Jurisprudence : Logiciel
Tribunal de grande instance de Paris, 3ème chambre, 2ème section, jugement du 13 juillet 1989
Ashton Tate, La Commande Electronique, L'Agence pour la Protection des Programmes et autres / L'Etat Français
condamnation - copie servile - droit d'auteur - protection - reproduction
FAITS ET PROCEDURE
La société Ashton Tate qui a pour objet de créer des programmes d’ordinateur expose qu’elle a créé un logiciel dénommé D Base 3, lequel a été déposé à l’Agence pour la Protection des Programmes. Cette société a pour représentant exclusif en France La Commande Electronique.
Ashton Tate et La Commande Electronique, après y avoir été autorisées, ont fait pratiquer une saisie-contrefaçon à la Direction Départementale de l’Equipement (DDE) à Saint-Denis de la Réunion de logiciels et de disquettes D Base 3, ainsi que d’un manuel d’utilisation.
Puis, se fondant sur les constatations du procès-verbal de cette saisie dressé le 28 septembre 1988 par M. Vincent Thirel, commissaire principal de police, le 12 octobre suivant Ashton Tate, La Commande Electronique et l’Agence pour la Protection des Programmes ont assigné l’Etat Français représenté par l’agent judiciaire du trésor, M. le ministre de l’Equipement et le préfet, commissaire de la République de la Réunion pour que ce tribunal :
– valide la saisie-contrefaçon effectuée comme indiqué ci-dessus ;
– dise que l’Etat Français, par l’intermédiaire de la Direction Départementale de l’Equipement a commis des actes de contrefaçon dans les termes des lois du 11 mars 1957 et du 3 juillet 1985 et des actes de contrefaçon de marque ainsi que des voies de fait à leur encontre ;
– lui interdise sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée la poursuite de ces agissement ;
– condamne in solidium, l’Etat Français, représenté par le ministre de l’Equipement et du Logement, le préfet, commissaire de la République de Saint-Denis de la Réunion et l’agent judiciaire du Trésor à payer à :
. La Commande Electronique une somme de 76 914 F au titre des licences dont elle a été privée, et 50 000 F au titre du préjudice moral et commercial subi ;
. Ashton Tate, une somme de 50 000 F en réparation de son préjudice moral et commercial ;
. l’Agence pour la Protection Programmes une somme de 50 000 F en réparation des frais par elle exposés ainsi qu’une somme de 50 000 F en réparation du préjudice direct et personnel, tant matériel que moral par elle subi ;
– ordonne, à titre de complément de dommages-intérêts, la publication de la décision à intervenir ;
– condamne « le défendeur » à payer à chacune des requérantes une somme de 8 000 F en vertu de l’article 700, le tout, avec exécution provisoire.
Le 6 février 1989, La Commande Electronique, Ashton Tate et l’Agence pour la Protection des Programmes ont assigné aux mêmes fins que précédemment l’Etat Français, en tant que responsable du service extérieur de la Direction Départementale de l’Equipement de Saint-Denis de la Réunion, représenté par :
. M. le ministre d’Etat de l’Equipement et du Logement ;
. le préfet, commissaire de la République du département de la Réunion ;
. M. François pris en sa qualité d’agent judiciaire du Trésor et de représentant de l’Etat Français.
Ces deux procédures ont fait l’objet d’une jonction.
* La Société Nouvelle de Distribution Micropro France est intervenue dans la présente procédure et fait valoir que le procès-verbal de saisie-contrefaçon a révélé que le Direction Départementale de l’Equipement de la Réunion disposait de copies des logiciels Wordstar et Wordstar 2000 ;
Elle soutient qu’elle est titulaire des droits sur ces logiciels pour en assurer, à titre exclusif, l’édition et la distribution.
En conséquence de quoi, elle demande au tribunal :
– d’interdire à l’Etat Français, lequel a commis des actes de contrefaçon, la poursuite de ces agissants sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée ;
– de condamner l’Etat Français, représenté par l’agent judiciaire du Trésor, à lui payer la somme de 91 200 F, sauf à parfaire, au titre des licences dont elle a été privée, et 50 000 F sauf à parfaire, en réparation de son préjudice moral et commercial complémentaire ;
– d’ordonner à titre de complément de dommages et intérêts, la publication de la décision à intervenir ;
– de condamner le défendeur à lui payer une somme de 8 000 F au titre de l’article 700,
le tout avec exécution provisoire.
Microsoft France et Microsoft Corporation interviennent volontairement dans la présente instance, la première en faisant valoir qu’elle est créatrice et éditrice des programmes logiciels suivants : Multiplan, Word, Excel, la seconde, qu’elle édite et distribue ces logiciels et programmes en France et dans les Dom Tom.
Elles soutiennent qu’il résulte du procès-verbal de saisie-contrefaçon ci-dessus que la DDE de la Réunion n’a pu justifier de la détention d’une licence pour ces programmes qu’elle utilise.
* Microsoft Corporation, soutient qu’elle est également titulaire des marques suivantes : Microsoft, MS Dos, Word, Excel, Mutiplan.
En conséquence de quoi, elles demandent au tribunal :
– de constater que l’Etat Français, par l’intermédiaire de la Direction Départementale de l’Equipement a commis des actes constitutifs de contrefaçon dans les termes de la loi du 11 mars 1957 et du 3 juillet 1985, ainsi que de contrefaçon de marques et s’est rendue coupable de voies de fait à leur encontre ;
– de lui interdire la poursuite de ces agissements sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée ;
– de condamner l’Etat Français représenté par M. le ministre de l’Equipement et du Logement, le préfet, commissaire de la République de Saint-Denis de la Réunion et l’agent judiciaire du Trésor à payer à :
. Microsoft Corporation, une somme de 58 830 F, au titre des licences dont elle a été privée, et 50 000 F en réparation de son préjudice moral et commercial ;
. Microsoft France, une somme de 50 000 F au titre de son préjudice moral et commercial ;
– d’ordonner, à titre de compléments de dommages et intérêts, la publication de la décision à intervenir ;
– de condamner le défendeur à payer à chacune d’elles une somme de 8 000 F en vertu de l’article 700, le tout, avec exécution provisoire ;
* L’agent judiciaire du Trésor public soutient qu’il est seul habilité à représenter l’Etat Français devant les juridictions civiles.
Il demande au tribunal de fixer le préjudice commercial et moral de Ashton Tate et de La Commande Electronique, respectivement à 10 000 F et 20 000 F et celui de La Commande Electronique, pour perte de licence à 39 750 F HT ; de fixer le préjudice moral de l’Agence pour la Protection des Programmes à 25 000 F.
Il sollicite enfin le débouté des demandes de publication et une réduction des demandes formées sur l’article 700.
Sur les conclusions d’intervention volontaire des sociétés Nouvelle de Distribution Micropro France, Microsoft France et Microsoft Corporation, il allègue qu’il n’a pas eu le temps matériel de vérifier leurs dires ; il sollicite la disjonction de ces interventions et subsidiairement, le renvoi de ces procédures à la mise en état afin de lui permettre de faire valoir ses arguments en défense.
DISCUSSION
Attendu que seul l’agent du Trésor Public ayant qualité pour représenter l’Etat Français devant des juridictions judiciaires, le ministre d’Etat de l’Equipement et du Logement et le préfet, commissaire de la République de la Réunion seront mis hors de cause ;
* Sur la demande des sociétés Ashton Tate et La Commande Electronique et de l’Agence pour la Protection des Programmes
Attendu que seule La Commande Electronique verse aux débats un certificat d’enregistrement à l’Agence pour la Protection des Programmes du programme D Base 3 n° 86 47 002 00 en date du 17 novembre 1986 ;
Attendu que la saisie-contrefaçon pratiquée le 28 septembre 1988 à la Direction Départementale de l’Equipement à Saint-Denis de la Réunion a révélé que cette dernière possédait ce logiciel, lequel était implanté sur le disque dur de cinq ordinateurs ; qu’elle possédait également quatre disquettes ;
Attendu qu’il n’est pas contesté que la DDE n’est titulaire d’aucune licence d’utilisation ; attendu, dès lors, que la contrefaçon reprochée est bien établie ; qu’il sera en conséquence fait droit aux mesures d’interdiction sollicitées ;
Attendu que l’Agence pour la Protection des Programmes est une association de la loi 1901 et a, en particulier, pour objet de défendre les personnes physiques ou morales créatrices de programmes informatiques et d’ester en justice pour défendre les intérêts dont elle a statutairement la charge ; attendu, dès lors, qu’elle est recevable en sa demande ;
Attendu que La Commande Electronique justifie que le logiciel en cause était licencié au prix de 8 546 F au moment des faits et actuellement à 7 950 F HT ; attendu que l’offre de l’Etat Français n’est donc pas satisfactoire ; qu’il convient de le condamner à payer à La Commande Electronique une somme HT de 76 914 F au titre des licences dont elle a été privée ;
Attendu, par contre, que l’offre faite par l’Etat Français à ces deux sociétés en réparation de leur préjudice commercial et moral correspond bien au préjudice subi et sera retenue ;
Qu’il convient de condamner l’Etat Français, représenté par l’agent judiciaire du Trésor à payer à Ashton Tate une somme de 10 000 F, à La Commande Electronique celle de 20 000 F et à l’Agence pour la Protection Programmes 25 000 F ;
Attendu que si Ashton Tate justifie être titulaire de la marque D Base 3 n° 1 276 955, il convient de souligner qu’elle ne sollicite aucune indemnité en réparation d’actes de contrefaçon qui auraient été commis par l’Etat Français ;
Attendu que la publication du jugement à intervenir n’apparaît pas opportun ;
Qu’il ne sera pas fait droit à cette demande ;
Attendu que Ashton Tate, La Commande Electronique et l’Agence pour la Protection des Programmes ont dû, pour faire respecter leurs droits, effectuer des frais non taxables qu’il serait inéquitable de laisser à leur charge ; qu’il convient de leur allouer, à chacune, une somme de 2 500 F en vertu de l’article 700 ;
Attendu que l’exécution provisoire compatible avec la nature de l’affaire sera ordonnée pour les mesures d’interdiction et à hauteur de 40 000 F pour la perte de licence de La Commande Electronique.
* Sur la demande de la société Micropro
Attendu qu’il convient de déclarer cette société recevable en son intervention ;
Attendu que Micropro justifie qu’elle est titulaire de l’enregistrement du programme Wordstar 2000 pour l’avoir déposé à l’Agence pour la Protection des Programmes le 2 avril 1986, laquelle l’a enregistre sous le n° 86 14 002 00 ;
Attendu qu’il résulte du procès-verbal ci-dessus que la DDE de la Réunion détenait 9 logiciels Wordstar 2000, 3 logiciels Wordstar et 7 disquettes supplémentaires du logiciel Wordstar dont Micropro démontre également qu’elle est titulaire ;
Attendu que l’Etat Français qui ne justifie d’aucune licence d’utilisation a commis des actes de contrefaçon de ces logiciels ; attendu qu’il n’y a pas lieu de surseoir à statuer sur la demande de Micropro, les éléments fournis permettant au tribunal d’évaluer son préjudice ; attendu qu’il sera fait droit aux mesures d’interdiction sollicitées dans les termes du dispositif ;
Attendu qu’eu égard au prix de la licence de ces logiciels, la somme de 91 200 F sollicitée correspond bien au préjudice subi par Micropro ; qu’il convient en outre de lui allouer une somme de 10 000 F en réparation de son préjudice moral et commercial ;
Attendu que l’exécution provisoire sera ordonnée pour les mesures d’interdiction et qu’une somme de 2 500 F sera allouée à cette société au titre de l’article 700 pour les motifs sus exposés ; que la demande de publication du jugement sera rejetée.
* Sur la demande de Microsoft France et Microsoft Corporation
Attendu qu’il convient de déclarer ces sociétés recevables en leurs interventions ;
Attendu que Microsoft Corporation justifie être créatrice et éditrice des logiciels et programmes suivants : Word, Excel, Multiplan pour les avoir déposés le 7 janvier 1986 à l’Agence pour la Protection des Programmes laquelle les a enregistrés sous le n° 86 02 002 00 ;
Attendu que Microsoft France est distributrice pour la France et les Dom Tom de ces logiciels et programmes ;
Attendu qu’il résulte du procès-verbal de saisie-contrefaçon ci-dessus que la DDE de Saint-Denis de la Réunion détient un logiciel Excel, dix logiciels Multiplan et six logiciels Word ;
Attendu que l’Etat Français qui ne justifie d’aucune licence s’est rendu coupable de contrefaçon de ces logiciels et a commis vis à vis de Microsoft France des actes de concurrence déloyale ;
Attendu que Microsoft Corporation justifie qu’elle est titulaire de la marque Microsoft pour l’avoir déposée le 6 août 1984 laquelle a été enregistrée sous le n° 1 281 507 ;
Mais attendu que cette société ne démontre aucun acte de contrefaçon de marque ; que sa demande de chef sera rejetée ;
Attendu que pour les mêmes motifs que ceux précédemment exposés, il ne sera pas fait droit à la mesure de sursis à statuer sollicitée par l’Etat Français ;
Attendu qu’eu égard aux prix des licences des logiciels contrefaits, le tribunal estime qu’une somme HT de 58 830 F suffit à indemniser le préjudice de Microsoft France pour perte de licences ;
Attendu qu’il convient d’allouer, en réparation du préjudice moral et commercial une somme de 10 000 F à Microsoft Corporation et une somme de 10 000 F à Microsoft France ; qu’il convient de faire droit aux mesures d’interdiction sollicitées dans les termes du dispositif.
Que pour les mêmes motifs que ceux précédemment exposés, il ne sera pas fait de droit à la demande de publication, l’Etat Français sera condamné à payer à chacune de ces sociétés une somme de 2 500 F en vertu de l’article 700 et l’exécution provisoire sera ordonnée pour les mesures d’interdiction.
DECISION
Le tribunal statuant par jugement contradictoire,
. Donne acte aux sociétés Micropro, Microsoft Corporation et Microsoft France de leurs interventions.
. Valide la saisie-contrefaçon effectuée comme indiquée ci-dessus.
. Met hors de cause le ministre d’Etat chargé de l’Equipement et du Logement, ainsi que préfet, commissaire de la République de la Réunion.
. Dit que l’Etat Français, en détenant des logiciels et disquettes D Base 3 dont est titulaire la société Ashton Tate qui a pour licenciée La Commande Electronique, sans l’autorisation de cette société, a commis des actes de contrefaçon au préjudice de la première et des actes de concurrence déloyale au préjudice de la seconde.
. Dit que ce faisant, elle a également commis un préjudice à l’Agence pour la Protection de Programmes.
. Dit que l’Etat Français, en détenant des logiciels et des disquettes Wordstar, sans l’autorisation de Micropro qui en est titulaire, a commis des actes de contrefaçon.
. Dit que l’Etat Français en détenant, des logiciels et des programmes Word, Excel, Multiplan dont est titulaire Microsoft Corporation, sans l’autorisation de sa licenciée, Microsoft France, a commis des actes de contrefaçon au préjudice de la première et des actes de concurrence déloyable au préjudice de la seconde.
En conséquence :
. Interdit à l’Etat Français pris en la personne de l’agent judiciaire du Trésor la poursuite de ces actes et ce, sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée, passé un délai d’un mois à compter de la signification du présent jugement.
. Ordonne l’exécution provisoire de ce chef.
. Condamne l’Etat Français pris en la personne de l’agent judiciaire du Trésor à payer :
– à Ashton Tate : une somme de 10 000 F.
– à La Commande Electronique : une somme HT de 76 914 F, ordonne l’exécution provisoire de ce chef à concurrence de 40 000 F, une somme de 20 000 F en réparation de son préjudice commercial et moral.
– à Asthon Tate, une somme de 10 000 F en réparation de son préjudice commercial et moral.
– à l’Agence pour la Protection des Programmes, un somme de 25 000 F en réparation de son préjudice.
– à Micropro, la somme de 91 200 F, une somme de 10 000 F en réparation de son préjudice moral et commercial.
– à Microsoft France : une somme HT de 58 830 F, la somme de 20 000 F en réparation de son préjudice moral et commercial,
– à Microsoft Corporation : une somme de 10 000 F en réparation de son préjudice moral et commercial. Condamne l’Etat Français pris en la personne de l’agent judiciaire du Trésor à payer à chacune des parties sus nommées une somme de 2 500 F au titre de l’article 700.
Rejette toutes autres demandes.
Laisse à la charge des sociétés Ashton Tate, La Commande Electronique et l’Agence pour la Protection des Programmes les frais de mise en cause du ministre de l’Equipement et du Logement et du préfet, commissaire de la République de la Réunion, et condamne l’Etat Français pris en l’agent judiciaire du Trésor au surplus de ceux-ci.
Le tribunal : Mme Dissler (président), M. Debary et Mme Blum (juges).
Avocats : Mes Bloch, Bigle et Gallot le Lorier.
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.