Les avocats du net

 
 


 

Jurisprudence : Contenus illicites

vendredi 14 mai 2010
Facebook Viadeo Linkedin

Tribunal de grande instance d’Orléans Ordonnance de référé 08 octobre 2008

Serge G. / Antoine B.

anonymat - contenus illicites - diffamation - dommages-intérêts - injure - responsabilité civile

FAITS ET PROCEDURE

Par acte délivré le 22 septembre 2003. Monsieur Serge G., agissant tant en son nom personnel qu’en sa qualité de Maire de la ville d’Orléans et de député du Loiret, a fait assigner en référé Monsieur Antoine B. afin de le voir condamner à payer à Monsieur G. ès qualités de Maire de la ville d’Orléans la somme d’un euro à titre de dommages et intérêts par provision et à payer à Monsieur G. en son nom personnel la somme d’un euro à titre de dommages et intérêts par provision.

Il demande, en outre, la condamnation de Monsieur B. à lui payer à titre provisionnel la somme de 761,69 € correspondant aux frais de procès-verbal de constat et de prélèvement de disque dur, outre la somme de 2553,82 € au titre du remboursement des frais de Monsieur Jean Louis C. et celle de 595,87 € correspondant aux frais d’huissiers et de France Télécom, lesquels ont été engagés aux fins de déterminer l’auteur du préjudice.

Il sollicite, également, la fermeture définitive du blog litigieux, sous astreinte définitive de 200 € par jour de retard passé la semaine suivant la signification de la présente ordonnance, ainsi que la publication par extrait, aux frais de Monsieur B., de la présente décision dans trois journaux de son choix à la condition que chaque publication ne dépasse pas la somme de 2000 € HT.

Il demande, enfin, la condamnation de Monsieur B. au paiement de la somme de 3000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile et aux entiers dépens.

Par conclusions, Monsieur B. soutient que le dénigrement, dont Monsieur G. s’estime être victime sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, doit être requalifié d’abus de la liberté d’expression au motif que les reproches invoqués par ce dernier concernant Ie blog litigieux sont caractéristiques de la diffamation et de l’injure au sens de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse.

Il soutient, du fait de cette requalification, la nullité de l’assignation délivrée à la requête de Monsieur G. estimant que le formalisme d’ordre public institué par les articles 53 et 55 de la loi du 29 juillet 1881 n’a pas été respecté, eu égard à l’absence de précision quant au texte applicable à la poursuite, à l’absence de notification de l’assignation au Ministère Public et au non respect du délai de dix jours prévu pour rapporter la preuve de faits diffamatoires.

A titre subsidiaire, Monsieur B. soutient, d’une part, que l’action de Monsieur G. est prescrite en application de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881, celle-ci ayant été engagée un an après la mise en ligne des publications litigieuses soit postérieurement au délai de trois mois, et, d’autre part, que les conditions du référé. telles que prévues par l’article 808 du Code de Procédure Civile, ne sont pas remplies en l’espèce, l’urgence n’étant pas démontrée et le blog litigieux n’étant plus accessible librement au public. II sollicite, par conséquent, le débouté.

A titre reconventionnel, il demande la condamnation de Monsieur G. au paiement de la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, estimant qu’il a subi un préjudice moral très important à la suite de l’intervention d’un Huissier de justice accompagné d’un expert informatique sur son lieu de travail et de la médiatisation de l’affaire.

II demande, enfin, la condamnation de Monsieur G. au paiement de la somme de 3500 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile et aux entiers dépens

Par conclusions à l’audience, Monsieur G. précise que si, depuis I‘arrêt de l’Assemblée Plénière du 12 juillet 2000, toute action en diffamation ou sur fondement de l’injure ne peut être sanctionnée sur le terrain de l’article 1382 du Code civil, il en va autrement lorsqu’il s’agit de sanctionner un dénigrement ; qu’en l’espèce, Monsieur B. a reconnu, qu’inscrit sur une liste rivale dans l’élection municipale, il avait développé le blog afin d’argumenter contre la liste de Monsieur G.

II rappelle que l’on ne se trouve pas dans Ie cadre d’un délit de presse et que si l’action n’a été engagée que maintenant ce n’est pas pour se mettre en dehors de la loi de 1881 qui ne s’applique pas mais en raison de l’anonymat du défendeur dans le blog et des difficultés des recherches nécessaires à son identification. En conséquence, il maintient l’ensemble de ses demandes portant sa demande au titre de l‘article 700 du Code de Procédure Civile à 3500 €.

Monsieur B. a, sur notre demande, développé son argumentation sur le fond du dossier alors que dans sa plaidoirie Monsieur G. avait répondu sur les exceptions et plaidé au fond.

DISCUSSION

Attendu que Monsieur G. explique avoir été informé fin septembre 2007 de l’existence d’un blog intitulé “Les amis de Serge G.” accessible par tous et dans lequel l’auteur l’a dénigré, s’est moqué ouvertement de lui et a tenté de le discréditer pour porter atteinte à son image,

Attendu qu’il ajoute que l’auteur de ce blog étant anonyme il a du après diverses recherches faire assigner la société Google en référé pour faire fermer le blog puis, qu’après diverses autres recherches, il a appris que le blog était créé à partir d’un ordinateur appartenant au Centre de gestion de la fonction publique territoriale,

Attendu qu’il précise avoir obtenu l’ordonnance sur requête à désignation d’un expert judiciaire pour déterminer l’ordinateur en cause et d’un huissier de justice pour faire copie du disque dur de cet ordinateur,

Attendu qu’il a été ainsi déterminé, ce qui n’est pas contesté, que l’auteur du blog soit Monsieur B. qui était sur une liste adverse de Monsieur G.,

Sur la requalification et la nullité

Attendu que le défendeur soutient que l’action ne peut être fondée que sur l’abus de la liberté d’expression et que cet abus, s’il existe, ne peut être sanctionné que dans le cadre stricte de la loi du 29 juillet 1881,

Attendu que cette loi définit et réprime essentiellement la diffamation et l’injure et organise une procédure très spécifique compte tenu des droits évidents de la liberté de la presse et du droit des individus,

Attendu qu’il peut être admis qu’un blog peut bénéficier dans certaines conditions des mêmes protections que la presse mais qu’il n’y a pas lieu d’examiner ce point en l’espèce sauf à faire observer que la loi sur la presse détermine des conditions très spécifique sur l’identification de l’organe de presse dont manifestement Monsieur B. s’est affranchi,

Attendu que l’article 29 de la loi susvisée définit la diffamation comme ”toute aliénation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé” et indique que “toute expression outrageante, terme de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure”.

Attendu que Monsieur B. soutient qu’il s’agit de libre expression de critiques et de pastiches faisant référence à des caricatures,

Attendu que les propos tenus doivent être appréciés non pas en fonction du mobile mais par rapport à la nature du fait reproché pour permettre de déterminer s’ils ressortent de la loi de 1881 ou non,

Attendu que le défendeur lui-même explique qu’il n’y a pas de référence à un ou des faits précis et soutient que ses écrits ressortent de la liberté d’expression qui est particulièrement protégée en période électorale et à l’égard des candidats,

Attendu qu’il ajoute que même si cela était démontré, l’usurpation d’identité ne pourrait être une faute,

Attendu que Monsieur B. fait référence à des caricatures qui ont donné lieu à de grands débats et à des procédures qui ont consacrées la liberté d’expression et la nécessité de la protéger,

Attendu, cependant, qu’il faut observer que la loi sur la presse est une loi spéciale d’interprétation stricte, que la protection nécessaire ainsi consacrée ne l’est que dans un cadre stricte permettant l’identification de l’auteur ou du responsable et ainsi soit des poursuites soit l’exercice d’un droit de réponse,

Attendu qu’à cet égard, l’auteur des caricatures et les responsables de leur identification étaient parfaitement identifiables et identifiés,

Attendu que l’on se trouve donc en présence “d’articles” d’un blog qui ne sont en soit aucunement diffamatoire au sens de la loi de 1881 ni même des injures dans ce même cadre,

Attendu qu’il n’y a donc pas lieu à requalification et de ce fait n’y a pas lieu de retenir de nullité procédurale pour non respect des règles de la loi du 29 juillet 1881.

Sur les faits reprochés

Attendu que Monsieur G. précise dans son assignation que le contenu de ce blog le dénigrait en se présentant comme ses amis et en faisant des fautes d’orthographe et en tenant des propos particulièrement familiers cherchant manifestement à le dénigrer ainsi qu’à porter atteinte à son image.

Attendu qu’il convient d’observer que le bIog se présentait comme celui des amis de Serge G.” et que rien, sinon l’intelligence de la lecture, ne permettait de savoir que les propos provenaient d’un candidat d’une liste opposée,

Attendu qu’il était même indiqué “ce blog a été créé dans le but de soutenir fortement Serge G…”,

Attendu que les propos en cause exprimés par des personnes se présentant comme des opposants n’auraient sans doute pas dépassés la simple polémique admissible en période électorale mais que le cadre particulier de leur présentation qui va au delà de l’anonymat du fait un instrument anormal de dénigrement de moquerie et de discrédit,

Attendu que ce caractère malveillant de propos ou d’attitudes prêtées à un adversaire qui ne pouvait répondre est constitutif, surtout dans le cadre d’un débat électoral démocratique qui suppose une certaine loyauté, d’une faute au sens de l’article 1382 code civil,

Attendu que cette faute est établie à l’égard de Monsieur G., candidat aux élections, mais aussi à l’égard de Monsieur G., Maire d’Orléans, fonctions pour lesquelles il a été précisément mis en cause,

Attendu que le défendeur soutient l’absence d’urgence en raison du temps écoulé depuis la campagne électorale mais qu’il convient d’observer que les pièces du dossier démontrent que Monsieur G. a été contraint à des recherches longues et difficiles qui justifie les délais,

Attendu que la nature de la faute qui porte atteinte, en se travestissant, à la personnalité d’un adversaire justifie qu’il y soit répondu dès que possible et que les conditions d’urgence sont ainsi réunies,

Attendu que Monsieur B. doit être condamné à payer la somme de un euro à Monsieur G. à titre personnel et un euro au titre de Maire de la ville d’Orléans.

Attendu que s’agissant du blog, il apparaît toujours exister mais n’être accessible que sur invitation ; que cette simple possibilité justifie d’en ordonner la fermeture sous astreinte,

Attendu que les caractéristiques de la faute et de son anonymat ont conduit Monsieur G. à exposer des frais importants pour un montant total de 3911,38 € que Monsieur B. doit être condamné à lui payer,

Attendu que la nature des faits et leur contexte justifiera d’ordonner la publication par extrait de cette décision dans deux journaux du choix de Monsieur G., chaque publication ne pouvant excéder la somme de 2000 €, hors taxe,

Attendu, enfin, qu’il serait inéquitable de laisser à la charge du demandeur des frais irrépétibles pour un montant de 3500 €, somme à laquelle le défendeur estime lui-même les siens

DECISION

Nous, Daniel Trouvé, président du Tribunal de grande instance d’Orléans, statuant publiquement, en premier ressort, par ordonnance de référé contradictoire,

. Déboutons Monsieur Antoine B. de sa demande de requalification et de nullité,

. Constatons que Monsieur Antoine B. a commis une faute à l’égard de Monsieur Serge G., tant en son nom personnel qu’en qualité de Maire de la ville d’Orléans, au sens de l’article 1382 code civil,

. Condamnons Monsieur Antoine B. à payer :
– à Monsieur Serge G., à titre personnel :
* un euro à titre provisionnel en réparation de son préjudice moral,
* la somme provisionnelle de 3911,38 € au titre des frais exposés.
– à Monsieur Serge G., en qualité de Maire de la ville d’Orléans :
* un euro à titre provisionnel en réparation de son préjudice moral.

. Condamnons Monsieur Antoine B. à fermer définitivement le blog en cause les 5 jours de la signification de la présente décision et sous astreinte de 50 € par jour de retard passé ce délai,

. Autorisons la publication de la présente décision, aux frais de Monsieur Antoine B., dans deux journaux du choix de Monsieur Serge G., sans que chaque publication puisse dépasser la somme de 2000 € hors taxe,

. Condamnons Monsieur Antoine B. à payer à Monsieur Serge G. la somme de 3500 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile,

. Condamnons Monsieur Antoine B. aux dépens.

Le tribunal : M. Daniel Trouvé (président)

Avocats : Me Guy Lemaignen, Me Emmanuel Tordjman

Voir décision de cour d’appel

Notre présentation de la décision

 
 

En complément

Maître Emmanuel Tordjman est également intervenu(e) dans les 5 affaires suivante  :

 

En complément

Maître Guy Lemaignen est également intervenu(e) dans l'affaire suivante  :

 

En complément

Le magistrat Daniel Trouvé est également intervenu(e) dans l'affaire suivante  :

 

* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.