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mardi 29 avril 2008
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Usage de fausse citation dans l’affaire Lafesse / Dailymotion

 

L’article 6-1-2° de la LCEN a connu ces derniers mois une remarquable promotion qui a fait de lui le sujet le plus prisé des palais de justice et des cabinets d’avocats. Sans oublier l’intérêt des parlementaires et des lobbyistes. Une trop rapide ascension à la notoriété ne va jamais sans risques, ne serait-ce que celui d’altération : s’il est souvent cité, le fameux article 6 ne l’est pas toujours dans les mêmes termes, soit du fait d’une humaine défaillance de la mémoire, soit par désir plus ou moins conscient de produire une version favorable aux intérêts en jeu.
Il est évidemment de l’intérêt des plateformes d’échange de bénéficier du statut protecteur d’hébergeur, qui les exonère pour partie de leurs responsabilités. Les tribunaux ne sont pas toujours hostiles à cette analyse, sans renoncer pour autant tout à fait à la qualification d’éditeur. Question de circonstances, de rôle précisément joué par chacun dans chaque espèce, ce qui est tout à fait conforme à la mission du juge. Un malaise peut toutefois s’installer sournoisement lorsque figure dans une décision récente une citation tronquée.

Ainsi avons-nous pu lire, dans le jugement du 15 avril 2008 Lafesse / Dailymotion que : « L’article 6-1-2° définit les hébergeurs comme étant des personnes qui « mettent à la disposition du public par les services de communication au public en ligne, le stockage de signaux d’écrits, d’images, de son ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services« .

Alors qu’il aurait convenu de mentionner la version officielle de la loi :
« Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services« .

Erreur matérielle figurant dans les conclusions de l’avocat et reprise accidentellement par le juge ? Approximation due à une insignifiante carence de mémoire ? La seule question qui vaille est : les deux phrases sont-elles vraiment synonymes ?
La différence la plus flagrante tient à la disparition de la préposition « pour » dans la phrase figurant dans le jugement « Les hébergeurs … mettent à la disposition du public », tandis que la LCEN formule « pour mise à disposition du public ». La première phrase constate, la seconde indique un but proche ou lointain. Si le sens est celui du 1er adjectif, les deux phrases sont à peu près synonymes, mais ce n’est plus vrai s’il faut considérer la mise à disposition comme un objectif différé. Supprimer un mot polysémique comme « pour » (le Larousse lui reconnaît huit sens) n’est jamais anodin, surtout s’il s’agit d’un texte de loi dont le destin est de supporter des assauts aussi rudes que contradictoires.
Reprenons l’analyse logique de nos phrases en faisant apparaître dans chacune d’elles les groupes fonctionnels.
L’une et l’autre ont le même sujet implicite, les hébergeurs, mais ce mot n’est pas explicitement utilisé par la LCEN qui se contente de « les personnes physiques ou morales qui … ».
L’une et l’autre ont le même complément d’objet direct « le stockage » suivi de divers déterminants. Mais s’agit-il bien du même vocable ? On peut en douter du fait de la forte différence sémantique des deux verbes. Le texte du jugement dit que : « les hébergeurs mettent à la disposition du public le stockage …« . Ce stockage est une opération déjà réalisée et son résultat est communiqué au public.
En revanche, le texte de la LCEN pose que « … les personnes … assurent…le stockage…« . Ce sont ces personnes qui réalisent elle-même ce stockage. La version modifiée ne permet pas de savoir qui est l’auteur de l’action de stocker : serait-ce un « stockeur » ? Voici dont intervenir un nouvel acteur dans ce drame compliqué.
Il suffit de se souvenir que le stockage est d’abord une action, celle de stocker, et très éventuellement, le résultat de cette action (qui serait d’ailleurs plutôt un stock). Il est vrai qu’on n’exige plus depuis longtemps des gens de justice qu’ils maîtrisent finement la rhétorique. Mais la stricte rigueur grammaticale, voilà un adjuvant précieux en situation de contentieux.