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Jurisprudence : Marques

mardi 08 août 2006
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Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI Décision de l’expert 18 janvier 2006

DIPA / LANTEC CORPORATION

marques - nom de domaine

Les parties

Le Requérant est DIPA, Schiltigheim, France, représenté par SCP Schneider Katz, avocats, Strasbourg, France.

Le Défendeur est Lantec Corporation, Neuilly-sur-Seine, France.

Nom de domaine et prestataire Internet

Le litige concerne le nom de domaine « burda.fr » enregistré le 27 juillet 2005.

Le prestataire Internet est la société SafeNames LTD, Royaume-Uni.

Rappel de la procédure

Une plainte déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci après désigné le ”Centre”) a été reçue le 4 août 2005, par courrier électronique et le 16 août 2005, par courrier postal.

Le 5 août 2005, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.

Le 8 août 2005, l’Afnic a confirmé l’ensemble des données du litige.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci après le ”Règlement”) en vigueur depuis le 11 mai 2004, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic (ci après la ”Charte”).

Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la plainte, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 18 août 2005. Le Défendeur n’ayant présenté aucune réponse, le Centre a adressé le 7 septembre 2005 aux parties une notification de défaut du Défendeur.

Le 4 janvier 2006, le Centre nommait Nathalie Dreyfus comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.

Les faits

Le Requérant, la société DIPA, est éditrice en France notamment des magazines “Burda Tendances mode”, “Burda Couture”, “Burda l’essentiel de la couture”, “Burda patchwork” et “Burda cuisine créative”.

Le Requérant est une filiale à 98,71% de la société de droit allemand Verlag Aenne Burda GmbH & Co, dont le siège social se trouve à Offenbourg en Allemagne.

La société Verlag Aenne Burda GmbH & Co est spécialisée dans la publication de nombreux magazines de presse consacrés à la mode publiés dans la majorité des pays de l’Union Européenne et notamment en France par l’intermédiaire de sa filiale, la société DIPA.

Le 18 mai 2004, le Requérant a constaté que la société de droit anglais Safenames LTD avait enregistré le nom de domaine « burda.fr » via ses propres services, s’agissant également d’une unité d’enregistrement.

Le nom de domaine faisait l’objet d’un parking auprès de la société Sedo et pointait vers une page proposant des liens commerciaux dans le domaine de la mode.

Le 28 juin 2005, le Requérant a constaté que le nom de domaine en cause avait changé de titulaire, qui est à présent la société Lantec Corporation ayant enregistré le nom via la même unité d’enregistrement, précisément la société SafeNames LTD.

Le nom faisait et fait toujours l’objet d’un parking auprès de la société Sedo et propose également des liens commerciaux dans le domaine de la mode mais également des liens vers des sites pornographiques.

Argumentation des parties

Le Requérant

A l’appui de sa plainte, le Requérant a versé au dossier la copie des enregistrements suivants de la marque BURDA justifiant ainsi de ses droits sur les marques susvisées :

– L’enregistrement de la Marque française n° 3012001 “BURDA TENDANCES MODE”, pour les produits et services des classes 16, 28 et 41 ;

– L’enregistrement de la Marque française n° 3012636 “BURDA INTERNATIONAL Mode-Design-Style Personnalités”, pour les produits et services des classes 16, 28 et 41 ;

– L’enregistrement de la Marque française n° 3199419 “BURDA YOUNG GIRLS”, pour les produits et services des classes 16, 35 et 41 ;

– L’enregistrement de la Marque française n° 3199423 “BURDA YOUNG LISA”, pour les produits et services des classes 16, 35 et 41 ;

– L’enregistrement de la Marque française n° 3012635 “BURDA TENDANCES DECO”, pour les produits et services des classes 16, 28 et 41 ;

– L’enregistrement de la Marque française n° 99816091 “BURDA MAISON PASSION”, pour les produits et services des classes 16, 28 et 41 ;

– L’enregistrement de la Marque française n° 3192589 “BURDA LOISIRS CREATIFS”, pour les produits et services des classes 16, 35 et 41 ;

– L’enregistrement de la Marque française n° 3118954 “BURDA MAISON & JARDIN PASSION”, pour les produits et services des classes 16, 35 et 41 ;

– L’enregistrement de la Marque française n° 3063024 “JARDIN FACILE BURDA”, pour les produits et services des classes 16, 35 et 41.

Le Requérant fait également état des marques appartenant à la maison mère, Verlag Aenne Burda GmbH & Co :

– L’enregistrement de la Marque Internationale n°358587 “BURDA”, pour les produits de la classe 16 ;

– L’enregistrement de la Marque Internationale n° 436155 “BURDA”, pour les produits de la classe 16 ;

– L’enregistrement de la Marque Internationale n° 610382 “BURDA”, pour les produits et services des classes 3, 5, 16, 18, 25 et 41 ;

– la Marque Internationale n° 596641 “BURDA”, pour les produits et services des classes 3, 18, 25, 40, 41 et 42 .

Le Requérant indique en outre que la société Burda Systems GmbH, également filiale de la société Verlag Aenne Burda GmbH & Co est titulaire des noms de domaine « burda.com » et « burda.de ».

Il ajoute que les marques propriété de la société DIPA intégrant le terme distinctif “BURDA” bénéficient d’une très importante renommée tant nationale qu’internationale dans le domaine de la mode, de la couture et de l’habillement.

De nombreux magazines sont publiés sous des titres intégrant la marque “BURDA”, dans la majorité des pays de l’Union Européenne, et notamment en France avec des périodiques tels que “Burda Tendances mode”, “Burda Couture”, “Burda l’essentiel de la couture”, “Burda patchwork” et “Burda cuisine créative”.

Enfin, la marque BURDA est également associée à de très nombreuses manifestations dédiées aux arts créatifs et plus particulièrement à la mode, au textile et à la couture, dans toute l’Europe.

A l’appui de sa plainte, le Requérant fait valoir à l’encontre du Défendeur que :

– le nom de domaine « burda.fr » porte atteinte aux titres de magasines incluant la marque BURDA, en application de l’article L. 112-4 al.1 du Code de la Propriété Intellectuelle, qui porte protection des titres de magasines ;

– l’usage du nom de domaine pour l’exploitation à travers l’édition d’une campagne publicitaire sur Internet en rapport direct avec la mode, la couture et l’habillement, crée inévitablement et volontairement une confusion dans l’esprit du public et est constitutif de concurrence déloyale et de concurrence parasitaire, conformément à l’article 1382 du Code civil français ;

– le nom de domaine contesté « burda.fr » est identique ou similaire aux enregistrements de marques antérieures, propriétés du Requérant. Il constitue en conséquence une contrefaçon de la marque au sens des dispositions du Code de la Propriété Intellectuelle français ;

– Le Requérant ajoute que le Défendeur, détenteur du nom de domaine « burda.fr », n’a aucun droit sur ce nom de domaine, ni aucun intérêt légitime qui s’y attache ;

– Le Requérant indique également que le Défendeur ne justifie d’aucun droit, que ce soit par le biais de sa dénomination sociale, ses droits de propriété industrielle ou sur tout autre signe distinctif.

Défendeur

Le Défendeur n’a adressé aucune réponse au Centre et est en conséquence en défaut.

Discussion

Conformément à l’article 20(c) du Règlement, “l’expert fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers telle que définie à l’article 1 du présent règlement et au sein de la Charte et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le Requérant a justifié de ses droits sur l’élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte”.

L’article 1 du Règlement définit l’atteinte aux droits des tiers comme : “une atteinte aux droits des tiers protégés en France et en particulier à la propriété intellectuelle (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale et au droit au nom, au prénom ou au pseudonyme d’une personne”.

Considérant les arguments développés par le Requérant, l’Expert doit s’attacher en l’espèce à rechercher si les conditions posées dans ces dispositions sont remplies, à savoir si l’enregistrement et/ou l’utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur constitue bien en l’espèce une atteinte aux droits des tiers protégés en France, notamment :

(1) une violation des droits de propriété intellectuelle du Requérant;

(2) une atteinte aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale.

Atteinte aux droits du Requérant

Atteinte aux droits de propriété intellectuelle

Atteinte aux droits d’auteur

Aux vues des pièces fournies, l’Expert retient la protection des signes invoqués au titre du droit d’auteur conformément aux dispositions de l’article L. 112-4 al. 1 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) français qui disposent que le titre de l’œuvre est protégé tout comme l’œuvre elle-même, dès lors qu’il présente un caractère original.

Même si les titres “Burda Cuisine Creative”, “Burda Tendances Mode”, “Burda Couture”, “Burda l’essentiel de la Couture” et “Burda Patchwork”, par leur originalité, sont protégés aux titres des dispositions de l’article L. 112-4 al. 1, l’Expert considère qu’il n’y a pas eu d’atteinte au droit d’auteur.

Au regard de l’arrêt de la Première Chambre civile de la Cour de cassation du 19 février 2002, la contrefaçon d’un titre original est définie comme “la reprise des mots et formules qui le constituent pour en faire la locution distinctive sous laquelle une autre œuvre sera divulguée”.

L’Expert estime en l’occurrence que seul le terme BURDA a été repris au regard des titres sur lesquels le Requérant peut justifier d’un droit d’auteur.

Néanmoins, dans la mesure où aucun de ces titres n’est repris à l’identique ou quasi-identique, l’Expert ne peut retenir la contrefaçon de droit d’auteur et ce quand bien même l’élément original reposerait sur le terme BURDA.

Atteinte aux droits de marques du Requérant

A titre liminaire, l’Expert relève que le Requérant fonde sa plainte sur les dispositions de l’article L. 717-3 du CPI. Au regard de son argumentation sur la contrefaçon, il apparaît évident qu’il s’agit d’une faute de frappe et visait en réalité l’article L. 713 3 du CPI, ce qui n’est pas contesté par le Défendeur. L’Expert examinera donc la demande du Requérant sur le fondement de cet article.

L’article L. 713-3 du Code la Propriété Intellectuelle français sanctionne la reproduction ou l’imitation d’une marque antérieure ainsi que l’usage d’une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires.

En conséquence, l’Expert doit déterminer au vu des signes et des produits et services en présence si la reproduction ou l’imitation des marques du Requérant par le nom de domaine du Défendeur est caractérisée.

Comparaison des signes :

Au regard des éléments transmis, l’Expert retient que le nom de domaine contesté reproduit intégralement l’élément central commun aux différentes marques du Requérant. Le signe BURDA demeure l’élément distinctif et détachable dans la combinaison des termes formée par les différentes marques du Requérant, auxquelles ne sont adjoints que des termes descriptifs tels que notamment “cuisine créative”, “tendance mode” ou encore “couture”.

En outre, il est de jurisprudence constante que l’adjonction de l’extension “.fr” est inopérante pour écarter la similitude des signes en cause.

Dans la mesure où le Requérant n’a pas fourni de justificatif montrant une licence d’utilisation des marques BURDA dont est titulaire la société mère et qui est inscrite au registre des marques afin de rendre cette licence opposable aux tiers, l’Expert ne les prend pas en considération.

L’Expert relève par conséquent que le nom de domaine litigieux « burda.fr » est similaire aux nombreuses marques détenues par le Requérant.

Comparaison des produits et services :

Au vu des justificatifs transmis, l’Expert constate que les marques du Requérant sont exploitées dans le cadre de l’édition de périodiques consacrés à la mode, à la couture, à l’habillement, mais également pour des services liés à la publicité et à la location d’espaces publicitaires.

Il ressort également des pièces versées au dossier que le nom de domaine litigieux tel qu’utilisé par le réservataire antérieur et par le réservataire actuel, renvoyait et renvoie toujours vers une page de parking gérée par la société Sedo. Ce site liste des liens hypertextes menant à des sites offrant des produits et services identiques ou similaires, dans le domaine de la mode notamment, à ceux offerts par le Requérant sous ses différentes marques.

L’Expert considère, au vu de ces éléments, que le nom de domaine « burda.fr » a été enregistré et utilisé pour des produits et/ou services ayant un contenu identique ou à tout le moins similaire à ceux offerts par le Requérant.

Le fait de procéder à une telle exploitation du nom de domaine contesté crée volontairement et inévitablement un risque de confusion dans l’esprit du public et est en conséquence constitutif d’un acte contrefaçon en application de l’article L. 713-3 du Code de la Propriété Intellectuelle français.

Atteinte aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale

L’Expert retient que le nom de domaine contesté est utilisé par le Défendeur dans un but lucratif permettant le détournement des internautes, clients potentiels du Requérant, vers des sites listant des produits et services identiques ou à tout le moins similaires à ceux offerts par le Requérant sous la marque BURDA.

Cet usage illégitime du nom de domaine litigieux « burda.fr », dans le but de détourner la clientèle internaute du Requérant vers d’autres sites concurrents ou voisins moyennant le versement d’une rémunération, est une violation des droits du Requérant sur ses marques BURDA et constitue, outre des actes de contrefaçon de marque, un comportement déloyal et parasitaire au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil français.

L’Expert constate par ailleurs que le fait pour le Défendeur d’exploiter le nom de domaine litigieux à des fins publicitaires lui permettant de percevoir des rémunérations sur les annonces publiées constitue également des actes de concurrence déloyale et des agissements parasitaires dans la mesure où le Défendeur contribue à la promotion de concurrents du Requérant et en retire un bénéfice commercial certain.

La mise en place d’une page annuaire proposant des liens commerciaux pour divers produits et services en relation avec le ou les domaines d’activité du Requérant démontre la volonté du Défendeur de détourner sciemment les internautes, éventuels clients du Requérant, vers des concurrents directs et de tenter de tirer profit de l’importante renommée de la marque BURDA.

Ces faits mettent en exergue, par ailleurs, l’éventuelle volonté du Défendeur de tenter de contraindre le Requérant à monnayer substantiellement le rachat du nom de domaine en cause pour un prix dépassant largement les simples frais d’enregistrement.

L’Expert retient également que les faits attestant de liens vers des sites pornographiques sont de nature à porter atteinte à la réputation ainsi qu’à l’image des marques BURDA, mais également à l’image du Requérant titulaire de ces marques.

Au vu de ce qui précède, l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine litigieux « burda.fr » démontrent à l’évidence un comportement déloyal et fautif de la part du Défendeur, contraire aux bonnes pratiques commerciales, et conduit à la dilution de l’image et de la réputation de la marque BURDA, portant ainsi atteinte aux droits du Requérant sur ses marques.

Justification des droits du Requérant sur le nom de domaine litigieux

L’Expert estime que le Requérant a démontré que les marques intégrant le signe BURDA sont protégées et exploitées pour présenter les activités ainsi que les produits et services proposés par le Requérant.

Le Requérant est ainsi fondé à solliciter le transfert à son profit du nom de domaine litigieux, en conformité avec les dispositions de la Charte.

Décision

Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’Expert ordonne la transmission au profit du Requérant du nom de domaine « burda.fr ».

Expert : Nathalie Dreyfus
Avocat : SCP Schneider-Katz

 
 

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