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Jurisprudence : Vie privée

mardi 17 mai 2005
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Tribunal de grande instance de Paris 1ère chambre, section sociale Jugement du 19 avril 2005

Comité d'entreprise d'Effia Services, Syndicat Sud Rail / Effia Services

vie privée

PROCEDURE

Vu l’ordonnance du 6 janvier 2005 qui a dit n’y avoir lieu à référé sur les demandes du comité d’entreprise de la société Effia Services et de la Fédération des syndicats Sud Rail et a renvoyé l’affaire à l’audience du 15 mars 2005 pour qu’il soit statué au fond sur le litige opposant les parties ;

Vu les dernières écritures du 14 mars 2005 des demandeurs qui sur le fondement des articles L 120-2, L 121-8 du code du travail et la directive 95/46/CE du 24 octobre 1995 sollicitent de :
– dire et juger que le pointage par empreintes digitales mis en place par la société Effia Services, système constitutif d’un traitement automatisé de données personnelles, porte atteinte aux droits et libertés individuels des salariés de l’entreprise et n’est ni adéquat, ni pertinent, ni justifié au regard de l’objectif d’établissement des bulletins de paye ;
– faire interdiction à la société Effia Services de mettre en place le système de badgeage par empreintes digitales ;
– condamner la société Effia Services à payer à la Fédération des syndicats Sud Rail la somme de 3000 € à titre de dommages-intérêts en réparation de l’atteinte portée aux intérêts collectifs de la profession ;
– la condamner à payer à chacun d’eux une indemnité de 2000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du ncpc ;
Vu les dernières conclusions d’Effia Services aux fins de débouter les demandeurs de l’ensemble de leurs prétentions, de prononcer l’exécution provisoire de la décision à intervenir et de condamner chacun des demandeurs à lui verser 1000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc ;

DISCUSSION

La société Effia Services, filiale de la société Sncf Participations qui assure dans les gares Sncf, le portage de bagages, l’aide et l’assistance des usagers à mobilité réduite et l’accueil des passagers d’Eurostar a décidé de mettre en place au sein de l’entreprise un nouveau mode de gestion et de contrôle des temps de présence sur l’ensemble des sites de travail en réseau avec un lecteur biométrique utilisant la technologie des empreintes digitales.

Le fonctionnement de ce système comporte deux phases :
– l’empreinte digitale du salarié est mémorisée sur une carte à puce, correspondant à un numéro de badge dont la lecture est assurée par une badgeuse à la prise et à la fin du service ;
– ce premier contrôle est validé en même temps par l’application du doigt sur un lecteur.

Les demandeurs soutiennent que ce système porte atteinte aux droits et libertés individuelles des salariés résultant des articles L 120-2, L 121-8 et L 432-2-1 du code du travail.

La société Effia Services affirme que le système de pointage par badge est parfaitement justifié et proportionné au but recherché, dans l’exercice du pouvoir réglementaire dont dispose l’employeur dans l’entreprise.
Il n’est pas contesté qu’avant la mise en place du système, un document de présentation a été remis au comité d’entreprise qui, ainsi que cela résulte du point 4 du procès verbal du 21 avril 2004, a été informé et consulté, motif pris des nombreux problèmes liés aux décomptes des heures de présence, sujet notamment évoqué par l’inspection du travail en 2003 et qu’ainsi les dispositions de l’article 432-2-1 ont été respectées.

La déclaration de traitement automatisé d’informations nominatives qui a été transmise le 25 mai 2004 à la Commission de l’informatique et des libertés comporte la mention selon laquelle le traitement en cause a pour but « la gestion des horaires et des temps de présence et la ventilation analytique des activités dans les centres de coûts ».

En outre l’article L 121-8 du code de travail, aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être sollicitée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à la connaissance du salarié ; le courrier individuel adressé aux salariés le 25 novembre 2004 qui présente le nouveau mode de gestion et contrôle des temps de présence par badgeage à fin de permettre d’éviter toutes les difficultés liées à la gestion du temps, à savoir principalement les bulletins de paye erronés pour cause de feuilles mal remplies, précise que « l’empreinte partielle est stockée uniquement dans la mémoire du lecteur ».

Il apparaît ainsi que les conditions préalables de mise en œuvre du système en cause ont été respectées.

Cependant, il ne peut être sérieusement contesté qu’une empreinte digitale, même partielle, constitue une donnée biométrique morphologique qui permet d’identifier les traits physiques spécifiques qui sont uniques et permanents pour chaque individu.

Son utilisation qui met en cause le corps humain et porte ainsi atteinte aux libertés individuelles peut cependant se justifier lorsqu’elle a une finalité sécuritaire ou protectrice de l’activité exercée dans des locaux identifiés.

En effet, selon l’article L 120-2 du code du travail « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

Par ailleurs la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995 considère « que les systèmes de traitement de données sont au service de l’homme ; qu’ils doivent,…, respecter les libertés et droits fondamentaux de ces personnes, notamment la vie privée, et contribuer au progrès économique et social, au développement des échanges ainsi qu’au bien être des individus ; et l’article 6 du chapitre II intitulé : conditions générales de licéité des traitements de données à caractère personnel, stipule que « les données à caractère personnel… collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes doivent être… adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées ultérieurement ».

Pour justifier la mise en place du système en cause, la défenderesse produit la lettre du 3 février 2003 de l’inspection du travail des transports qui constate que dès 9h20 le matin, les feuilles d’émargement indiquaient déjà l’heure de départ du salarié, ce qui ne permet pas de contrôler la réalité du travail effectif réalisé par les salariés ni de vérifier les temps de coupure repas.

Cependant par lettre du 19 novembre 2004, cette administration a précisé qu’il n’a pas été à l’origine de la mise en place d’une pointeuse à empreintes digitales qui relève du seul choix de l’employeur.

Il convient donc de rechercher si le traitement automatisé des données mis en œuvre par l’employeur, se rapportant au début et à la fin de l’activité professionnelle des salariés tendant à améliorer l’établissement des bulletins de paye est justifié et proportionné au but poursuivi.

Or, il n’est pas prétendu par la société Effia Services que la seule mise en place d’un système de badge ne serait pas de nature à permettre de contrôler efficacement les horaires des salariés sans avoir recours à un procédé d’identification comportant des dangers d’atteinte aux libertés individuelles dont la nécessité n’est pas démontrée.

Il s’ensuit que l’objectif poursuivi n’est pas de nature à justifier la constitution d’une base de données d’empreintes digitales des personnels travaillant dans les espaces publics des gares de la Sncf, le traitement pris dans son ensemble n’apparaissant ni adapté ni proportionné au but recherché.

Il y a lieu de faire interdiction à la société Effia Services de mettre en place le système de « badgeage » par empreintes digitales.

S’il n’est pas contesté que la Fédération des syndicats Sud Rail a qualité à agir pour la défense des intérêts matériels et moraux du personnel et de l’intérêt collectif, elle ne caractérise pas l’atteinte portée à ceux-ci et sera déboutée de sa demande à ce titre.

La société Effia Services, sera condamnée aux dépens et verra sa demande au titre de l’article 700 du ncpc rejetée.
L’équité conduit en revanche à allouer à ce titre à chacun des demandeurs la somme de 1500 €.

L’exécution provisoire de la décision compatible avec la nature du litige doit être ordonnée.

DECISION

Le tribunal, statuant en audience publique, par jugement contradictoire en premier ressort,
. Fait interdiction à la société Effia Services de mettre en place le système de « badgeage » par empreintes digitales ;
. Déboute la Fédération des syndicats Sud Rail de sa demande de dommages-intérêts ;
. Condamne la société Effia Services à payer au comité d’entreprise d’Effia Services et à la Fédération des syndicats Sud Rail la somme de 1500 € à chacun d’eux sur le fondement des dispositions de l’article 700 du ncpc ;
. Ordonne l’exécution provisoire de la décision ;
. Condamne la société Effia Services aux dépens.

Le tribunal : M. Valette (premier vice-président), Mmes Leclercq-Carnoy et Taillandier-Thomas (vice-présidentes)

Avocats : Me Michel Henry, Me Christine Deleau

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