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Jurisprudence : Responsabilité

mercredi 12 février 2014
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Tribunal de grande instance de Nanterre Ordonnance de référé 06 février 2014

Franck S., Rosheicollis / Amazon.fr et autres

contenu illicite - éditeur - livres - publication - responsabilité - site internet - vente en ligne

FAITS ET PROCÉDURE

Par actes des 19 septembre et 25 novembre 2013, M. Franck S. et la société Rosheicollis ont assigné en référé la société Amazon.fr, la société de droit mauricien International Book Marked Service Limited (assignée aussi sous son ancienne dénomination VDM Publishing House Limited) et les sociétés de droit allemand VDM Management Gmbh et VDM Holding Gmbh, pour :
“- faire constater l’édition, la publication et l’exploitation d’un livre “Franck S.” non autorisé par M. S. ni par la Maison de Haute Couture Franck S. (Rosheicollis SAS),
– dire et juger que la reproduction du nom de M. Franck S. sans son autorisation porte atteinte à ses droits de la personnalité,
– dire et juger que la reproduction du nom patronymique “Franck S.” et dudit article utilisé à titre de marque, et dont est propriétaire M. Franck S. et dont l’exploitation revient exclusivement à la maison de haute couture Franck S., sans son autorisation, porte atteinte à ses droits de propriété intellectuelle,
– dire et juger que l‘exploitation commerciale dudit livre “Franck S.” tiré du nom patronymique de M. Franck S. utilisé à titre de marque, publié et édité par les sociétés défenderesses porte atteinte aux droit des demandeurs,

A titre principal,
– ordonner l‘interdiction de l‘édition et de la publication de l‘ouvrage “Franck S.“ ;
– ordonner à la société Amazon.fr la suppression de la page internet de l‘ouvrage sous astreinte de 1000 € par jour de retard sur minute de la décision à intervenu ;

A titre subsidiaire, concernant les éditions VDM Publishing House limited, International Book Market Service limited, VDM Management Gmbh, VDM Holding Gmbh :
– ordonne, l’interdiction de toute diffusion de l‘ouvrage “Franck S.” ainsi que la cession des droits de ce livre, à compter de la signification de l‘ordonnance et sous astreinte de 100 € par infraction constatée,

En tout état de cause,
– Condamner in solidum les sociétés Amazon.fr, VDM Publishing House limited, International Book Market Service limited, VDM Management Gmbh, VDM Holding Gmbh à payer à M. S. la somme de 50 000 € à titre de dommages-intérêts provisionnels en réparation de ses droits de la personnalité,
– Condamner in solidum les sociétés Amazon.fr, VDM Publishing House Iimited, International Book Market Service Iimited, VDM Management Gmbh, VDM Holding Gmbh à payer à M. S. la somme de 100 000 € à titre de dommages-intérêts provisionnels en réparation de la violation de son droit moral,
– condamner in solidum les sociétés Amazon.fr VDM Fublishing House limited, International Book Market Service limited, VDM Management Gmbh, VDM Holding Gmbh à payer à M. S. la somme de 100 000 € à titre de dommages-intérêts provisionnel en réparation de son préjudice commercial subi,
– condamner in solidum les sociétés Amazon.fr, VDM Publishing House limited, International Book Market Service limited, VDM Management Gmbh, VDM Holding Gmbh à payer à la société Rosheicollis Sas la somme de 100 000 € à titre de dommages-intérêts provisionnel en réparation de son préjudice commercial subi,
– Condamner in solidum les sociétés Amazon.fr, VDM Publishing House limited, International Book Market Service limited, VDM Management Gmbh, VDM Holding Gmbh à verser à chacun des demandeurs la somme de 5000 € sur le fondement de l‘article 700 du code de procédure civile“.

Ils exposent, au soutien de leurs demandes, qu’ils ont découvert en juillet 2003 l’édition et la publication d’un ouvrage “Franck S.” diffusé sur Amazon France, que cet ouvrage, qui n’a pas été autorisé par M. S., est attentatoire à son nom patronymique “Franck S.” et l’exploitation des droits patrimoniaux qui en découlent. Fondant leur action sur les articles 9, 1382 du code civil, L 711-1 du code de la propriété intellectuelle, 2 de la directive 2008/95/CE et 4 du règlement communautaire 422/2004, ils font valoir à cet effet que la seule utilisation du patronyme de Franck S., personnage de la scène publique, constitue une atteinte à sa vie privée, que l’ouvrage en question dévoile des informations de la sphère privée ou d’ordre intime en indiquant que M. S. travaille avec Mme Isabelle T. qui est sa compagne et la directrice financière de la maison de haute couture, que l’ouvrage en question reproduit sans droit le nom patronymique de M. S., que les défendeurs exploitent de façon fautive à des fins parasitaires un livre édité sans son autorisation utilisant le patronyme de Franck S. et que les défendeurs ne peuvent, sans violer les dispositions de l’article L 711-1 alinéa 2 du code de la propriété intellectuelle, 2 de la directive 2008/95/CE et 4 du règlement communautaire 422/2004, utiliser à titre de marque de renom le nom patronymique Franck S. déposé à titre de marque en France et à l’international.

A l’audience du 16 janvier 2013, la société Amazon.fr soulève l’irrecevabilité des demandes dirigées à son encontre au motif que, n’étant ni propriétaire ni gestionnaire du site www.amazon.fr. elle n’a pas de qualité passive à agir.

Subsidiairement, elle soutient que les demandes ne sont pas fondées.

Elle sollicite la condamnation de M. Franck S. et de la société Rosheicollis à lui payer la somme de 10 000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Les sociétés International Book Market Service limited, VDM Management Gmbh et VDM Holding Gmbh demandent oralement à l’audience le rejet des pièces n° 10 et 11 communiquées selon elles tardivement les 14 et 15 janvier 2014 par les demandeurs.

Elle soulèvent l’irrecevabilité à agir de la société Rosheicollis au motif qu’elle n’est pas titulaire des marques invoquées, demandent la mise hors de cause des sociétés VDM Management Gmbh et VDM Holding Gmbh qui ne sont pas éditrices du livre litigieux et étrangères aux actes reprochés par les demandeurs, et concluent au rejet des prétentions de M. S. en faisant valoir que les mesures sollicitées sur le site internet www.amazon.fr sont sans objet dès lors que le livre litigieux n’est pas disponible à la vente, qu’il n’établit l’existence ni d’une situation d’urgence, ni d’un dommage imminent, ni d’un trouble manifestement illicite et que ses prétentions se heurtent à des contestations sérieuses.

Elles demandent la condamnation solidaire des demandeurs à leur verser à chacun la somme de 5000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

DISCUSSION

Sur la recevabilité des pièces n°10 et 11 communiquées par M. S. et la société Rosheicollis

Selon l’article 15 du cade de procédure civile, les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu’elles produisent et les moyens de droit qu’elles invoquent, afin que chacune soit à même d’organiser sa défense.

L’article 16 du même code prévoit que le juge doit faire observer le principe de la contradiction et ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement.

Alors qu’ils ont assigné les défendeurs les 19 et 25 septembre 2013, M. S. et la société Rosheicollis ont attendu les 14 et 15 janvier 2014 pour leur communiquer des pièces numérotées 10 et 11.

En attendant la veille et l’avant veille de l’audience des plaidoiries qui s’est tenue le 16 janvier 2014 pour produire ces éléments de preuve alors qu’ils avaient disposé de plus d’un mois et demi pour le faire, les demandeurs ont manqué à leur obligation de loyauté et privé les défendeurs d‘un délai suffisant pour débattre utilement de ces pièces.

Il convient dès lors, pour rétablir le droit des défenderesses à bénéficier d’un débat contradictoire et d’un procès équitable, d’écarter ces pièces qui n’ont pas été communiquées régulièrement,

Sur la recevabilité de l’action formée par la société Rosheicollis

Selon l’article 31 du code de procédure civile, l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé. L’article 32 du même code dispose qu’est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir.

La société Rosheicollîs reproche aux sociétés défenderesses l’exploitation, sans son autorisation, de deux marques américaines n° 1792678 et 1791696 qu’elle exploiterait et, partant, l‘atteinte à ses droit sur ces marques.

Or il résulte des pièces qu’elle produit que ces deux marques ont été enregistrées par la société Franck S. Sarl et il n’est pas démontré, ni même allégué, qu’elles auraient été cédées ou concédées à la société Rosheicollis.

Cette dernière ne justifie donc pas de sa qualité et de son intérêt à agir au titre de ses marques. Son action doit par conséquent être déclarée irrecevable.

Sur l’irrecevabilité dé l’action dirigée contre la société Amazon.fr

Il résulte des pièces versées aux débats que la société International Book Market Service limited a publié, sous son ancienne dénomination VDM Publishing House limited, un livre rédigé sous les noms de Frédéric P. M., Agnès F. V., John M., rassemblant des articles parus sur le site internet wikipédia, et intitulé “Franck S.”, avec le sous-titre “Haute couture, Carrousel du Louvre, Mylène Farmer, Avant que l’ombre .. à Bercy, Johnny Hallyday, Studio Harcourt, Vêtement”.

Il n’est pas contesté que cet ouvrage a été mis en vente sur le site internet www.amazon.fr.

Il ressort aussi clairement des conditions d’utilisation et des conditions de vente accessibles depuis ce site qu’il appartient et est exploité par la société de droit luxembourgeois Amazon EU Sarl, laquelle n’est pas dans la cause.

II s’ensuit que la société Amazon.fr n’est ni l’éditrice du livre litigieux ni le propriétaire ni l’exploitant du site internet sur lequel il a été distribué.

Elle n’a donc ni intérêt ni qualité à défendre à une action concernant l’édition et la vente de ce livre. L’action dirigée à son encontre est par conséquent irrecevable.

Sur la demande de mise hors de cause sollicitée par les sociétés VDM Management Gmbh et Holding Gmbh

Ainsi qu’il résulte des motifs qui précèdent, les sociétés VDM Management Gmbh et Holding Gmbh ne sont ni éditrices du livre litigieux ni propriétaires ou exploitantes du site internet sur lequel il a été distribué.

Elles ne sont donc concernées en rien par le présent litige et devront être mises hors de cause,

Sur les demandes de M. S. à l’encontre de la société International look Market Service limited

La liberté d’expression est un droit fondamental consacré, notamment, à l’article Il de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, qui a valeur constitutionnelle, et à l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Selon le Conseil constitutionnel (décision n° 84-181 DC 11 octobre 1984), la liberté de communication des pensées et des opinions est une liberté fondamentale, d’autant plus précieuse que son exercice est l’une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés.

Il s’ensuit que, dans une société démocratique, le droit d’expression ne peut être limité que s’il porte atteinte à un autre droit identiquement protégé et dans une mesure strictement nécessaire à la cessation de cet abus.

M. S. prétend en premier lieu que la seule utilisation de son nom constituerait une atteinte à sa vie privée. Mais le nom patronymique constituant un élément d’état civil, donc public, sa seule utilisation ne peut, en soi, constituer une atteinte à l’intimité de la vie privée de son titulaire) le fait que M. S. serait un personnage de la scène publique à la tête de maisons de haute couture étant à cet égard totalement indifférent.

II soutient encore que le livre litigieux qui lui est consacré dévoile des informations de la sphère privée ou d’ordre intime en indiquant qu’il travaille notamment avec Mme Isabelle T. qui est sa compagne et la directrice de la maison de haute couture.

Le fait qu’il soit indiqué qu’il travaille avec Mme T., qui est la directrice financière de sa maison de haute couture, est une information relative à sa vie professionnelle. Elle ne relève donc pas en soi de sa vie privée.

M. S. ne peut davantage faire grief à la société International Book Market Service d’avoir précisé que Mme T. serait sa compagne dans la mesure où, non seulement, étant marié avec elle depuis 2011, leur communauté de vie est nécessairement publique, mais aussi, cette information a été rendue notoire par M. S. lui-même qui a accepté de poser pour un reportage photographique réalisé lors de son mariage et qui a été publié sur le site www.purepeople.com.

M. S. fait valoir aussi que l’utilisation de son nom sans son autorisation à des fins parasitaires constituerait une faute au sens de l’article 1382 du code civil. Il n’explique cependant pas en quoi la publication du livre litigieux constituerait un acte de parasitisme et viserait “au détournement de l’utilisation du patronyme renommé”, et ce d’autant plus qu’il précise dans son assignation qu’il n’y a pas lieu à confusion entre ses activités et celles des sociétés défenderesses, ce qui, en soi, exclut tout risque de parasitisme.

M. S. fait enfin grief à la société International Book Market Service limited d’avoir reproduit, sans son autorisation, son nom patronymique qu’il a fait enregistrer à titre de marque et porte atteinte à ses droits sur cette marque.

Mais comme le fait encore justement observer la société défenderesse, le livre litigieux utilise le nom “Franck S.” non pas à titre de marque mais comme titre de l’ouvrage, lequel est publié sous la marque “alphascripspublishing”.

L’utilisation du terme “Franck S.” comme titre de l’ouvrage relève de la liberté d’expression et de création des auteurs, n’est donc pas fautive et ne peut constituer une atteinte aux droits des titulaires sur cette marque.

Au surplus, et comme l’indique lui-même le demandeur dans son assignation, il n’y a pas lieu à confusion entre ses activités et celles des sociétés défenderesses, ce qui, en soi, exclut toute contrefaçon.

De tout ce que dessus il résulte que les demandes formées par M. S., qui n’invoque l’existence d’aucune situation d’urgence, ne démontre ni l’existence d’un trouble manifestement illicite ni dommage imminent, se heurtent à des contestations sérieuses.

Au surplus, il demande une mesure de cession forcée des droits sur l’ouvrage qui ne relèvent pas des pouvoirs du juge des référés.

Ses prétentions ne peuvent donc être accueillies en référé.

En faisant le choix d’assigner en référé des parties, dont certaines sont domiciliées à l’étranger, qui n’étaient manifestement pas concernées par le litige, en soutenant des prétentions à l’évidence dépourvues de tout fondement juridique et vouées à l’échec, M. S. et la société Rosheicollis ont agit avec une légèreté blâmable et abusé de leur droit d’agir en justice. Ils seront par conséquent chacun condamnés à une amende civile de 1500 €.

Il serait en outre inéquitable que les défendeurs supportent l’intégralité de leurs frais de procédure non compris dans les dépens.

DÉCISION

Par ces motifs,

. Rejetons des débats les pièces n° 10 et 11 communiquées par M. S. et la société Rosheicollis,

. Déclarons la société Rosheicollis irrecevable en ses demandes,

. Déclarons irrecevables les demandes dirigées contre la société Amazon.fr,

. Déboutons M S. du surplus de ses demandes,

. Condamnons M. S. et la société Rosheicollis, chacun, à une amende civile de 1500 € envers le trésor public,

. Condamnons M. S. et la société Rosheicollis à payer à la société Amazon.fr la somme de 5000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

. Condamnons solidairement M. S. et la société Rosheicollis à payer aux sociétés International Book Marked service Limited, VDM Management Gmbh et VDM Holding Gmbh, chacune, la somme de 5000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

. Condamnons solidairement M. S. et la société Rosheicollis aux dépens.

Le tribunal : M. Vincent Vigneau (1er vice président)

Avocats : Me Marc-Alexandre Prevost-Ibi, Me Fabienne Panneau, Me Frédéric Sardain

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