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Jurisprudence : Contenus illicites

jeudi 06 mai 2010
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Chambre disciplinaire nationale Ordre des médecins Décision du 15 mars 2010

Dr Moise H. / Nicole G.

accès non autorisé - contenus illicites - images - intrusion - moteur de recherche - preuve - site - vie privée

FAITS ET PROCEDURE

Vu, enregistrée au greffe de la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins le 16 février 2009, la requête présentée pour le Dr Moise H., qualifié en médecine générale, domicilié à Paris, tendant à l’annulation de la décision n° C2007.1825, en date du 16 janvier 2009, par laquelle la chambre disciplinaire de première instance de l’Ordre des médecins d’Ile de France, statuant sur la plainte de Nicole G., domiciliée à Clichy, transmise par le conseil départemental de la Ville de Paris qui s’y est associé, lui a infligé la peine de trois ans d’interdiction d’exercer la médecine dont deux ans avec sursis ;

Le Dr H. soutient que le site ne relevait pas de la publicité commerciale et qu’il n’y a pas eu de violation de l’article R.4127-19 du code de la santé publique ; que la maquette du site en préparation n’était pas en ligne à l’exception de quelques moments ponctuels où le Dr H. effectuait des tests sur le serveur ; que les photos étaient floutées, excluant l’identification des personnes photographiées et par suite toute violation des articles R.4127-73 et R.4127-4 du code ; que l’hypothèse doit être faite que Nicole G. s’est introduite dans le site du Dr H. par piratage et à substitué des photos non floutées aux photos floutées ; que la version des faits soutenue par Nicole G. présente des incohérences ; que la datation des photos est inexacte ;
qu’il est notamment tout à fait impossible d’imprimer une page un jour avant de l’avoir consultée ; qu’une transaction à l’amiable a bien été proposée par Nicole G. ; que le préjudice allégué par la plaignante est démesuré ; que c’est elle qui a demandé à ses amis d’aller voir le site et qu’elle a créé elle-même les conditions de son préjudice ; que des tentatives d’intrusion ont été enregistrées par le serveur aux dates d’impression des photos litigieuses ; que l’examen comparatif des photos non floutées communiquées par Nicole G. et des autres photos de la maquette du site révèle des différences de cadrage, des différences de contraste, des différences de résolution et des différences d’identifiant informatique ;

Vu la décision attaquée ;

Vu, enregistré comme ci-dessus le 17 avril 2009, le mémoire présenté pour Nicole G. tendant au rejet de la requête et à la condamnation du Dr H. à lui verser la somme de 5000 € au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

Nicole G. soutient que le site a été ouvert le 5 juin 2006 pour les rubriques « liposculpture, traitement des rides, phlébologie » ; que le site était bien en ligne et donc publié ; que de nombreuses attestations en font foi ; que ses photos n’étaient pas floutées ; que le site était bien référencé par les moteurs de recherche ; que ce site relève bien de la publicité commerciale, serait-il gratuit ; que Nicole G. était facilement identifiable et qu’il y a donc eu violation de l’article R.4127-73 du code ; que le Cdrom allégué par le Dr H. est postérieur au site informatique et peut donc présenter des caractéristiques différentes ; que les données informatiques avec des données sur support papier ; que l’attestation de M. D. n’a pas de valeur probante ;
que la plainte avec constitution de partie civile faite par le Dr H. contre Nicole G. n’est pas recevable ; que la proposition de transaction financière et de règlement amiable émane bien du Dr H. ; qu’il y a bien atteinte au secret professionnel ; que les agissements du Dr H. tombent également sous le coup des dispositions de l’article R.4127-12 du code de la santé publique, de l’article 226-19 du code pénal ; que le préjudice est réel, Nicole G. ayant été exposée aux piques et aux moqueries de ses anciens collègues et son ancien PDG ;

Vu, enregistré comme ci-dessus le 18 décembre 2009, le mémoire présenté pour Dr H. tendant aux mêmes fins que sa requête selon les mêmes moyens sollicitant un sursis à statuer de manière à permettre la réalisation d’une expertise privée à son initiative pour établir l’intrusion de Nicole G. dans son système informatique ;

Vu, enregistré comme ci-dessus le 19 janvier 2010, le nouveau mémoire présenté pour Nicole G. tendant aux mêmes fins que son précédent mémoire selon les mêmes moyens et demandant le rejet de la demande de sursis présentée par le Dr H., la demande d’expertise ayant été rejetée par le juge pénal et une expertises privée étant tout à fait inutile ;

Vu, enregistré comme ci-dessus le 5 février 2010, le mémoire présenté pour le conseil départemental de la Ville de Paris, tendant au rejet de la requête ;

Le conseil départemental de la Ville de Paris soutient que l’expertise privée, si elle indique que des tentatives d’intrusion sur le serveur ont bien eu lieu, n’établit pas que quelqu’un ait pénétré ledit serveur ; que la chambre de l’instruction, dans son ordonnance du 22 septembre 2009 rejetant la demande d’expertise du Dr H., a considéré que : « à supposer (…) que son site ait été « piraté », il n’en demeure pas moins qu’il a laissé la diffusion des photographies non « floutées » (…) jusqu’à l’intervention du conseil de l’ordre » ; que le Dr H. a ainsi violé le secret professionnel ; que contrairement à ce qu’il soutient, il n’a ni procédé au floutage des visages de ses patientes, ni demandé l’autorisation préalable de l’ordre à la création de son site internet ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

[…]

DISCUSSION

Considérant que Nicole G. a été opérée en 2001 par le Dr H., médecin généraliste, exerçant à Paris, d’une liposculpture du menton ; que Nicole G. soutient en novembre 2006, sur invitation d’amis, elle a découvert que Dr H. avait ouvert un site informatique « esthetic.fr » et que figurait sur ce site son visage non flouté parmi une « galerie photographique » montrant l’aspect de patients du Dr H. avant et après l’intervention de chirurgie esthétique qu’ils avaient subie ; qu’elle n’a jamais donné son consentement à cette publication qui lui porte un préjudice pour l’atteinte à sa vie privée qu’elle représente ;

Considérant que, tout d’abord, si le Dr H. soutient que le site informatique en cause était en cours de constitution et n’était accessible au public qu’en période de tests se situant généralement le dimanche, il est établi par l’instruction que ce site était accessible de façon beaucoup plus générale et qu’en admettant qu’il ne fut pas installé de façon définitive, doit être regardé comme un site informatique ouvert au public ;

Considérant, en second lieu que le Dr H. n’établit pas que toutes les images de visages ou de personnes dénudées figurant sur son site étaient conformément à ses affirmation, sans exception, floutées afin de les rendre inidentifiables et que la présence du visage non flouté de Nicole G. résulte nécessairement d’une intrusion frauduleuse sur son site par un tiers qui aurait substitué une image non floutée de celle-ci à l’image floutée y figurant initialement ; que, sur plainte de Nicole G., le Dr H. a été mis en examen pour atteinte à la vie privée, traitement informatique illégal de données personnelles liées à la santé et violation du secret professionnel ; que sa demande d’expertise judiciaire a été rejetée par ordonnance du président de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris au motif que « à supposer, comme l’indique le Dr H., que son site ait été « piraté », il n’en demeure pas moins qu’il a laissé la diffusion des photographies non floutées de la partie civile jusqu’à l’intervention du conseil de l’ordre des médecins » ; que ces appréciations du juge pénal relatives à une mesure d’instruction et qui ne lient certes pas le juge disciplinaire en l’absence de condamnation pénale définitive, constituent néanmoins un élément du dossier ;

Considérant que selon les conclusions de l’expertise privée, commandée par le Dr H., « les logs du serveur montrent des tentatives d’accès au serveur à six reprises par un ordinateur ayant l’adresse sans les autorisations nécessaires » ; que, toutefois, les experts poursuivent en indiquant « Le site était protégé au niveau de l’accès à l’insertion et la modification des images (mot de passe d’accès et mot de passe au niveau de la base de données, ce qui rendait très difficile un upload (téléchargement de nouvelles images en remplacement des existantes) sans avoir au préalable hacké (forcé) les mots de passe » et enfin, « En ce qui concerne l’accès du site par le public, dans la mesure où ce dernier n’était pas finalisé, il n’aurait pas du être publié mais testé de manière locale et autonome » ; qu’ainsi, les propres experts du Dr H. n’établissent pas la réalité de l’intrusion alléguée par lui et reconnaissent l’ouverture du site au public ;

Considérant qu’eu égard à la gravité de la faute commise par le Dr H., la sanction de l’interdiction d’exercer la médecine pendant une durée de trois ans dont un an ferme et deux ans avec sursis prononcée par les premiers juges n’apparaît pas excessive ;

Considérant enfin qu’il y a lieu de faire droit partiellement à la demande présentée par Nicole G. et de condamner le Dr H. à lui payer la somme de 3000 € au titre des frais exposés par elle, non compris dans les dépens et qui ne doivent pas rester à sa charge ;

DECISION

Par ces motifs, décide :

Article 1 : L’appel du Dr H. est rejeté.

Article 2 : Le Dr H. exécutera la partie ferme de la sanction d’interdiction d’exercer la médecine pendant une durée de trois ans dont deux ans avec sursis prononcée par les premiers juges du 1er juin 2010 inclus au 31 mai 2011 à minuit.

Article 3 : Le Dr H. paiera à Nicole G. la somme de 3000 € au titre des frais exposés par cette dernière et non compris dans les dépens.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au Dr H., à Nicole G., au conseil départemental de la Ville de Paris, à la chambre disciplinaire de première instance d’Ile de France, au préfet de la Ville de Paris (DDASS), au préfet de la région d’Ile de France (DRASS), au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris, au conseil national de l’Ordre des médecins, au ministre de la santé et à tous les conseils départementaux.

La Chambre : M. Chéramy (président), M. Zattara, MM. les Drs Blanc, Brouchet, Marchi, Wolf (membres)

Les avocats : Me Arnaud Dimeglio, Me Olivier Sur

Notre présentation de la décision

 
 

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.