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Droit de la preuve
Equivalence entre l’original papier et la copie numérique
La reconnaissance de la valeur probante du document électronique obtenu par numérisation d’un original papier était, jusqu’à peu, très incertaine. Encore récemment, et nous nous en faisions l’écho dans ces pages[1], les juges du fond ont débouté un établissement bancaire qui produisait aux débats l’impression papier d’un contrat de crédit qui avait été scanné et conservé sous forme numérisée, l’original ayant été détruit. Le jugement a été rectifié en appel[2], mais aux termes d’une motivation bancale laissant apparaître que les critères de la fiabilité de la numérisation n’avaient été maîtrisés ni par les conseils ni par les magistrats.
Cette incertitude est en bonne voie d’être dissipée, à l’occasion de la réforme du code civil opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. L’actuel article 1348 du code civil[3], à la rédaction vieillie, se voit remplacé par un article 1379 ainsi rédigé : « La copie fiable a la même force probante que l’original. La fiabilité est laissée à l’appréciation du juge […]. Est présumée fiable jusqu’à preuve du contraire toute copie résultant d’une reproduction à l’identique de la forme et du contenu de l’acte, et dont l’intégrité est garantie dans le temps par un procédé conforme à des conditions fixées par décret en Conseil d’État. Si l’original subsiste, sa présentation peut toujours être exigée ». Ce texte appelle quelques observations.
Le critère de fiabilité de la copie : reproduction à l’identique
Une copie numérisée ne pourra être présumée fiable que si elle est une reproduction « à l’identique de la forme et du contenu de l’acte ». En d’autres termes, la sécurisation du processus de numérisation doit porter sur une reproduction visuelle de l’acte, et non pas seulement sur certains de ses éléments considérés comme substantiels. Cela signifie que la plupart des technologies de codes 2D actuellement utilisées pour assurer l’authenticité des documents en embarquant dans le code seulement quelques valeurs (montant, dates, etc.), ne sont pas éligibles à la production d’une copie fiable.
L’équivalence de valeur probante entre l’écrit papier et l’écrit numérique : décodage
Le rapport au Président[4] qui accompagne l’ordonnance du 10 février 2016 développe en ces termes le positionnement respectif de l’original papier et de son double numérique : « Ce nouveau texte achève de placer sur le même plan l’écrit sur support papier et l’écrit sur support électronique, dont le régime juridique, et par conséquent celui de leurs copies, doit être le même, afin de prendre en compte les évolutions technologiques. En tout état de cause, si l’original subsiste, sa production pourra toujours être ordonnée par le juge, mais sa subsistance ne conditionne plus la valeur probatoire de la copie».
Il faut donc quelque peu mitiger l’enthousiasme des fournisseurs qui se sont d’ores et déjà engouffrés dans la brèche pour claironner que les entreprises pouvaient passer leurs stocks d’archives papier au broyeur après les avoir numérisées. Il est en effet indéniable que l’objectif des rédacteurs de ce nouveau texte soit de promouvoir l’archivage numérique, comme l’indique le rapport précité : « L’archivage électronique, enjeu majeur pour les entreprises et administrations, s’en trouvera grandement facilité ». Mais pour autant, le texte ne valide pas la suppression pure et simple du papier puisqu’il précise que sa production « pourra toujours être ordonnée par le juge ». Il ne faut donc pas faire dire à l’article 1379 du code civil ce qu’il ne dit pas. Certes, la valeur probante du document numérisé est la même que celle de l’original. Mais il ne s’agit pas d’un blanc-seing pour la destruction des archives.
En quoi va consister, en pratique, un procédé fiable de numérisation ?
Le nouvel article 1379 du code civil annonce un décret en Conseil d’Etat pour permettre de présumer de la fiabilité du procédé utilisé. Ce qui laisse augurer du meilleur ou du pire. Le meilleur s’il en résulte un référentiel complet et mature. Le pire si celui-ci est mal choisi et favorise une technologie trop spécifique.
L’administration fiscale a déjà répondu à la question en avance de phase, par un arrêté passé inaperçu mais riche de conséquences pratiques paru le 7 janvier 2016[5]. Aux termes de cet arrêté, qui est déjà en vigueur, les entreprises ne sont plus tenues de conserver les pièces justificatives d’origine (c’est-à-dire les documents papiers) lorsqu’elles donnent lieu à déduction de TVA, mais elles pourront dorénavant les conserver sous forme numérisée. C’est ainsi que le nouvel article A 102 B-1 LPF dispose que : « Le transfert des documents mentionnés au I bis de l’article L. 102 B établis originairement sur support papier vers un support informatique est réalisé dans des conditions garantissant leur reproduction à l’identique. Le résultat de cette numérisation est la copie conforme à l’original en image et en contenu. […] Le document ainsi numérisé est conservé sous format PDF (Portable Document Format) assorti d’une signature électronique conforme, au moins, au référentiel général de sécurité (RGS) de niveau une étoile ».
L’administration fiscale pose donc comme critère de recevabilité de la copie numérisée de la pièce la même condition de reproduction conforme de l’image et du contenu que le code civil, mais définit dès à présent le moyen de garantir l’intégrité de la conservation : la signature électronique, de niveau au moins RGS *, d’un document PDF.
Cette solution expéditive montre bien où le bât blesse. C’est qu’en effet, un processus de numérisation n’est pas seulement une technique. C’est aussi un ensemble de mesures de qualité et d’organisation du processus et des hommes qui le contrôlent, sans lequel la technique ne peut rien par elle-même. Rappelons ici que la législation mise en place par nos voisins Luxembourgeois[6] en juillet 2015 pour conférer à une copie numérique une valeur probante identique à celle de l’original met en place un référentiel normatif complet, et ne se contente pas d’expliquer qu’il faut signer électroniquement un PDF…
En conclusion …
Le nouvel article 1379 du code civil, qui sera en vigueur dès le 1er octobre 2016, constitue une véritable avancée pour la sécurité juridique des opérations de numérisation. Mais retenons tout de même deux choses : la première est que ce texte ne constitue pas un blanc-seing pour la destruction des archives papier ; la seconde est qu’il subsiste à ce jour une véritable incertitude sur le contenu du texte réglementaire qui permettra de présumer de la fiabilité du procédé de numérisation.
Isabelle Renard
Cabinet IRenard Avocats,
Avocat au barreau de Paris,
Docteur ingénieur.
Notes de bas de pages
- EXPERTISES Janvier 2016, p.24
- Cour d’appel de Lyon, 6ième chambre, 3 septembre 2015, RG 13/09407, Caisse de crédit mutuel enseignant du Sud Est c/ X
- Article 1348 code civil : «Les règles ci-dessus reçoivent encore exception lorsque l’obligation est née d’un quasi-contrat, d’un délit ou d’un quasi-délit, ou lorsque l’une des parties, soit n’a pas eu la possibilité matérielle ou morale de se procurer une preuve littérale de l’acte juridique, soit a perdu le titre qui lui servait de preuve littérale, par suite d’un cas fortuit ou d’une force majeure. Elles reçoivent aussi exception lorsqu’une partie ou le dépositaire n’a pas conservé le titre original et présente une copie qui en est la reproduction non seulement fidèle mais aussi durable. Est réputée durable toute reproduction indélébile de l’original qui entraîne une modification irréversible du support. »
- Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
- Arrêté du 7 janvier 2016 relatif aux modalités de numérisation des documents constitutifs des contrôles documentés et permanents mis en place par une entreprise mentionnés au 1° du VII de l’article 289 du code général des impôts
- Voir notre article « Preuve – La Loi luxembourgeoise – Un exemple à suivre » Expertises, octobre 2015