Jurisprudence : Marques
Centre d’arbitrage et de médiation de l’Ompi Décision de l’expert 28 mars 2007
Cartimo / Fabrice L.
marques
Les parties
Le requérant est Cartimo, Cabourg, France, représenté par le Cabinet Gilbey de Haas (Selarl) France.
Le défendeur est Monsieur Fabrice L., Ehuns, France.
Nom de domaine et unité d’enregistrement
Le litige concerne le nom de domaine « cartimmo.com ».
L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est Online SAS.
Rappel de la procédure
Une plainte a été déposée par Cartimo auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 9 janvier 2007.
En date du 11 janvier 2007, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, Online Sas, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. L’unité d’enregistrement a confirmé l’ensemble des données du litige en date du 31 janvier 2007.
En date du 5 février 2007, le Centre a adressé une notification d’irrégularité de la plainte au requérant portant sur le nom de l’unité d’enregistrement. Cette irrégularité a été rectifiée dès le 6 février 2007 par l’envoi d’une nouvelle page 6 dûment notifiée au défendeur.
En date du 7 février 2007, le Centre a reçu du défendeur une communication par e-mail, contenant des développements sur l’étendue de la protection de la marque invoquée par le requérant. En date du 8 février 2007, le Centre a accusé réception de cette communication et a informé le défendeur qu’une fois que la Plainte aura été notifiée au défendeur, il disposera d’un délai de 20 jours pour soumettre sa réponse.
Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’Ompi (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 12 février 2007, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 4 mars 2007. Le défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 5 mars 2007, le Centre notifiait le défaut du défendeur.
En date du 14 mars 2007, le Centre nommait dans le présent litige comme expert-unique Jean-Claude Combaldieu. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
Par ailleurs il convient d’observer que le requérant a adressé au Centre le 13 mars 2007 des observations en réponse aux appréciations portées le 7 février 2007 par le défendeur sur la pertinence de la plainte. Dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, l’expert décide de ne pas prendre en considération les observations additionnelles du requérant car étant postérieures à la clôture de la procédure administrative, elles ne laissent pas la possibilité au défendeur d’y répondre ce qui n’est pas équitable (paragraphe 10 b des Règles d’application).
Les faits
Créée en 1997, la Sarl Cartimo est une agence immobilière “low cost” et intervient en qualité d’intermédiaire dans des transactions immobilières.
Elle est titulaire de la marque française enregistrée “Cartimo l’immobilier à la carte” (marque verbale) n°05 3 391 912 déposée le 7 novembre 2005 désignant notamment les services suivants:
En classe 35 : “publicité ; gestion des affaires commerciales ; administration commerciale ; travaux de bureau ; diffusion de matériel publicitaire (tract, prospectus, imprimés, échantillons) services d’abonnement à des journaux (pour des tiers) ; conseils en organisation et direction des affaires ; gestion de fichiers informatiques ; organisation d’expositions à buts commerciaux ou de publicité ; publicité en ligne sur un réseau informatique ; location de temps publicitaires sur tout moyen de communication ; publication de textes publicitaires ; locations d’espaces publicitaires ; diffusion d’annonces publicitaires ; relation publiques”
En classe 36 : “assurances ; affaires financières ; affaires immobilières ; banque directe ; estimations immobilière ; gérance de biens immobiliers ; services de financement ; constitution ou investissements de capitaux ; estimations financières (assurances, banques, immobiliers)”.
Cartimo est également la dénomination sociale, le nom commercial et l’enseigne de cette société.
Enfin, elle a procédé le 19 juin 2000 à l’enregistrement du nom de domaine « Cartimo.com » qu’elle exploite.
De son côté le défendeur, Monsieur Fabrice L., a enregistré le 22 février 2006 le nom de domaine « cartimmo.com » qu’il exploite également et qu’il déclare avoir renouvelé au début du mois de février 2007.
Argumentation des parties
Requérant
Dans sa plainte du 9 janvier 2007 le requérant articule ses moyens de fait et de droit autour des trois grands principes édictés au paragraphe 4(a) des Principes directeurs c’est-à-dire l’identité ou la similitude du nom de domaine litigieux avec une marque du requérant, l’absence de droits ou d’intérêt légitime de défendeur, un enregistrement et une utilisation de mauvaise foi.
* Identité ou similitude au point de prêter à confusion entre le nom de domaine et une marque sur laquelle le requérant a des droits
Le requérant expose qu’il est titulaire de la marque visée ci-dessus sous le chapitre “Les faits”. Il expose également que Cartimo est aussi sa dénomination sociale, son nom commercial et son enseigne. De plus il mentionne qu’il a enregistré le 19 juin 2000 le nom de domaine « Cartimo.com » et qu’il l’exploite. Sur ce site il propose une gamme de services importante et à prix réduits notamment des annonces immobilières et la possibilité de visites virtuelles en deux ou trois dimensions.
Le requérant indique qu’il a aussi concédé une licence de sa marque à “l’immobilière Gilbert” à Lyon qui exploite le site “www.Cartimo-lyon.com”.
Il expose ensuite qu’il résulte des similitudes d’ensemble entre les dénominations, conjuguées à l’identité des services en cause, un risque de confusion évident entre la marque antérieure de la requérante et le nom de domaine litigieux « cartimmo.com » dans l’esprit du consommateur.
Selon le requérant, le terme “Cartimo” constitue l’élément distinctif essentiel de la marque antérieure. Les éléments verbaux “l’immobilier à la carte” ne sont qu’une explication complémentaire, descriptive des services désignés.
Or, les dénominations “Cartimo” et “Cartimmo” sont quasiment identiques. L’adjonction d’une lettre “M” est visuellement peu perceptible et phonétiquement inaudible. Le requérant cite plusieurs cas de jurisprudence du Centre d’arbitrage OMPI qui considèrent que l’identité phonétique est un critère essentiel dans l’appréciation du risque de confusion.
La preuve de la confusion est d’ailleurs attestée par plusieurs courriers joints en annexe à la plainte qui montrent que certains clients et fournisseurs de Cartimo orthographient le nom de la société avec deux “M”.
Le requérant cite des décisions rendues par les Commissions administratives, selon lesquelles les noms de domaine qui contiennent des erreurs de frappes évidentes ou des variantes proches de la marque du titulaire sont identiques ou montrent une similitude prêtant à confusion (Opodo Limited c. Monsieur Paco Elmudo, Litige Ompi n°. D2003-0572 ; Wachovia Corporation c. Peter Carrington, Litige Ompi n°. D2002 0775 ; Sierra HealthStyles LLC v. Modern Limited, Litige Ompi n°. D2006-0020).
* Le défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache
Le requérant expose que le nom de domaine litigieux ne correspond à aucun nom ou enseigne d’une société appartenant au défendeur.
De plus ce dernier ne dispose d’aucune marque Cartimmo et n’a aucune autorisation du requérant pour exploiter ce mot à titre de nom de domaine.
De plus le défendeur n’utilise pas le nom de domaine en relation avec une offre de bonne foi. En effet il n’utilise pas son site pour vendre seulement des produits de la marque et ne montre pas de relation entre le détenteur du nom de domaine et le propriétaire de la marque.
Tout au contraire le site “www.cartimmo.com” propose des annonces immobilières concurrentes et renvoie vers des sites Internet d’agences immobilières concurrentes du requérant. L’usage du nom de domaine litigieux ne peut donc pas être considéré comme un usage non commercial légitime ou un usage loyal sans intention de détourner à des fins lucratives les consommateurs.
En conséquence le défendeur ne dispose d’aucun droit ou intérêt légitime sur les noms “Cartimo” ou “Cartimmo”, néologismes parfaitement distinctifs et non nécessaires pour désigner les services en cause.
* Le nom de domaine a été enregistré et utilisé de mauvaise foi
Le requérant soumet que le défendeur non seulement se situe sur le même secteur économique que le requérant, à savoir des services immobiliers à bas prix, mais aussi renvoie comme sur des sites Internet concurrents. Ce comportement est déloyal et de mauvaise foi car il est hautement improbable que le choix du mot “cartimmo” soit le fruit d’un simple hasard.
De plus le requérant, après avoir fait établir un constat d’huissier le 26 juin 2006, a mis en demeure le titulaire du nom de domaine ainsi que son hébergeur par lettres recommandées avec accusé de réception en date du 24 juillet 2006 d’avoir à cesser l’utilisation de la dénomination “Cartimmo” et de procéder à la radiation du nom de domaine « cartimmo.com ». Il s’en est suivi un échange de courriers électroniques, produits en annexe à la plainte, dans lesquels l’hébergeur averti le défendeur du caractère contrefaisant du nom de domaine et dans l’un desquels le défendeur refuse le transfert gratuit du nom de domaine et demande au requérant une proposition commerciale.
Le requérant ajoute que le défendeur a enregistré à l’origine le nom de domaine litigieux sous un pseudonyme (Régis Blond) avec une fausse adresse.
Le requérant en déduit que l’ensemble de ces faits montre que le défendeur a cherché à détourner les internautes vers des concurrents.
Ainsi selon le requérant il est établi que le défendeur a enregistré et utilisé le nom de domaine litigieux de mauvaise foi.
En conclusion le requérant demande à la Commission administrative de rendre une décision ordonnant que le nom de domaine « cartimmo.com » lui soit transféré.
Défendeur
Le défendeur n’a pas soumis de réponse formelle. La seule communication que le Centre a reçu du défendeur est son e-mail en date du 7 février 2007. Le défendeur allègue que ce n’est que “l’expression qui est protégée” (Cartimo l’immobilier à la carte) “et non pas les mots composant l’expression” et qu’il pouvait donc librement utiliser le nom de domaine tant qu’il ne l’associait pas à l’expression “immobilier à la carte”.
L’Expert considère que cette communication ne remplit pas les critères de forme imposés par le paragraphe 5 des Règles d’application et décide de ne pas retenir cette communication comme Réponse. En tout état de cause, l’Expert estime que même si la réponse avait été formellement correcte, les allégations du défendeur, ne contenant par ailleurs aucune preuve à l’appui, ne sont pas pertinentes (voir notamment discussion sous Section 6. A. ci-dessous).
Discussion
Le paragraphe 15(a) de Règles indique à la Commission administrative les principes de base à utiliser pour se déterminer à l’occasion d’une plainte : la Commission doit décider sur la base des exposés et documents soumis selon les Principes directeurs et Règles d’application ainsi que toutes les règles ou principes légaux qui lui semblent applicables.
Appliqué à ce cas, le paragraphe 4(a) des Principes directeurs indique que le requérant doit prouver chacun des points suivants :
(i) Le nom de domaine enregistré par le défendeur est identique ou semblable au point de prêter à confusion à la marque invoquée par le requérant ; et
(ii) Le défendeur n’a ni droit ni intérêt légitime sur le nom de domaine enregistré ; et
(iii) Le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.
Identité ou similitude prêtant à confusion
Les faits montrent que le requérant est titulaire de la marque “Cartimo l’immobilier à la carte” depuis le 7 novembre 2005 et que le défendeur a enregistré le nom de domaine « cartimmo.com » le 22 février 2006.
Il est par ailleurs très clair que l’élément distinctif de la marque du requérant est le mot “Cartimo” et que la marque n’a pu être enregistrée par l’Office des marques que grâce à la présence de ce mot distinctif qui est arbitraire notamment en regard des produits désignés.
C’est d’ailleurs le seul mot “Cartimo” qui est utilisé par le requérant pour son site “www.Cartimo.com”.
Nous partageons donc l’opinion du requérant selon laquelle il convient de comparer les mots “Cartimo” et “cartimmo”. Il apparaît que la similitude est évidente. L’ajout d’un “M” supplémentaire n’est pas de nature à écarter la confusion pour les internautes. Les documents fournis par le requérant en apportent la preuve. Tant visuellement que phonétiquement la ressemblance est flagrante.
En conclusion la première condition de similitude prêtant à confusion avec la marque du requérant est remplie.
Droits ou légitimes intérêts
Il est établi par le requérant que le défendeur n’a reçu aucun droit d’exploitation du mot “Cartimo” (ou “cartimmo”) comme nom de domaine ni d’ailleurs à un autre titre.
Le défendeur n’a pas non plus fait valoir un usage antérieur. Le requérant a montré que le défendeur n’avait pas sous son nom, un nom commercial ou une enseigne comportant le mot “Cartimo”.
Le défendeur n’a donc pas d’intérêts ni de droits légitimes. Bien plus il a utilisé le site litigieux dans le même domaine économique que le requérant en renvoyant de surcroît les internautes vers des sites Internet de concurrents. Selon les éléments fournis dans la plainte il apparaît qu’il n’y a pas eu d’usage loyal de ce nom de domaine mais plutôt l’intention de détourner les consommateurs à des fins lucratives.
La deuxième condition sur l’absence de droits ou intérêts légitimes nous parait donc remplie.
Enregistrement et usage de mauvaise foi
Comme nous venons de le voir le défendeur a utilisé le nom de domaine litigieux dans le même domaine économique que le requérant à savoir les services immobiliers à bas prix.
Compte tenu du caractère arbitraire du mot “Cartimo” il est effectivement improbable, comme le souligne le requérant, que l’utilisation du mot “cartimmo” dans le nom de domaine litigieux soit le fruit d’un pur hasard.
De plus à compter des lettres recommandées de mise en demeure du 26 juin 2006, le défendeur ne pouvait plus ignorer la situation. Ce qui d’ailleurs ne l’a pas empêché de renouveler le nom de domaine litigieux au début du mois de février 2007.
Nous observons aussi que dans un courrier électronique du défendeur, produit en annexe à la plainte, ce dernier tente de tirer profit de la situation en demandant au requérant de faire une proposition commerciale pour transférer le nom de domaine litigieux. Selon une jurisprudence courante cet élément est souvent considéré comme établissant la mauvaise foi.
Pour l’ensemble de ces raisons la troisième condition relative à la mauvaise foi nous parait remplie.
Décision
Vu les paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application,
La Commission administrative décide :
. Que le nom de domaine « cartimmo.com » enregistré par Monsieur Fabrice L. est identique ou du moins similaire au point de prêter à confusion avec la marque du requérant ;
. Que Monsieur Fabrice L. n’a aucun droit ni intérêt légitime à disposer du nom de domaine « cartimmo.com » ;
. Que le nom de domaine « cartimmo.com » a été enregistré et utilisé de mauvaise foi ;
.00
. En conséquence, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine
« cartimmo.com » soit transféré au requérant.
Expert Unique : Jean-Claude Combaldieu
Avocat : Cabinet Gilbey de Haas
En complément
Maître Cabinet Gilbey de Haas est également intervenu(e) dans l'affaire suivante :
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.