Jurisprudence : Marques
Centre d’arbitrage et de médiation de l’Ompi Décision de l’expert Le 28 juillet 2009
Ledjo Energie / Alexandre S.
marques - nom de domaine
Les parties
Le Requérant est Ledjo Energie, Bourges, France.
Le Défendeur est Monsieur Alexandre S., La Chaze de Peyre, France, représenté par la Selarl Mizrahi Associés, France.
Nom de domaine et prestataire internet
Le litige concerne le nom de domaine « ledjo.fr ».
Le prestataire internet est la société Gandi.
Rappel de la procédure
Une demande déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 20 mai 2009, par courrier électronique, et le 28 mai 2009, par courrier postal.
Le 20 mai 2009, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.
Le 25 mai 2009, l’Afnic a confirmé l’ensemble des données du litige, ainsi qu’aucune procédure administrative applicable au nom de domaine objet du litige n’est pendante.
Le 27 mai 2009, le Centre a envoyé au Requérant une Notification d’irrégularité de la demande. Le même jour, le Requérant a fait parvenir au Centre une demande amendée.
Le Centre a vérifié que la demande réponde bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 22 juillet 2008, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic applicable (ci-après la “Charte”).
Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 3 juin 2009. Conformément à l’article 15 du Règlement, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 23 juin 2009.
Le 22 juin 2009, le Défendeur a demandé au Centre à ce que le délai pour soumettre sa réponse soit reporté au 30 juin 2009. Le Requérant ne s’est pas opposé à cette demande et le Centre a informé les parties que le nouveau délai pour faire parvenir une réponse était le 30 juin 2009. Le défendeur a fait parvenir sa réponse le 30 juin 2009.
Le 1er juillet 2009, le Requérant a fait parvenir au Centre un courrier électronique dans lequel il sollicitait que les parties puissent soumettre des documents additionnels. Le même jour, le Centre a informé les parties que le contenu du courrier électronique du Requérant serait transmis à l’Expert une fois celui-ci nommé et que toute détermination relative à l’admissibilité d’éventuels documents additionnels leur serait communiquée ultérieurement.
Le 7 juillet, le Centre nommait Alexandre Nappey comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.
Par une ordonnance de procédure rendue en date du 14 juillet 2009, l’Expert accordait aux parties la possibilité de soumettre des écritures supplémentaires, avec des termes fixés au 17 juillet 2009 s’agissant du Requérant, et au 21 juillet 2009, s’agissant du Défendeur. La date de la décision a été différée au 27 juillet 2009.
Les faits
Le Requérant est la société Ledjo Energie, société anonyme immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Bourges le 11 septembre 2007, exerçant des activités d’ingénierie et de réalisation d’études techniques dans le domaine des énergies renouvelables.
Le Requérant justifie être titulaire de la marque semi-figurative française Ledjo, déposée le 17 octobre 2008 sous le n° 08/3605387 et enregistrée pour des services de classes 35, 37, 40 et 42.
Le nom de domaine « ledjo.fr » a été enregistré par le Défendeur à une date indéterminée mais au plus tard le 12 décembre 2006.
Le nom de domaine n’est pas actif.
Ce dépôt est intervenu au soutien de l’activité d’une société Ledjo Scop Sarl, immatriculée au Registre du commerce et des sociétés de Bourges le 11 juillet 2006, exerçant des activités de conseil en environnement.
Le Défendeur exerçait au sein de cette société des fonctions de Président Directeur Général. Cette société a été placée en liquidation judiciaire le 28 novembre 2008.
Les parties ont entretenu des liens étroits à l’époque de la création de la société requérante, avant que ne survienne un contentieux entre les différents actionnaires.
C’est dans le cadre de ce conflit que le Centre a été saisi du présent litige.
Argumentation des parties
Requérant
Le Requérant établit ses droits sur la marque française Ledjo, déposée le 17 octobre 2008 et soutient que le nom de domaine litigieux est strictement identique à cette marque.
Si le Requérant reconnaît au Défendeur un usage du nom de domaine en relation avec une offre de bonne foi de services par le passé, il rappelle que celui-ci s’inscrivait dans le cadre des fonctions du Défendeur au sein de la société requérante, fonctions dont il a été révoqué au courant de l’année 2008, avant de quitter la société requérante le 19 décembre 2008.
Le Requérant soutient qu’il a ultérieurement fait l’objet de plusieurs tentatives d’intimidation de la part du Défendeur, soit directement, soit par l’intermédiaire de tiers, qui l’ont amené à engager deux autres procédures extra-judiciaires de type UDRP contre les noms de domaine « ledjo.com » (Ledjo Energie SA contre Dino V., Litige Ompi No. D2009-0552), « ledjo-energie.com », « ledjoenergie.com » et « ledjo-energy.com » (Ledjo Energie SA contre Marc R., Litige Ompi No. D2009-0557).
Il souligne encore que l’objectif du Défendeur, matérialisé par l’enregistrement du nom de domaine litigieux, est notamment de l’empêcher de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine.
Enfin, le Requérant estime que le nom de domaine contesté est susceptible d’être revendu par le Défendeur pour un montant excessif au regard de son coût d’acquisition.
Dans ses écritures supplémentaires soumises le 16 juillet 2009, le Requérant invoque les engagements pris par le Défendeur dans un pacte d’actionnaires de la société requérante en date du 6 juin 2008 et au terme duquel il s’est interdit d’être titulaire de droits utilisés par la société requérante.
Défendeur
Le Défendeur observe en préambule que le litige oppose un nom de domaine antérieur à une marque identique postérieure. Il ne conteste pas l’identité entre les signes.
En revanche, il explique que le nom de domaine « ledjo.fr » a été enregistré pour identifier son entreprise de conseil en environnement créée en 2006, alors que la marque invoquée par le Requérant a été déposée seulement en octobre 2008. Le nom de domaine a par conséquent été utilisé bien avant la création de la société requérante et le Défendeur soutient qu’il l’a utilisé en dehors des activités de sa société (Ledjo Scop Sarl) ou de la société requérante (Ledjo Energie).
Le Défendeur précise encore que s’il a quitté ses fonctions de PDG de la société requérante, c’est qu’il en a été évincé à l’issue de manœuvres contestables imputables au Requérant et susceptibles de faire l’objet d’une demande de réparation devant la justice.
Ainsi, selon le Défendeur, la plainte engagée par le Requérant, de même que les autres procédures UDRP entamées par ce dernier contre les noms de domaine détenus par des partenaires du Défendeur, a été engagée de manière abusive.
Par ailleurs, le Défendeur conteste les accusations de chantage et de revente du nom de domaine litigieux à des fins spéculatives proférées à son encontre par le Requérant, et qui ne sont, selon lui aucunement étayées.
Enfin, le Défendeur nie que le nom de domaine « ledjo.fr » puisse perturber les opérations commerciales du Requérant, comme le soutient ce dernier, dans la mesure où ce nom de domaine ne fait actuellement l’objet d’aucune exploitation.
Dans son mémoire supplémentaire du 21 juillet 2009, soumis en réponse aux écritures complémentaires du Requérant, le Défendeur précise que si l’usage du nom de domaine litigieux a été concédé à sa société et à la société requérante lorsqu’il en était PDG, il n’a jamais été question de procéder à un transfert de propriété au bénéfice de l’une d’elles. Il souligne d’ailleurs que le Requérant n’a jamais utilisé le nom de domaine litigieux à cette époque.
Le Défendeur soutient qu’en faisant état d’une éventuelle violation d’un pacte d’actionnaires source d’un contentieux entre anciens associés dont le Défendeur fait partie, le Requérant n’a pas d’autre objectif que de détourner la procédure de règlement des litiges instituée par le Centre.
Enfin, le Défendeur observe que les deux procédures UDRP introduites par le Requérant auprès du Centre, et concernant les noms de domaine enregistrés par les partenaires du Défendeurs, ont été rejetées par les commissions administratives (Ledjo Energie SA contre Dino V., Litige Ompi No. D2009-0552 et Ledjo Energie SA contre Marc R., Litige Ompi No. D2009-0557).
Il sollicite par conséquent le rejet de la plainte.
Discussion
L’Expert rappelle que, en application de l’article 1 du Règlement, “une atteinte aux droits des tiers est constituée en particulier, lorsque le nom de domaine est identique ou susceptible d’être confondu avec un nom sur lequel est conféré un droit de propriété intellectuelle français ou communautaire (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), ou est identique au nom patronymique d’une personne, sauf si le défendeur fait valoir un droit ou un intérêt légitime sur le nom de domaine et agit de bonne foi”.
En application du même article, une atteinte aux règles de la concurrence désigne notamment “une violation du comportement loyal en matière commerciale en droit français ou communautaire”.
L’Expert souligne que, en application de l’article 20(c) du Règlement, il fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par un défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers ou aux règles de la concurrence telles que définies à l’article 1 du Règlement et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le requérant a justifié de ses droits sur l’élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte applicable.
Dans le cas présent, et à titre liminaire, l’Expert constate que les circonstances du litige qui oppose les parties, les arguments exposés par elles dans les différentes écritures soumises au Centre et l’ensemble des documents produits au soutien de leurs arguments démontrent que le conflit dépasse largement le cadre de la procédure alternative de résolution des litiges de noms de domaine dans la zone “.fr”.
Il ne s’agit certainement pas d’un conflit résultant d’un acte de cybersquatting qui aurait été commis par le Défendeur, mais de la rupture de relations entre associés d’une même société commerciale et des conséquences juridiques attachées à certains actifs immatériels, en l’espèce le nom de domaine « ledjo.fr ».
L’Expert rappelle, ainsi que l’ont fait d’ailleurs les commissions administratives dans le cadre des procédures UDRP soumises au Centre par le Requérant (Ledjo Energie SA contre Dino V., Litige Ompi No. D2009-0552 et Ledjo Energie SA contre Marc R., Litige Ompi No. D2009-0557), que les procédures de règlement des litiges mises en œuvre par le Centre, qu’il s’agisse de la PARL par décision technique du “.fr” ou de l’UDRP, ont exclusivement pour vocation de remédier aux actes de cybersquatting.
Par conséquent, l’Expert estime que les circonstances qui entourent le litige existant entre les parties et les enjeux qui en découlent sont insusceptibles d’être tranchés dans le cadre de la présente procédure.
L’application au présent différend des critères posés par le Règlement vient confirmer cette considération.
(i) Droits du requérant sur le nom de domaine
Le Requérant justifie de droits sur la dénomination Ledjo à titre de marque en France.
Le Défendeur ne conteste pas l’existence de cette marque, mais il remet en cause les conditions dans lesquelles son dépôt a été effectué par le Requérant. Or, dans le cadre de la procédure de règlement des litiges, il n’appartient pas à l’Expert d’analyser les circonstances qui entourent l’acquisition par l’une des parties d’un droit de propriété intellectuelle.
Pour sa part, le Défendeur invoque des droits sur le nom de domaine « ledjo.fr » depuis 2005, ce dont il n’apporte aucune preuve, mais l’Expert observe que cette allégation ne fait l’objet d’aucune contestation de la part du Requérant.
D’après l’Afnic, le nom de domaine litigieux a été enregistré le 6 avril 2009. En réalité, il a certainement fait l’objet de modifications substantielles qui ont donné lieu à l’établissement d’une nouvelle date d’enregistrement. L’examen approfondi des écritures successives transmises par les parties révèle que le nom de domaine litigieux existait déjà fin 2006. Par conséquent, il est antérieur à la date de création de la société requérante (11 septembre 2007) et surtout à la date de dépôt (17 octobre 2008) de la marque invoquée par celle-ci.
Par conséquent, l’Expert considère que dans le cadre des conditions fixées par la procédure de règlement des litiges, le Requérant bénéficie de droit sur la dénomination Ledjo, à titre de marque.
(ii) Enregistrement ou utilisation du nom de domaine litigieux en violation des droits des tiers ou des règles de la concurrence
Le Requérant admet que, par le passé et dans le cadre de ses fonctions, le Défendeur a utilisé le nom de domaine litigieux en relation avec une offre de bonne foi de services.
Cet intérêt légitime a selon lui cessé lorsque le Défendeur a quitté ses fonctions au sein de la société requérante.
Le Défendeur quant à lui ne conteste pas qu’il a concédé, dans le passé, l’usage du nom de domaine « ledjo.fr » à sa société Ledjo Scop Sarl et à la société requérante pour les besoins de leurs activités, mais qu’il n’avait jamais été question d’en transférer la propriété à l’une quelconque de ces sociétés.
L’ensemble de ces circonstances confirme que la situation complexe qui oppose les parties ne se limite pas au sort du nom de domaine litigieux, et qu’elle ne peut être réglée simplement dans le cadre de la présente procédure.
L’Expert relève simplement que le nom de domaine litigieux est antérieur de plusieurs mois non seulement à la société requérante mais aussi à la marque invoquée par le Requérant.
Il en déduit que l’enregistrement du nom de domaine « ledjo.fr » n’est manifestement pas intervenu en violation des droits du Requérant, qui n’existaient pas à l’époque de son dépôt, ni en violation des règles de la concurrence.
De plus, le Requérant invoque la mauvaise foi du Défendeur qui, selon lui, utilise le nom de domaine de manière à perturber les opérations commerciales de la société requérante, et spécule sur sa revente à prix vil.
Or, l’Expert constate qu’aucune des allégations du Requérant n’est étayée par des preuves matérielles, de sorte qu’il est impossible de considérer que le Défendeur a utilisé le nom de domaine litigieux en violation des droits du Requérant ou s’est rendu coupable d’un manquement aux obligations de loyauté que lui imposent les règles commerciales.
Si le conflit entre les parties porte notamment sur le nom de domaine litigieux, il n’en demeure pas moins qu’il ne s’agit pas là du seul différend qui les oppose et que l’Expert ne peut pas trancher ce litige en détournant de sa finalité la procédure de règlement des litiges instituée par le Centre.
Sur ce point, l’Expert fait référence aux décisions rendues par les commissions administratives dans les affaires précitées (Ledjo Energie SA contre Dino V., Litige Ompi No. D2009-0552 et Ledjo Energie SA contre Marc R., Litige Ompi No. D2009-0557) qui ont également et pour les mêmes motifs rejeté les plaintes déposées par le Requérant.
Il invite les parties, en tant que de besoin, à soumettre leur différend aux juridictions judiciaires compétentes.
Décision
. Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’Expert rejette la plainte.
Expert : Alexandre Nappey
Avocat : Selarl Mizrahi Associés
En complément
Maître Selarl Mizrahi Associés est également intervenu(e) dans l'affaire suivante :
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.