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Jurisprudence : Jurisprudences

lundi 03 juillet 2017
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Conseil d’État, 2ème et 7ème ch. réunies, décision du 22 juin 2017

M. B. / Ministre chargé des Transports

annulation - co-avionnage - plateforme de mise en relation - restrictions - sécurité

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés le 20 octobre 2016 et les 10 mars et 7 juin 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. A. B. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision du directeur général de l’aviation civile du 22 août 2016 portant consigne opérationnelle relative aux opérations de coavionnage organisées au travers d’une plate-forme Internet ou tout autre moyen de publicité et prise en application de l’article 14 du règlement (CE) n° 216/2008 ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le règlement (CE) n° 216/2008 du Parlement européen et du Conseil du 20 février 2008 ;
– le règlement (UE) n° 965/2012 de la Commission du 5 octobre 2012 ;
– le code de l’aviation civile ;
– le code des transports ;
– le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;
– le décret n° 2008-680 du 9 juillet 2008 ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Luc Briand, maître des requêtes en service extraordinaire,

– les conclusions de Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, rapporteur public.

Vu la note en délibéré, enregistrée le 14 juin 2017, présentée par le ministre d’Etat, ministre de la transition écologique et solidaire ;

1. Considérant que, par une décision du 22 août 2016, le directeur général de l’aviation civile a réglementé les opérations dites  » de coavionnage « , qui consistent à partager les frais de vol entre les passagers d’un vol organisé par un pilote privé, lorsque ces opérations sont montées au travers d’une plate-forme Internet ; que cette décision prévoit notamment que, dans un tel cas, les vols organisés ne doivent pas dépasser trente minutes entre le décollage et l’atterrissage et ne doivent pas s’éloigner à plus de quarante kilomètres de leur point de départ ; que M. B. demande l’annulation pour excès de pouvoir de cette décision ;

2. Considérant que le a) du paragraphe 4 bis de l’article 6 du règlement (UE) de la Commission du 5 octobre 2012 déterminant les exigences techniques et les procédures administratives applicables aux opérations aériennes conformément au règlement (CE) n° 216/2008 du Parlement européen et du Conseil prévoit que, par dérogation aux règles normalement prévues par le règlement de 2012, les vols à frais partagés effectués par des particuliers peuvent être accomplis conformément aux dispositions de l’annexe VII de ce règlement, qui concernent l’exploitation des aéronefs à des fins non commerciales ; qu’il n’est pas contesté que ces dispositions ne prévoient pas de limitations telles que celles prévues par la décision litigieuse ; que, pour instaurer de telles restrictions, la décision attaquée se fonde sur le paragraphe 1 de l’article 14 du règlement du Parlement européen et du Conseil du 20 février 2008 concernant les règles communes dans les domaines de l’aviation civile et instituant une Agence européenne de sécurité aérienne, et abrogeant la directive 91/670/CEE du Conseil, le règlement (CE) n° 1592/2002 et la directive 2004/36/CE, qui prévoit que ce règlement et ses règles de mise en oeuvre  » ne font pas obstacle à la réaction immédiate d’un Etat membre face à un problème de sécurité en relation avec un produit, une personne ou un organisme auxquels les dispositions de ce règlement sont applicables  » ;

3. Considérant que si, pour justifier les contraintes supplémentaires imposées aux vols à frais partagés organisés au travers d’une plate-forme Internet, le ministre chargé des transports soutient que le développement de plates-formes mettant en relation pilotes et passagers intéressés créerait un risque d’accident supplémentaire en raison de la pression susceptible de peser sur le pilote pour atteindre l’objectif fixé lors de l’organisation du vol, les éléments qu’il produit ne permettent pas d’établir qu’une telle pression serait plus importante en cas de vols à frais partagés organisés avec des tiers via une plate-forme Internet qu’en cas de vols à frais partagés organisés avec des personnes que le pilote connaît déjà ; qu’il ressort d’ailleurs des pièces du dossier que les groupes de travail réunis sous l’égide de l’Agence européenne de sécurité aérienne sur la question de la sécurité de l’activité de  » coavionnage « , laquelle est autorisée en France depuis la publication de l’arrêté du 31 juillet 1981 relatif aux brevets, licences et qualifications des navigants non professionnels de l’aéronautique civile, ne font pas état de risques spécifiques liés à cette activité ; que si les résultats de deux études d’accidentologie produites par le ministre établissent l’existence, sur la période 1991-1996, d’une part élevée de décès liés à la pression d’atteindre l’objectif, une étude similaire réalisée sur la période allant de 2005 à 2010, soit après l’apparition des mises en relation sur Internet, fait état d’une proportion de décès en baisse par rapport à la période précitée ; qu’ainsi, en l’absence de justification d’un risque accru pour la sécurité, lié au développement de l’activité de  » coavionnage  » organisée via des plates-formes Internet, et donc de la nécessité d’une réaction immédiate, le ministre chargé de l’aviation civile ne pouvait, en tout état de cause, légalement prendre les mesures litigieuses sur le fondement du 1 de l’article 14 du règlement du 20 février 2008 précité ; que, dès lors, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, M. B. est fondé à demander l’annulation pour excès de pouvoir de la décision attaquée ;

4. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 500 euros à verser à M. B. au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;


DÉCISION

Article 1er : La décision du directeur général de l’aviation civile du 22 août 2016 portant consigne opérationnelle relative aux opérations de coavionnage organisées au travers d’une plate-forme Internet ou tout autre moyen de publicité est annulée.

Article 2 : L’Etat versera à M. B. une somme de 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A. B. et au ministre d’Etat, ministre de la transition écologique et solidaire.


Le Conseil :
Luc Briand (rapporteur), Béatrice Bourgeois-Machureau (rapporteur public)

Source : legifrance.gouv.fr

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