Jurisprudence : Vie privée
Tribunal de grande instance de Paris 1ère chambre, section sociale Jugement du 04 avril 2006
Syndicat Sud Telecom Paris / France Telecom et autres
cnil - écoute - informatique et libertés - loi du 6 janvier 1978 - vie privée
FAITS ET PROCEDURE
Vu, sur autorisation donnée le 24 novembre 2005, l’assignation à jour fixe signifiée le 30 novembre 2005 à la société France Telecom, à Patrick C. Directeur de la région Paris, en sa qualité de chef d’établissement et à Bertrand G., Directeur de l’agence résidentielle Paris, en sa qualité de représentant de l’employeur aux réunions des délégués du personnel et des conclusions récapitulatives et en réplique du 31 janvier 2006 aux fins de :
sur le fondement des articles L 121-8, L 432-1, L 432-2-1 et L 432-3 du code du travail, de l’article L 422-1 du code du travail,
– dire et juger que le dispositif d’écoute téléphonique est illicite quant aux objectifs poursuivis et en l’absence de déclaration à la Cnil,
– suspendre l’application du dispositif d’écoute téléphonique dans l’attente de la déclaration auprès de la Cnil et de l’information-consultation régulière du comité d’établissement de la Direction Régionale de Paris, sous astreinte de 3000 € par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir,
– constater l’atteinte au fonctionnement et aux attributions réguliers des délégués du personnel de la Direction Régionale de Paris,
– ordonner à la société France Telecom, Patrick C. et Bertrand G. en leur qualité respective de Directeur de la Région de Paris et de Représentant de l’employeur aux réunions des délégués du personnel de se conformer à l’article L 422-1 du code du travail en répondant aux questions des délégués du personnel restées en suspens, sous astreinte de 1000 € par jour de retard et par question à compter de la signification du jugement à intervenir,
– dire et juger que le tribunal se réserve la liquidation des éventuelles astreintes,
– condamner solidairement la société France Telecom, Patrick C. et Bertrand G. en leur qualité respective de Directeur de la Région de Paris et de Représentant de l’employeur aux réunions des délégués du personnel à verser au syndicat Sud Telecom Paris la somme de 10 000 € à titre de dommages-intérêts pour l’atteinte portée au fonctionnement et aux attributions des délégués du personnel,
– condamner solidairement la société France Telecom, Patrick C. et Bertrand G. en leur qualité respective de Directeur de la Région de Paris et de Représentant de l’employeur aux réunions des délégués du personnel à verser au syndicat Sud Telecom Paris la somme de 3000 € au titre de l’article 700 du ncpc.
Vu les dernières écritures du 31 janvier 2006 des défendeurs qui demandent au tribunal à titre principal :
– de débouter le syndicat Sud Telecom Paris de l’ensemble de ses demandes ;
– de le condamner à leur verser la somme de 1500 € au titre de l’article 700 du ncpc et à titre subsidiaire ;
– de réduire le montant des dommages-intérêts et celui des astreintes à de plus justes proportions.
DISCUSSION
Le demandeur expose que la société France Telecom est divisée en 31 « Directions Régionales » constituant des établissements distincts au sens des articles L 421-1, L 435-1 et R 412-3 du code du travail.
Il indique qu’au début de l’année 2005, une fiche de suivi d’écoute a été remise aux managers du plateau téléphonique, aux fins d’écoute des conversations, dispositif non déclaré auprès de la Cnil.
Il fait valoir que depuis le début de l’année 2005, la direction Régionale de Paris a adopté une attitude destinée à éluder des questions posées par les délégués du personnel, ce qui serait constitutif d’une entrave aux attributions et au fonctionnement régulier des institutions représentatives du personnel ;
France Telecom justifie la mise en place des écoutes « dans une optique de formation des téléopérateurs » et soutient qu’elle n’est pas assujettie à déclaration préalable.
Elle estime avoir apporté des réponses appropriées aux réclamations des délégués du personnel lorsqu’elles rentraient dans leur champ de compétence.
Elle dénie les faits d’entrave allégués à son encontre.
Sur les écoutes téléphoniques :
Sud Telecom rappelle qu’aux termes de l’article L 121-8 du code du travail « aucune information concernant personnellement un salarié ou un candidat à un emploi ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à la connaissance du salarié ou du candidat à un emploi », que l’article L 432-2-1 de ce code précise que le comité d’entreprise doit être informé et consulté, préalablement à la décision de mise en œuvre, sur les moyens techniques permettant un contrôle de l’activité des salariés et qu’en outre, un dispositif d’écoute ou d’enregistrement des conversations téléphoniques ne peut être installé que s’il a préalablement fait l’objet d’une déclaration auprès de la Cnil si le dispositif d’écoute ou d’enregistrement repose sur des moyens numériques.
Le 7 avril 2005, France Telecom a remis à certains salariés une fiche intitulée « suivi d’écoute discrète phase 1 » incluse dans un dispositif permettant aux managers d’écouter les conversations téléphoniques des salariés avec les clients et de surveiller leur propos.
Par lettre du 30 juin 2005, l’inspection du travail a demandé à la direction de France Telecom de mettre en place un dispositif d’alerte sonore et visuelle des salariés faisant l’objet d’une écoute, de régulariser cette situation d’urgence et de l’informer des dispositions prévues à cet égard.
Aucune justification n’est apportée sur ce point et la seule affirmation selon laquelle les salariés ont été informés oralement n’est pas probante.
Par ailleurs l’article 4-2-10-2-2 de la convention collective des télécommunications prévoit que « les systèmes de contrôles des outils de télécommunication (téléphone, internet) des salariés ne peuvent être utilisés qu’après information et consultation du comité d’entreprise… ».
Les réclamations faites par l’inspection du travail par lettres du 30 juin et du 8 août 2005 aux fins de transmission de la copie du procès verbal justifiant de la consultation obligatoire des membres du CE sur ce sujet, sont restées sans réponse.
En outre, il résulte de l’article 22 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, modifiée par la loi du 6 août 2005 que « les traitements automatisés de données à caractère personnel font l’objet d’une déclaration auprès de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés » (Cnil).
Si France Telecom justifie la mise en place des écoutes « dans une optique de formation des téléopérateurs », le document de synthèse de l’écoute auquel est affecté un coefficient diminuant ou augmentant le montant de la part de variable de vente (PVV) concourt à la détermination de la rémunération.
La grille d’écoute constitue ainsi une collecte des données et démontre que les éléments recueillis sont conservés, analysés et utilisés ce qui constitue une opération rentrant dans le champ d’application de l’obligation de déclaration à la Cnil pour le traitement automatisé de données à caractère personnel.
Les irrégularités affectant la mise en place du système d’écoute téléphonique conduisent à suspendre l’application du dispositif d’écoute téléphonique dans les conditions précisées au dispositif.
Sur les réponses apportées aux questions des délégués du personnel :
Aux termes de l’article L 422-1 du code du travail :
« Les délégués du personnel ont pour mission :
– de présenter aux employeurs toutes les réclamations individuelles ou collectives relatives aux salaires, à l’application du code du travail et des autres lois et règlements concernant la protection sociale, l’hygiène et la sécurité, ainsi que des conventions et accords collectifs de travail applicables dans l’entreprise ;
– de saisir l’inspection du travail de toutes les plaintes et observations relatives à l’application des prescriptions législatives et réglementaires dont elle est chargée d’assurer le contrôle. »
Il n’est pas sérieusement contesté et cela ressort des procès verbaux des réunions qui se sont tenues depuis le mois de mars 2005 que l’employeur a refusé de répondre à certaines questions posées au motif que « cette demande n’est pas une réclamation et ne relève pas des compétences des délégués du personnel au sens de l’article L 422-1 du code du travail ».
Il y a lieu notamment de relever que, l’employeur n’a pas répondu aux questions posées :
– au cours de la réunion du 15 mars 2005 portant sur le calcul de la PVV et le nombre d’agents dans l’unité éligibles à cette rémunération,
– au cours de la réunion du 10 mai 2005 concernant le bruit occasionné par certaines animations,
– au cours de la réunion du 14 juin 2005, relative à la méthode de calcul de la rémunération des agents sous contrats à durée déterminée, recouvrant des réclamations relatives aux salaires et aux conditions de travail qui entrent dans les attributions des délégués du personnel.
Cependant la demande du syndicat Sud est trop générale pour permettre au tribunal d’ordonner à l’employeur de répondre aux questions des délégués du personnel restées en suspens et ce sous astreinte.
Sur l’entrave aux attributions et au fonctionnement régulier des délégués du personnel :
L’absence de réponse à certaines questions des délégués du personnel qui rentraient dans le champ d’application de l’article L 422-1 du code du travail constitue une atteinte à l’exécution des fonctions des délégués du personnel.
Par ailleurs, le demandeur se réfère à un accord d’entreprise à effet du 1er septembre 2004 sur la mise en place et le fonctionnement des institutions représentative du personnel au sein de France Telecom qui prévoit la mise à disposition des délégués syndicaux d’un accès à internet et à l’intranet au sein de leurs locaux.
Malgré plusieurs demandes auprès du chef d’entreprise aux fins de mise en œuvre de ces dispositifs, l’inspection du travail a dû lui rappeler le 30 juin 2005 l’obligation de fournir l’accès informatique au sein du local syndical sans conditions particulières.
Le syndicat demandeur n’est pas contredit lorsqu’il affirme que ce n’est que le 10 novembre 2005, soit plus d’un an après la prise d’effet de l’accord que la Direction a exécuté son obligation.
Il est établi que l’employeur a ainsi porté atteinte au fonctionnement régulier et avec des moyens appropriés des délégués du personnel.
Ces atteintes justifient la condamnation de France Telecom et des deux autres défendeurs dans le cadre de leurs fonctions, à payer au syndicat demandeur la somme de 5000 €.
Il serait inéquitable de laisser à la charge du demandeur les frais non répétibles qu’il a été obligé d’exposer.
DECISION
Le tribunal, statuant en audience publique, par jugement contradictoire et en premier ressort,
. Suspend l’application du dispositif d’écoute téléphonique dans l’attente de la déclaration auprès de la Cnil et de l’information-consultation régulière du comité d’établissement de la Direction Régionale de Paris,
sous astreinte de 3000 € par jour de retard, un mois après la signification du présent jugement ;
. Réserve au tribunal le pouvoir de liquider l’astreinte ainsi prononcée ;
. Condamne solidairement la société France Telecom, Patrick C. et Bertrand G. dans le cadre de leurs fonctions à payer au syndicat Sud Telecom Paris :
– la somme de 5000 € à titre de dommages-intérêts pour l’atteinte portée au fonctionnement et aux attributions des délégués du personnel,
– la somme de 3000 € au titre de l’article 700 du ncpc ;
. Déboute les parties du surplus de leurs prétentions ;
. Condamne les défendeurs aux dépens.
Le tribunal : M. Valette (premier vice président), Mmes Leclercq-Carnoy et Taillandier-Thomas (vice présidentes)
Avocats : Me Julien Rodrigue, Me Philippe Montanier
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