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Jurisprudence : Vie privée

vendredi 17 mai 2002
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Tribunal de grande instance de Saint Dié des Vosges 17 mai 2002

Mme Josiane P. / Française de Radiotéléphone

abonnement - contrat - vie privée

FAITS ET PROCEDURE

Par assignation en date du 11 avril 2001, Mme P. a formé contre la SA Société Française de Radiotéléphone (SFR) une demande tendant à voir :

En tant que de besoin après avoir ordonné une expertise,

– condamner SFR à payer à Mme P. le remboursement de ses communications à hauteur de 1000 F par mois à compter du mois de mai 2000,

– condamner SFR à rétablir l’abonnement de Mme P. dans ses conditions d’origine et ce, sous astreinte de 1000 F par jour de retard,

– condamner SFR à payer à Mme P. la somme de 5000 F à titre de dommages-intérêts,

– condamner SFR à payer à Mme P. la somme de 5000 F au titre de l’article 700 du ncpc,

– ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir,

– condamner SFR aux entiers dépens.

A l’appui de sa demande, Mme P. explique qu’elle a souscrit le 14 décembre 1999 auprès de SFR un contrat formule « forfait SFR soir et week-ends gratuits » prévoyant la gratuité des communications de 20 h à 6 h tous les jours de la semaine et les week-ends du vendredi soir 20 h au lundi 6 h ;

Qu’à partir de mai 2000, SFR lui a facturé des communications après 20 h et même des frais de changement d’abonnement, en faisant référence à une formule « forfait SFR illimité soir et week-end – exclusivité », soit un changement unilatéral des modalités du contrat, contraire à l’article 1134 du code civil, de sorte qu’elle est bien fondée à demander à être rétablie dans ses droits.

La SFR conclut en dernier lieu :

Par application des dispositions des articles 42 du ncpc et R 321-1 du code de l’organisation judiciaire, se déclarer incompétent au profit du tribunal d’instance de Puteaux,

à titre subsidiaire :

– dire mal fondée la demande de remboursement des communications de 152,45 € par mois à compter du mois de mai 2000,

– dire la demande d’exécution de la convention d’origine impossible,

– en conséquence, dire mal fondée Josiane P. en sa demande de rétablissement du contrat d’origine sous astreinte de 152,45 € par jour de retard et l’en débouter,

– dire mal fondée et injustifiée la demande de dommages-intérêts de Josiane P.,

– condamner Josiane P. aux dépens et dire ceux-ci seront recouvrés par la SCP Conreau-Reichert par application de l’article 699 du ncpc,

– dire n’y avoir lieu à exécution provisoire du jugement compte tenu du délai de contredit.

La défenderesse invoque à titre principal l’incompétence du tribunal de céans, en faisant observer que son siège est situé à Paris La Défense, que la prestation de téléphone est garantie sur l’ensemble du territoire français et que le montant de sa demande est inférieur à 7622,45 € (50 000 F) en principal, peu important le montant auquel l’astreinte demandée pourrait être liquidée.

A titre subsidiaire, elle fait valoir au fond qu’elle n’a fait que répondre à la demande de son abonnée en modifiant les conditions du contrat qui avait une durée initiale de 18 mois, après que Mme P. eut souhaité bénéficier d’une option « facture détaillée » en mars 2000, avec baisse de son forfait à 218,17 F TTC au lieu de 250 F TTC, soit une nouvelle formule d’abonnement permettant la gratuité le week-end et également la gratuité entre 12 h 30 et 15 h 30 ;

Qu’elle n’a pas contesté ces modifications qui lui ont été notifiées et que d’ailleurs elle a payé les diverses factures qui lui ont été adressées avant d’agir en justice, de sorte qu’elle ne peut pas prétendre que son silence ne vaudrait pas acception ou qu’il n’y aurait pas eu novation du contrat.

Elle ajoute aussi que le contrat d’origine résultat d’une promotion limitée dans le temps et que sa formule a été remplacée par une autre acceptée par la demanderesse, qui ne peut donc exiger de revenir aux conditions d’origine, le prix des communications étant au demeurant libre.

Mme P. répond à tous ces arguments, d’une part, qu’une de ses demandes est indéterminée et supérieure à 50 000 F, s’agissant de l’astreinte, et qu’en matière contractuelle, le demandeur peut saisir le tribunal du lieu d’exécution de la prestation du service, d’autre part, qu’elle nie formellement avoir demandé, reçu ou encore signé un quelconque avenant stipulant un changement de son forfait, que d’ailleurs, elle n’aurait pas accepté une réduction minime de 31,38 F pour voir reculer à 21 h 30 la période gratuite et surtout qu’elle s’est étonnée à plusieurs reprises de la hausse vertigineuse de ses factures.

DISCUSSION

Sur l’exception d’incompétence :

Attendu d’une part, s’agissant de la compétence d’attribution du présent tribunal, que rappel doit être fait que le tribunal d’instance n’a qu’une compétence d’exception limitée pour le contentieux civil général à toutes les actions personnelles ou mobilières d’une valeur maximum de 50 000 F ou 7600 €, calculée en tenant compte du principal, hors article 700 du ncpc, et qu’il est de jurisprudence constante que dès lors qu’une demande est de nature indéterminée, c’est à dire non chiffrable en valeur, c’est la juridiction de droit commun, à savoir le tribunal de grande instance qui retrouve sa pleine juridiction, même si la procédure porte sur plusieurs autres chefs de demande d’une valeur inférieure au seuil de compétence prévu pour le tribunal d’instance ;

Qu’en l’espèce, l’un des chefs de demande de Mme P. est le rétablissement sous astreinte du contrat dans ses conditions d’origine, soit la condamnation à une obligation de faire, qui ne porte en rien sur un paiement et qui n’est donc strictement pas déterminable en valeur – observation étant faite que l’astreinte, qui ne sera, si elle est prononcée, qu’une modalité d’exécution de cette obligation, courant à compter du jugement et liquidable le cas échéant qu’ultérieurement, ne peut être considérée comme une demande en principal au fond entrant dans le calcul de la valeur en litige ;

Que, par conséquent, la compétence matérielle de la présente juridiction n’est pas contestable ;

Attendu d’autre part, s’agissant de la compétence territoriale de la présente juridiction, qu’il est relevé que SFR n’a pas tiré la conséquence logique de ses propres écrits, lorsqu’elle a admis que son réseau de radiotéléphonie avait une couverture nationale et que la prestation de service accomplie par elle au profit de Mme P. s’était exercée sur l’intégralité du territoire français, pour cependant écarter l’application des règles de l’article 46 du ncpc ;

Que cet article donne en effet le choix à un demandeur entre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, comme le prévoit en principe l’article 42 de ce même code, et, en matière contractuelle, toute juridiction du lieu d’exécution d’une prestation de service, sans pour autant interdire un tel choix pour ne retenir que la règle de l’article 42, au cas où cette prestation aurait vocation à s’exercer sur le ressort de plusieurs juridictions, voire la France entière ;

Qu’aucune des options offertes n’ayant par ailleurs de caractère privilégié ou impératif l’une par rapport à l’autre, le choix de Mme P. de saisir le tribunal du lieu de son domicile actuel, qui est aussi le lieu où elle utilise le plus fréquemment son abonnement et où SFR lui donne accès à son réseau, de préférence au tribunal du siège social de la défenderesse, ne peut donc être critiqué ;

Attendu qu’en définitive, l’exception d’incompétence soulevée par la défenderesse doit alors être rejetée ;

Au fond :

Attendu là encore que SFR n’a pas tiré la conséquence de ses propres arguments lorsqu’elle admet que le seul contrat valable est celui qui réunit les engagements des parties au sens de l’article 1134 du code civil et que les documents commerciaux non acceptés par le consommateur ne peuvent ni être intégrés au contrat ni constituer l’élément contractuel, pour cependant prétendre que Mme P. aurait accepté la modification de son contrat au soutien d’arguments aussi divers et parfois consternants qu’une demande de facturation détaillée, l’existence d’un abonnement antérieur à inclure dans la durée du contrat (!), l’absence de contestation immédiate des factures et leur paiement, soit un silence qui aurait valu « acceptation tacite » (…), la concurrence à laquelle elle doit faire face (!!!), la non-réglementation du prix des communications téléphoniques, sa renonciation (unilatérale …) à un produit contractuel au profit d’un autre similaire, bien que partiellement différent ou la novation … ;

Qu’en l’espèce, il est constant que le seul contrat signé et donc formellement accepté par Mme P. a été la demande d’abonnement datée du 14 décembre 1999, faisant référence à un forfait « soir et week-end gratuit », produit dont il est admis par SFR qu’il comprenait la gratuité des appels passés en semaine entre 20 h du soir et 6 h du matin et du vendredi soir 20 h au lundi matin 6 h, lequel contrat portait sur une durée minimum de 18 mois, bien qu’il fut stipulé à durée indéterminée dans son article 4 ;

Que ce contrat écrit tenait indiscutablement lieu de loi à ses auteurs, dans les termes de l’article 1134 du code civil précité, de sorte qu’il ne pouvait être révoqué – ou modifié – que de leur consentement mutuel et devait être exécuté de bonne foi ;

Que, par conséquent, SFR ne pouvait modifier les conditions essentielles du contrat sans s’assurer impérativement du consentement clair et non équivoque de Mme P. à cette modification, ce qui supposait, pour le moins, que soit proposée à sa signature, dans les formes du contrat initial, un avenant précisant clairement la nouvelle formule que SFR souhaitait substituer à celle en vigueur, avec pour compensation une révision à la baisse de la tarification de base, ou du moins que SFR puisse apporter la preuve formelle d’une acceptation expresse par la demanderesse des changements envisagés, dont cette dernière conteste même vigoureusement avoir eu préalablement connaissance, alors que pourtant la défenderesse prétend qu’elle les aurait sollicités … ;

Que force est de constater que la défenderesse est dans une complète incapacité de rapporter une telle preuve, puisque la seule pièce produite par elle aux débats mentionnant la modification (avec facturation de son coût …) est une facture qui est au nombre des documents commerciaux auxquels la défenderesse dénie elle-même toute valeur contractuelle ;

Que ni l’absence de réaction immédiate de Mme P. à cette facture – dont elle n’a sans doute pas saisi tout de suite la portée – ni la poursuite des paiements qui ne peut être considérée que comme l’exécution (de bonne foi) par elle de l’engagement résultant de l’article 7.1 du contrat (paiement intégral des sommes facturées sous peine de résiliation du contrat …) ne peuvent être légalement considérées comme valant acceptation formelle de sa part – le silence n’étant pas juridiquement un signe positif de consentement comme le voudrait le proverbe … ;

Que par ailleurs, si la liberté des prix peut justifier, sous certaines conditions, une modification des tarifs appliqués, elle n’autorise aucunement, même sous prétexte d’une baisse de prix, une atteinte à la nature des prestations facturées, ici un changement unilatéral des plages de communications gratuites ;

Qu’enfin, les règles de la novation issues de l’article 1271 du code civil ne peuvent trouver application à l’espèce alors que SFR est dans l’incapacité de prouver la validité de l’obligation (à savoir, en l’occurrence, l’obligation du paiement du prix correspondant à la nouvelle formule) qui se serait substituée à l’ancienne (à savoir celle résultant du contrat initial) ;

Attendu qu’il apparaît qu’en réalité SFR a voulu s’affranchir unilatéralement du contrat initial qui la liait à Mme P., après s’être sans doute rendue compte que la formule proposée, à laquelle elle a substitué rapidement un autre produit, n’était pas économiquement viable, dans un contexte de concurrence exacerbée avec d’autres opérateurs ;

Que se faisant, elle a oublié de respecter quelques règles élémentaires en matière contractuelle, dont le respect du processus consensuel … ;

Que Mme P. est alors parfaitement en droit d’exiger, d’une part, la continuation du contrat initial, au besoin sous astreinte, que le tribunal limitera cependant au montant plus raisonnable de 100 € par jour de retard dans la régularisation de son abonnement passé un délai de dix jours suivant la signification du présent jugement, d’autre part, le remboursement des sommes indûment payées par elle à raison de la tarification modifiée appliquée par la défenderesse ;

Que, s’agissant de ce dernier point, il est rappelé que la restitution de l’indu ne peut porter que sur les montants facturés effectivement à tort et non comme le voudrait la demanderesse sur la base d’un « forfait » de 1000 F par mois, qui ne correspond à aucune réalité tangible – observation étant faite que la plupart de ses factures établies sur la base du nouveau forfait ont été inférieures à ce montant … ;

Que SFR sera donc uniquement condamnée à rectifier l’ensemble des factures adressées par elle à Mme P. à compter du 18 avril 2000, date de la facture ayant imposé le nouveau forfait et jusqu’au présent jugement, pour tenir compte de l’ancienne formule (forfait de 250 F et plages gratuites différentes) et à lui rembourser le cas échéant, l’avoir qui en résultera en sa faveur (ceci sous contrôle du juge de l’exécution en cas de contestation) ;

Attendu pour le surplus que l’absence d’exécution de bonne foi par SFR de ses obligations contractuelles, avec la nécessité dans laquelle s’est trouvée en corollaire Mme P. de faire face à des factures plus importantes, constitue un préjudice certain pour la demanderesse, qu’il est justifié de réparer par l’octroi de 450 € à titre de dommages-intérêts ;

Que la défenderesse, qui succombe, gardera à sa charge les entier s dépens de la procédure, ainsi que d’un montant qu’il convient de fixer équitablement à 500 € pour couvrir les frais répétibles de Mme P. ;

Que l’exécution provisoire s’impose à raison de la nature de la demande ;

DECISION

Le tribunal, statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,

. Rejette l’exception d’incompétence,

. Condamne SFR à rétablir l’abonnement de Mme P. dans les conditions prévues initialement au contrat – à savoir le forfait heures soir et week-ends gratuites – dans un délai de dix jours à compter de la signification du présent jugement, sous peine d’une astreinte provisoire de 100 € par jour de retard passé ce délai,

. Condamne SFR à rectifier l’ensemble des factures adressées à Mme P. à compter du 18 avril 2000 jusqu’au présent jugement, par la substitution des conditions tarifaires du forfait « heures soir et week-ends gratuites » à celui du forfait « illimité soir et week-ends – exclusivité » et à lui rembourser l’indu qui en résultera, le cas échéant, en sa faveur et ce avec les intérêts légaux à compter du présent jugement,

. Condamne SFR à payer à Mme P. une somme de 450 € à titre de dommages-intérêts,

. Ordonne l’exécution provisoire du présent jugement,

. Condamne SFR aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément à la loi sur l’aide juridictionnelle,

. La condamne à payer à Mme P. la somme de 500 € au titre de l’article 700 du ncpc.

Le tribunal : Mme Wolf (vice-président)

Avocats : Me Rapin, SCP Conreau – Reichert, Me Rychter

 
 

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