Jurisprudence : Base de données
Tribunal de grande instance de Versailles chambre n°2 20 novembre 1998
FGMM-CFDT / Sa BULL
bases de données - discrimination - syndicat
FAITS, PRETENTIONS ET MOYENS
Courant mars-avril 1997, la direction de la société Bull a autorisé le syndicat CFE-CGC à mettre en place une base syndicale de données informatiques.
Le 19 novembre 1997, les délégués syndicaux centraux de la CFDT ont demandé à la direction de Bull Sa l’autorisation de créer une base d’information propre à la CFDT. Celle-ci a également demandé que toutes les organisations syndicales représentatives participent à une négociation sur l’accès des syndicats à l’outil informatique.
La direction n’ayant pas répondu, un nouveau courrier lui a été adressé le 5 février 1998.
En réponse, la direction de Bull a décidé de fermer la base d’information CFE-CGC le 19 février 1998, fermeture qui sera effective le 24 mars suivant.
C’est dans ces conditions que la FGMM-CFDT a fait assigner la Sa Bull le 5 août 1998, à jour fixe pour le 19 octobre 1998 aux fins de voir :
– Constater la discrimination au préjudice de la FGMM-CFDT en violation de l’article L 412-2 alinéa 3 du code du travail,
– Condamner la société Bull Sa à verser à la FGMM-CFDT la somme de 100 000 F de dommages-intérêts en réparation du préjudice qu’elle a subi,
– Constater que l’engagement unilatéral de la société Bull Sa de permettre l’ouverture d’une base de données par un syndicat n’a pas été régulièrement dénoncé et subsiste donc à ce jour,
– Ordonner à la société Bull Sa l’ouverture de négociation avec l’ensemble des organisations syndicales représentatives dans l’entreprise sur le thème de l’accès des syndicats à l’outil informatique pour communiquer avec les salariés, et ce, sous astreinte de 1000 F par jour de retard,
– Ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir,
– Condamner la société Bull Sa à verser à la FGMM-CFDT la somme de 15 000 F au titre de l’article 700 du ncpc.
Elle estime avoir été victime d’une discrimination de la part de la société Bull qui a enfreint les dispositions de l’article L 412-2 du code du travail.
Elle fait valoir qu’en autorisant la mise en place de la base d’information de la CFE-CGC, Bull a pris un engagement unilatéral qui n’a pas été dénoncé dans les formes de sorte qu’elle est fondée aujourd’hui à en réclamer le bénéfice.
La société Bull s’oppose à ces demandes et sollicite la condamnation de la FGMM-CFDT à lui payer la somme de 15 000 F au titre de l’article 700 du ncpc.
Elle fait valoir que :
– les pièces versées aux débats démontrent que l’expérimentation faite avec la base d’information CFE-CGC n’a, en aucun cas, constitué un moyen de pression en faveur ou à l’encontre d’une organisation syndicale quelconque ;
– qu’en effet, l’expérimentation acceptée par Bull en réponse à l’initiative de la CFE-CGC a été conduite au vu et au su de toutes les organisations syndicales qui en ont suivi constamment le développement et que cette expérimentation, si elle avait réussi, aurait permis une évolution de l’ensemble des organisations syndicales.
Elle soutient qu’il n’existe aucun doute sur la nature et la finalité de cette expérimentation, puisque celle-ci n’a suscité, au cours des sept premiers mois pendant lesquels elle s’est déroulée, aucune critique de la part d’aucune organisation syndicale et, en particulier, pas de la part de la CFDT.
Elle fait valoir qu’il est significatif qu’aucune autre organisation syndicale n’ait repris à son compte les allégations de la CFDT. En particulier, il est révélateur de constater qu’aucune organisation syndicale ne s’est associée à l’action engagée par la CFDT.
Elle fait observer que ce n’est qu’après avoir su que Bull avait l’intention de mettre fin à l’expérimentation qu’elle a pour la première fois prétendu qu’elle avait été victime d’une discrimination.
Pour la société Bull, la nature juridique de l’acte dans lequel l’expérimentation de la base d’information CFE-CGC prend sa source est incertaine.
Les termes de la lettre de M. R. du 21 avril 1997 révèlent que si Bull a pris soin de préciser que c’était de sa « seule volonté » qu’elle avait pris la décision d’autoriser l’ouverture de la base CFE-CGC, il n’en demeure pas moins que la décision de Bull est intervenue en réponse à une demande de la CFE-CGC. Les éléments du dossier permettent de soutenir que l’acte qui est à l’origine de l’expérimentation CFE-CGC était aussi bien bilatéral qu’unilatéral.
Elle soutient qu’en tout état de cause, l’acte qui est à l’origine de l’expérimentation CFE-CGC est aujourd’hui privé d’effet juridique, non pas parce qu’il aurait été dénoncé mais par application des conditions résolutoires qu’il prévoyait expressément.
La lettre de M. R. du 21 avril 1997 précisait que la base pourrait être fermée en cas de non respect des conditions suivantes :
– ne pas être une tribune politique,
– ne pas mettre en cause personnellement un membre de l’entreprise,
– ne faire figurer dans la rubrique « News » que des documents officiels déjà diffusés dans l’entreprise sauf autorisation préalable et spéciale de la direction.
M. R. a terminé sa lettre de la façon suivante :
« Si ces principes vous agréaient, notre aval prendrait effet à compter de ce jour ».
La société Bull précise que la lettre de M. R. faisait suite à la lettre de la CFE-CGC du 21 mars 1997 dans laquelle celle-ci indiquait que l’objectif de la base était un objectif d’animation et de communication au sein du groupe. Elle l’a elle-même défini de la façon suivante :
« de faire participer le personnel à l’avenir et à la progression du groupe en lui fournissant des informations et des réflexions sur tous les sujets qui touchent Bull. »
La société Bull expose que dans sa lettre du 20 février 1998, M. R. a indiqué qu’il était conduit à fermer la base CFE-CGC parce que les conditions fixées dès l’origine et acceptées par la CFE-CGC n’avaient pas été respectées par cette dernière. Notamment, la base avait été utilisée à des fins de propagande syndicale :
– intégration à la rubrique « News » d’une pétition à teneur syndicale et ce sans autorisation préalable de la direction ;
– mise en place dans la rubrique « News » de documents appelant à voter pour les candidats CFE-CGC à des élections.
Elle avait, également, servi à faire connaître dans l’entreprise un article de presse mettant en cause l’ancien PDG du groupe.
La société Bull soutient que pour toutes ces raisons, contrairement à ce qu’affirme inexactement la CFDT, l’acte sur le fondement duquel a été réalisée l’expérimentation de la base CFE-CGC se trouve privé d’effet juridique depuis le 20 février 1998.
LA DISCUSSION
Sur la discrimination :
L’article L 412-2 alinéa 3 du code du travail dispose que « Le chef d’entreprise ou ses représentants ne doivent employer aucun moyen de pression en faveur ou à l’encontre d’une organisation syndicale quelconque ».
Pour déterminer ce qui est permis ou interdit à un employeur à l’égard des syndicats groupant les membres de son personnel, il convient de considérer, entre autre, le principe du pluralisme syndical qui s’oppose à ce que la liberté de choix entre les organisations syndicales se trouve diminuée, en fait, par les privilèges que l’employeur accorde à certains syndicats en les refusant à d’autres.
En l’espèce, il est acquis aux débats que la direction de Bull a acquiescé à la demande de la CGC, formalisée par un courrier du 21 mars 1997, de création d’ « une base Notes CFE-CGC du groupe Bull » comprenant notamment, outre une présentation de la CFE-CGC du groupe Bull, plusieurs rubriques qui permettent d’obtenir « la position des salariés avant de rencontrer la direction sur les différents sujets ». Dans son courrier du 21 avril 1997, la direction de Bull a autorisé la mise en place de cette base de données.
Dans la notice de présentation de la « base d’informations CFE-CGC du groupe Bull » ouverte en avril 1997, il est indiqué notamment que la base contient :
– l’avis de la CFE-CGC sur les sujets en cours,
– une présentation de la CFE-CGC,
– « un forum public ouvert au personnel de Bull pour lui permettre de dialoguer en échangeant des informations et donner son avis sur les sujets d’actualités en cours ou sur des sujets de fonds »,
– des informations sur divers sujets (politique salariale et actionnariat, conditions et temps de travail, prévoyance et retraite, organisation et vie de Bull) intéressant particulièrement les salariés de Bull.
Cette base de données constitue par conséquent un outil privilégié de communication offerte par la direction de Bull à la CGC.
Par courrier du 19 novembre 1997, la CFDT a demandé à la direction de Bull l’autorisation d’ouvrir une base d’information CFDT sollicitant également l’extension de ces bases d’informations à l’ensemble des organisations syndicales représentées dans Bull.
Se heurtant au silence de la direction, la CFDT a demandé dans un nouveau courrier du 5 février 1998, la disposition d’une base de communication pour chaque organisation syndicale représentative. Cette demande a été rejetée par la direction aux termes d’un courrier du 19 février 1998.
Excipant de quelques dérives, la direction du Bull a retiré le 20 février 1998 son autorisation à la CGC dont la base de données a été effectivement fermée le 24 mars 1998.
Il résulte de ces observations que la direction de Bull a accordé pendant onze mois à la CGC un privilège qu’elle a refusé à la CFDT.
L’octroi de cette base de données constitue un moyen de pression en faveur de la CGC qui a bénéficié du monopole de la communication informatique. Le refus d’accorder le même privilège à la CFDT qui le sollicitait au demeurant pour tous les syndicats représentés au sein de Bull, est une discrimination à l’encontre de la CFDT et par la même une atteinte à la liberté syndicale.
La CFDT subit un préjudice certain du fait de la discrimination dont elle a été victime puisque l’utilisation de la base de données a donné à la seule CGC le monopole de la communication et de l’action syndicale sur l’outil informatique. La CGC a été la seule durant onze mois a recueillir les avis des salariés de Bull, à leur donner des informations et à expliquer ses positions laissant croire aux salariés de Bull qu’elle était le seul syndicat actif.
Il convient par conséquent de condamner la société Bull à payer à la FGMM-CFDT la somme de 100 000 F de dommages-intérêts en réparation du préjudice qu’elle a subi.
Sur la nature de l’engagement de la société Bull
Dans sa lettre du 21 avril 1997 adressée à la CGC, la société Bull indique :
« La décision de vous autoriser à ouvrir cette base de données résulte de notre seule volonté. Aussi elle pourrait être suspendue à notre demande, de notre seule initiative et à tout moment, quel qu’en soit le motif ».
Il s’agit donc d’un engagement unilatéral de la direction de Bull envers la CGC, ce qui a motivé la condamnation pour discrimination.
La CGC n’a pas contesté la dénonciation de cet engagement par la société Bull et ne s’est pas davantage jointe à la présente demande de la CFDT.
Celle-ci n’a pas qualité à agir en contestation de la dénonciation d’un engagement qui n’a pas été pris envers elle.
Les demandes de la CFDT de ce chef, sont donc irrecevables.
Sur les autres demandes
L’exécution provisoire n’est pas compatible avec la nature de la cause ; il n’y a pas lieu de l’ordonner.
Compte tenu de la discrimination dont la CFDT a été victime, l’équité commande de faire droit à sa demande au titre de l’article 700 du ncpc à hauteur de 8000 F.
La société Bull sera déboutée de sa demande de ce chef et condamnée aux dépens ayant succombé partiellement.
LA DECISION
Le tribunal statuant publiquement par décision contradictoire, en premier ressort ;
. Constate la discrimination au préjudice de la FGMM-CFDT en violation de l’article L 412-2 alinéa 3 du code du travail,
. Condamne la société Bull Sa à payer à la FGMM-CFDT la somme de 100 000 F de dommages-intérêts,
. Déclare irrecevable les demandes de la FGMM-CFDT tendant à ce qu’il soit constaté que l’engagement unilatéral de Bull Sa de permettre l’ouverture d’une base de données par un syndicat n’ayant pas été régulièrement dénoncé, subsiste à ce jour, et, à ce qu’il soit ordonné à la société Bull Sa d’ouvrir, sous astreinte, des négociations avec l’ensemble des organisations syndicales représentatives dans l’entreprise sur le thème de l’accès des syndicats à l’outil informatique pour communiquer avec les salariés,
. Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire,
. Condamne la Sa Bull à payer à la FGMM-CFDT la somme de 8000 F au titre de l’article 700 du ncpc,
. Déboute la Sa Bull de sa demande au titre de l’article 700 du ncpc.
. La condamne aux dépens.
Le tribunal : M. Carriere (vice président), Mmes Vaissette et Grandjean (juges)
Avocats : Me Grumbach et Brihi, SCP Blard Van de Kerckhove, Me Dupuy
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