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Jurisprudence : Contenus illicites

mercredi 03 septembre 1997
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Tribunal de grande instance de Privas Jugement correctionnel du 3 septembre 1997

Le Ministère public et Mademoiselle S. / Monsieur F.

collecte et mise en mémoire informatique de données personnelles - conservation de données personnelles - contenus illicites - photos à caractère pornographiques

Après en avoir délibéré conformément à la loi, le tribunal a statué en ces termes :


LE TRIBUNAL,

1° – Sur l’action publique

Attendu que Monsieur F. a été cité à l’audience de septembre 1997 par Monsieur le Procureur de la République suivant acte de Me Arnaud, huissier de justice, délivré le 23 juin 1997 à sa personne ;

Que la citation est régulière ;

Qu’il est établi qu’il en a eu connaissance.

Attendu que le prévenu a comparu ;

Qu’il y a lieu de statuer contradictoirement.

Attendu qu’il est prévenu d’avoir à Talencieux et sur l’ensemble du territoire national, de septembre 1996 à janvier 1997, mis ou conservé en mémoire informatique des données nominatives sans l’accord exprès de l’intéressée qui directement ou indirectement fait apparaître ses moeurs ;

Infraction prévue et réprimée par les articles 226-19 et 226-31 du code pénal.

Attendu que pour sa défense F. fait valoir que :

– l’infraction de mise en mémoire informatique des données sensibles a pour but de prévenir les discriminations fondées sur la race, les opinions politiques, philosophiques et de ne pas apporter d’entrave à la liberté de penser et à la liberté syndicale et que la loi doit s’entendre dans le cadre de constitution de fichiers ;

– qu’avant d’être codifiée sous l’article 226-19 du code pénal, l’incrimination était visée par l’article 31 de la loi du 6 janvier 1978 qui doit s’interpréter en référence à l’article 42, que l’article 45 de la loi dispose que les dispositions des articles 25, 27, 29, 30, 31, 32 et 33 relatifs à la collecte, l’enregistrement et la conservation des informations nominatives sont applicables aux fichiers non automatisés ou mécanographiques autres que ceux dont l’usage relève du strict exercice du droit à la vie privée ; qu’ainsi l’élément matériel de l’infraction doit être notamment l’existence d’un fichier au sein duquel figurerait la photographie ; qu’il ressort des procès-verbaux qu’il n’a constitué aucun fichier ;

– que l’infraction de conservation d’une donnée sensible n’est pas constituée si les données collectées ne figurent pas dans un fichier mais dans un dossier individuel isolé, non conservé dans un quelconque fichier, qui peut être une collection structurée de dossiers personnels.

Attendu qu’il convient en préliminaire de noter que l’article 226-19 du code pénal est inclus dans une section 5 qui traite des atteintes aux droits de la personne résultant des fichiers ou des traitements informatiques, qui a été créée aux fins de prendre en considération les incidences des nouvelles technologies de l’information ; que l’article 226-19 du code pénal vise le fait de mettre ou de conserver en mémoire informatisée et ne réduit pas l’infraction à la constitution de simples fichiers, que cette infraction était prévue antérieurement par l’article 31 de la loi du 6 janvier 1978 ;

Qu’une première lecture de l’article 226-19 montre qu’il s’applique aux traitements automatisés des données nominatives normalement entendues au sens des articles 4 et 5 de la loi de 1978 ;

Qu’est dénommé traitement automatisé d’informations nominatives tout ensemble d’opérations réalisées par des moyens automatiques relatifs à la collecte, à l’enregistrement, l’élaboration, la modification, la conservation et la destruction d’informations nominatives, la notion de traitement automatisé devant être entendue extensivement et ne peut en aucun cas être confondue avec la notion de fichier ; que par traitement automatisé il convient d’entendre également l’extraction, la consultation, l’utilisation, la communication par transmission, la diffusion et tout autre forme de mise à disposition de données à caractère personnel ;

Qu’en l’espèce l’article 45 de la loi du 6 janvier 1978 devenu l’article 226-23 du code pénal ne peut recevoir application car il vise les fichiers non automatisés ou mécanographiques.

Attendu qu’il convient de rappeler qu’Internet est un service de communication audiovisuelle ; qu’il faut entendre par communication audiovisuelle toute mise à disposition du public ou de catégories du public par un procédé de communication, de signes, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature qui n’ont pas le caractère d’une correspondance privée ;

Que le réseau Internet permet la consultation et l’exploitation de services à travers des configurations informatiques.

Attendu qu’il ressort des déclarations de F. que vers le mois de septembre 1996 il a pris un abonnement « Internet » ; qu’à partir de cet abonnement il a obtenu un modem qu’il a installé chez lui à Talencieux, qu’il a pris des photos à caractère pornographiques de S. ; qu’il a fait passer ces photos à plat afin de faire ressortir l’image sur l’ordinateur et qu’il a mis ces photos sur son compte personnel sur Internet ; que ces pages ont été bloquées 2 ou 3 jours après ; que le prévenu a remis une disquette représentant des photos prises avec S. , qu’au vu des pièces annexées à la procédure les photos sont « complétées » par un texte en relation avec celles-ci quant aux mœurs de la personne représentée ; qu’il ressort de l’ensemble des éléments qui viennent d’être développés que l’infraction reprochée à F. est constituée.

2° – Sur l’action civile

Attendu que S. s’est constituée partie civile.

Attendu que sa demande est recevable et régulière en la forme ;

Que sa demande tend à la condamnation de F. au paiement de la somme de 80 000 francs pour le préjudice moral et 5 223,93 francs pour le préjudice matériel.

Attendu qu’une somme de 3 000 francs est demandée au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale.

Attendu qu’il convient de déclarer F. responsable du préjudice subi par S.

Attendu qu’en l’état des justifications produites aux débats, le tribunal dispose d’éléments d’appréciation suffisants pour fixer à 20 000 francs pour le préjudice moral et de rejeter la demande concernant le préjudice matériel.

Attendu qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de la partie civile les sommes exposées par elle pour sa représentation en justice ; qu’il convient donc de lui allouer à ce titre, sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale, la somme de 3 000 francs.

Décision

Statuant publiquement et en premier ressort,

Contradictoirement à l’égard de F.

1° – Sur l’action publique

Déclare Monsieur F. coupable des faits qui lui sont reprochés.

Condamne F. à la peine de huit mois d’emprisonnement ;

Dit qu’il sera sursis à l’exécution de la peine d’emprisonnement qui vient d’être prononcée contre lui.

Le condamne en outre à 5 000 francs d’amende.

Le président, en application de l’article 132-29 du code pénal, ayant averti le condamné, que s’il commet une nouvelle infraction, il pourra faire l’objet d’une nouvelle condamnation qui sera susceptible d’entraîner l’exécution de la première condamnation sans confusion avec la seconde et qu’il encourra les peines de la récidive dans les termes des articles 132-8 à132-16 du code pénal ;

2° – Sur l’action civile

Par jugement contradictoire à l’égard de Mademoiselle S.

Reçoit S. en sa constitution de partie civile.

Déclare F. responsable du préjudice subi par S.

Condamne F. à payer à S. la somme de 20 000 francs à titre de dommages-intérêts pour le préjudice moral.

Rejette la demande concernant le préjudice matériel.

Condamne F. à verser à S., au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale, la somme de 3 000 francs.

La présente décision est assujettie d’un droit fixe de procédure d’un montant de 600 F dont est redevable le condamné.

Le tout en application des articles 406 et suivants et 485 du code de procédure pénale et des textes susvisés.

Voir l’arret de la Cour d’appel du 06/11/1998

 
 

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