LegalTech
Valeur juridique d’une copie numerisée
Peut-on ou non détruire l’original papier ?
Cette question est d’autant plus d’actualité que les projets de rationalisation et d’organisation des données s’accélèrent au sein des entreprises de tous secteurs. Ils portent non seulement sur l’organisation et l’archivage des données électroniques natives, de plus en plus nombreuses, mais également sur la reprise des archives papier. Se pose donc nécessairement la question de leur destruction qui, comme on va le voir, ne doit être abordée qu’avec prudence.
En l’espèce, La Caisse de crédit mutuel enseignant du sud (CME), qui propose des produits et services bancaires à destination des personnels de la sphère de l’Education nationale, de la recherche et de la culture, avait conclu avec M. X une convention de compte et un contrat de crédit.
X, devenu débiteur d’une somme de l’ordre de 10 000 € sur ces comptes, s’est vu assigné en remboursement par la CME devant le tribunal d’instance de Villeurbanne.
En cours d’instance, la CME est invitée par le tribunal à produire aux débats les originaux des contrats. Elle ne s’exécute pas puisque ceux-ci n’existent plus : elle les a détruits après numérisation et versement dans un système d’archivage. Ils ne peuvent pas non plus être obtenus de M. X, qui n’est jamais comparu à l’instance.
Le tribunal considère alors que M. X n’est tenu qu’au remboursement de la dette et que le CME doit être déchu du droit aux intérêts et pénalités puisque, selon le tribunal d’instance de Villeurbanne : « seules des copies des contrats ayant été déposées et les copies produites constituant tout au plus des commencements de preuve par écrit la copie produite, même fidèle et durable ne valant pas à elle seule preuve de la convention d’intérêt, le droit à intérêts et pénalités de la Caisse de Crédit mutuel Enseignant du sud n’était pas démontré ». La CME interjette appel de cette décision.
Au soutien de son appel, elle fait valoir que le juge a fait une application erronée de l’article 1348 du code civil, qui dispose que «[ Les règles ci-dessus] reçoivent aussi exception lorsqu’une partie ou le dépositaire n’a pas conservé le titre original et présente une copie qui en est la reproduction non seulement fidèle mais aussi durable. Est réputée durable toute reproduction indélébile de l’original qui entraîne une modification irréversible du support. » Ainsi, toute copie « fidèle et durable » d’un document est un commencement de preuve par écrit et revêt une valeur probatoire d’autant moins discutable qu’elle n’est pas contestée, ce qui était bien le cas en l’espèce.
Il est ainsi admis, de jurisprudence constante, que les photocopies constituent des copies fidèles et durables.
En l’espèce, la copie produite était l’impression du fichier numérique produit par un scan de l’original papier du contrat, conservé dans un système d’archivage répondant aux spécifications et exigences de la norme NF Z 42 013.
La cour d’appel de Lyon, par un raccourci quelque peu fâcheux, considère alors que « la CME verse aux débats des photocopies de ces documents dont la fidélité à l’original n’est pas contestée pas plus que l’imputabilité de leur contenu à l’auteur désigné. Il apparaît ainsi que les photocopies produites sont des copies fidèles et durables au sens de l’article 1348 al 2 […] » et rétablit en conséquence le droit à intérêts et pénalités de la CME.
En dépit de la motivation peu convaincante de l’arrêt d’appel, tant la décision du premier juge que celle de la cour d’appel sont intéressantes car elles touchent de près aux sujets soulevés par la question de la valeur juridique de la copie numérique d’un original papier.
L’impact de la norme sur la décision du juge
Bien que ce point ne soit pas développé dans la décision du juge d’appel, il ne fait pas de doute que la conformité du système d’archivage à la norme AFNOR Z 42 013[1] ait joué un rôle dans sa décision.
Sur le fond, il s’agit de l’application d’un principe ancien, selon lequel en matière technique la diligence du professionnel s’apprécie à l’aune de son respect de l’état de l’art. Or, une norme peut être représentative de l’état de l’art dès lors qu’elle n’est pas périmée et qu’elle est reconnue comme telle par les hommes de l’art. C’est le cas de la norme Afnor Z 42 013 dans sa version actuelle.
Ceci étant dit, l’application de ce principe par la cour d’appel de Lyon, si tant est qu’elle l’ait effectivement – au moins implicitement – appliqué, laisse sur sa faim. En effet, la cour ne démontre pas en quoi la conformité du système d’archivage à la norme Afnor Z 42 013 implique le caractère fidèle et durable de la copie papier qui en est issue, opérant de plus un mélange entre la notion de copie » (l’impression papier d’un fichier numérique) et la notion de « photocopie » (reproduction papier d’un document papier).
Surtout, la norme Afnor Z 42 013 est une norme d’archivage, et ne traite pas des aspects liés à la qualité de la numérisation. Or, ce qui importe pour garantir que le document numérique est une copie fidèle et durable du document papier est, en premier lieu, la fiabilité du système de numérisation. L’arrêt de la cour d’appel n’en souffle mot, et c’est en cela qu’il est particulièrement critiquable.
En France, le sujet de la normalisation de la numérisation est encore balbutiant, puisqu’il fait tout juste l’objet d’une commission (Afnor CN171) au sein de l’Afnor. Il est urgent, dans le contexte actuel de transformation digitale, que la France adopte enfin un texte normatif sur le sujet de la numérisation, ou adopte une législation semblable à celle de nos voisins luxembourgeois[2], qui ont édicté en juillet 2015 une loi qui permet de conférer à une copie numérique une valeur probante identique à celle de l’original si la numérisation a été réalisée conformément au référentiel normatif défini par la loi.
Nécessité de la réforme du droit de la preuve
Le sujet de la numérisation est abordé par le projet de réforme du code civil[3], dont le nouvel article 1379, remplaçant l’article 1348, dispose : « La copie fiable [et durable] a la même force probante que l’original. La fiabilité est laissée à l’appréciation du juge. Néanmoins est réputée fiable la copie exécutoire ou authentique d’un écrit authentique. [est réputé durable toute reproduction indélébile de l’original qui entraîne une modification irréversible du support]. Si l’original subsiste, sa présentation peut toujours être exigée. »
Il est souhaitable que la notion de « durabilité », mise entre crochets dans le projet, ne subsiste pas dans le texte définitif car elle est ne correspond plus aux technologies actuelles de la conservation numérique, qui assurent la « durabilité » du support par des moyens logiques et non plus physiques.
C’est surtout la notion de « fiabilité » qu’il faut retenir de ce nouveau texte, et cette fiabilité sera nécessairement appréciée à l’aune de la conformité à une norme reconnue en matière de numérisation. Dans la meure où son appréciation est laissée au juge, tout doit être mis en œuvre pour que ce dernier dispose d’arguments lisibles et convaincants, ce qui nous amène à notre troisième point.
Peut-on actuellement détruire les fonds d’archives ?
Cette espèce illustre de façon flagrante l’attachement des juges du fond au support papier et leur faible appétence à conférer une valeur juridique au document digital. Cela ne veut pas dire qu’il faille renoncer à tout projet d’organisation rationnelle de l’information numérique et de destruction des archives papier. Mais il n’est pas pertinent de détruire des originaux papier dont l’enjeu probatoire est élevé. Et il est indispensable d’élaborer une documentation fonctionnelle et technique du processus suivi pour numériser et conserver les originaux papier. Cette documentation doit être claire et didactique, et démontrer en quoi ce processus est conforme à des normes reconnues, car le degré de fiabilité de cette « conformité » n’est évidemment pas le même selon qu’il s’agit d’une auto-déclaration, d’une certification privée ou d’une certification par un organisme accrédité.
En conclusion, cette espèce nous apprend, ou plutôt nous confirme que la destruction d’un fond d’archives papier pour le remplacer par une gestion numérisée est un véritable projet, qui doit être documenté de façon complète aux fins de convaincre le juge de la fiabilité du dispositif et, partant, de la force probante de la copie numérisée.
Isabelle RENARD
Cabinet IRenard Avocats,
Avocat au barreau de Paris,
Docteur ingénieur.
Notes de bas de page
- NF Z42-013 Mars 2009 – Archivage électronique – Spécifications relatives à la conception et à l’exploitation des systèmes informatiques en vue d’assurer la conservation et l’intégrité des documents stockés dans ces systèmes
- Voir notre article « Preuve – La Loi Luxembourgeoise – Un exemple à suivre » Expertises octobre 2015
- Projet de réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, rendu public le 25 février 2015.