonore.

Les sociétés de perception et de répartition des droits se confèrent également statutairement un mandat réciproque de collecte de la rémunération pour copie privée sonore et audiovisuelle.

La rémunération pour copie privée prévue à l’article L. 311-1 du code de la propriété intellectuelle constitue la contrepartie financière due aux titulaires de droit d’auteur et droits voisins au titre de l’exercice de l’exception de copie privée, exception légale au droit de reproduction prévue aux articles L. 122-5 2° et L. 211-3 2° du code de la propriété intellectuelle.

Cette rémunération, instaurée par la loi 85-660 en date du 3 juillet 1985, est une rémunération forfaitaire assise sur les supports vierges d’enregistrement, versée par le « fabricant, l’importateur ou la personne qui réalise des acquisitions intracommunautaires » et susceptible d’être répercutée par ces derniers sur l’utilisateur qui en supporte alors in fine la charge financière.

Le montant de cette rémunération (mais également les supports d’enregistrement éligibles à ladite rémunération) sont déterminés par une commission administrative prévue à l’article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle (dite « commission copie privée »).

Cette commission est présidée par un représentant de l’État et composée, pour moitié par des représentants des ayants droit (« Personnes désignées par les organisations représentant les bénéficiaires du droit à rémunération »), et pour l’autre moitié de représentants des redevables directs et indirects, soit : pour 25%des représentants des fabricants et importateurs des supports d’enregistrement (collège des industriels) et 25% des représentants des consommateurs (collège des consommateurs).

Une réorganisation des modalités de fonctionnement de la commission Copie Privée a été adoptée par le décret n°2009-744 en date du 19 juin 2009 relatif au fonctionnement de la commission instituée à l’article L 311-5 du code de la propriété intellectuelle.

Le nouvel article R. 311-2 alinéa 5 du code de la propriété intellectuelle dispose :
« La commission se détermine à la majorité de ses membres présents. En cas de partage des voix, le président o voix prépondérante » et « Lorsque le président fait usage de la faculté, prévue à l’article L. 311-5, de demander une seconde délibération, la décision est adoptée à la majorité des deux tiers des suffrages exprimés“.

La commission Copie Privée a pris :
* une décision n°8 en date du 9 juillet 2007 aux termes de laquelle étaient déclarés éligibles à la rémunération pour copie privée un certain nombre de supports vierges d’enregistrement dont les cartes mémoires non dédiées et elle a fixé les taux de rémunération comme suit :
– 0,144 € / Go pour une capacité inférieure ou égale à 512 Mo,
– 0,090 € / Go pour une capacité supérieure à 512 Mo et inférieure ou égale à 2 Go,
– 0,072 € / Go pour une capacité supérieure à 2 Go et inférieure ou égale à 5 Go,
– 0,062 € / Go pour une capacité supérieure à 5 Go et inférieure ou égale à 10 Go,
– 0,059 € / Go pour une capacité supérieure à 10 Go et inférieure ou égale à 16 Go.

* puis une décision n°10 en date du 27 février 2008 aux termes de laquelle étaient déclarés éligibles à la rémunération pour copie privée certains téléphones mobiles (dénommés « téléphones mobiles multimédia ») et elle a fixé les taux de rémunération comme suit :
– 5 € pour une capacité allant jusqu’à 1 Go,
– 6 € pour une capacité supérieure à 1 Go et inférieure ou égale à 5 Go,
– 7 € pour une capacité supérieure à 5 Go et inférieure ou égale à 10 Go,
– 8 € pour une capacité supérieure à 10 Go et inférieure ou égale à 20 Go,
– 10 € pour une capacité supérieure à 20 Go et inférieure ou égale à 40 Go,
– 15 € pour une capacité supérieure à 40 Go et inférieure ou égale à 80 Go,
– 20 € pour une capacité supérieure à 80 Go et inférieure ou égale à 120 Go,
– 25 € pour une capacité supérieure à 120 Go et inférieure ou égale à 160Go,
– 35 € pour une capacité supérieure à 160 Go et inférieure ou égale à 250 Go,
– 45 € pour une capacité supérieure à 250 Go et inférieure ou égale à 400 Go,
– 50 € pour une capacité supérieure à 400 Go et inférieure ou égale à 560 Go.

Cette décision avait été prise pour une durée limitée au 31 décembre 2008.

Le quantum de la rémunération pour copie privée a été déterminé, pour ces deux décisions n°8 et 10, selon une méthode identique aux précédentes décisions de la commission, en particulier la décision n°7 en date du 20 juillet 2006 applicable à divers matériels tels que les baladeurs audio/vidéo.

Ces décisions ont été contestées par divers syndicats et associations professionnels représentatifs des industriels devant le Conseil d’Etat dans le cadre de recours en annulation auxquels la société Motorola s’est jointe volontairement.

Dans le cadre de l’instruction de ces recours, le Ministère de la Culture et les sociétés Sorecop et Copie France ont expressément admis que ces deux décisions administratives encouraient l’annulation au motif qu’elles avaient été adoptées selon les mêmes modalités que la décision n°7 annulée par le Conseil d’Etat dans son arrêt Simavelec.

Cette décision en date du 11 juillet 2008 a annulé la décision n°7 précitée au motif que la rémunération prévue par cette décision compense des copies illicites violant par là même les articles L. 122-5 et L.311-1 du code de la propriété intellectuelle aux termes desquels la rémunération pour copie privée ne peut compenser que des actes de copie licite :
« Considérant […] qu’il résulte des dispositions précitées [articles L. 122-5 et L. 311-1 du code de la propriété intellectuelle que la rémunération pour copie privée a pour unique objet de compenser, pour les auteurs, artistes-interprètes et producteurs, la perte de revenus engendrée par l’usage qui est fait licitement et sans leur autorisation de copies d’œuvres fixées sur des phonogrammes ou des vidéogrammes à des fins strictement privées ; que par suite, et contrairement à ce que soutient le ministre de la culture et de la communication, la détermination de la rémunération pour copie privée ne peut prendre en considération que les copies licites réalisées dans les conditions prévues par les articles L. 122-5 et L. 311-1 du code de la propriété intellectuelle précités, et notamment les copies réalisées à partir d’une source acquise licitement ;

Considérant […] que pour déterminer le taux de la rémunération pour copie privée, la commission prévue à l’article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle tient compte tant de la capacité d’enregistrement des supports que de leur usage, à des fins de copies privées licites ou illicites, sans rechercher, pour chaque support, la part respective des usages licites et illicites ; que par suite, en prenant en compte le préjudice subi du fait des copies illicites de vidéogrammes ou de phonogrammes, la commission a méconnu les dispositions précitées du code de la propriété intellectuelle ; que dès lors, le Syndicat de l’industrie des matériels audiovisuels est fondé à demander, pour ce motif, l’annulation de la décision attaquée ».

Le Conseil d’Etat a décidé que l’annulation de la décision n°7 prononcée par cet arrêt n’aurait pas d’effet rétroactif et prendrait effet à l’issue d’un délai de six mois à compter de la signification de cette décision à savoir à compter du 11 janvier 2009.

Le 17 décembre 2010, le conseil d’Etat a annulé les décisions 8 et 10 pour les mêmes motifs que la décision 7 (pas de rémunération de la copie illicite).

La commission Copie Privée anticipant l’annulation alors prévisible des décisions 8 et 10, a adopté le 17 décembre 2008 une décision n°11 se substituant à l’ensemble de ses précédentes décisions – y compris les décisions n°8 et 10 -, de façon à exclure les copies illicites de l’assiette de la rémunération pour copie privée.

Cette décision a elle aussi été contestée devant le Conseil d’Etat pour deux motifs principaux l’un tenant à l’absence d’une exclusion effective des copies de source illicite – les «nouveaux» barèmes de rémunération étant strictement identiques aux barèmes des décisions antérieures compensant des copies illicites et l’autre à la soumission à cette rémunération des matériels à destination des professionnels, en violation de la directive 2001/29 du 22 mai 2001 telle qu’interprétée par un arrêt Padawan (CJUE, 21 octobre 2010).

L’arrêt Canal + Distribution du 17 juin 2011 a annulé la décision 11 sur le second moyen et ce sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens.

La loi « relative à la rémunération pour copie privée » en date du 20 décembre 2011 (n°20111898, JO 21 décembre 2011, pièce 74), a alors été votée et dispose ainsi en son article 611 que :
« Les rémunérations perçues ou réclamées en application de la décision n°11 du 17 décembre 2008 de la commission prévue à l’article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle au titre des supports autres que ceux acquis notamment à des fins professionnelles dont les conditions d’utilisation ne permettent pas de présumer un usage à des fins de copie privée, qui ont fait l’objet d’une action contentieuse introduite avant le 18juin 2011 et n’ont pas donné lieu, à la date de promulgation de la présente loi, à une décision de justice passée en force de chose jugée sont validées en tant qu’elles seraient contestées par les moyens par lesquels le Conseil d’Etat a, par sa décision du 17 juin 2011, annulé cette décision de la commission ou par des moyens tirés de ce que ces rémunérations seraient privées de base légale par suite de cette annulation. »

Bien que contestant le bien fondé de la soumission de ses cartes mémoires externes et téléphones mobiles multimédia aux décisions n° 8 et 10 de la commission Copie Privée, la société Motorola a, conformément aux dispositions de l’article L. 311-4 du code de la propriété intellectuelle et selon les modalités prévues par lesdites décisions, procédé auprès des sociétés Copie France et Sorecop aux déclarations de sortie de stock des cartes mémoire externes et téléphones mobiles multimédia à compter de la date de prise d’effet de ces deux décisions.

Sur la base des déclarations de sortie de stocks de la société Motorola, les factures suivantes ont été émises :
– « Notes de débit » Sorecop émises au titre des déclarations de sortie de stock de « cartes mémoire non dédiées » (décision n°8) :
o n°1300023854 du 14 avril 2008 d’un montant de 420,33 € TTC
o n°1300023855 du 14 avril 2008 d’un montant de 50,70 € TTC
o n°1300023856 du 14 avril 2008 d’un montant de 398,09 € TTC
o n°1300023857 du 14 avril 2008 d’un montant de 570,44 € TTC
o n°1300023858 du 14 avril 2008 d’un montant de 260,48 € TTC
o n°1300024967 du 30 juin 2008 d’un montant de 1004,82 € TTC
o n°1300024968 du 30 juin 2008 d’un montant de 99,05 € TTC
o n°1300025857 du 23 septembre 2008 d’un montant de 294,42 € TTC.
Soit un total de : 3098,33 € TTC
– Notes de débit » Copie France émises au titre des déclarations de sortie de stock de « téléphones mobiles multimédia » (décision n°10) :
o n°140020 192 du 30 juin 2008 d’un montant de 5765,62 € TTC
o n°140020870 du 26 août 2008 d’un montant de 29376,15 € TTC
o n°140020871 du 26 août 2008 d’un montant de 2164,84 € TTC
o n°140021232 du 25 septembre 2008 d’un montant de 3270,84 € TTC
o n°140021641 du 16 octobre 2008 d’un montant de 3726,83 € TTC
o n°140022080 du 27 novembre 2008 d’un montant de 10 172,04 € TTC
o n°140022276 du 15 décembre 2008 d’un montant de 32 100,03 € TTC

o n°140022911 du 28 janvier 2009 d’un montant de 56 664,18 € TTC
Soit un total de : 143 240,53 € TTC

Sur l’ensemble de ces factures, la société Motorola a payé la somme de 2803,91 € TTC au titre des factures Sorecop n°1300023854, n°1300023855, n°1300023856, n°1300023857, n°1300023858 et n°1300024967 et a suspendu le paiement des autres factures correspondant à la somme de 143 534,95 € TTC.

C’est dans ces conditions que la société Motorola a, par acte du 6 janvier 2009, fait assigner la société Copie France et la société Sorecop aux fins qu’il soit jugé qu’aucune des factures contestées n’était due et, à titre subsidiaire, sursis à statuer dans l’attente des décisions du Conseil d’Etat à intervenir.

Par acte en date du 17 février 2009, et alors même que les parties à l’instance pendante devant ce tribunal étaient d’ores et déjà convoquées à l’audience du Président, les sociétés Sorecop et Copie France assignaient la société Sony Ericsson en référé provision devant le juge du tribunal de grande instance d‘Evry.

Par ordonnance en date du 12 mai 2009, le président du tribunal de grande instance d’Evry déboutait les sociétés Sorecop et Copie France de leur demande au motif que :
« Dès lors, la facturation adressée à la société Motorola par les sociétés Sorecop et Copie France comporte pour partie une rémunération considérée comme illégale, quel que soit le caractère exécutoire des décisions litigieuses sur lesquelles se fonde cette facturation, de sorte qu’il existe pour le moins des contestations sérieuses excédant la compétence du juge des référés ».

Dans ses dernières e-conclusions du 1er février 2012, la société Motorola a demandé au tribunal de :
Vu les articles 1128 et 1371 du code civil
Vu les articles L. 122-5 2°, L. 211-32° et L. 311-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle
Vu la directive 2001/29 du 22 mai 2001

– Constater que la créance de rémunération alléguée par les sociétés Sorecop et Copie France à l’encontre de la société Motorola Mobility France au titre des factures émises en application des décisions n°8 et 10 de la commission de l’article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle est privée de fondement juridique à la suite des arrêts du Conseil d’Etat en date du 17 décembre 2010 annulant lesdites décisions administratives et est, par là même, réputée n’avoir jamais existé ;
– Constater que cette même créance viole les dispositions de l’article L. 311-1 du code de la propriété intellectuelle et est par là même incertaine et illégale ;

En conséquence :
– Juger qu’aucune des factures litigieuses n’est due par la société Motorola Mobility France ;
– Ordonner aux sociétés Sorecop et Copie France de restituer à la société Motorola Mobility France la somme de 2803,91 € correspondant aux factures d’ores et déjà payées ;
– Débouter les sociétés Copie France et Sorecop de l’ensemble de leurs demandes ;
– Condamner les sociétés Copie France et Sorecop à payer à la société Motorola Mobility France la somme de 18 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner les sociétés Copie France et Sorecop aux dépens.

Dans ses dernières e-écritures du 30 janvier 2012, la société Copie France a sollicité du tribunal de :
Vu l’article 31 du code de procédure civile,
Vu les articles L 311-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle,
Vu la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information,
Vu l’article 545 du code civil,
Vu l’article 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen,
Vu l’article 1 du Protocole additionnel n°1 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales,

Sur les demandes de la société Motorola Mobility France SAS :
– Déclarer la société Motorola Mobility France SAS irrecevable et en tout cas mal fondée en toutes ses demandes, fins et conclusions,
– L’en débouter,

Sur les demandes reconventionnelles de la société Copie France :
– Recevoir la société Copie France en ses demandes reconventionnelles et la déclarer bien fondée,

En conséquence :
– Condamner la société Motorola Mobility France SAS à payer à la société Copie France la somme de 143 534,95 € TTC sauf à parfaire, correspondant à la rémunération pour copie privée éludée à son préjudice pour sa période d’activité allant du mois de mai 2008 au mois de décembre 2008,

En toute hypothèse :
– Condamner la société Motorola Mobility France SAS à payer à la société Copie France la somme de 30 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamner la société Motorola Mobility France SAS aux entiers dépens.

La clôture a été prononcée le 6 février 2012.


DISCUSSION

Sur les fins de non recevoir opposées par la société Copie France

Sur l’irrecevabilité pour absence d’intérêt personnel direct et légitime

La société Copie France soutient que la société Motorola est irrecevable à solliciter les restitutions consécutives à l’annulation des décisions n°8 et 10 et que n’ayant pas collecté les sommes dues au titre de la rémunération de la copie privée, elle n’a aucun intérêt personnel, direct et légitime à agir en suspension du paiement des factures et en contestation de leur paiement.

La société Motorola répond que cette fin de non recevoir ne saurait être accueillie du fait de la tardive invocation d’un défaut d’intérêt à agir.

L’article 123 du code de procédure civile dispose que les fins de non recevoir prévues à l’article 122 du code de procédure civile dont le défaut d’intérêt à agir, peuvent être proposées en tout état de cause sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages et intérêts ceux qui se seraient abstenus dans une intention dilatoire de les soulever plus tôt.

En conséquence, le caractère tardif de la fin de non recevoir soulevée par la société Copie France n’est pas un motif pour la rejeter.

De plus, la société Motorola ne démontre pas l’intention dilatoire de la société Copie France et le délai de procédure de ce litige a été provoqué par les différentes décisions de la juridiction administrative saisies par les mêmes parties et par la complexité du débat.

En l’espèce, la société Motorola qui a collecté les sommes dues par ses clients au titre de la rémunération pour la copie privée et qui a payé une partie des factures émises par société Copie France, était tenue au jour de l’assignation par le paiement de ces sommes que la société Copie France lui réclamait par le biais des factures à elle adressées pour l’année 2008.

Elle avait en conséquence un intérêt direct personnel et légitime à agir car en cas de validation des décisions n°8 et 10, elle aurait dû payer sur ses propres deniers les sommes réclamées.

La fin de non recevoir opposée par la société Copie France à la société Motorola pour défaut d’intérêt personnel direct et légitime est donc mal fondée et sera rejetée.


Sur le détournement du droit d’action par la société Motorola

La société Copie France soutient encore que la société Motorola a détourné le droit d’action en choisissant d’introduire la présente instance devant le tribunal de grande instance de Paris par assignation du 6 janvier 2009, c’est-à-dire avant que le Conseil d’Etat statue, pour tenter de se prévaloir d’une éventuelle rétroactivité de l’annulation à venir des décisions n° 8 et 10 et tenter d’échapper ainsi à toute obligation de paiement de la rémunération pour copie privée ; qu’une telle démarche de la société Motorola illustre parfaitement l’hypothèse du détournement du droit d’action au profit de la satisfaction d’un intérêt illégitime.

La société Motorola répond qu’elle n’a fait qu’user de son droit d’ester et que placée devant une situation qu’elle jugeait irrégulière, elle a agi de façon à faire rétablir ses droits ; que si la société Copie France lui reproche d’avoir été consciente de ce que les décisions n° 8 et 10 avaient de bonne chance d’être annulées au regard de la décision Simavelec, celle-ci pouvait tout autant en tirer les mêmes conséquences juridiques et adapter les textes réglementant la rémunération de la copie privée.

Il est exact que la société Motorola a engagé la présente procédure postérieurement à l’arrêt Simavelec du 11 juillet 2008 et avant que le Conseil d’Etat ne se prononce sur la légalité des décisions n° 8 et 10.

L’arrêt Simavelec a prononcé une nullité non rétroactive de la décision n° 7 et a au surplus, différé les effets de cette nullité à l’expiration d’un délai de 6 mois à compter de la notification de l’arrêt au Ministre de la Culture et de la Communication (soit le 11 janvier 2009), sous réserve des actions contentieuses engagées au jour de sa décision.

Il a ainsi ouvert une voie possible de réclamation aux sociétés soumises au paiement de la rémunération de la copie privée et il ne peut être reproché à ces dernières d’avoir utilisé un moyen procédural qui leur permet d’échapper au paiement de sommes dont elles contestent la légitimité.

Aucun abus n’est établi du fait de cette action engagée par la société Motorola devant le tribunal de grande instance pour préserver ses droits.

En effet, les circonstances enseignées par le droit positif selon lesquelles l’action devrait être déclarée irrecevable ne sont pas remplies.

En effet, la société Motorola n’entend pas se soustraire à une obligation mais au paiement des sommes telles que calculées sur la base des décisions n° 8 et 10 et cette action ne lui permet pas de bénéficier d’un avantage injustifié d’une part car les autres acteurs du secteur économique ont également agi et d’autre part car elle n’est pas à l’origine du non respect par les décisions de principes affirmés par le Conseil d’Etat.

En conséquence, cette fin de non recevoir pour détournement du droit d’action sera également rejetée.


Sur les demandes de la société Motorola

Sur la portée des nullités prononcées par le Conseil d’Etat

La société Motorola fait valoir que la créance litigieuse ne saurait constituer une créance de rémunération de copie privée susceptible d’être judiciairement recouvrée ; que celui qui se prétend créancier d’une obligation financière contestée doit démontrer que celle-ci est juridiquement fondée – que la source de l’obligation soit légale, contractuelle ou encore quasi- contractuelle – et que la créance qui en découle est certaine, liquide et exigible ; que les arrêts rendus par le Conseil d’Etat le 17 décembre 2010 confirment que les factures litigieuses emportant rémunération de copies illicites sont manifestement insusceptibles d’être recouvrées et que le caractère rétroactif de ces annulations contentieuses prive désormais lesdites factures de leur fondement juridique.

La société Copie France répond que les demandes de la société Motorola sont contraires à la législation nationale, à la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 et aux arrêts Padawan et Opus Supplies de la CJUE.

Il ressort des pièces versées au débat et ceci n’est pas contesté par les parties que les factures émises par la société Copie France pour l’année 2008 (de mai à décembre) pour un montant de 143 338,86 € TTC (3098,33 € TFC et 143 240,53 € TTC) et partiellement payées par la société Motorola à hauteur de 2803,91 €, représentent la rémunération de la copie privée due par la société Motorola pour les produits visés et selon le barème en vigueur résultant des décisions 8 et 10.

Or, les décisions du Conseil d’Etat du 17 décembre 2010 ont clairement annulé les décisions n°8 et 10 au motif que ces deux décisions administratives emportaient rémunération de copies illicites, en violation des dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives à l’exception de copie privée et à la rémunération corrélative.

Elles ont également réservé les actions contentieuses en cours en précisant déroger à titre exceptionnel au principe de rétroactivité.

Contrairement à ce que soutient la société Copie France, les demandes de la société Motorola en ce qu’elles se limitent à la demande d’annulation des factures prises en application d’un texte annulé de façon contentieuse, ne sont pas contraires à la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information et notamment à son article 5-2, aux décisions de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans son arrêt Padawan du 21 octobre 2010 qui ont reconnu aux Etats la possibilité de “décider à titre facultatif, d’introduire une exception de copie privée au droit exclusif de reproduction de l’auteur consacré par le droit de l’Union, ceux qui font usage de cette faculté doivent prévoir le versement d’une compensation équitable au profit des auteurs lésés en raison de l’application de cette exception ».

En revanche, les demandes de la société Motorola tendant à voir dire par le juge judiciaire que la créance de la société Copie France viole les dispositions de l’article L. 311-1 du code de la propriété intellectuelle sont mal fondées car le principe de la rémunération de la copie privée est prévu par cet article, reconnu par les textes et la jurisprudence de l’Union Européenne et que seul le calcul du barème a été contesté et annulé.

Il est constant que l’annulation contentieuse d’un texte produit un effet rétroactif et que l’acte en cause est réputé n’être jamais intervenu.

En conséquence, les factures émises sur le fondement d’un acte annulé sont privées de tout fondement juridique et doivent également être annulées.

La demande de suspension du paiement des sommes non acquittées formée par la société Motorola est donc sans objet

La société Motorola réclame la restitution des sommes versées sur la base de ces factures à hauteur de 2803,91 €.

La société Copie France conteste devoir rembourser cette somme. Or, il apparaît que les sommes versées au regard des factures annulées l’ont été en exécution d’un titre émis en vertu d’un texte annulé et que la restitution consécutive à une annulation ne relève pas de la répétition de l’indu mais seulement des règles de la nullité.

Il sera en conséquence fait droit à la demande de restitution de la somme de 2803,91 € formée par la société Motorola dans les termes du dispositif

Sur les demandes reconventionnelles de la société Copie France

La société Copie France forme une demande reconventionnelle devant le présent juge tendant à voir fixer une indemnité de 143 534,95 €, sauf à parfaire, compensant la perte de la rémunération pour copie privée éludée par la société Motorola à son préjudice pour sa période d’activité du mois de mai 2008 au mois de décembre 2008.

La société Motorola conteste devoir cette somme au motif d’une part que les décisions ayant été annulées, aucun élément ne permet au juge judiciaire de fixer les sommes dues ce qui rend la créance de la société Copie France incertaine donc mal fondée et d’autre part que le juge judiciaire ne saurait se substituer à la commission Copie Privée.

La société Motorola ne conteste pas être débitrice à l’égard de la société Copie France de l’obligation de paiement mise à sa charge par les articles L 311-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle qui dispose :
« La rémunération prévue à l’article L. 311-3 est versée par le fabricant, l’importateur ou la personne qui réalise des acquisitions intracommunautaires, au sens du 3° du I de l’article 256 bis du code général des impôts, de supports d’enregistrement utilisables pour la reproduction à usage privé d’œuvres, lors de la mise en circulation en France de ces supports » (article L. 311-4 alinéa 1).

Il est constant que l’annulation des décisions n°8 et 10 de la Commission de la copie privée a privé les sociétés Sorecop et Copie France des revenus dus au profit des auteurs en vertu de ce texte national conforme à la législation et à la jurisprudence européenne.

Les décisions du Conseil d’Etat ayant réservé les droits des parties en litige, il appartient donc au juge judiciaire de tirer les conséquences de cette dérogation tant pour le demandeur ainsi qu’il a été jugé plus haut que pour le titulaire du droit à rémunération de la copie privée qui forme une demande de compensation financière de façon à garantir un équilibre tel que souhaité par le juge administratif

Contrairement à ce que soutient la société Motorola, le juge judiciaire en fixant une indemnisation au profit de la société Copie

France pour compenser les sommes auxquelles elle a droit mais qui ne peuvent être recouvrées en raison de l’absence de barème, ne se substitue pas à la commission Copie Privée puisqu’il ne s’agit pas de fixer un barème mais d’évaluer une indemnité compensatrice qui rendra effectif un droit reconnu et admis par tous, édicté comme règle d’ordre public par les dispositions de l’article L 311-1 du code de la propriété intellectuelle.

Enfin, la société Copie France fait valoir que l’article 545 du code civil précise que “nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour une cause d’utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnité”.

Chargée de recouvrer et de distribuer la rémunération de la copie privée au nom de ses associés, la société Copie France peut donc réclamer sur ce fondement une indemnité compensant la perte de la rémunération de la copie privée due aux auteurs, rémunération qui est un droit de propriété.

Dès lors, le principe d’une indemnisation pour les sommes impayées au titre de l’obligation non contestée par la société Motorola de paiement d’une rémunération de la copie privée pour l’année 2008 (de mai à décembre 2008), doit être apprécié conformément aux dispositions de l’article 12 du code de procédure civile et au regard des dispositions de l’article L.311-1 du code de la propriété intellectuelle.

Il convient donc de déterminer la compensation financière qui doit être allouée à la société Copie France pour l’année 2008.

La décision n° 11 de la commission Copie Privée a été annulée du seul fait qu’elle a été adoptée au seul motif d’un traitement jugé non satisfaisant des usages professionnels :
« (…) qu’en décidant que l’ensemble des supports, à l’exception de ceux acquis par les personnes légalement exonérées de la rémunération pour copie privée par les dispositions de l’article L.311-8 du code de la propriété intellectuelle, seraient soumis à la rémunération, sans prévoir la possibilité d’exonérer ceux des supports acquis, notamment à des fins professionnelles, dont les conditions d’utilisation ne permettent pas de présumer un usage de ces matériels à des fins de copie privée, la décision attaquée a méconnu les dispositions précitées du code de la propriété intellectuelle et la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 telle qu’interprétée par la Cour de justice de l’Union européenne ; (…).»

La société Motorola ne conteste pas ce fait mais indique que le barème retenu dans la décision n° 11 était le même que celui fixé dans les décisions 8 et 10 qui incluait les sources illicites.

Or, le tribunal constate que ce motif avait été soulevé devant le Conseil d’Etat qui ne l’a pas retenu dans son arrêt du 17 juin 2011 même si le rapporteur a indiqué que la similarité des barèmes pouvait être troublante.

En l’espèce, il importe peu que les chiffres retenus dans le barème de la décision n° 11 soient les mêmes que ceux auxquels aboutissaient les barèmes des décisions 8 et 10, puisque la société Motorola ne prétend pas que ces barèmes seraient excessifs mais se contente d’affirmer qu’ils ne peuvent être les mêmes que les barèmes des décisions précédentes de la commission Copie Privée.

Elle ne propose aucune autre grille de calcul et ne fait aucun comparatif avec des barèmes qui pourraient être mis en œuvre dans d’autres pays.

En conséquence, l’indemnité sera fixée en référence du barème et il sera alloué la somme de 140 000 € à la société Copie France en compensation des sommes dues au titre de la rémunération de la copie privée et non payées par la société Motorola pour l’année 2008.

II convient donc de dire que la somme de 2803,91 € qui devrait être restituée à la société Motorola doit être compensée avec celle due par cette dernière à la société Copie France conformément aux dispositions des articles 1289 et suivants du code civil, de sorte que la condamnation de la société Motorola est limitée à la somme de 137 196,09 € (140 000 € – 2803,91 €).

Sur les autres demandes

Les conditions sont réunies pour allouer à la société Copie France la somme de 15 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

DÉCISION

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort, remis au greffe le jour du délibéré,
.
. Rejette les fins de non recevoir opposées par la société Copie France à la société Motorola Mobility France SAS.

. Constate que la créance alléguée par les sociétés Sorecop et Copie France à l’encontre de la société Motorola Mobility France SAS au titre des factures émises en application des décisions n° 8 et 10 de la commission Copie Privée est privée de fondement juridique à la suite des arrêts du Conseil d’Etat en date du 17 décembre 2010 annulant lesdites décisions administratives et est, par là même, réputée n’avoir jamais existé.

En conséquence :

. Juge qu’aucune des factures litigieuses n’est due par la société Motorola Mobility France SAS.

. Dit la demande de suspension de paiement des factures formée par la société Motorola Mobility France SAS sans objet.

. Dit que la société Copie France doit restituer à la société Motorola Mobility France SAS la somme de 2803,91 € TTC correspondant aux factures d’ores et déjà payées.

. Reçoit la société Copie France en ses demandes reconventionnelles.

. Dit que la société Motorola Mobility France SAS doit payer à la société Copie France la somme de 140 000 € à titre d’indemnité compensatrice pour la rémunération de la copie privée due au titre de l’année 2008, de mai à décembre.

. Ordonne la compensation entre les deux sommes.

En conséquence,

. Condamne la société Motorola Mobility France SAS à payer à la société Copie France la somme de 137 196,09 €.

. Condamne la société Motorola Mobility France SAS à payer à la société Copie France la somme de 15 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

. Condamne la société Motorola Mobility France SAS aux dépens.

Le tribunal : Mme Marie-Christine Courboulay (vice présidente), Mmes Thérèse Andrieu (vice présidente) et Cécile Viton (juge)

Avocats : Me Sophie Soubelet-Caroit, Me Olivier Chatel

 
 

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