Jurisprudence : Jurisprudences
Tribunal judiciaire de Paris, ordonnance de référé du 5 avril 2022
M. X. / Lebara France Ltd
anonymat - article 145 du CPC - identification du titulaire d’un numéro de téléphone - menaces - proportionnalité - téléphone
Vu l’assignation en référé enrôlée sous le RG n°22/51558, délivrée le 21 décembre 2021, à la requête de Monsieur X., devant le juge des référés du tribunal de céans, soutenue oralement à l’audience du 8 mars 2022, et tendant notamment, à voir :
– Ordonner à la société LEBARA France Limited de communiquer à Monsieur X., dans un délai de 8 jours ouvrables à compter de la signification de l’ordonnance à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard, les données d’identification en sa possession, et notamment le nom, le prénom (ou la dénomination sociale), l’adresse postale, le numéro de téléphone, et l’email de la personne titulaire du numéro de téléphone : .. .. .. .. .. à l’époque des faits soit les 6, 14 et 15 novembre 2021 ;
– Dire et juger que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens.
Vu les conclusions visées par le greffe et soutenues oralement le 8 mars 2022, aux termes desquelles la société LEBARA France Limited, demande notamment au juge des référés du tribunal de céans de :
– Donner acte à la société LEBARA France Limited qu’elle s’en rapporte à justice sur les mérites de la demande formée contre elle ;
– Mettre à la charge de Monsieur X. les entiers dépens de l’instance, eu égard à la nature de la demande.
Conformément aux dispositions de l’article 446-1 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé du litige, il est renvoyé à l’acte introductif d’instance et aux conclusions des parties développées oralement à l’audience.
DISCUSSION
Monsieur X. a perdu sa sacoche qui contenait tous ses papiers d’identité en août 2021.
Il est depuis destinataire de très nombreux appels téléphoniques masqués, de messages adressés via divers comptes « Facebook » et d’emails envoyés via diverses adresses électroniques, le menaçant et lui réclamant le versement d’importantes sommes d’argent.
Le 10 septembre 2021, Monsieur X. a déposé plainte auprès des services de gendarmerie à Mornant (69440).
Le 6 novembre 2021, Monsieur X. a déposé un complément de plainte afin de dénoncer les menaces dont il a fait l’objet, adressées depuis la ligne .. .. .. .. .. ; en l’espèce, l’auteur menace notamment de brûler sa camionnette professionnelle et de louer un véhicule au nom de Monsieur X. afin de lui faire perdre tous ses points de permis, puis exige la remise d’une somme de 3 000 euros.
Les menaces perdurent, et dans la nuit du 14 au 15 novembre 2021, l’auteur :
– Sollicite l’envoi de cartes prépayées
– Le versement d’une somme de 5 000 euros
– Menace ouvertement de s’en prendre aux proches et aux enfants de Monsieur X.
Par des recherches sur le site de l’autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP), il apparaît que l’opérateur gérant le numéro de téléphone sus-cité est la société LEBARA France LIMITED.
Sur la demande de communication des données détenues par la société LEBARA France Limited
Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».
Constituent des mesures légalement admissibles au sens de l’article 145 précité les mesures d’instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l’objectif poursuivi. Il incombe, dès lors, au juge de vérifier si la mesure demandée est nécessaire à l’exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence.
En l’espèce, Monsieur X. est plombier et a perdu sa sacoche contenant l’ensemble de ses papiers d’identité.
Deux plaintes ont été déposées par Monsieur X., et les pièces versées au débat établissent que ce dernier est bien destinataire notamment de messages faisant état de menaces :
-« demain tu fait 5K.Docn demain matin je veux les pcs plus un virement et fin. Demain avant 13h contacte moi j’ai pas envie de toucher à ta famille est les enfants eux il reste à la maison pendant que tu travail. »
– « T’vue ta petite camionnette stv pas quel brûle je te demande un virement parce que tu ma vraiment sous estimé suis venue moi devant ta société vous êtes pas trop vigilant donc fait un service parce que j’ai ton permis jpeut faire perdre tes point donc là on est d’accord après on se calcule plus. »
Il est ainsi caractérisé un motif légitime au sens des dispositions susvisées, le demandeur établissant la plausibilité d’un procès en germe à l’encontre de l’auteur de ces propos.
Il n’est pas contesté que la société LEBARA France LIMITED exploite des lignes téléphoniques en France dont le numéro litigieux est relevé.
Il n’est pas non plus contesté qu’elle dispose des données d’identification demandées qui sont, au surplus, légalement recueillies en application du II de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique « LCEN », de l’article L. 34-1 du code des postes et communications électroniques et du décret n°2021-1362 du 20 octobre 2021.
La communication demandée est proportionnée aux intérêts antinomiques en présence, et notamment du droit à la preuve de Monsieur X.
La communication sera donc ordonnée.
Les conditions de fixation d’une astreinte ne sont pas réunies.
Compte tenu de la nature de l’affaire, il y a lieu de dire que chacune des parties conservera ses dépens
DECISION
Nous, juge des référés du tribunal judiciaire de Paris, par ordonnance publique, contradictoire et en premier ressort,
Ordonnons à la société LEBARA France Limited de communiquer à Monsieur X., dans un délai de 15 jours à compter de la signification de la présente ordonnance, l’ensemble des données qu’elle détient de nature à permettre l’identification du titulaire du numéro de téléphone .. .. .. .. .. et en particulier :
– les nom et prénom ou la raison sociale du titulaire du compte,
– les adresses postale et électronique, numéros de téléphones et comptes associés communiqués lors de la souscription,
Disons n’y avoir lieu au prononcé d’une astreinte,
Disons n’y avoir lieu à référé sur le surplus,
Disons que chacune des parties conservera la charge des dépens.
Le Tribunal : Fabrice Vert (premier vice-président), Pascale Garavel (greffier)
Avocats : Me Romain Darrière, Me Benoît Descours, Me Anne-Solène Gay
Source : Legalis.net
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