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Jurisprudence : Jurisprudences

vendredi 05 décembre 2025
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Cour d’appel de Versailles, ch. cciale 3-1, arrêt du 26 novembre 2025

HEETCH / CITYGO

actes de concurrence déloyale - co-voiturage - transport - VTC

La société Heetch, créée en 2013, exploite depuis 2017 une plateforme numérique de mise en relation entre des chauffeurs de VTC (voitures de transport avec chauffeur) et des passagers en vue d’un transport routier à titre onéreux.

La société Citygo, créée en 2014, exploite une application mobile de mise en relation de conducteurs et de passagers dans le but de réaliser des trajets en covoiturage de courte distance. Son service est présent en Île-de-France et en cours de développement à Lille et Lyon.

Autorisée à cette fin par ordonnance du 8 juillet 2021 du président du tribunal de commerce de Nanterre, la société Heetch a, par acte du 26 juillet 2021, assigné la société Citygo à bref délai devant ce tribunal lui reprochant des actes de concurrence déloyale faute de respecter la réglementation applicable au covoiturage.

Par jugement du 7 juin 2023, le tribunal a débouté la société Heetch de toutes ses demandes et l’a condamnée à payer à la société Citygo la somme de 30.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Le tribunal a considéré que la société Citygo respectait les obligations lui incombant au regard des dispositions de l’article L. 3132-1 du code des transports relatif au covoiturage et qu’elle n’avait ainsi pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité.

Par deux déclarations des 12 et 17 juillet 2023, la société Heetch a fait appel du jugement en chacune de ses dispositions. Les deux procédures ont été jointes sous le numéro 23/4805 par ordonnance du 23 avril 2024.

Par dernières conclusions n° 4 remises au greffe et notifiées par RPVA le 8 avril 2025, la société Heetch demande à la cour d’infirmer le jugement en ses dispositions déférées à la cour et statuant à nouveau :
– de faire injonction à la société Citygo, sous astreinte de 20.000 euros par jour de retard à compter de la signification du « jugement » (sic) à intervenir, de cesser immédiatement et totalement d’exploiter l’application « citygo » téléchargeable sur les plateformes de téléchargement mobile, jusqu’à sa mise en conformité avec l’article L. 3132-1 du code des transports ;
– de faire injonction à la société Citygo de lui communiquer, sous astreinte, les pièces nécessaires à l’évaluation de son préjudice ;
– avant dire droit, d’ordonner une expertise relative à son préjudice économique et financier depuis mars 2017 jusqu’à la date de l’arrêt à intervenir et de juger que les frais d’expertise seront mis à la charge de la société Citygo ;
– d’ordonner, sous astreinte de 2.000 euros par jour de retard à compter de la signification du
« jugement » (sic), la publication de la décision à intervenir selon les modalités décrites ;
– en tout état de cause, de débouter la société Citygo de toutes demandes contraires au présent dispositif et de la condamner à lui payer une indemnité de 51.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Par dernières conclusions n° 3 remises au greffe et notifiées par RPVA le 17 mars 2025, la société Citygo demande à la cour de confirmer le jugement entrepris et de condamner la société Heetch à lui payer la somme de 10.000 euros à titre d’amende civile et celle de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en application de l’article 559 du code de procédure civile, la somme de 54.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et celle de 8.874 euros au titre des constats d’huissiers réalisés pour faire valoir ses droits ainsi qu’aux dépens avec droit de recouvrement direct.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 22 mai 2025.

A l’issue des débats, la cour a demandé à la société Heetch de préciser une méthode d’évaluation de son préjudice susceptible d’être mise en œuvre par un expert judiciaire et à la société Citygo de produire l’avis de classement sans suite d’une plainte dont elle dit avoir fait l’objet et des données relatives à la proportion des demandes de trajet immédiat et des demandes de trajet planifié.

Chacune des deux parties a déposé une note en délibéré par RPVA le 23 octobre 2025. La cour a autorisé l’appelante à produire des articles de presse datant de 2019 et l’intimée à les commenter, le cas échéant. La société Heetch a ainsi déposé une deuxième note en délibéré le 30 octobre 2025 et la société Citygo le 6 novembre 2025.

DISCUSSION

Sur les actes de concurrence déloyale

La société Heetch soutient que la société Citygo ne respecte pas la réglementation relative au covoiturage mais propose un service analogue au sien sans respecter les règles contraignantes applicables au transport VTC. Elle fait valoir que l’application citygo permet aux conducteurs d’effectuer des trajets non pour leur propre compte mais pour le compte du passager, en leur proposant des trajets qui n’ont pas les mêmes points de départ et d’arrivée que ceux qu’ils ont eux-mêmes renseignés, et d’en tirer un gain en percevant des passagers une indemnité supérieure aux frais qu’ils engagent, que les conducteurs sont ainsi incités à faire un usage détourné de l’application et que la société Citygo n’entend pas agir contre un tel usage en s’abstenant de modifier le mode d’attribution des trajets aux conducteurs et les règles de calcul de leur indemnité et de sanctionner les pratiques illicites de ses utilisateurs.

La société Citygo conteste tout acte de concurrence déloyale soutenant qu’elle respecte la réglementation relative au covoiturage. Elle fait valoir que les trajets sont réalisés dans le strict respect du partage des frais et pour le propre compte du conducteur et que pour lutter contre les usages détournés ou abusifs de son application, elle a mis en place des mesures préventives et punitives. Elle conteste certaines des preuves produites par la société Heetch en raison de leur caractère déloyal ou irrégulier au regard des règles relatives aux attestations de témoin.

Sur ce,

La cour relève liminairement que les données émanant de la société Ogury et les rapports issus d’enquêtes « client mystère » produits par la société Heetch ne présentent pas d’irrégularité de nature à les voir écartés des débats : ni le défaut de mention de ce que la première a des intérêts communs avec la société Heetch ni le fait que les dires recueillis dans le cadre de l’enquête n’aient pas été retranscrits sous forme d’une attestation respectant les règles de forme prévues par les articles 200 à 202 du code de procédure civile ne constituent une telle irrégularité, seule leur valeur probante devant être appréciée. Quant à la méthodologie employée, au caractère éventuellement parcellaire du premier rapport issu d’une enquête « client mystère » et au supposé défaut de pertinence de ces éléments, ils relèvent tous de l’appréciation de fond des éléments de preuve apportés par la société Heetch. Ils n’ont donc pas à être écartés de l’appréciation du litige par la cour.

L’article L. 3132-1 du code des transports dispose que « le covoiturage se définit comme l’utilisation en commun d’un véhicule terrestre à moteur par un conducteur et un ou plusieurs passagers, effectuée à titre non onéreux, excepté le partage des frais, dans le cadre d’un déplacement que le conducteur effectue pour son propre compte. Leur mise en relation, à cette fin, peut être effectuée à titre onéreux (…). »

L’article R. 3132-1 du même code précise que « les frais pris en considération (…) sont les frais de déplacement effectivement engagés par un conducteur pour l’utilisation d’un véhicule à l’occasion d’un déplacement. Ils se composent des frais de dépréciation du véhicule, de réparation et d’entretien, des dépenses de pneumatiques et de consommation de carburant ainsi que des primes d’assurances. Ces frais peuvent être évalués à partir du barème forfaitaire mentionné au 3° de l’article 83 du code général des impôts. Ils comprennent également les frais de péage ainsi, le cas échéant, que les frais de stationnement afférents au déplacement. ».

L’article R. 3132-2 du même code indique que « le partage des frais est effectué entre le conducteur et les passagers, dans des proportions qu’ils fixent librement. ».

Pour démontrer que la société Citygo permet au conducteur de réaliser des trajets à titre onéreux, la société Heetch compare en premier lieu le montant au kilomètre, hors commission, proposé au conducteur pour divers trajets renseignés dans l’application citygo qu’elle a fait constater par un huissier et une indemnité de référence qu’elle estime à 40 centimes par kilomètre, en prenant en compte la distance moyenne parcourue par un véhicule français sur une année (12.200 kms) et une puissance de 5 CV, référence qu’elle considère comme cohérente avec une estimation de l’INSEE parue dans la presse en 2021 (36 centimes par kilomètre en 2021). Le test fait ainsi ressortir une indemnité kilométrique hors commission comprise entre 42 et 68 centimes pour dix trajets sur douze, le montant supérieur à la référence correspondant dès lors à un gain pour le conducteur. La société Heetch observe que l’analyse par la société Citygo des trajets qu’elle a fait constater par un enquêteur privé en 2023 fait ressortir une indemnité perçue par le conducteur toujours nettement supérieure à 40 centimes le kilomètre. La société Heetch argue en outre d’une augmentation artificielle par l’application citygo de la distance parcourue pour calculer l’indemnité, de l’absence de prise en compte du nombre de passagers transportés, contrairement aux autres plateformes de covoiturage, assurant ainsi au conducteur de toucher systématiquement le montant maximal de l’indemnité kilométrique, d’avantages financiers accordés au conducteur tels que la possibilité pour le passager d’augmenter sa contribution, un programme de fidélité et des primes.

Mais, outre le fait que l’évaluation des frais à partager au regard du barème fiscal n’est qu’une possibilité et non une obligation imposée par la règlementation et sachant que le barème fiscal en cause correspond à la distance annuelle parcourue par le contribuable pour ses seuls déplacements professionnels, la société Citygo souligne à juste titre que, dans la mesure où ce barème est utilisé, la référence de ce barème à prendre en compte pour déterminer les frais engagés dans le cadre d’un covoiturage ne peut pas être celle propre à la distance totale moyenne parcourue par un véhicule français mais ne peut être que celle correspondant à une hypothèse de distance parcourue en covoiturage.

Le choix opéré par la société Citygo d’estimer les frais de covoiturage courte distance, usage correspondant à l’application qu’elle exploite, en fonction d’une distance parcourue annuelle inférieure à 5.000 kms est donc pertinent, et ce d’autant plus que, selon des documents transmis par un courriel du ministère des transports le 24 décembre 2024, la distance annuelle réalisée en covoiturage par un conducteur était de 1.019 kms, tandis que l’hypothèse proposée par la société Heetch ne correspond pas à l’usage des véhicules tel que proposé par l’application citygo.

De même, le choix de la société Citygo de calculer les frais en fonction de l’indemnité kilométrique fixée par l’administration fiscale pour les véhicules de 4CV (52,3 centimes en 2021 pour la distance parcourue jusqu’à 5.000 kms) et non de 5CV (54,8 centimes) n’apparaît pas dénué de pertinence dès lors que la valeur retenue, soit la plus basse des deux alors que les trois quarts des véhicules neufs vendus en 2020 étaient des véhicules de 5 CV et plus, contribue à limiter l’évaluation des frais.

Ces choix s’inscrivent dans la réflexion menée par les assises nationales de la mobilité de décembre 2017 qui avaient préconisé, pour le covoiturage courte distance, de déterminer dans le code des transports le partage de frais en fonction de la valeur du barème fiscal correspondant aux véhicules de 5 CV parcourant un kilométrage professionnel inférieur à 5.000 kilomètres.

La référence de 40 centimes par kilomètre, calculée par la société Heetch au soutien de sa démonstration et fondée sur une hypothèse de distance parcourue non pertinente car correspondant à la totalité de celle parcourue par un véhicule français (12.200 kms par an), sous-estime le partage des frais. Elle ne peut être retenue pour établir l’existence d’un gain perçu par les conducteurs utilisant l’application citygo.

Les douze cas testés en 2021 par un huissier à la demande de la société Heetch ne correspondent pas à des trajets réalisés mais seulement à des trajets renseignés par un conducteur qui se voit ensuite proposer un tarif. Or la société Citygo justifie par un constat d’huissier que l’application citygo ne propose pas aux passagers de trajet en covoiturage pour une distance de 6 kilomètres. Ainsi les trois cas testés d’une distance inférieure à 5 kilomètres ne sont pas pertinents. Les autres cas testés conduisent à des frais kilométriques allant de 38 à 44 centimes très inférieurs à la valeur fiscale alors applicable de 52,3 centimes pour les véhicules de 4 CV.

Les trajets réalisés et payés dans le cadre de l’enquête de type « client mystère », menée en octobre 2023 à la demande de la société Heetch, ont fait l’objet d’un calcul de frais a posteriori par la société Citygo, à partir d’une distance calculée par Google Maps, dont il résulte que tous sont défrayés à un montant inférieur à la valeur fiscale pertinente (véhicule de 4 CV) applicable en 2023 de 60,6 centimes.

L’argument selon lequel l’application citygo surestime la distance parcourue de sorte que les frais par kilomètre sont sous-estimés est inopérant puisque le calcul de ces frais effectué à partir de cette dernière enquête repose sur un trajet proposé par Google Maps et non par l’application citygo. En outre l’ajout par l’application citygo d’un détour moyen de trois kilomètres est justifié par la prise en compte d’une distance parcourue par le conducteur pour retrouver le passager et de conditions de circulation en milieu urbain, étant observé que le covoiturage n’est pas limité par la loi aux seuls trajets définis par le conducteur et entièrement parcourus par son passager mais qu’il peut s’appliquer à des parcours partiellement partagés entre conducteur et passager(s).

Dès lors que l’article L. 3132-1 du code des transports n’impose pas un partage égalitaire des frais entre conducteur et passager(s), que l’article R. 3132-1 énonce un principe de libre appréciation, par les conducteurs et les passagers, de ce partage des frais et qu’il a été constaté que l’application citygo laisse à la charge du conducteur une partie des frais évalués à l’aune du barème fiscal, l’absence de prise en compte du nombre de passagers transportés n’est pas un argument pertinent pour démontrer la capacité du conducteur à tirer un gain du covoiturage et ce, d’autant moins que l’application citygo ne permet pas à un conducteur de prendre en charge plusieurs demandes de covoiturage pour un même trajet.

Ainsi, en appliquant des frais de covoiturage inférieurs à un calcul fondé sur la valeur pertinente du barème fiscal de l’indemnité kilométrique, la société Citygo opère une mise en relation entre conducteurs et passagers fondée sur un partage des frais respectant l’article L. 3132-1 du code des transports.

Contrairement à ce que fait valoir la société Heetch, Ile-de-France Mobilités n’a pas proposé en 2019 un dispositif de covoiturage à un « prix » de 10 centimes par kilomètre et par passager mais s’est engagée à verser une subvention de ce montant aux conducteurs covoituriers par l’intermédiaire d’opérateurs acceptant son dispositif, ce que n’a pas fait la société Citygo.

Ni la circonstance que des opérateurs, à but lucratif ou non, sont susceptibles de proposer une mise en relation entre conducteurs et passagers en prévoyant un défraiement du conducteur tel que dix centimes par kilomètre et passager en 2019, soit une indemnité faible lorsqu’un seul passager est transporté, ce dont il n’est au demeurant pas justifié pour Blablalines, ni l’existence de recommandations, même gouvernementales, relatives à la détermination de l’indemnité kilométrique qu’un conducteur peut percevoir du passager ne permettent de conclure que le défraiement perçu par les conducteurs utilisateurs de l’application citygo est excessif et de nature à constituer un gain pour eux.

La société Heetch n’établit pas, par ailleurs, que la société Citygo propose aux conducteurs des avantages financiers de nature à rendre onéreux les trajets en covoiturage. En effet elle ne démontre pas que la possibilité pour un passager d’augmenter le montant perçu par le conducteur de 50 centimes par trajet permet à ce dernier de recevoir davantage que l’indemnité kilométrique prévue par le barème fiscal alors que la société Citygo explique, et en justifie par un constat d’huissier, que le prix proposé par le passager est plafonné à un montant maximum respectant le dit barème. Les avantages accordés aux conducteurs, à faire valoir auprès de partenaires étrangers à la société Citygo et fonction du nombre de trajets réalisés, relèvent de la promotion du covoiturage et d’une incitation à une pratique intensive et non d’une rémunération acquise en contrepartie de trajets en ce que ces avantages sont décorrélés du prix reçu des passagers. Il en est de même du programme de parrainage qui comprend un gain financier en contrepartie non pas de trajets réalisés mais d’inscriptions de nouveaux conducteurs faites par l’entremise du conducteur ainsi récompensé.

Les explications recueillies auprès de conducteurs dans le cadre d’enquêtes « client mystère » ne sont pas de nature à établir que l’application citygo a pour objet ou pour effet de rendre lucratif le covoiturage. Si ces enquêtes mettent à jour une activité clandestine de transport public de passagers entre Paris et des aéroports et gares, la quasi-totalité des trajets retranscrits relevant de ces destinations, elles ne viennent pas pour autant prouver qu’une telle activité est lucrative ni qu’elle a été permise ou encouragée par l’application citygo, laquelle limite au demeurant à quatre le nombre de trajets qu’un conducteur peut réaliser par jour. En effet les conducteurs évoquent les seuls prix perçus sans les mettre en relation avec le coût d’acquisition, d’entretien et d’utilisation de leur véhicule.

Il résulte de tout ce qui précède que la société Heetch ne démontre pas que l’application citygo permet à un conducteur de transporter des passagers à titre onéreux au-delà d’un partage des frais.

La société Heetch ne démontre pas non plus que cette application permet d’effectuer des trajets que le conducteur ne réalise pas pour son propre compte.

Il est en effet constant qu’un conducteur doit renseigner son propre trajet avant que l’application citygo ne lui propose des demandes de covoiturage que l’algorithme a identifiées comme correspondant à ce trajet. Ainsi, même avec l’emploi de la géolocalisation du conducteur, les correspondances sont établies en fonction des points de départ et d’arrivée que le conducteur a préalablement enregistrés.

Ensuite, la géolocalisation du conducteur, qui facilite le rapprochement entre l’offre et la demande de covoiturage, n’est utilisée que pour les demandes de trajet immédiat et non pour les demandes de trajet planifié par le passager. Les données transmises par les parties pendant le délibéré montrent que jusqu’en 2024 inclus, l’activité de la société Citygo était partagée quasiment à parts égales entre les deux types de demandes et qu’en tout cas les demandes de trajet immédiat ne constituent pas une part essentielle de l’exploitation de l’application, ce qui tend à montrer que la géolocalisation, propice au déplacement du conducteur vers le passager, n’a pas été un facteur déterminant du développement de l’activité de la société Citygo. En tout cas, les demandes de trajet immédiat, susceptibles d’être mieux satisfaites par la géolocalisation d’un conducteur qui a renseigné préalablement son propre trajet, possiblement déjà entamé, lorsqu’il est informé de demandes correspondant à son trajet, ne sont pas de nature à caractériser une activité de transport pour le compte du passager et non du conducteur, sauf à restreindre le covoiturage à un type de trajets présentant certaines caractéristiques, ce que la loi ne fait pas.

Pour démontrer que l’application citygo propose à un conducteur des trajets sans lien avec celui qu’il a renseigné, la société Heetch a établi, à partir de constats d’huissier, deux cartes où figurent le trajet du conducteur entre les points de départ et d’arrivée enregistrés et les trajets demandés, sélectionnés par l’application, qui apparaissent décorrélés du premier. Mais la prise en compte de la géolocalisation du conducteur, et non du point de départ renseigné, montre que les demandes qui lui ont été soumises sont cohérentes quant au point de départ du covoiturage de sorte que le détour imposé au conducteur pour récupérer le passager n’est pas aberrant.

Les explications données par la société Citygo, copies d’écran de parcours à l’appui, révèlent en outre que le trajet imposé par la plupart des demandes que l’algorithme a rapprochées des deux offres du conducteur, définies par la société Heetch, permet un covoiturage sur la totalité du trajet souhaité par le passager sans que le trajet du conducteur ne soit affecté par un temps de parcours allongé dans des proportions telles que le covoiturage devienne sans intérêt pour le conducteur se rendant à son propre point d’arrivée. Au moins un parcours proposé au conducteur en covoiturage respecte ainsi sa destination sans nuire à son propre intérêt par un détour excessif.

Il se déduit de ces analyses que les deux cartes de trajets d’une offre et de demandes de covoiturage produites par la société Heetch ne permettent pas de caractériser l’absence alléguée d’adéquation entre les trajets proposés par le conducteur et ceux de passagers qui lui sont attribués par l’application.

Les rapports issus d’enquêtes « client mystère », faisant état d’une utilisation majoritaire de l’application citygo par les conducteurs rencontrés, ne rendent pas compte de l’usage de l’application dans sa globalité dans la mesure où, comme il a été précédemment constaté, la quasi-totalité des trajets relatés portent sur des destinations qui font l’objet d’une activité clandestine intense de transport public de passagers. En outre il ressort des explications des conducteurs cités qu’ils ne se servent pas seulement de l’application citygo pour entrer en relation avec des passagers, contournant ainsi la limite de quatre trajets de covoiturage par jour et celle du nombre de propositions actives de trajets par jour fixées par la société Citygo, et qu’ils cherchent par ce type d’applications à recruter des clients incités à les contacter par la suite directement, en dehors de toute plateforme de mise en relation, pour leurs futurs trajets. De tels comportements échappent au contrôle de tout opérateur de mise en relation.

Les commentaires laissés par les utilisateurs de l’application citygo et sélectionnés par la société Heetch ne rendent pas davantage compte de son usage dans sa globalité et la compréhension que certains utilisateurs ont de l’application, perceptible par l’emploi de mots tels que « client » et « chauffeur », ne saurait valoir de preuve d’une activité de VTC et non de covoiturage exploitée par la société Citygo et ce, d’autant moins qu’à de multiples reprises, des messages de réponse à ces commentaires expliquent que les passagers ne sont pas des clients, que les conducteurs ne sont pas des chauffeurs et que le service rendu relève du covoiturage et non d’un transport de personnes rémunéré.

Ainsi les pièces produites par la société Heetch n’établissent pas que le fonctionnement de l’application citygo autorise les conducteurs à réaliser des trajets qu’ils n’effectuent pas pour leur propre compte.

N’étant pas démontré que la société Citygo ne respecte pas la réglementation relative au covoiturage en termes de partage de frais et de trajet pour le compte du conducteur, l’action en concurrence déloyale exercée sur ce fondement par la société Heetch ne peut prospérer.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a débouté la société Heetch de toutes ses demandes.

Sur les demandes de la société Citygo fondées sur le caractère abusif de l’appel

La société Citygo soutient que la société Heetch a exercé de manière abusive son droit d’appel de sorte qu’elle doit être condamnée au paiement d’une amende civile et de dommages et intérêts sur le fondement de l’article 32-1 du code de procédure civile.

La société Heetch réplique que la société Citygo ne démontre par le caractère dilatoire ou abusif de son comportement.

Sur ce,

Une partie n’a pas qualité pour demander le prononcé d’une amende civile à l’encontre de l’autre partie sur le fondement de l’article 32-1du code de procédure civile de sorte que la demande de la société Citygo est irrecevable.

La méprise de la société Heetch sur l’étendue de ses droits et les chances de succès de son appel ne suffit pas, à défaut d’autres éléments non démontrés en l’espèce et alors qu’elle a apporté en appel d’autres éléments de preuve que ceux soumis à l’appréciation du tribunal, à qualifier d’abusif son appel. La société Citygo sera donc déboutée de sa demande indemnitaire.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La société Heetch succombant en son appel, le jugement sera confirmé des chefs des dépens et des frais irrépétibles et la société Heetch condamnée aux dépens d’appel. Elle ne peut de ce fait prétendre à une indemnité procédurale et sera condamnée à payer à la société Citygo la somme de 25.000 euros au titre des frais irrépétibles qu’elle a exposés en cause d’appel, en ce compris le coût des constats que la société Citygo a fait réaliser pour les besoins de l’instance.


DECISION

La Cour statuant contradictoirement,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Déclare irrecevable la demande de la société Citygo tendant au prononcé d’une amende civile à l’encontre de la société Heetch ;

Déboute la société Citygo de sa demande indemnitaire fondée sur le caractère abusif de l’appel de la société Heetch ;

Condamne la société Heetch à payer à la société Citygo la somme de 25.000 euros au titre des frais irrépétibles, incluant des constats qu’elle a exposés en cause d’appel ;

Condamne la société Heetch aux dépens d’appel et accorde aux avocats de la cause qui peuvent y prétendre le droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

 

La Cour : Florence Dubois-Stevant (présidente), Gwenael Cougard (conseillère), Nathalie Gautron-Audic (conseillère), Hugo Bellancourt (greffier)

Avocats : Me Asma Mze, Me Stéphanie Resche, Me Mélina Pedroletti, Me Arthur Millerand, Me Michel Leclerc

Source : Legalis.net

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