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Commentaire de la décision rendue par la « United States Southern District Court of New-York », le 25 octobre 1995
Dans cette affaire, la justice américaine rappelle que la liberté de circulation des informations qui caractérise le réseau Internet, ne doit pas s’exercer au détriment du droit d’auteur. L’originalité de cette affaire découle de ce que le règlement du litige a finalement pris la forme d’un accord, dont l’objet principal était la concession d’une licence d’exploitation d’œuvres protégées par le système du copyright.
Il s’agissait en l’espèce de compositions musicales (plus de 500) qui avaient été numérisées, puis installées sur une page Web de Compuserve, qui est un fournisseur d’accès à l’Internet, dans le cadre de l’un de ses « forums » dédié à la musique. Les œuvres objets du litige figuraient dans la section « librairie » du « MIDI / Music Forum », et pouvaient être téléchargées à loisir par les membres de Compuserve. Ceci sans qu’aucune autorisation n’ait été accordée, ni même demandée aux titulaires des droits, alors que ces morceaux étaient bien entendu protégés par le système du copyright.
La réaction à cette flagrante contrefaçon (reproduction et diffusion) ne s’est pas faite attendre. En effet, le 29 octobre 1993 un recours collectif (intégralité du recours du 29/10/93) est introduit contre Compuserve devant la « Southern District Court of New-York », par la maison de disques Frank Music Corporation (Frank) qui représentait dans cette action 140 autres éditeurs d’œuvres musicales, tous ayants-droit des différentes compositions diffusées illégalement. Tous les plaignants étant des membres de la Harry Fox Agency, Inc (HFA), qui est l’une des plus importantes associations américaines d’éditeurs de musique chargée de la collecte des droits de diffusion portant sur les œuvres de ses membres, celle-ci leur apportait son soutien financier dans cette action.
Dans le cadre de ce recours et sur le constat de 690 actes de contrefaçon, Frank demandait à la Cour de condamner Compuserve : à payer la somme de 100, 000$ pour chacune des infractions, à prévenir toute nouvelle contrefaçon de la part de ses abonnés, ainsi qu’aux dépens.
La Cour a bien entendu reconnu la responsabilité de Compuserve pour le contenu de ce forum, quand bien même elle n’en était pas l’auteur. Se justifiant en cela par le fait que Compuserve avait facilité et participé à cette distribution illégale d’œuvres protégées (il est a noté qu’aucune bonne foi n’aurait pu raisonnablement en l’espèce être invoquée).
Cette page et les forums auxquels elle donne accès font parties des services en ligne que Compuserve propose à ses abonnés. Ces forums, qui sont des zones d’information et de rencontre sur les sujets les plus variés, sont gérés par les adhérents eux-mêmes.
L’accord signé le 25 octobre 1995 (intégralité de l’accord du 25/10/1995) par Compuserve d’une part, et Frank et HFA d’autre part, a été entériné par la Cour après que l’ensemble des plaignants aient été informés de son contenu, mettant ainsi fin à un querelle vieille de deux ans. Cette solution inattendue, prévoyait dans un premier temps la réparation des plaignants et la condamnation de Compuserve pour les actes de contrefaçon, en stipulant le paiement par cette dernière d’une somme de 568, 000$ à HFA (500$ au titre de chacune des 947 compositions exploitées illégalement / 94, 500$ au titre des dépends). Elle définissait ensuite un contrat de licence, mettant en place un système de « licence automatique » portant sur la totalité des œuvres contrôlées par les plaignants (y compris celles qui n’ont pas été contrefaites), et permettant aux abonnés de Compuserve de les exploiter à l’avenir en toute légalité.
Cette appellation de « licence automatique » désigne en fait un système électronique de concession de licence . C’est un système dans lequel chaque responsable de forum qui s’est préalablement fait attribué un numéro (personnel et confidentiel), attestant de son identité et de celle de son forum, peut par l’intermédiaire de son ordinateur choisir parmi une liste d’œuvres, et se faire délivrer des licences d’exploitation de celles-ci par HFA. Enfin, cela lui permet de payer chaque fin de trimestre les droits y afférant, sur la base du tarif forfaitaire habituellement pratiqué par HFA en accord avec le « Copyright Act of United States » (soit 6,6 cents si la durée de l’enregistrement est inférieure ou égale à 5 minutes, et 1,25 cents par minute si la durée excède 5 minutes), en fonction de factures mensuelles précisant le nombre de téléchargement pour chaque licence. Les licences sont bien entendu révoquées, si le paiement n’est pas effectué dans les 30 jours suivant mise en demeure. Ce système prévoit également une procédure efficace de vérification de la régularité des paiements, dont Compuserve est responsable. La responsabilité de Compuserve peut également être engagée, si elle fait la promotion de quelque manière que ce soit d’un acte de contrefaçon de l’un de ses abonnés, ou si un forum exploite une œuvre dont la licence a été révoquée.
On peut donc constater que la solution trouvée à ce litige est à la fois classiquement répressive et pragmatique, dans le sens où elle tente de prévenir de futurs conflits par l’organisation des relations à venir, entre titulaires de droits sur des œuvres artistiques ou littéraires et internautes.
Cette jurisprudence américaine du fait de son caractère généraliste, a vocation à s’appliquer à nombre de situations dans lesquelles des faits semblables sont reprochés, et peut être considérée à ce titre comme une décision de référence. D’autant que l’accord qui en découle a déjà une grande portée en invitant tous les membres de HFA, y compris ceux qui n’étaient pas parties à cette action (sachant que cette association regroupe 16,000 éditeurs d’œuvres musicales), à y adhérer.