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Jurisprudence : Vie privée

lundi 21 juillet 2008
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Tribunal de grande instance de Quimper Jugement du 17 juillet 2008

Thierry V. / Gilles S.

courrier électronique - employeur - secret des correspondances - vie privée

[…]

DISCUSSION

Sur l’action publique

Attendu que Monsieur Gilles S. a été renvoyé devant ce Tribunal par ordonnance de Mademoiselle Muriel Corre, Juge d’Instruction de ce siège en date du 20/07/2006 ;

Attendu que Monsieur Gilles S. a été cité à l’audience du 12/06/2008 par Monsieur le Procureur de la République suivant acte de Me Christophe Darras, huissier de Justice à Châteaulin, délivré le 18/04/2008 à sa personne ;

Que la citation est régulière ; Qu’il est établi qu’il en a eu connaissance ;
Attendu que le prévenu a comparu ;
Qu’il y a lieu de statuer contradictoirement ;

Attendu qu’il est prévenu :
– d’avoir à D., en tout cas sur le territoire national, le 12 janvier 2005 et depuis temps non prescrit, en sa qualité de directeur général des services de la ville de D., personne chargée d’une mission de service public agissant dans l’exercice ou à l’occasion de ses fonctions ou de sa mission, ordonné de commettre, hors les cas prévus par la loi, le détournement ou l’ouverture d’une correspondance, en l’espèce un message électronique privé adressé par M. Thierry V. à M. Didier J. pour joindre une copie de ce mail au dossier administratif de Thierry V. à l’appui d’une procédure disciplinaire ;

infraction prévue par Art.432-9 al. 1 C.Penal, et réprimée par Art.432-9 al. 1, Art.432-17 C.Penal.

Les faits

Le 11 juillet 2005 M. Thierry V. a porté plainte contre X et s’est constitué partie civile devant le doyen des juges d’instruction de ce siège pour atteinte au secret de la correspondance par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public agissant dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de sa mission. Il exposait qu’employé par la municipalité de D. en qualité d’ingénieur principal titulaire, il avait été l’objet d’une procédure disciplinaire à la suite de l’envoi, le 17/12/2004, de la photocopie de trois bandes dessinées humoristiques à une collègue qui l’avait perçu comme une agression personnelle. Dans le cadre de cette procédure disciplinaire diligentée en janvier 2005, il avait pris connaissance, conformément à ses droits, de son dossier individuel et avait constaté qu’y figurait au titre des pièces produites un courriel qu’il avait envoyé le 08/12/2004 à l’un de ses collègues, M. Didier J., travaillant au service informatique ;

Il estimait que ce courriel, envoyé à l’adresse électronique du seul M. Didier J., revêtait un caractère privé ;

Une information du chef d’atteinte au secret des correspondances était ouverte le 09/09/2005 ;

Entendu le 25/10/2005 par le juge d’instruction, M. Thierry V. précisait que le 1er décembre 2004 M. Didier J. avait adressé à plus d’une vingtaine de destinataires, dont lui-même, un courriel concernant la préparation du budget 2005 par lequel il demandait à chaque chef de service les prévisions d’organisation de service et les besoins en matière d’informatique qui pouvaient en découler. Il affirmait n’avoir répondu qu’à M. Didier J. le 8 décembre suivant, son courriel présentant deux parties distinctes : la première étant humoristique et s’adressant au collègue du même rang que lui qu’il considérait comme un ami et la deuxième étant “plus professionnelle” et concernant les besoins de son service en informatique. Selon lui il n’y avait pas de code d’accès à la messagerie Outlook dont disposait chacun des fonctionnaires mais chacun d’entre eux disposait d’un code d’accès individuel à son poste informatique et il n’existait pas à sa connaissance de charte ou règlement intérieur régissant l’utilisation du service de messagerie interne ;

Entendu en qualité de témoin le 09/12/2005 M. Didier J. confirmait l’envoi d’un courriel à tous les chefs de service pour préparer le budget 2005 et la réception de la réponse de M. Thierry V., laquelle comprenait bien deux parties. Il indiquait que M. Gilles S., responsable hiérarchique de tous les services, lui avait demandé courant janvier 2005 de lui imprimer une copie du courriel de M. Thierry V. en raison des critiques qu’il contenait, qu’il avait d’abord refusé, craignant que cela puisse nuire à son collègue, mais que devant l’insistance de la demande de son chef hiérarchique qu’il avait interprétée comme un ordre, il avait imprimé le document et remis celui-ci à M. Gilles S. Il confirmait par ailleurs qu’il n’existait pas de charte ou de règlement intérieur régissant l’utilisation de la messagerie et indiquait que ce service n’étant pas hébergé “chez eux” personne ne pouvait avoir accès aux courriels échangés en dehors du destinataire initial ;

Entendu en qualité de témoin assisté le 09/12/2005, M. Gilles S., Directeur Général des services de la ville de D., indiquait que le 12/01/2005 il avait reçu M. T., à l’époque subordonné de M. Thierry V., qui lui avait dit qu’il avait vu sur le bureau de ce dernier sa réponse à M. Didier J. concernant la préparation budgétaire et qu’elle contenait des propos « délirants ». Il reconnaissait avoir réclamé copie de ce courriel à M. Didier J. et avoir mis ce document dans le dossier administratif de M. Thierry V. “car il trouvait qu’il éclairait bien la personnalité de ce fonctionnaire”. Il justifiait son comportement en faisant valoir qu’il n’avait pas considéré que ce courriel revêtait un caractère privé car il s’agissait de la réponse d’un chef de service à un autre chef de service concernant des prévisions budgétaires et qu’à son sens les deux parties du courriel (l’une débutant par “Salut Didier”, l’autre par “M. Didier J.”) ne pouvaient être éditées l’une sans l’autre. Il ajoutait “J’ai considéré qu’il s’agissait de propos délirants critiquant mon action. Certes il (M. Thierry V.) en a le droit et je ne lui en fais pas grief. Néanmoins j’ai considéré que cela montrait bien comment il réagissait et cela me paraissait important dans le cadre de la procédure disciplinaire ». Enfin il confirmait l’absence de charte réglementant l’usage de la messagerie ;

Lors de l’audience le prévenu a soutenu à l’appui de sa demande de relaxe :
– que les courriers électroniques échangés au moyen d’ordinateurs professionnels revêtent, en principe, un caractère professionnel, sauf identification contraire de l’employé, étant précisé qu’en l’espèce ni l’objet du courriel, “re-budget”, ni son contenu ne sont de nature privée,
– que s’agissant plus spécifiquement de courriels échangés au sein d’une administration, ils revêtent un caractère administratif et à ce titre sont communicables et donc non soumis à la protection instituée par l’article 432-9 alinéa 1 du Code Pénal,
– qu’en tout état de cause, le fait d’avoir versé le courriel litigieux au dossier administratif de la partie civile ne constitue pas “la révélation” visée à l’article 432-9 du Code Pénal compte tenu de la confidentialité à laquelle se trouve soumis le dossier administratif d’un agent public ;

La prévention

L’article 432-9 du Code Pénal incrimine le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, d’ordonner, de commettre ou de faciliter, hors les cas prévus par la loi, le détournement, la suppression ou l’ouverture de correspondances ou la révélation du contenu de ces correspondances ;

Il n’a pas été contesté ni au cours de l’information ni durant les débats que M. Gilles S. avait, à la date des faits qui lui sont reprochés, la qualité de personne chargée d’une mission de service public et que les faits ont été commis à l’occasion de l’exercice de cette mission ;

Les dispositions de l’article 432-9 du Code pénal consacrent en droit interne le principe posé par l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ;

Le terme de correspondance désignant toute relation par écrit établie entre deux personnes identifiables, qu’il s’agisse de lettres, messages ou plis fermés ou ouverts, un courrier électronique, dès lors qu’il est adressé par une personne nommément désignée à une personne elle aussi nommément désignée constitue bien une correspondance ;

En l’espèce il ne fait pas de doute que M. Thierry V. a adressé à M Didier J. seul une correspondance électronique dont il convient de déterminer si elle est protégée par la loi ;

Le caractère privé d’une correspondance doit s’apprécier au regard de son objet et de la volonté des intéressés ;
Pour ce qui concerne l’objet du courriel litigieux, il apparaît que M. Thierry V. n’a pas lui-même spécifié un objet particulier, se bornant à appuyer sur la touche “répondre” apparaissant sur l’écran de son ordinateur, entraînant automatiquement l’inscription à la rubrique “objet” de son courriel de la mention “re-budget” ;
Pour ce qui concerne la volonté des intéressés, il est intéressant de noter que M. Thierry V. n’a pas souhaité activer la touche “répondre à tous” mais a volontairement cantonné sa réponse au seul expéditeur du message initial, c’est-à-dire M Didier J., qu’il a en outre séparé sa réponse en deux parties bien distinctes, l’une commençant par “salut Didier” et contenant des propos libres et se voulant humoristiques sur le fonctionnement des services, et l’autre débutant par “M. Didier J.” et contenant les prévisions budgétaires pour son service présentées en termes neutres et administratifs. Quant à M. Didier J., il a clairement exprimé lors de son audition qu’il avait été gêné par la demande de M. Gilles S. et qu’il ne lui avait fourni la copie du courriel que parce qu’il considérait en avoir reçu l’ordre ;
Il ressort de l’ensemble de ces éléments que si l’objet du courriel litigieux ne laissait pas présager du caractère potentiellement privé de son contenu, en revanche l’intention tant de l’expéditeur que du destinataire d’attribuer à une partie de ce courriel un caractère privé ne fait aucun doute ;

L’argument du prévenu consistant à affirmer que les deux parties du courriel ne pouvaient être éditées l’une sans l’autre est inefficient dans la mesure où il était tout à fait possible pour M. Didier J., en manipulant les fonctions “copier-coller” et “supr” de son ordinateur d’éditer seulement la partie professionnelle du courriel envoyé par M. Thierry V.
C’est d’ailleurs certainement ce qu’il aurait fait si son chef de service n’était pas déjà au fait de l’entier contenu du courriel. Par voie de conséquence l’argument soutenu à l’audience par le prévenu concernant la nature administrative et donc communicable du courriel ne peut être retenu, seule justement la partie professionnelle dudit courriel pouvant revêtir une telle nature ;

Par ailleurs, le seul fait, pour M. Gilles S., d’avoir ordonné à M. Didier J. de lui remettre une copie du courriel envoyé par M. Thierry V., constitue la révélation du contenu d’une correspondance à caractère privé visée à l’article 432-9 du Code Pénal ;
Au demeurant le fait de verser cette correspondance au dossier administratif de son expéditeur constitue a fortiori cette révélation dans la mesure où nonobstant la nature confidentielle de ce dossier les supérieurs hiérarchiques de M. Thierry V., seuls détenteurs de ce dossier, n’étaient ni expéditeurs ni destinataires du courriel ;

L’élément matériel de l’infraction est donc bien constitué ;

L’élément intentionnel de l’infraction, au sens des dispositions de l’article 432-9 alinéa 1 du Code Pénal, est la volonté manifestée par le comportement de l’auteur du délit qui, ayant connaissance du caractère privé de la correspondance, s’en empare ou s’informe de son contenu contre la volonté de l’expéditeur et/ou du destinataire ;

En l’espèce, la mention portée à la rubrique “objet” du courriel ne revêt aucune importance puisqu’il n’est pas soutenu que le courriel aurait été ouvert “par inadvertance” à la seule vue de son objet
M. Gilles S. reconnaît lui-même que c’est uniquement parce qu’il connaissait le contenu de cette correspondance, qu’il jugeait “délirant”, qu’il en a ordonné la divulgation, ce qui caractérise l’élément intentionnel de l’infraction ;
En conséquence il convient de déclarer M. Gilles S. coupable des faits qui lui sont reprochés et compte tenu de sa personnalité, de le condamner à une amende avec sursis et de faire droit à sa demande visant à la non inscription de cette condamnation à son casier judiciaire N° 2 ;

Sur l’action civile

Attendu que Monsieur Thierry V. s’est constitué partie civile ;

Attendu que sa demande est recevable et régulière en la forme ;

Que sa demande tend à la condamnation de Monsieur Gilles S. au paiement de la somme de 1 euro à titre de dommages et intérêts ;

Attendu qu’une somme de 1500 € est demandée au titre de l’article 475-1 du code de Procédure Pénale ;

Attendu qu’en l’état des justifications produites aux débats, le tribunal dispose d’éléments d’appréciation suffisants pour fixer à 1 euro la somme à allouer ;

Attendu qu’il y a lieu de constate l’irrecevabilité de la demande écrite fondée sur l’article 475-1 du Code de Procédure Pénale qui n’a pas été formulée oralement à l’audience, aucun renvoi à des conclusions écrites n’ayant été exprimé sur ce point ;

DECISION

Statuant publiquement et en premier ressort,

Contradictoirement à l’égard de Monsieur Gilles S. ;

Sur l’action publique

. Déclare Monsieur Gilles S. coupable des faits qui lui sont reprochés ;

. Condamne Gilles S. à la peine d’amende de 3000 € ;

. Dit qu’il sera sursis à l’exécution de la peine d’amende qui vient d’être prononcée contre lui ;

Le Président, en application de l’article 132-2 du Code Pénal, ayant averti le condamné, que s’il commet une nouvelle infraction, il pourra faire l’objet d’une nouvelle condamnation qui sera susceptible d’entraîner l’exécution de la première condamnation sans confusion avec la seconde ;

. Dit que la mention de la présente condamnation sera exclue du bulletin numéro 2 du casier judiciaire en application de l’article 775-1 du code de procédure pénale ;

La présente décision est assujettie d’un droit fixe de procédure d’un montant de 90,00 € dont est redevable le condamné ;

Sur l’action civile

Par jugement contradictoire à l’égard de Monsieur Thierry V. ;

. Reçoit Monsieur Thierry V. en sa constitution de partie civile ;

. Condamne Monsieur Gilles S. à payer à Monsieur Thierry V. la somme de 1 euro à titre de dommages-intérêts ;

. Constate l’irrecevabilité de la demande écrite f ondée sur l’article 475-1 du code de procédure pénale qui n’a pas été formulée oralement à l’audience, aucun renvoi à des conclusions écrites n’ayant été exprimé sur ce point ;

Le tout en application des articles 406 et suivants et 485 du Code de Procédure Pénale et des textes susvisés.

Cette décision est frappée d’appel.

Le tribunal : Mme Anne Marie Robert (vice président), Mme Sylvie Bordat (juge), M. Jean Mas (juge de proximité)

Avocats : Me Vincent Omez, Me Jean Louis Peru, Me Ronan Garet

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