Jurisprudence : Logiciel
Tribunal de grande instance d’Evry 8ème chambre 14 février 2002
Alto Informatique/Freddy T.
concurrence déloyale - contrefaçon - logiciel
FAITS ET PROCEDURE
La société Alto Informatique a pour objet la création et la commercialisation de logiciels ayant trait au domaine des affaires et des finances.
Par actes d’huissier de justice en date des 17 et 19 mai 2000, elle a fait assigner Freddy T. afin de le voir condamner pour des actes constitutifs de contrefaçon et de concurrence déloyale et parasitaire.
Aux termes de ses dernières écritures visées par le greffe le 2 mai 2001, la société Alto Informatique a demandé qu’il soit constaté que Freddy T. a reproduit illicitement le logiciel dont elle est propriétaire et a commis des actes constitutifs de contrefaçon et de concurrence déloyale et en conséquence, qu’il lui soit fait interdiction d’utiliser le logiciel « Calculette Crédit pour internet », qu’il soit condamné à lui verser la somme de 50 000 F en réparation du préjudice subi, que soient ordonnés l’affichage de la décision sur le site http://ppifinance.com/ pendant une durée d’un mois et la publication dans trois journaux ou revues au choix de la demanderesse et aux frais du défendeur et ce, au besoin à titre de compléments de dommages- intérêts, sans que la valeur globale puisse être supérieure à 30 000 F ; elle a sollicité en outre l’exécution provisoire et sa condamnation à lui verser la somme de 10 000 F au titre de l’article 700 du ncpc.
Au soutien de ses demandes, elle a exposé qu’elle est l’auteur d’un logiciel de simulation de prêts dénommé « Calculette Crédit pour internet » qui a pour objet de permettre à d’éventuels emprunteurs d’apprécier les conséquences d’un crédit et le montant de leurs remboursements, qu’elle a consenti à plusieurs reprises des licences d’utilisation de son logiciel autorisant l’implantation sur un site web et qu’elle a eu connaissance de ce qu’un tiers, non titulaire d’une licence d’utilisation avait reproduit illégalement ce logiciel sur son site internet situé à l’adresse http://ppifinance.com/.
Elle a alors fait établir un procès verbal de constat par Muriel Gourgousse, agent assermenté de l’Agence pour la Protection des Programmes (APP), duquel il ressort que le programme figurant sur ce site est en tous points identique à son propre logiciel.
Après recherches, il est apparu que le président directeur général de ce site est Freddy T. ; la mise en demeure en date du 15 février 2000 d’avoir à cesser ses agissements, qu’elle lui a été adressée, est demeurée sans réponse.
Elle a fait valoir que la protection d’une œuvre de l’esprit n’est subordonnée à aucune formalité, qu’ainsi, l’absence de dépôt légal est sans influence sur la recevabilité de sa demande et qu’un logiciel est protégeable dès lors qu’il répond à la question de l’originalité.
Elle a ajouté qu’aucun obstacle de fond ne s’oppose à la protection d’un logiciel qui est intégré dans une œuvre de l’esprit dès lors qu’il résulte de la traduction en langage informatique d’un principe mathématique. Tant par sa forme que son expression et sa présentation, le logiciel qu’elle a crée constitue incontestablement une œuvre originale en raison du fait qu’il n’existe que par la création d’un code source qui résulte de l’effort intellectuel de la société et qui traduit ses choix, un effort personnalisé et une rédaction intellectuelle. En outre, les spécifications externes de ce logiciel telles que la forme des fenêtres, la combinaison des couleurs, l’agencement des titres et la possibilité offerte à l’utilisateur de calculer les éléments financiers en fonction de critères qu’il lui appartient de définir, peuvent également faire l’objet d’une protection.
Elle a relevé que le fait que des sociétés immobilières fassent figurer sur des pages web des logiciels de simulation de prêt est inopérant car la présentation formelle de ces logiciels est différente et les méthodes de calcul ont donné lieu à des écritures informatiques spécifiques à chaque auteur.
Aux termes de ses dernières écritures visées par le greffe le 6 février 2001, Freddy T. a conclu à l’irrecevabilité de la demande au motif que la société Alto ne justifie pas avoir procédé aux formalités nécessaires pour que soit protégé le logiciel dont elle se prétend l’auteur en se gardant bien de verser aux débats la preuve du dépôt de son logiciel à l’Inpi.
Puis, il a fait valoir que ce logiciel est manifestement dépourvu de toute originalité car le calcul mis en place n’est qu’une formulation mathématique dont l’accès figure dans n’importe quel manuel d’analyse financière, qui est connue depuis fort longtemps et qui est mise à la disposition des particuliers sur tous les sites immobiliers du web.
Il a ajouté que la méthodologie de calcul ne peut laisser de place à la fantaisie ou à l’originalité et ne peut porter la marque de la personnalité de son auteur et que concernant la forme et la présentation même des calculs, la quasi totalité des sites immobiliers présente la méthodologie d’une façon quasi identique.
Enfin, il a relevé que la société Alto ne justifie en aucun cas de ce qui constituerait son préjudice.
Il a donc conclu au débouté des demandes de la société Alto Informatique et à sa condamnation à lui verser la somme de 10 000 F sur le fondement de l’article 700 du ncpc.
LA DISCUSSION
Attendu qu’un logiciel, considéré comme une œuvre de l’esprit, est protégeable au titre du droit d’auteur dès lors qu’il constitue une création originale ;
Attendu que cette protection n’est subordonnée à aucune formalité et que le critère de l’originalité, unique condition de la protection, réside dans l’effort personnalisé de son auteur, allant au-delà de la simple mise en œuvre d’une logique ;
Attendu que le logiciel créé par la société Alto Informatique dénommé « Calculette Crédit pour internet » a pour objet de permettre à d’éventuels emprunteurs, connectés à internet sur son site web situé à l’adresse http://www.ace-web.com/ de calculer, par simulation, leur capacité d’emprunt et les modalités de remboursement en fonction du montant du capital emprunté et du taux d’intérêt ;
Attendu qu’ainsi, après avoir servi les rubriques concernant le montant de son revenu mensuel net et du capital qu’il souhaite emprunter, la durée du prêt et le taux d’intérêt, l’internaute, candidat à l’emprunt, obtient, en validant la case « calculer ! », le montant de la mensualité à rembourser, sa capacité d’emprunt et la durée des remboursements ;
Attendu qu’il apparaît dès lors qu’il s’agit d’un logiciel d’application de formules mathématiques connues telles que les fonctions de calcul logarithmique et de principes bancaires, tout aussi connus, dont notamment celui selon lequel la capacité mensuelle de remboursement ne doit pas excéder le tiers du revenu net mensuel ; qu’il n’est donc constitué que d’éléments appartenant au domaine public et qu’il ne comporte aucune écriture informatique spécifique des méthodes de calcul leur conférant une expression nouvelle marquée par la personnalité de son rédacteur, aucun choix personnel dans les critères sélectionnés, aucune inventivité dans la construction du logiciel ni aucune combinaison particulière d’éléments ou de détails nouveaux ;
Attendu que sur le fond, il constitue donc un logiciel nécessaire découlant d’impératifs fonctionnels qui ne saurait en conséquence bénéficier de la protection ;
Attendu que par ailleurs, aucune originalité n’apparaît dans le graphisme ; que la forme rectangulaire des fenêtres est parfaitement classique, que la combinaison des trois couleurs jaune, vert et bleu est banale et que l’agencement des titres ne révèle aucune inventivité ni aucun effort personnalisé de l’auteur ;
Attendu qu’en conséquence de l’ensemble de ces éléments, la société Alto Informatique sera déboutée de sa demande fondée sur la contrefaçon ;
Attendu qu’il ressort du procès verbal de constat non contesté par le défendeur que sur les pages du site web dirigé par Freddy T., tous les formulaires et tous les scripts sont rigoureusement identiques à ceux de la société Alto Informatique et les simulations auxquelles l’agent a procédé donnent les mêmes résultats ; que de plus, le graphisme est parfaitement similaire ;
Attendu qu’il apparaît manifestement que le programme de simulation de prêt figurant sur le site dirigé par Freddy T. est la reproduction servile de celui créé par la société Alto Informatique ;
Attendu que du reste, Freddy T. ne conteste pas formellement dans ses écritures avoir reproduit le logiciel et se contente d’invoquer son absence d’originalité et que de surcroît, deux pages de son site précisent que les programmes et formulaires qu’elles contiennent sont la propriété d’Alto Informatique ;
Attendu que la reproduction servile d’un logiciel constitue une faute caractérisée dans la mesure où son auteur s’est approprié le travail d’autrui sans avoir effectué les investissements correspondants et a tiré profit sans aucune dépense tant intellectuelle que financière des efforts et du savoir faire d’un tiers ; que cet acte de concurrence parasitaire a manifestement causé un préjudice à la société Alto Informatique qui n’a pu lui consentir une licence d’utilisation de ce programme ;
Attendu que ce préjudice sera réparé par l’allocation d’une somme de 3050 € à titre de dommages-intérêts ;
Attendu qu’en l’absence d’acte de contrefaçon et dans la mesure où Freddy T. a cessé de reproduire le programme en cause, les demandes tendant à la publication et à l’affichage de la décision sur le site dirigé par Freddy T. seront rejetées ;
Attendu qu’aucun élément ne justifie que soit ordonnée l’exécution provisoire de la présente décision ;
Attendu que conformément aux dispositions de l’article 700 du ncpc, il convient de mettre à la charge de Freddy T., qui succombe, une somme au titre des frais de procédure engagés et non compris dans les dépens ; que cette somme sera fixée à 1220 € ;
LA DECISION
Le tribunal,
. Déclare Freddy T. responsable d’agissements parasitaires à l’égard de la société Alto Informatique.
. En conséquence, condamne Freddy T. à verser à la société Alto Informatique la somme de 3050 € à titre de dommages-intérêts.
. Déboute la société Alto Informatique du surplus de ses demandes.
. Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision.
. Condamne Freddy T. aux dépens augmentés de la somme de 1220 € au titre de l’article 700 du ncpc.
Le tribunal : Isabelle Bourgoin (vice président), Dominique Mouthon-Vidilles et Bénédicte De Vivie (juges)
Avocats : Me Alain Bloch, SCP du Chalard-Delauche & Chassaing
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.