Les avocats du net

 
 


 

Jurisprudence : Vie privée

mercredi 22 janvier 2003
Facebook Viadeo Linkedin

Tribunal de grande instance de Paris 17ème chambre, section 2 Ordonnance de référé du 22 janvier 2003

Prince Paul de H / Stéphane B.

diffamation - vie privée

Vu les articles, respectivement intitulés « Famille royale de Roumanie. La bataille juridique se poursuit entre le roi Michel 1er et Mircéa L., fils illégitime du roi Carol II de Roumanie » et « La Famille royale de Roumanie : la justice roumaine tranche en faveur du roi Michel 1er », parus dans les numéros des 21 et 28 février 2002 de Royal News, « Lettre d’information », mis en ligne sur le site internet gotha.fr le portail consacré aux têtes couronnées par Stéphane B de cette publication, traitant du procès opposant le roi Michel 1er de Roumanie et Mircéa L., fils prétendu du roi Carol II de Roumanie ;

Vu l’assignation à jour fixe délivrée, le 21 mai 2002, à la requête de Paul de H. tendant à voir dire que ces deux articles contiennent à la fois des propos diffamatoires et des expressions outrageantes et condamner, avec exécution provisoire, Stéphane B., directeur de publication de la rubrique Royal News à lui payer les sommes de 50 000 € à titre de dommages-intérêts et de 10 000 € en application de l’article 700 du ncpc, ainsi qu’à ordonner la publication du jugement à intervenir dans divers journaux et magazines ;

Vu les écritures signifiées le 13 novembre 2002 qui conclut, à titre principal, à l’incompétence du tribunal au motif que l’article R 321-8 du code de l’organisation judiciaire dispose que le tribunal d’instance est compétent pour connaître des diffamations et injures, publiques ou non, commises autrement que par voie de presse, et, subsidiairement, fait injonction au demandeur de communiquer les décisions rendues par la cour suprême de Roumanie se rapportant au présent litige et demande un délai pour conclure au fond ;

Discussion

Sur l’exception d’incompétence invoquée

Attendu que, certes, l’article R 321-8 du code de l’organisation judiciaire énonce que « le tribunal d’instance connaît (…) des actions civiles pour diffamations ou injures publiques ou non publiques, verbales ou écrites, autrement que par voie de la presse (…) » ;

Mais attendu qu’il y a lieu d’observer que la rédaction de ce texte – repris ultérieurement par les dispositions de l’ordonnance n°58-1273 et celles du décret n°58-1281 en date, tous deux, du 22 décembre 1958 et relatifs à l’organisation judiciaire, avant leur codification par la loi de 1978 – est issue de la loi du 25 mai 1838 et n’a, depuis, subi aucune modification ;

Attendu que, plus d’un siècle et demi plus tard, l’expression « par voie de la presse » soulève incontestablement une difficulté d’interprétation ;

Attendu qu’il conviendrait, selon les défendeurs, de se référer à la définition que donne de la « publication de presse », l’article 1er de la loi du 1er août 1986 « portant réforme du régime juridique de la presse », soit : « tout service utilisant un mode écrit de la pensée, mis à disposition du public en général ou catégories de public et paraissant à intervalles réguliers » ; que cette définition exigeant une condition de périodicité exclurait, donc, de la « voie de la presse », toute publication qui, comme celle présentement attaquée, ne paraîtrait pas à « intervalles réguliers » ;

Mais attendu qu’il apparaît audacieux et vain de vouloir interpréter l’expression litigieuse au regard d’un texte conçu plus de cent cinquante ans après sa rédaction, pour l’appliquer, par surcroît, à un mode de communication – l’internet -, non seulement, inexistant et inconnu à la date du texte à interpréter, mais encore, mal connu et non réglementé à la date du 1er août 1986 ;

Attendu qu’il apparaît préférable de rechercher la signification des termes « par voie de presse » en se reportant à l’époque même où le texte litigieux a été conçu ;

Or attendu qu’il résulte de l’intitulé du chapitre 4 de la loi du 29 juillet 1881 – « Des crimes et délits commis par voie de presse ou par tout autre moyen de publication » – que cette expression désigne un moyen de publication – au même titre que « les discours, cris, ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics » cités par l’article 23 de la loi, que le mot « presse » est donc, ici employé par référence à son sens propre d’imprimerie, support primordial utilisé pour la diffusion de la pensée, à une époque où l’outil privilégié de communication était encore l’écrit ;

Attendu que cette dernière affirmation tendant à n’être plus vraie aujourd’hui, le législateur du 13 décembre 1985 a ajouté à l’énumération de l’article 23 relative aux « moyens de publication », la « communication audiovisuelle » qu’il a ensuite définie, dans la loi du 1er août 2000 (art. 2) comme « toute mise à disposition du public (…), par un procédé de télécommunication, de signes, de signaux, d’écrits, d’images, de sons et de messages de toute nature qui n’ont pas le caractère d’une correspondance privée » ; que la diffusion par internet répond incontestablement à cette définition ;

Attendu qu’il s’ensuit que le rapprochement fait entre l’expression « par voie de la presse » et celle, ci-dessus, de « publication de presse », au sens de la loi du 1er août 1986, n’a pas lieu d’être, puisque la première vise, ainsi, la presse comme le moyen de fixer et de diffuser la pensée par l’écrit, alors que la seconde intéresse le produit qui résulte de l’utilisation de ce moyen de communication ;

Attendu qu’au demeurant, si la définition donnée par cette dernière loi devait être retenue pour interpréter l’expression « par voie de la presse » figurant dans l’article R 321-8 précité, c’est tout le contentieux des diffamations et injures commises par voie du livre qui se trouverait spécialement dévolu au tribunal d’instance, alors que la pratique jurisprudentielle contraire, contemporaine des lois de 1838 et 1881, et jamais démentie depuis, démontre que l’interprétation proposée par les défendeurs irait, elle, à l’encontre de l’intention, pourtant dénuée de toute ambiguïté, du législateur, auteur de ces textes ;

Attendu qu’il convient, dès lors, de juger que la publication éditée par les défendeurs par la voie de l’internet constitue une publication « par voie de la presse » ; au sens de l’article R 321-8 du code de l’organisation judiciaire ; que le tribunal d’instance n’a pas compétence, en conséquence, pour statuer sur le présent litige ; que les défendeurs doivent être déboutés de leur exception d’incompétence et invités à conclure au fond sans qu’il y ait lieu, en l’état de statuer sur un quelconque incident de communication de pièces, puisque le demandeur est, dorénavant, avisé par ses adversaires, de leur souhait de voir produire aux débats des décisions judiciaires roumaines dont il se prévaut ;

Décision

. Déboutons les défendeurs de leur exception d’incompétence ;

. Déclarons, en conséquence, la présente juridiction compétente pour statuer sur la demande de Paul de H. ;

. Invitons les défendeurs à conclure au fond ;

. Renvoyons l’affaire à l’audience de procédure du 5 mars 2003.

Le tribunal : Mme Edith Dubreuil (vice président)

Avocats : Me Bruno Ducoulombier, Me Jean Paul Petreschi

 
 

En complément

Maître Bruno Ducoulombier est également intervenu(e) dans l'affaire suivante  :

 

En complément

Maître Jean Paul Petreschi est également intervenu(e) dans les 2 affaires suivante  :

 

En complément

Le magistrat Edith Dubreuil est également intervenu(e) dans les 2 affaires suivante  :

 

* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.