Jurisprudence : Marques
Centre d’arbitrage et de médiation de l’Ompi Décision de la commission administrative 22 avril 2008
Guinot SAS / Vladimir S.
marques
Les parties
Le requérant est Guinot SAS, Paris, France, représenté par SCP Carbonnier-Lamaze-Rasle & Associés, France.
Le défendeur est Vladimir S., Moscou, Fédération de Russie.
Nom de domaine et unité d’enregistrement
Le litige concerne le nom de domaine « guinot-beauty.com » (ci-après désigné le “Nom de Domaine”).
L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le Nom de Domaine est enregistré est OnlineNic, Inc. d/b/a China-Channel.com.
Rappel de la procédure
Une plainte a été déposée par Guinot SAS auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 13 février 2008.
En date du 14 février 2008, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, OnlineNic, Inc. d/b/a China-Channel.com, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. L’unité d’enregistrement a confirmé l’ensemble des données du litige en date du 20 février 2008.
Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’Ompi (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 25 février 2008, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 16 mars 2008. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 17 mars 2008, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.
En date du 9 avril 2008, le Centre nommait dans le présent litige comme expert-unique Jacques de Werra. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
Les faits
Le Requérant est une société française qui a été créée en 1963 et qui est spécialisée dans les produits cosmétiques pour femmes. Elle crée des produits de beauté et concède des franchises à des Instituts de beauté agréés qui commercialisent les produits sous la marque Guinot et donnent des soins en respect d’un cahier des charges défini par le Requérant.
Le Requérant est titulaire de différentes marques enregistrées en France et sur le plan européen (marques communautaires) comportant le terme “Guinot” dont, en particulier, la marque verbale française Guinot No. 01 3 114 857 déposée le 1er août 2001 et portant sur des produits et services en classes 3, 10 et 42, et la marque communautaire Guinot No. 5384185 déposée le 3 octobre 2006 portant sur des produits et services en classes 3, 5, 10 et 44 (ci-après désignées les “Marques”).
Le Requérant est en outre titulaire d’un nom de domaine « guinot.com » depuis le 21 octobre 1996.
Le Défendeur a enregistré le Nom de Domaine le 16 juillet 2007. Le Nom de Domaine est utilisé par le Défendeur pour faire la promotion et la vente des produits “Guinot” en dehors des canaux de distribution officiels agréés par le Requérant, ces produits étant identiques à ceux commercialisés par le Requérant et étant présentés sous le nom original français de ces produits, le site reproduisant en outre des éléments graphiques figurant sur le site officiel du Requérant (notamment une photographie du président directeur général du Requérant et le logo officiel du Requérant).
Argumentation des parties
Requérant
Le Requérant soutient en premier lieu que le Nom de Domaine reproduit à l’identique sa marque “Guinot” qui jouit d’une notoriété importante, auquel est ajouté le terme générique “beauty”, ce qui ne permet pas d’écarter le risque de confusion. Le Requérant relève également que le site accessible depuis le Nom de Domaine reproduit le logo caractéristique du Requérant ainsi que les pages du site internet officiel du Requérant, ce qui crée un risque de confusion important auprès des consommateurs.
Le Requérant indique ensuite que le Défendeur n’a aucun droit ni aucun intérêt légitime sur le Nom de Domaine, le Défendeur ne portant pas un nom correspondant au Nom de Domaine et n’étant pas titulaire d’un droit quelconque sur le terme “Guinot” que ce soit à titre de marque, dénomination sociale, nom commercial, enseigne ou droit d’auteur. De plus, le Défendeur n’a pas été autorisé par le Requérant à utiliser le nom “Guinot”, le Défendeur n’étant pas un distributeur ou un détaillant légitime des produits et services du Requérant. En utilisant le Nom de Domaine pour commercialiser illégalement des produits “Guinot” en créant l’impression de faire partie du réseau de distribution officielle du Requérant, le Défendeur a fait un usage commercial illégitime du Nom de Domaine.
Le Requérant soutient enfin que le Nom de Domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi par le Défendeur. En effet, le Requérant considère que le Nom de Domaine a été enregistré par le Défendeur alors que ce dernier ne pouvait ignorer qu’un tel enregistrement violait les Marques du Requérant, compte tenu de la notoriété des Marques et du Requérant. Le Requérant relève à cet égard que la mauvaise foi du Défendeur est d’autant plus flagrante que le contenu du site accessible depuis le Nom de Domaine crée la fausse impression que le site ferait partie du réseau de distribution officielle du Requérant en créant un risque de confusion au sein du public. Dans ces circonstances, le Requérant considère que le Nom de Domaine est utilisé de mauvaise foi par le Défendeur.
Défendeur
Le Défendeur n’a transmis aucune réponse.
Langue de la procédure
Le paragraphe 11(a) des Règles d’application prévoit que, sauf convention contraire, la langue de la procédure entre les parties est celle du contrat d’enregistrement. Toutefois, la Commission administrative peut décider qu’il en sera autrement, compte tenu des circonstances de la procédure administrative.
En l’espèce, l’unité d’enregistrement auprès de laquelle le Nom de Domaine a été enregistré a informé le Centre le 20 février 2008 que la langue du contrat d’enregistrement était l’anglais.
Le Requérant a toutefois déposé sa plainte en français et requis dans sa plainte que la langue de la procédure soit le français compte tenu du fait que le Requérant est une société française, qu’une grande partie du site consultable depuis le Nom de Domaine est rédigée en français – soit que les noms des produits offerts à la vente sur le site litigieux sont indiqués en français et pas en cyrillique (ce qui permet de constater que le clients français ou à tout le moins francophones sont ainsi visés) – et que le Défendeur a tenté de se faire passer pour un distributeur officiel du Requérant pour vendre, de façon illégale, les produits “Guinot” du Requérant, éléments qui doivent ainsi permettre de conduire la procédure en français.
Le choix fait par le Défendeur d’enregistrer le Nom de Domaine dont l’élément distinctif caractéristique correspond au nom et à la marque d’une société française et les nombreux termes français désignant des produits du Requérant qui figurent sur le site exploité par le Défendeur sous le Nom de Domaine permettent à la Commission administrative de considérer que le Défendeur doit se laisser imputer une maîtrise suffisante de la langue française. Voir SFMI – Micromania contre Domain Drop S.A., Litige Ompi No. D2008-0081, se référant à Société d’information et de créations SIC contre Pierre Guynot, Litige Ompi No. D2006-0944 (retenant que le fait que le site internet auquel le nom de domaine renvoyait ait été rédigé en français comme un élément permettant de retenir, en l’absence de contestation du défendeur, que la procédure peut être conduite en français).
Au demeurant, le Défendeur avait la possibilité de faire valoir dans le cadre de la procédure qu’il souhaitait que la langue de la procédure soit l’anglais (qui est la langue du contrat d’enregistrement relatif au Nom de Domaine), ce qu’il a choisi de ne pas faire. Voir Société des Hôtels Méridien v. ABC-Consulting, Litige Ompi No. D2004-0792.
Par conséquent, au vu des circonstances du cas d’espèce, la Commission décide que la langue de la procédure administrative est le français.
Discussion et conclusions
Conformément au paragraphe 4(a) des Principes directeurs, la Commission administrative doit déterminer si sont réunies les trois conditions posées par celui-ci, à savoir :
i) si le Nom de Domaine est identique à une marque de produit ou de service appartenant au Requérant ou suffisamment proche pour engendrer la confusion ; et
ii) si le Défendeur n’a pas un droit ou un intérêt légitime à l’utilisation du Nom de Domaine ; et
iii) si le Défendeur a enregistré et utilise le Nom de Domaine avec mauvaise foi.
Identité ou similitude prêtant à confusion
La Commission administrative constate que le Requérant est titulaire des Marques portant sur le terme “Guinot” qui jouit d’un grand caractère distinctif et d’une notoriété en matière de produits cosmétiques. La Commission administrative relève que le Nom de Domaine est composé du terme “Guinot” (qui correspond aux Marques) auquel est ajouté le terme descriptif “beauty”. Comme unanimement constaté par d’autres commissions administratives, l’adjonction d’un terme générique à une marque n’est pas susceptible d’écarter le risque de confusion, mais peut parfois au contraire augmenter un tel risque. Voir, par exemple, Dr. Ing. h.c. F. Porsche AG v. Vasiliy Terkin, Litige Ompi No. D2003-0888 (concernant le nom de domaine « porsche-autoparts.com »).
Tel est précisément le cas en l’occurrence, sachant que les activités commerciales du Requérant et les Marques ont trait au domaine des cosmétiques, pour lequel l’adjonction du terme “beauty” ne peut que créer un risque de confusion accru.
Dans ces circonstances, la Commission administrative considère que la première condition du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est remplie.
Droits ou légitimes intérêts
Si la charge de la preuve de l’absence de droits ou intérêts légitimes du défendeur incombe au requérant, les commissions administratives considèrent qu’il est difficile de prouver un fait négatif. Il est donc généralement admis que le requérant doit établir prima facie que le défendeur n’a pas de droit ni d’intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux. Il incombe ensuite au défendeur d’établir le contraire. S’il n’y parvient pas, les affirmations du requérant sont réputées exactes. Voir Denios Sarl contre Telemediatique France, Litige Ompi No. D2007-0698.
En l’espèce, la Commission administrative constate tout d’abord que le Défendeur n’a pas contesté les affirmations du Requérant ni fourni d’informations de nature à démontrer un quelconque droit ou intérêt légitime à l’utilisation du Nom de Domaine.
La Commission administrative relève ensuite que les Marques du Requérant sont distinctives de sorte que l’enregistrement par le Défendeur du Nom de Domaine qui comporte le terme “Guinot” comme élément distinctif unique ne peut être le fruit du hasard, la Commission administrative notant en outre que le Défendeur n’est pas affilié au Requérant et n’a pas été autorisé par ce dernier à utiliser les Marques du Requérant dans le Nom de Domaine.
La Commission administrative constate enfin que le Nom de Domaine est utilisé commercialement par le Défendeur pour la promotion et la vente des produits “Guinot” du Requérant en créant l’apparence d’une affiliation avec le Requérant et partant un risque de confusion, cette apparence découlant en particulier de la reprise du logo officiel utilisé par le Requérant pour distinguer ses produits et de la reprise de la même photographie du président directeur général du Requérant que celle qui figure sur le site officiel du Requérant. Dans ces circonstances, la Commission administrative ne peut pas admettre que l’offre des produits “Guinot” qui est faite sur le site lié au Nom de Domaine est faite de bonne foi au sens du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs. Voir Dr. Ing. h.c. F. Porsche AG v. Del Fabbro Laurent, Litige Ompi No. D2004-0481 (dans lequel il a été constaté que l’utilisation de la marque d’un tiers pour commercialiser des produits originaux sur un site internet ne peut être licite que – parmi d’autres conditions – si aucune confusion n’est créée concernant l’existence de relations entre l’exploitant du site et le titulaire de la marque ; voir aussi le ch. 2.3 de l’Index des décisions des commissions administratives de l’Ompi).
Dans cette mesure, force est de constater que le Défendeur n’utilise pas le Nom de Domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services pas plus qu’il ne fait un usage non commercial légitime ou loyal du Nom de Domaine.
La Commission administrative estime sur cette base que le Défendeur n’a pas de droit ni d’intérêt légitime sur le Nom de Domaine et que, partant, la seconde condition figurant au paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs est également remplie.
Enregistrement et usage de mauvaise foi
La Commission administrative constate qu’en raison du caractère distinctif du terme “Guinot” qui correspond aux Marques, le Défendeur qui n’avait aucune autre raison légitime de choisir ce terme comme élément d’un nom de domaine ne pouvait pas ignorer l’existence de celles-ci ni les produits “Guinot” du Requérant au moment de l’enregistrement du Nom de Domaine de sorte que la Commission administrative peut en conclure que le Nom de Domaine a été enregistré de mauvaise foi par le Défendeur.
De plus, l’utilisation du Nom de Domaine faite par le Défendeur confirme que ce dernier exploite indûment le nom et la réputation du Requérant ainsi que les Marques en utilisant le Nom de Domaine à des fins commerciales pour promouvoir et commercialiser les produits “Guinot” du Requérant en dehors des canaux de distribution officiels agréés par le Requérant en créant l’apparence trompeuse de faire partie du réseau de distribution officielle.
Or, il est clair qu’une telle utilisation d’un Nom de Domaine constitue une utilisation de mauvaise foi, le Défendeur ayant tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’internet sur un site Web ou autre espace en ligne lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du Requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation du site ou espace Web du Défendeur ou d’un produit ou service qui y est proposé au sens du paragraphe 4(b)(iv) des Principes directeurs, dès lors que le Défendeur a créé l’apparence erronée que le site qu’il exploite est lié au Requérant ou qu’il fait partie du système de distribution mis en place par le Requérant, ce qui n’est précisément pas le cas en l’espèce. Voir, p.ex., Houghton Mifflin Co. v. Weatherman, Inc., Litige Ompi No. D2001-0211.
La Commission administrative estime dès lors que le Défendeur a enregistré et utilise de mauvaise foi le Nom de Domaine et que la troisième condition figurant au paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs est ainsi remplie.
Décision
Au regard des éléments développés ci-dessus et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine « guinot-beauty.com » soit transféré au Requérant.
Expert Unique : Jacques de Werra
Avocat : SCP Carbonnier-Lamaze-Rasle & Associés
En complément
Maître SCP Carbonnier Lamaze Rasle & Associés est également intervenu(e) dans l'affaire suivante :
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.