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Jurisprudence : Marques

vendredi 20 février 2009
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Centre d’arbitrage et de médiation de l’Ompi Décision de l’expert Le 20 janvier 2009

Lelutinrouge Sas / Roen P.

marques - nom de domaine

Les parties

Le Requérant est Lelutinrouge Sas, Le Plessis Robinson, France, représenté par le Cabinet Iteanu & Associés, Paris, France.

Le Défendeur est Monsieur Roen P., Lille, France.

Nom de domaine et prestataire internet

Le litige concerne le nom de domaine « lutinrouge.fr » enregistré le 4 janvier 2008.

Le prestataire internet est la société luxembourgeoise Eurodns S.A.

Rappel de la procédure

Une demande déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 26 novembre 2008, par courrier électronique et le 28 novembre 2008, par courrier postal.

Le 27 novembre 2008, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.

Le 28 novembre 2008, l’Afnic a confirmé l’ensemble des données du litige, ainsi qu’aucune procédure administrative applicable au nom de domaine objet du litige n’est pendante.

Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 22 juillet 2008, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic applicable (ci-après la “Charte”).

Le 1er décembre 2008, le Centre a transmis une notification d’irrégularité. Le Requérant a déposé la demande amendée le 1er décembre 2008.

Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 2 décembre 2008. Le Défendeur n’ayant adressé aucune réponse, le Centre a notifié le défaut du Défendeur en date du 23 décembre 2008.

Le 6 janvier 2009, le Centre nommait Martine Dehaut comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.

Les faits

Le Requérant est la société française Lelutinrouge Sas, anciennement dénommée Neowenn, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Nanterre sous le numéro 480 982 420, et dont le siège social se situe au Plessis Robinson.

Le Requérant a pour activité la vente au détail par internet aux particuliers, et aux collectivités et aux professionnels de l’enfance, de jeux et jouets, et ce depuis 2005.

Le site internet du Requérant est hébergé sous les noms de domaine suivants, dont le titulaire est Mr Anthony C., président de la société Lelutinrouge : « lelutinrouge.fr », « lelutinrouge.com », « lutinrouge.com » et « le-lutin-rouge.com ».

Le Requérant invoque la titularité de la marque française Neowenn, Lutin Rouge, Lutinrouge.com, Le-lutin-rouge.com, Gest-Neowenn, “www.lelutinrouge.com”, Lelutinrouge.com, numéro 06 3 423 098, déposée le 10 avril 2006.

Le Requérant verse au dossier un constat d’huissier auquel il a fait procéder préalablement au dépôt de la demande, le 25 juillet 2008, et d’où il ressort notamment que le nom de domaine litigieux héberge un moteur de recherche, sur lequel est mentionné en titre “bienvenue sur lutinrouge.fr”. La partie supérieure de la page d’accueil comprend les mentions suivantes : “recherches apparentées : jouets, peluches, jeux de piscine, enfants”. Le menu de gauche comprend les mêmes mentions, ainsi que d’autres liens tels que “figurine de dinosaure, déguisement enfants, playmobils”, etc.

Le Requérant verse également un extrait plus récent de la page d’accueil du moteur de recherche hébergé sous le nom de domaine « lutinrouge.fr », dans lequel le site web du Requérant “www.lelutinrouge.fr” figure comme premier lien commercial.

L’Expert ne dispose d’aucune information dans le dossier concernant le Défendeur et ses activités.

Argumentation des parties

Requérant

Le Requérant invoque à la fois une atteinte à ses droits de propriété intellectuelle – en l’occurrence le droit de marque dont il est titulaire -, et une atteinte aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commercial. Sur ce deuxième point, le Requérant fait valoir :

– qu’il exploite avec l’autorisation de son propriétaire, plusieurs noms de domaine pratiquement identiques au nom de domaine litigieux, et qu’il utilise la dénomination Le Lutin Rouge dans le cadre de ses activités de commerce électronique, depuis 2005 ;

– qu’en déposant et en exploitant le nom de domaine litigieux, le Défendeur détourne un trafic de clientèle qui cherchait à parvenir sur son site et perçoit une rémunération par le biais du système de pay-per-click ;

– qu’en permettant aux internautes d’accéder à son propre site par le biais de son moteur de recherche, le Défendeur perçoit des revenus qui sont indirectement versés par le Requérant, dans la mesure où ce dernier procède à l’achat de mots clés pour promouvoir son site internet.

Le Requérant demande dès lors la transmission du nom de domaine litigieux à son profit.

Défendeur

Le Défendeur n’a adressé aucune réponse au Centre.

Discussion

Conformément aux dispositions de l’article 20(c) du Règlement, “[l]’expert fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers ou aux règles de la concurrence telles que définies à l’article 1 du présent règlement et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le requérant a justifié de ses droits sur l’élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte applicable”.

En application de cette disposition, il appartient à l’expert, en premier lieu, de s’assurer de l’existence des droits du Requérant sur l’élément objet de l’atteinte, la mesure de réparation demandée étant le transfert du nom de domaine litigieux. En second lieu, l’expert doit déterminer si, au regard du droit français, l’enregistrement ou l’usage du nom de domaine « lutinrouge.fr » porte atteinte aux droits du Requérant.

Droits du Requérant sur l’élément objet de la demande

Le Requérant a justifié avoir des droits sur l’élément objet de la demande, à titre de marque française. Par ailleurs, même si cela n’est pas mentionné dans la demande, le Requérant dispose également depuis une date récente de droits sur l’élément Le Lutin Rouge à titre de dénomination sociale (depuis le 9 octobre 2008 la société Neowenn est devenue la société Lelutinrouge Sas).

Atteinte aux droits du Requérant

L’article 1 du Règlement définit les notions d’atteinte aux droits des tiers et d’atteinte aux règles de la concurrence comme suit :

“Atteinte aux droits des tiers : une atteinte aux droits des tiers, en particulier, lorsque le nom de domaine est identique ou susceptible d’être confondu avec un nom sur lequel est conféré un droit de propriété intellectuelle français ou communautaire (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), ou est identique au nom patronymique d’une personne, sauf si le défendeur fait valoir un droit ou un intérêt légitime sur le nom de domaine et agit de bonne foi.”

“Atteinte aux règles de la concurrence : une atteinte aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale en droit français ou communautaire.”

Sur l’atteinte au droit de marque du Requérant :

A titre liminaire, l’Expert relève que le titulaire actuel de la marque française n° 06 3 423 098, tel qu’inscrit au Registre National des Marques, est la société Neowenn (inscription RNM N° 444339). Neowenn correspond à l’ancienne dénomination sociale du Requérant, ainsi qu’il ressort des extraits K-Bis versés à la plainte, de sorte que ce dernier est bien fondé à invoquer le bénéfice de cet enregistrement dans le cadre de la présente procédure.

En droit français, l’existence d’une atteinte à un droit de marque est subordonnée à la reconnaissance d’un risque de confusion. Le risque de confusion s’apprécie au regard de la similitude des signes comparés, et de la similitude des produits et services couverts par les marques. A titre exceptionnel, une protection accrue est conférée à celles des marques jouissant d’une renommée (voir en ce sens les dispositions des articles L. 713-3 et L. 713-5 du Code de la Propriété Intellectuelle).

La marque antérieure du Requérant vise notamment les jeux et les jouets, et le Défendeur exploite essentiellement le nom de domaine litigieux pour désigner des sites de vente de jeux et de jouets. Par ailleurs, le caractère particulier et à vrai dire assez troublant de la marque antérieure, qui comprend pas moins de 7 expressions séparées par des virgules, n’empêche pas d’y extraire un élément récurrent et nettement dominant, à savoir l’expression Lutin Rouge (précédée ou nom de l’article défini Le). En effet 5 des 7 expressions composant la marque antérieure sont des déclinaisons de l’expression Lutin Rouge. A cet égard, il est incontestable qu’il existe une forte similitude entre cette marque et le nom de domaine « lutinrouge.fr », créant ainsi un risque de confusion.

Dans ces conditions, l’Expert estime que l’enregistrement et l’usage du nom de domaine « lutinrouge.fr » portent atteinte aux droits de propriété intellectuelle de la société Lelutinrouge.

Sur l’atteinte aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale :

Dans la mesure où l’Expert a déjà reconnu le bien-fondé de la plainte, il n’est pas nécessaire d’évaluer ce second moyen.

Il n’est pas inutile toutefois de préciser brièvement que le Défendeur Mr. Roen P. a clairement adopté un comportement déloyal en enregistrant un nom de domaine identique dans ses éléments distinctifs aux noms de domaine hébergeant le site du Requérant, et en l’exploitant dans le cadre d’un système de pay-per-click en offrant essentiellement aux internautes des liens vers des sites concurrents du Requérant.

Enfin, l’Expert relève que le Défendeur n’a pas fait valoir de droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine, et n’a pas non plus indiqué avoir agi de bonne foi.

Décision

Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’Expert ordonne la transmission au profit du Requérant du nom de domaine « lutinrouge.fr ».

Expert : Martine Dehaut

Avocat : Cabinet Iteanu et associés

 
 

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