Jurisprudence : Marques
Centre d’arbitrage et de médiation de l’Ompi Décision de l’expert 8 février 2007
ArtNet Worlwide Corporation / Galerie Michel E.
marques
Les parties
Le Requérant est ArtNet Worldwide Corporation, New York, États Unis d’Amérique, représenté par la Selas Casalonga Avocats, Paris, France.
Le Défendeur est M. Michel Jean Luc E., Toulon, France, représenté par Me. Serge Pichard, Avocat, Toulon, France.
Nom de domaine et prestataire Internet
Le litige concerne le nom de domaine « artnet.fr » enregistré le 18 décembre 2000.
Le prestataire Internet est la société Oxianet Service Informatique.
Rappel de la procédure
Une demande déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 4 décembre 2006, par courrier électronique et le 7 décembre 2006, par courrier postal.
Le 7 décembre 2006, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.
Le même jour, l’Afnic a confirmé l’ensemble des données du litige.
Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 11 mai 2004, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic (ci-après la “Charte”).
Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 20 décembre 2006. Le 5 janvier 2007, le Centre recevait, par voie électronique, la réponse du Défendeur.
Le 12 janvier 2007, le Requérant a communiqué au Centre, par courrier électronique, des remarques complémentaires en réponse aux observations du Défendeur. Il est rappelé que conformément aux dispositions de l’article 17 du Règlement, la recevabilité de ces observations relève du pouvoir discrétionnaire de l’Expert qui a, en l’occurrence, décidé de prendre en considération ces éléments.
Le 19 janvier 2007, le Centre nommait Christiane Féral Schuhl comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.
Par ordonnance de la Commission Administrative en date du 30 janvier 2007, sur demande de l’Expert en application de l’article 17(c) du Règlement, il a été demandé au Défendeur “d’apporter sous cinq jours maximum à compter de la présente requête, toutes pièces ou documents permettant de justifier du nom commercial sous lequel M. Michel E. exerçait son activité au jour de la réservation du nom de domaine litigieux, soit le 18 décembre 2000”.
Le 5 février 2007 le Défendeur répondait à l’ordonnance de la Commission Administrative par la transmission d’un extrait Kbis en date du 1er février 2007.
Le 6 février 2007, le Requérant adressait en réponse des observations complémentaires. Bien que l’Expert ne soit pas tenu de prendre en compte ces éléments, celui-ci a considéré que les informations transmises par le Requérant, en relation directe avec l’objet de l’ordonnance de la Commission Administrative, présentaient un intérêt certain et a donc décidé de les prendre en considération.
Les faits
Le Requérant est la société ArtNet Worldwide Corporation, société organisée sous les lois de l’État de New York, États Unis d’Amérique. La société ArtNet Worldwide Corporation a pour activité la prestation de services dans le domaine de l’art, tels que la fourniture d’informations sur les artistes, les galeries, les ventes aux enchères ou les tendances du marché de l’art.
Le Requérant justifie être titulaire d’une marque française Artnet enregistrée auprès de l’Inpisous le n° 95 570 977, déposée le 10 mai 1995 et renouvelée le 25 octobre 2005 pour les services suivants en classes 35, 41 et 42 : “fourniture d’informations relatives à l’art, au commerce et à la vente aux enchères par des moyens électroniques, informatiques et assisté par des ordinateurs. Organisations de conférences et d’expositions relatives à l’art. Vente aux enchères.”
Le Requérant justifie être titulaire depuis le 21 mai 1995 du nom de domaine « artnet.com » qui renvoie vers le site Internet “www.artnet.com” au moyen duquel la société ArtNet Worldwide Corporation exerce son activité.
Le Défendeur est M. Michel E. immatriculé au registre du commerce et des sociétés de Toulon, pour les activités suivantes : “achat, vente dépôt d’objets anciens, brocante, antiquités, articles cadeaux, meubles, cadres et livres neufs, édition d’ouvrages d’art, organisation de ventes, salons, promotions d’artistes, expertise, conseil en placement artistique.”
Le Défendeur exploite notamment deux galeries d’art situées l’une à Toulon et l’autre à Lyon.
Au jour de la requête, le Défendeur exerce son activité sous l’enseigne Antiquités Art Conseil Galerie Michel E. et sous le nom commercial Antiquités Art Conseil Galerie Michel E. Artnet. Il ressort des pièces complémentaires produites par le Requérant en réponse à l’ordonnance du 30 janvier 2007, que suivant publication d’une annonce au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (ci-après le “Bodacc”) en date du 14 janvier 2001, le terme Artnet a été adjoint au nom commercial du Défendeur à cette date.
Le 18 décembre 2000, le Défendeur a réservé le nom de domaine litigieux « artnet.fr ». Ce nom de domaine renvoie vers le site “www.artnet.fr” effectivement exploité par le Défendeur.
Le 27 octobre 2005, le Requérant a adressé au Défendeur, par l’intermédiaire de son avocat, une lettre de mise en demeure pour lui demander de procéder au transfert à son profit du nom de domaine « artnet.fr ». Cette mise en demeure n’a pas été suivie d’effet.
C’est dans ces conditions que le Centre a été saisi du présent litige.
Argumentation des parties
Requérant
Le Requérant fait valoir en premier lieu que la réservation et l’usage du nom de domaine « artnet.fr » pour désigner un site Internet de présentation d’une galerie d’art, d’artistes et d’expositions constituent des actes de contrefaçon de sa marque française Artnet n° 95 570 977.
Le Requérant constate en effet :
– la reproduction à l’identique ou à tout le moins l’imitation illicite de sa marque par le nom de domaine litigieux;
– que les services proposés sur le site “www.artnet.fr” sont identiques ou à tout le moins très similaires à ceux visés par sa marque Artnet, dans la mesure où ce site présente deux galeries d’art, fournit des informations relatives à l’art et propose aux internautes d’accéder aux œuvres de plus de soixante artistes peintres, sculpteurs ou verriers;
– qu’il en résulte un risque de confusion pour le consommateur d’attention moyenne.
En second lieu, le Requérant considère que l’atteinte à ses droits de propriété intellectuelle est renforcée par le fait que le Défendeur ne pouvait ignorer l’existence de ces droits au moment de la réservation du nom de domaine litigieux, compte tenu du fait que les parties travaillent dans le même secteur d’activité.
Le Requérant soulève qu’en application de l’article 12 de la Charte, le Défendeur avait l’obligation de s’assurer que le terme Artnet qu’il a réservé à titre de nom de domaine ne portait pas atteinte aux droits de tiers.
Le Requérant estime que la mauvaise foi du Défendeur est caractérisée par le fait que celui-ci a procédé le 19 juin 2006 au dépôt de la marque française @rtnet enregistrée sous le n° 06 3 436 064 pour les classes 6, 16 et 20.
Enfin, le Requérant entend démontrer qu’il dispose de droits sur le terme Artnet. Il produit pour cela le certificat d’enregistrement de la marque française Artnet n° 95 570 977, déposée le 10 mai 1995 et renouvelée le 25 octobre 2005 pour les services suivants en classes 35, 41 et 42 : “fourniture d’informations relatives à l’art, au commerce et à la vente aux enchères par des moyens électroniques, informatiques et assisté par des ordinateurs. Organisations de conférences et d’expositions relatives à l’art. Vente aux enchères.”
En conséquence, le Requérant sollicite le transfert du nom de domaine « artnet.fr » à son profit.
Défendeur
Le Défendeur entend dans un premier temps démontrer que l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine « artnet.fr » ne constituent pas une atteinte aux droits des tiers.
Il fait valoir à cette fin que le Requérant n’est pas en mesure de justifier d’une exploitation établie de son activité commerciale sur le territoire français.
Le Défendeur soutient également que les produits et services fournis par les Parties ne sont ni identiques ni similaires. Alors que son activité consiste à vendre des tableaux, l’activité du Requérant consisterait à “[vendre] de l’information par la création et l’hébergement de sites Internet”.
Dans un second temps, le Défendeur considère qu’il bénéficie d’une antériorité dans la mesure où le site “www.artnet.fr” existerait depuis 1999.
Enfin le Défendeur estime que le Requérant ne pourrait bénéficier de la transmission du nom de domaine litigieux s’agissant d’une société qui n’est pas immatriculée en France.
Discussion
L’Expert constate que le Requérant invoque un enregistrement et une utilisation du nom de domaine « artnet.fr » par le Défendeur en violation de ses droits et sollicite en conséquence sa transmission à son profit.
L’Expert rappelle que, conformément à l’article 20(c) du Règlement, il “fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le Défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers telle que définie à l’article 1 du présent règlement et au sein de la Charte et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le Requérant a justifié de ses droits sur l’élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte”.
L’Expert rappelle également que l’article 1 du Règlement dispose que l’on entend par “atteinte aux droits des tiers, au titre de la Charte, une atteinte aux droits des tiers protégés en France et en particulier à la propriété intellectuelle (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale et au droit au nom, au prénom ou au pseudonyme d’une personne”.
En conséquence, l’Expert s’est attaché à vérifier, au vu des arguments et pièces soumis par les Parties, si l’enregistrement et/ou l’utilisation du nom de domaine litigieux porte atteinte aux droits de tiers et si le Requérant, sollicitant la transmission de ce nom de domaine à son profit, justifie de droits sur ce nom de domaine.
Enregistrement et/ou utilisation du nom de domaine en violation des droits des tiers
L’Expert constate que le nom de domaine litigieux « artnet.fr » a été enregistré par le Défendeur le 18 décembre 2000 et qu’il constitue la reproduction exacte de la marque française Artnet n° 95 570 977 dont le Requérant est titulaire depuis le 10 mai 1995.
Les pièces initialement transmises à l’Expert ne lui permettant pas de déterminer si, à la date de l’enregistrement du nom de domaine, le Défendeur disposait ou non de droits antérieurs sur le terme Artnet, en l’occurrence au titre de son nom commercial, celui-ci a formulé une demande de communication de pièces complémentaires.
C’est ainsi que par ordonnance de la Commission Administrative du 30 janvier 2007, il a été demandé au Défendeur “d’apporter (…) toutes pièces ou documents permettant de justifier du nom commercial sous lequel M. Michel E. exerçait son activité au jour de la réservation du nom de domaine litigieux, soit le 18 décembre 2000”.
En réponse à cette demande, le Défendeur a communiqué à l’Expert un extrait Kbis daté du 1er février 2007 et a indiqué que ce document ne faisant apparaître aucune modification depuis le 18 avril 1986, date de l’immatriculation au registre du commerce et des sociétés, il convenait d’en déduire que le Défendeur avait toujours, et a fortiori à la date d’enregistrement du nom de domaine, exercé son activité sous le nom commercial Antiquités Art Conseil Galerie Michel E. Artnet.
Cependant, dans sa réponse du 6 février 2007, le Requérant a communiqué à l’Expert deux publications du Bodacc, dont il ressort qu’une modification sur le nom commercial est survenue le 14 janvier 2001 et que cette modification a consisté en l’adjonction du terme Artnet au nom commercial antérieurement utilisé par le Défendeur, à savoir Antiquités Art Conseil Galerie Michel E.
Dès lors, l’Expert relève que le 18 décembre 2000, jour de la réservation du nom de domaine litigieux, le Défendeur ne disposait d’aucun droit particulier sur le terme Artnet alors même que ce terme était déposé à titre de marque française par le Requérant depuis le 10 mai 1995 et qu’il appartenait au Défendeur, en application de l’article 12 de la Charte, de s’assurer que le terme qu’il souhaitait utiliser à titre de nom de domaine ne portait pas atteinte aux droits des tiers.
L’Expert observe par ailleurs que le Défendeur utilise le nom de domaine « artnet.fr » pour fournir des services qui ne peuvent qu’être considérés comme similaires à ceux fournis par le Requérant sur son site “www.artnet.com”.
En effet, si le Défendeur estime que ses activités et celles du Requérant ne sont ni similaires ni identiques, il n’est pourtant pas contestable que les Parties interviennent bien dans le même secteur d’activité, à savoir le domaine de l’art, et que leurs sites Internet respectifs ont bien vocation à fournir le même type d’informations (c’est à dire des informations telles que des présentations d’artistes ou d’expositions), destinées au même public.
De même si le site du Requérant est accessible en langue anglaise, celui ci justifie d’une activité importante à destination de galeries d’art françaises.
Le Requérant justifie également que depuis plus de dix ans son site Internet “www.artnet.com” met à la disposition des internautes une base de données d’informations relatives à l’art très importante, de sorte qu’il est difficile de concevoir qu’un professionnel du secteur, comme l’est le Défendeur, puisse en ignorer l’existence.
Par ailleurs, l’Expert constate que la seule utilisation faite par le Défendeur du terme Artnet réside dans l’enregistrement du nom de domaine litigieux et, postérieurement, en l’adjonction du terme Artnet à son nom commercial. En effet, le terme Artnet ne figure nulle part dans le contenu du site Internet “www.artnet.fr” et le Défendeur ne justifie aucunement dans ses pièces d’une utilisation de ce terme pour désigner son activité ou se faire connaître auprès du public. Au demeurant, il sera rappelé que le nom commercial du Défendeur n’est pas Artnet mais Antiquités Art Conseil Galerie Michel E. Artnet. De surcroît, les éléments du dossier démontrent que le Défendeur se présente et communique uniquement sous les termes “Galeries Michel E.”. L’Expert a également constaté que l’adresse de contact figurant sur le site Internet du Défendeur est contact@E….com et que ce site Internet est non seulement accessible à l’adresse “www.artnet.fr” mais également à l’adresse “www.E….com”.
L’Expert considère en conséquence que l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine « artnet.fr » par le Défendeur portent atteinte aux droits du Requérant sur le terme Artnet, et en particulier à ses droits de marque.
Droits du Requérant sur le nom de domaine litigieux
Le Requérant ayant justifié être titulaire de la marque française Artnet, l’Expert considère que celui ci est fondé à solliciter la transmission à son profit du nom de domaine litigieux.
L’argument du Défendeur consistant à contester le droit pour une société non immatriculée en France d’enregistrer un nom de domaine en “.fr” ne saurait être retenu en l’état des dispositions de la Charte de nommage de l’Afnic. L’article 10.2 de la Charte reconnaît en effet aux titulaires de marques déposées auprès de l’Institut National de la Propriété Industrielle le droit d’enregistrer un nom de domaine en “.fr”.
De même l’argument du Défendeur tendant à reprocher au Requérant de n’avoir pas procédé à la réservation du nom de domaine « artnet.fr » lorsque celui ci était disponible ne saurait être accueilli. D’une part, la possibilité de réserver des noms de domaine en “.fr” n’est offerte aux titulaires de marques françaises que depuis novembre 2001. D’autre part, et tel qu’il a notamment été retenu dans Artcurial contre Kangaroo, Litige Ompi No. DFR2004 0004, l’absence d’enregistrement en “.fr” d’un signe ne peut être assimilée à une renonciation, même tacite, de son titulaire à ses droits.
Décision
Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’Expert ordonne la transmission au profit du Requérant du nom de domaine « artnet.fr ».
Expert : Christiane Féral Schuhl
Avocats : Selas Casalonga, Me Serge Pichard
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.