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La dématérialisation des bulletins de paie
Quelle pratique ? Quel formalisme ?
Le mouvement de dématérialisation des échanges est une réalité de notre société. Accélération des flux et diminution des coûts sont souvent les deux premiers qualificatifs cités à propos de la dématérialisation. Comment recueillir le consentement des salariés ? Comment procéder à la remise du bulletin de paie ? Comment le salarié peut-il accéder à ses bulletins de paie ?
Dans les relations de travail tant dans le secteur public que privé, la dématérialisation est également prise en compte notamment à travers le bulletin de paie sous format électronique. Mais la dématérialisation des bulletins de paie n’est pas une nouveauté. En effet, depuis la loi n°2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures, la remise dudit bulletin peut s’effectuer sous forme électronique. Toutefois, cette remise supposait que l’employeur satisfasse à deux conditions : obtenir l’accord exprès du salarié et garantir l’intégrité des données[1] (ancien article L3243-2 du code du travail). Toutefois, selon l’étude d’impact du projet de loi du 24 mars 2016 visant à instaurer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs, le dispositif issu de la loi de 2009 n’a pas permis le développement du bulletin de paie électronique escompté.
Un nouveau régime juridique
Depuis le 1er janvier 2017, les règles applicables à la dématérialisation du bulletin de paie ont été modifiées. En termes d’impacts économiques, l’étude d’impact précitée évoque une économie de 10 à 32 centimes par bulletin de paie pour les entreprises. Dès lors, la démocratisation du bulletin de paie dématérialisé souhaitée par le gouvernement aura-t-elle lieu ?
La loi n°2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels dite loi « El Khomri » a modifié l’article L3243-2 du code du travail. Ce texte dispose désormais que « sauf opposition du salarié, l’employeur peut procéder à la remise du bulletin de paie sous forme électronique, dans des conditions de nature à garantir l’intégrité, la disponibilité pendant une durée fixée par décret et la confidentialité des données ainsi que leur accessibilité dans le cadre du service associé au compte mentionné au 2° du II de l’article L. 5151-6. (…). ». Les modalités pratiques de la mise en œuvre de cette disposition ont été définies par décret[2].
Il convient de souligner que la remise du bulletin de paie sous format électronique n’est plus subordonnée au consentement du salarié. L’employeur devra cependant respecter plusieurs exigences légales et réglementaires.
D’une part, il devra informer les salariés de leur droit d’opposition un mois avant la première émission du bulletin de paie au format électronique ou au moment de l’embauche. Il appartiendra à l’employeur de démontrer la réalité de l’information délivrée. Le salarié pourra manifester son opposition à tout moment. L’employeur devra donc prendre en compte l’opposition du salarié qu’elle ait été exprimée suite à l’information précitée ou après la remise d’un ou plusieurs bulletins de paie au format électronique.
Les employeurs auront l’obligation de mettre en place une procédure de gestion de cette opposition. En effet, l’employeur devra prendre en compte la demande du salarié dans les meilleurs délais et au plus tard dans un délai maximum de trois mois suivant la notification de son opposition par le salarié. Les bulletins de paie seront alors remis au salarié au format papier.
D’autre part, l’employeur sera tenu de garantir l’intégrité des bulletins de paie et des données notamment à caractère personnel qu’il contient. Dans ce contexte, des mesures seront mises en œuvre notamment pour que le document ne soit pas modifiable et que la sécurité des données soit garantie. La disponibilité des bulletins de paie devra également être assurée soit pendant cinquante ans, soit jusqu’aux 75 ans du salarié (article D3243-8 du code du travail) et des modalités simples de récupération des bulletins de paie également prévues. L’accessibilité des bulletins de paie devra par ailleurs être organisée via le Compte personnel d’activité autre dispositif phare de la loi « El Khomri ».
En cas de recours à un prestataire, la solidité et la pérennité de ce dernier devront être prises en compte notamment de la durée de mise à disposition des bulletins de paie ainsi que les garanties contractuelles.
Dans le secteur privé, les employeurs qui opteront pour le format électronique pourraient, en fonction de l’opposition des salariés, être amenés à gérer deux systèmes de remise des bulletins de paie.
La spécificité du secteur public
Les bulletins de paie des fonctionnaires de l’Etat ont également vocation à être progressivement dématérialisés. Ils seront mis à leur disposition dans un « espace numérique propre » créé et administré par la Direction générale des finances publiques.
Des garanties de sécurité, d’intégrité, de confidentialité et d’accessibilité sont là encore exigées[3]. Chaque ministère devrait préciser par arrêté, au plus tard le 1er janvier 2020, les modalités de mise en place de cette dématérialisation et la date à laquelle le bulletin de paie papier cessera d’être émis. Contrairement à ce qui est prévu pour les salariés, il ne semble pas qu’un droit d’opposition ait été prévu au bénéficie des fonctionnaires de l’Etat.
D’autres secteurs de la vie économique devront être impactés par la dématérialisation, le rôle des tiers de confiance, les enjeux de pérennité, de conservation sont des réalités juridiques qui vont devenir notre quotidien.
Garance MATHIAS & Aline ALFER
Avocat associé
&
Avocat à la cour
Mathias Avocats
- Dans ce contexte, la norme Afnor Z42-025 publiée en mai 2011 relative à la gestion du bulletin de paie électronique avait notamment pour objectif d’accompagner cette dématérialisation du bulletin de paie sur un plan organisationnel et technique.
- Décret n°2016-1762 du 16 décembre 2016 relatif à la dématérialisation des bulletins de paie et à leur accessibilité dans le cadre du compte personnel d’activité.
- Décret n°2016-1073 du 3 août 2016 relatif à la mise à disposition et à la conservation sur support électronique des bulletins de paye et de solde des agents civils de l’Etat, des magistrats et des militaires