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Marché gris : Copie France condamnée à verser un million d’euros à Rue du Commerce
Pour le TGI de Paris, Sorecop et Copie France se sont rendues coupables de négligence fautive en n’entreprenant aucune action destinée à lutter contre le marché gris des supports d’enregistrement, matériel vendu par des sites marchands étrangers sans intégrer la rémunération pour copie privée. Cette distorsion de concurrence qui n’a pas été combattue a généré pour le site Rueducommerce une perte de clientèle et une atteinte à son image. Par son jugement du 2 décembre dernier, le tribunal a condamné les deux sociétés de gestion collective (Copie France a absorbé la seconde) à verser au distributeur en ligne un million d’euros de dommages-intérêts sur le fondement de l’article 1383 du code civil.
La France pratique un des taux de rémunération pour copie privée les plus élevés d’Europe. Certains cybermarchands installés dans des Etats membres de l’UE qui ne prévoient pas un tel système de compensation, distribuent des supports d’enregistrement en France à des prix bien inférieurs à ceux des sites français. Pour lutter contre ce marché gris qui a de fortes répercussions sur ses ventes, Rueducommerce avait intenté une action en concurrence déloyale contre des sites étrangers. Mais dans un jugement du 22 mars 2007, le TGI de Paris avait rejeté ses demandes au motif que les sociétés en cause n’avaient pas la qualité (fabricant, importateur ou consommateur) pour être redevables de cette rémunération. Dans un arrêt du 27 novembre 2008, la Cour de cassation avait confirmé cette position, tout en ajoutant que les sites étrangers avaient néanmoins le devoir d’informer le consommateur français sur son obligation d’acquitter cette rémunération
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La société Rue du Commerce s’est ensuite retournée contre Copie France et Sorecop. Elle leur reprochait, d’une part, de ne pas assurer la perception de la rémunération pour copie privée auprès des internautes qui s’approvisionnent sur le marché parallèle et, d’autre part, de ne prendre aucune mesure pour harmoniser les taux pratiqués dans les autres pays européens, en tant que membres majoritaires de la commission pour copie privée. Dans son dernier jugement, le TGI de Paris lui a donné gain de cause en considérant que ces sociétés de gestion collective avait eu une attitude caractérisant « une négligence fautive au sens de l’article 1383 du code civil, faute préjudiciable aux demanderesses qui subissent la concurrence du marché gris dont l’existence perdure faute d’être combattu efficacement ».
Le tribunal constate que, comme le recouvrement direct auprès des consommateurs est matériellement et financièrement irréalisable, les sociétés collectives qui doivent assurer la collecte de la redevance auraient dû mener des actions contre les sites étrangers. Elles auraient dû engager une action en manquement de leur obligation d’informer les consommateurs français de leur qualité de redevable de cette rémunération. Elles n’ont pas davantage engagé d’action de collecte ni aucune action judiciaire à l’encontre des cybermarchands étrangers pour tenter d’obtenir leur condamnation au paiement de ces sommes. Le tribunal précise que « chargées par l’Etat français de collecter cette rémunération au profit des auteurs lésés et tenues de remplir cette mission statutaire dans le respect du droit communautaire, les sociétés Sorecop et Copie France, dès l’instant où elles ont constaté la distorsion de concurrence et la perte de rémunération pour les auteurs lésés créées par les vendeurs étrangers, auraient dû, en menant des actions de collecte, au besoin judiciaires, de la rémunération pour copie privée à l’encontre de ces distributeurs étrangers, rechercher la nécessaire interprétation du droit français sur la qualité de redevable de cette rémunération. ». Par ailleurs, Copie et Sorecop auraient, par ailleurs, dû favoriser l’harmonisation de la « taxe » française avec celle des autres Etats membres afin de lutter contre ce marché gris, vu sa position déterminante au sein de la commission pour copie privée. Ce qu’elles se sont refusées à entreprendre.
Rueducommerce invoquait une perte de chiffre d’affaires s’établissant entre 3,5 et 4,5 millions d’euros. Le tribunal a estimé que ces données avaient une valeur probante suffisante, d’ailleurs les sociétés collectives n’ont apporté aucune contre expertise pour les invalider. Il a cependant estimé que la réparation ne pouvait porter sur l’assiette entière du préjudice car il ne peut être affirmé que les actions que Copie France et Sorecop auraient dû mener auraient éradiqué le phénomène du marché gris. « En revanche, il est certain que leur négligence fautive a généré pour la société Rue du Commerce une perte de chance de voir limiter ou supprimer le marché gris et ses conséquences préjudiciables ».