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Le droit sui generis sur la base de données de l’annuaire de France Télécom confirmé en cassation
Dans un arrêt du 23 mars 2010, la Cour de cassation a confirmé que France Télécom est bien titulaire du droit sui generis du producteur sur sa base de données constituée à partir des informations de son annuaire. La Cour précise que France Télécom ne s’est pas contenté de reprendre l’annuaire composé de informations communiquées par ses abonnés mais a constitué un ensemble spécifique pour lequel des moyens particuliers ont été alloués. Selon la Cour de cassation, « la cour d’appel n’a ainsi pas reconnu à la société France Télécom un droit sui generis sur l’annuaire, mais sur la base de données constituée à partir des informations résultant de l’annuaire et enrichies par elle ». La société Lectiel qui a procédé au téléchargement de cette base depuis 1987 et qui a commercialisé ses données sans payer le tarif de mise à disposition et les droits de propriété intellectuelle a commis une faute à l’égard de France Télécom et doit l’indemniser. La Cour confirme ainsi l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 30 septembre 2008 qui avait prononcé une condamnation de 3 870 000 euros en réparation du préjudice subi par l’opérateur pendant 18 ans. La cour suprême a cependant annulé la partie du jugement d’appel qui avait rejeté la demande de dommages-intérêts de la société Lectiel résultant de l’abus de position dominante de France Télécom sur le marché de la fourniture de fichiers.
Cela fait presque vingt ans que cette affaire complexe a émergé. En 1991, la société Filetech, devenue Lectiel, spécialisée dans le marketing direct, avait refusé d’acheter ses adresses au service de commercialisation de l’annuaire de France Télécom Marketis, jugeant les prix excessifs. Pour obtenir ce fichier qui avait la particularité d’exhaustif et mis à jour de façon permanente, Lectiel avait téléchargé l’annuaire électronique via le minitel. Puis, elle avait revendu les fichiers issus des données de l’annuaire, sans avoir pu expurgé les adresses inscrites sur la liste orange (liste permettant aux abonnés de France Télécom de s’opposer à la commercialisation de leurs données). A la suite du refus de l’opérateur de lui communiquer cette liste, Filetech avait saisi le Conseil de la concurrence en 1992.
Le 29 septembre 1998, l’autorité administrative indépendante a infligé une amende de 10 millions de francs à France Télécom jugeant caractérisés les agissements anticoncurrentiels de l’opérateur. Cette décision a été confirmée par la cour d’appel de Paris le 29 juin 1999. En octobre, France Télécom a proposé à Lectiel la mise à disposition d’une liste expurgée avec des conditions tarifaires prenant en compte ses droits de propriété intellectuelle. Mais cette offre a été refusée. L’affaire s’est poursuivie en cassation et la Cour, dans son arrêt de rejet du pourvoi du 4 décembre 2001, a rappelé que la liste des abonnés de France Télécom expurgée constitue une ressource essentielle pour les opérateurs intervenant sur le marché des fichiers de prospection. La Cour a estimé que « si le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle sur une base de données peut légitimement prétendre à une rémunération, il ne peut, lorsque cette base de données constitue une ressource essentielle pour des opérateurs exerçant une activité concurrentielle, subordonner l’accès à cette base de données au paiement d’un prix excessif ».
Parallèlement à son action devant le Conseil de la concurrence, Lectiel avait demandé au tribunal de commerce de Paris qu’il ordonne à France Télécom de mettre à disposition sa liste orange et de prévoir un tarif raisonnable. Le 5 janvier 1994, le tribunal de commerce a débouté Lectiel de ses demandes qui a fait appel. Dans un arrêt du 30 septembre 2008, la cour d’appel a estimé que l’opérateur était fondé à restreindre ou à interdire l’utilisation de sa base de données et à en obtenir une rémunération, du moment qu’il respectait les principes de tarification prévus par son précédent arrêt du 29 juin 1999. Selon l’arrêt de 2008, on ne pouvait cependant pas reprocher à France Télécom de ne pas avoir respecté les principes énoncés par l’arrêt de 1999 dans la mesure où l’opérateur ne disposait pas de tous les éléments sur la nature et la hauteur de sa rémunération. Ce qui fut déterminé dans la décision de 2008 qui précise les éléments entrant dans le calcul du tarif, dont la perception des droits d’auteur et des droits du producteur. Cet arrêt vient partiellement d’être confirmé par la Cour de cassation le 23 mars 2010. Pour la demande de dommages-intérêts de Lectiel à l’encontre de France Télécom, l’affaire est renvoyée devant la cour d’appel de Paris autrement formée.