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mercredi 03 octobre 2001
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Procès Front 14 : morale contre droit, éthique contre logique économique

 

Le procès fleuve qui oppose les associations antiracistes aux fournisseurs d’accès s’est achevé par une longue journée de plaidoiries au palais de justice de Paris, le 2 octobre dernier. Les avocats des associations ont ouvert les débats en demandant au juge des référés d’ordonner le filtrage du site Front14 et de ceux qu’il héberge pour faire cesser un trouble manifestement illicite : la propagation de discours racistes et antisémites. Se fondant sur l’article 809 du nouveau code de procédure civile qui encadre les pouvoirs du juge des référés, ils ont invoqué l’urgence à intervenir pour ne pas laisser perdurer la diffusion de propos haineux. Se plaçant sur le terrain de la morale, ils ont demandé au juge Jean-Jacques Gomez de faire preuve d' »audace et de courage », susceptibles de faire sortir la réflexion de l’impasse d’un trouble sans responsabilité à imputer.
Les avocats de l’AFA et des fournisseurs d’accès à internet (FAI) ont refusé de les suivre sur le terrain de l’éthique, préférant revenir au droit. Ils ont d’abord invoqué la loi du 1er août 2000 qui ne prévoit pas la responsabilité des fournisseurs d’accès quant au contenu des sites et qui n’impose aucune obligation de filtrage. Ils ont, en outre, remis en cause la faisabilité et l’efficacité technique de ce filtrage. D’abord, la décision du juge ne serait opposable qu’à 13 FAI alors qu’il en existe 150 en France. Par ailleurs, les mesures de contournement réduiraient la légitimité juridique de la mesure ordonnée. Onze parades au filtrage ont été recensées : 8 utilisables par l’internaute (passage par un autre FAI, usage de la cryptologie, d’un proxy, d’un moteur de recherche, etc.) et 3 par les auteurs et hébergeurs de sites en agissant sur le DNS, l’adresse IP ou l’URL. Le FAI Noos qui avait tenté de filtrer Front14 à partir de son adresse IP a constaté l’inefficacité de l’opération, en raison du recours aux sites d’anonymisation. Les associations antiracistes en revanche, conscientes des limites du filtrage, ont répliqué que Tiscali en Suisse et Renater en France l’ont déjà pratiqué. Non seulement une telle mesure ne serait pas infaillible, mais elle imposerait des coûts importants. Une telle ingérence devrait être proportionnée à l’enjeu et être prévue par une loi.
Les avocats des FAI ont également reproché aux associations antiracistes de ne pas avoir centré leurs efforts sur les auteurs des sites incriminés et sur l’hébergeur. Or, ont-ils ajouté, le débat relatif aux FAI ne peut être que subsidiaire. Les débats ont été clos par le procureur de la République qui a avoué sa difficulté à identifier la réalité juridique et judiciaire du débat. Pour lui, il n’y avait pas lieu à référé. Le juge, qui devrait rendre sa ordonnance le 30 octobre prochain, a appelé les parties à ne hésiter à lui faire parvenir d’autres propositions de solutions. Cette décision, attendue en France mais aussi à l’étranger, a le mérite de susciter un vrai débat de société.