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Jurisprudence : Vie privée

vendredi 31 août 2007
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Cour d’appel d’Agen Chambre sociale Arrêt du 05 avril 2006

SCP Laville-Aragon / Lydie L.

licenciement - preuve - vie privée

FAITS ET PROCEDURE

Lydie L. a été embauchée par la SCP Laville-Aragon le 1er janvier 1996 en qualité de négociatrice immobilière ;

Son salaire brut mensuel était de 16 973 francs.

A partir du mois de mars 2000 les relations professionnelles de la salariée avec ses employeurs se sont dégradées ; par lettre du 7 août 2000, elle a été convoquée à un entretien préalable à son licenciement fixé au 17 août 2000 ;

Cette lettre contenait également une mise à pied conservatoire dans l’attente de la décision à intervenir.

Le 23 août 2000, Lydie L. a été licenciée pour faute grave dans les termes suivants :
« … Nous avons été affectés par vos agissements consistant à abuser de votre rôle de conseil, pour vous approprier, personnellement, le bénéfice d’une opération.
Après avoir tenté, vainement, plusieurs méthodes à notre égard, vous vous disculpez en prétendant « ne pas comprendre », « ne pas savoir ».
Depuis votre arrivée à l’étude, vous connaissez parfaitement nos craintes à l’égard de la négociation qui pouvait toujours laisser « passer » une erreur d’évaluation. Vous avez effectué des stages et assisté à nos réunions quasi-quotidiennes au cours desquelles nous ne manquons jamais de mettre en garde ou de relater l’actualité jurisprudentielle sur nos responsabilités.
Nous étions bien loin de nous douter que vous ambitionniez plus qu’un commissionnement d’intermédiaire.
Dans l’affaire de la SA Codara, vous vous êtes abstenue d’informer le vendeur sur la valeur réelle de son bien, utilisant votre fonction pour le revendre à un prix très supérieur.
Nos reproches à votre égard, nous ont valu, une nouvelle fois, un arrêt de travail, une demande de concours particulièrement mal venue, des menaces etc…
Jusqu’à ce jour, nous n’avions à nous plaindre que de votre mauvaise volonté, votre manque d’assiduité et de résultat et de vos exigences continuelles.
Aujourd’hui vous nous faites la preuve de votre malhonnêteté.
Bien sur, nous ignorons quelles suites nos clients vont donner à ce dossier, nous réservons donc tous nos droits et dommages-intérêts à votre égard ».

Par jugement du 6 février 2002 le conseil de prud’hommes de Toulouse a jugé que la SCP Laville-Aragon ne rapportait pas la preuve de la faute grave, que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, que la salariée avait été victime de harcèlement sexuel de la part de son employeur Me L. et en conséquence a condamné l’employeur à payer à Lydie L. les sommes suivantes :
– 20 075,03 € au titre du préavis,
– 2587,97 € au titre de l’indemnité de licenciement,
– 1638,76 € au titre de la mise à pied,
– 400,76 € au titre du 13ème mois sur préavis,
– 724,50 € au titre de l’indemnité de congés payés,
– 46 575,31 € de dommages-intérêts pour rupture abusive de contrat de travail et en réparation du préjudice subi.

Sur appel interjeté par l’employeur, la cour d’appel de Toulouse a estimé que Lydie L. a été victime de harcèlement sexuel de la part de son employeur Michel L. a prononcé en conséquence l’annulation de son licenciement et a condamné l’employeur à lui payer :
– 5175 € d’indemnité compensatrice de préavis,
– 16 000 € de dommages-intérêts pour rupture abusive.

Lydie L. a formé un pourvoi en cassation et par arrêt du 20 avril 2005 la cour suprême a cassé cet arrêt dans les termes suivants :
« Qu’en statuant ainsi sans constater que la salariée avait été licenciée pour avoir subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement de l’intéressé, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard de l’article L 122-46 du code du travail ».

L’affaire a été renvoyée devant la cour d’appel de céans devant laquelle les parties se sont expliquées à l’audience du 1er mars 2006.

MOYENS ET PRETENTIONS

L’employeur reprend les explications qu’il avait données devant la cour d’appel de Toulouse et s’explique en détail sur les faits qui ont motivé le licenciement de Lydie L. ; il estime parfaitement établi le fait que la salariée a réalisé avec l’affaire Codara une transaction destinée à son seul profit et ajoute qu’il a refusé de passer les actes concernant la vente de cette parcelle qui avait été achetée personnellement par Lydie L.

Il fait valoir que ce comportement était le second depuis son embauche à l’étude qu’il est profondément contraire à l’éthique de la profession qui avait pourtant été rappelée à plusieurs reprises à cette salariée.

S’agissant du harcèlement sexuel dont elle se plaint, Michel L. et la SCP font valoir que les preuves qu’elle produit constituent des moyens illicites et ne peuvent être retenus ; les appelants fournissent de nombreuses attestations pour contester le comportement de Michel L. tant à l’égard de Lydie L. qu’à l’égard de l’ensemble du personnel.

La SCP Laville-Aragon demande en conséquence la réformation du jugement entrepris, le débouté de Lydie L. de ses demandes, sa condamnation au remboursement de la somme de 7171,49 € qui lui a été versée et forme un appel incident en paiement de 10 000 € de dommages-intérêts pour procédure abusive, 5000 € au titre de l’article 700 du ncpc.

Michel L. demande à la cour d’accueillir son intervention et de condamner Lydie L. à lui payer la somme de 10 000 € de dommages-intérêts en réparation du préjudice qu’elle lui a occasionné.

Pour le détail de l’argumentation des appelants, la cour renvoie aux conclusions qu’ils développent de manière particulièrement précise et complète.

Lydie L. conteste formellement les griefs qui lui sont faits, affirme que son employeur était parfaitement au courant des opérations qu’elle a réalisées, fait observer qu’elles n’ont été qu’au nombre de deux en quatre ans et huit mois de présence dans l’entreprise et qu’en raison de l’accord de Michel L., l’opération Codara ne peut lui être reprochée ni taxée de faute quelconque.

Lydie L. s’explique ensuite sur le harcèlement sexuel dont elle affirme avoir été l’objet, demande à la cour de reprendre l’argumentation du conseil de prud’hommes de Toulouse en ce qui concerne la validité des preuves qu’elle soumet à l’appréciation de la cour, elle conteste par ailleurs les attestations produites par l’employeur en faisant observer que ces attestations ne contredisent en rien ses affirmations, que leurs auteurs sont des salariés de l’étude qui peuvent très bien ne pas avoir assisté aux faits dont elle se plaint.

Lydie L. demande confirmation du jugement entrepris outre des dommages-intérêts sur l’article 700 du ncpc.

Elle demande à la cour de débouter la SCP Laville-Aragon de son appel incident.

DISCUSSION

Attendu que Lydie L., licenciée pour faute grave, a saisi le conseil de prud’hommes pour voir dire et juger que les motifs énoncés dans la lettre de licenciement sont fallacieux et qu’en réalité elle a été victime d’un harcèlement sexuel répété, continu et permanent seul à l’origine du licenciement ;

Mais attendu que le licenciement ne pourrait être considéré comme nul que s’il apparaissait comme étant la conséquence du refus de Lydie L. à des pratiques de harcèlement sexuel qu’elle aurait refusées ;

Attendu qu’il convient de rechercher tout d’abord si les griefs allégués dans la lettre de licenciement sont justifiés, puis d’examiner si les faits de harcèlement sexuel sont constitués.

Sur les griefs allégués par l’employeur

Attendu qu’un employeur qui prononce un licenciement pour faute grave doit rapporter la preuve non seulement de la réalité des faits allégués mais encore de leur gravitée ;

Attendu qu’il est reproché à Lydie L. d’avoir abusé de son rôle de conseil pour s’approprier personnellement le bénéfice d’une opération à savoir la SA Codara ;
Attendu que l’employeur affirme que Lydie L. n’en était pas à son coup d’essai et fait état d’une transaction intervenue sur une maison de Fronton ;

Mais attendu qu’il est établi que l’employeur, non seulement a eu connaissance de la transaction touchant à la maison de Fronton, mais qu’il a recueilli les actes authentiques et les honoraires afférents à ces opérations sans y faire opposition, qu’ainsi l’acte authentique a été établi le 24 avril 1999, ce dont a attesté l’un des notaires de l’étude ; qu’à cette date la SCP n’a trouvé aucun motif de reproche à adresser à Lydie L., qu’elle n’a pas jugé bon de mettre en garde sur une éventuelle violation de l’article 1596 du code civil, qu’aucune observation n’a été adressée à la salariée ; qu’il résulte en outre des documents produits que la différence entre le prix d’achat et le prix de vente provient de travaux qui ont été exécutés dans ledit immeuble.

Attendu que ce motif ne figure pas dans la lettre de licenciement mais n’est invoqué que pour donner plus de gravité au seul fait réellement reproché à savoir l’opération Codara ; que le dossier fait clairement apparaître que rien n’a été reproché à Lydie L. au sujet de cette première transaction.

Attendu qu’il est reproché à titre principal à la salariée d’avoir tenté d’acheter puis de revendre un terrain appartenant à la SA Codara terrain faisant partie d’un ensemble qu’elle était chargée de commercialiser ; que ce lot était cadastré A 1290 et portait le n°54 pour une surface de 884 m² et que le mandataire l’avait mis à la vente en 1999 au prix de 100 francs le m² soit 88 400 francs ;

Attendu que le 26 mai 2000 soit près d’un an plus tard, Lydie L. a transmis une proposition d’achat pour son propre compte sous le sceau de l’office notarial ; que la SA Codara a accepté cette proposition le 3 juillet 2000 au vu des déclarations de Lydie L. qui indiquait vouloir y établir son habitation ;

Attendu que le 20 juillet 2000 Lydie L. a donné procuration à une employée de l’étude pour acquérir le bien et lui a transmis le chèque correspondant ;

Mais attendu qu’il résulte d’une correspondance du 2 août 2000 que le 7 juillet 2000 elle a tenté de revendre ce terrain aux époux J. pour le prix de 195 000 francs en leur indiquant en être la propriétaire et réaliser cette vente pour son propre compte ;

Attendu qu’il s’agit là d’une opération purement commerciale et non d’un achat pour y construire une maison pour elle-même.

Attendu que la salariée ne conteste pas la réalité des faits mais seulement leur gravité en faisant valoir que l’étude avait accepté de valider une revente de terrain dans le même lotissement au double du prix d’achat ;

Mais attendu que les parties extérieures à l’office notarial sont libres de leur transaction, contrairement à Lydie L. qui a utilisé son poste pour tenter de réaliser une opération commerciale à son seul profit contrairement à l’éthique de sa profession ; que ce grief est établi et constitue bien un manquement de la salariée à ses obligations professionnelles et justifiant le licenciement indépendamment du harcèlement sexuel dont elle se plaint ;

Mais attendu que ce fait unique de manquement à l’éthique ne constitue pas une faute d’une telle gravité qu’elle empêchait la poursuite du contrat de travail pendant la durée du préavis alors surtout que la salariée n’avait fait l’objet d’aucune remarque ni avertissement de la part de l’employeur ; que seule une cause réelle et sérieuse doit être retenue.

Attendu que la cour ne peut néanmoins écarter sans les examiner les allégations de la salariée touchant au harcèlement sexuel qui si elles s’avéraient exactes, constitueraient de la part de l’employeur une violation de ses obligations engageant sa responsabilité.

Attendu qu’il y a lieu d’observer que Lydie L., deux ans avant son licenciement, en dehors de tout contexte professionnel conflictuel, a clairement indiqué qu’elle était harcelée par Michel L., de telle sorte que le 25 août 1998, elle a missionné un huissier pour prendre connaissance des messages qui lui avaient été adressés le 24 août 1998 ; qu’elle a précisé à cet huissier que depuis un an et demi son employeur lui faisant des avances, l’huissier a pris note des messages émanant du même numéro dont Michel L. ne conteste pas qu’il soit le sien ;

Attendu que la conversation reconstituée démontre une proposition de déjeuner en tête à tête, puis la prise d’acte d’un refus, à laquelle s’ajoute quelques minutes plus tard l’expression d’un regret et la réponse de la salariée puis à nouveau émanant du téléphone de Lydie L. la phrase suivante :
« impossible, vous me connaissez mal, avec moi tout noir ou tout blanc, la guerre ou l’… »

Attendu que la répétition en un seul jour de ces messages et leur contenu traduit sans ambiguïté la volonté de Michel L. de convaincre Lydie L. d’entretenir des relations intimes avec lui, faute de quoi ce serait la guerre.

Attendu qu’il s’agit là de pressions excédant les tentatives de séduction anodines qui se sont traduites par un état dépressif de la salariée dont le refus est clairement exprimé ; qu’en présence de tels messages, il appartient au propriétaire du portable de démontrer qu’il n’en est pas l’auteur, ce qu’il ne fait pas.

Attendu que l’enregistrement du 3 avril 2000 confirme les agissements de Michel L. ; qu’il ne peut se borner à l’écarter en se prévalant de la manière dont ses paroles ont été recueillies ; que Michel L. connaissait parfaitement le caractère illicite de son comportement et qu’il « ne voulait pas en entendre parler » que la salariée n’avait d’autre recours que d’agir ainsi qu’elle l’a fait et que Michel L. ne s’explique en rien sur cette conversation dans laquelle il admet de façon explicite le harcèlement dont l’accuse Lydie L.

Attendu que les attestations des salariés de l’office notarial, rédigées en termes identiques ne démontrent en rien l’absence des pressions auxquelles se livrait Michel L. sur son employée ; que le certificat de moralité que lui a établi le président de la chambre départementale ne suffit pas à contredire les éléments de fait contenus dans le dossier ; que celui-ci révèle en outre que Lydie L. s’est trouvée en butte à la suite de ses refus à des difficultés professionnelles qu’elle a tenté de résoudre en sollicitant à deux reprises une rencontre avec les trois membres de la SCP qui la lui ont accordé verbalement, mais s’y sont ensuite dérobés malgré ses demandes réitérées d’une réunion destinée selon elle à :
– « exprimer ses difficultés »…
– « déterminer ce que vous attendiez de moi »
– « établir ensemble un plan de travail »…
– « me donner les moyens de vous satisfaire pleinement »…

Attendu qu’en outre à compter de la mi-juin elle a été informée qu’elle n’avait plus de bureau attitré et que les explications données par la SCP sont peu plausibles ; qu’il convient de constater que le harcèlement sexuel avec ses conséquences sur les conditions de travail de la salariée et son état de santé est bien constitué et d’allouer à Lydie L. en réparation du préjudice subi la somme de 15 000 €.

Attendu qu’au résultat de cette analyse il convient de réformer partiellement le jugement du conseil de prud’hommes de Toulouse du 6 février 2002, de dire que le licenciement de Lydie L. repose sur une cause réelle sérieuse mais non une faute grave, de condamner la SCP Laville-Aragon à payer à Lydie L. les indemnités de rupture fixées par le conseil de prud’hommes soit l’indemnité de préavis, l’indemnité de licenciement, le salaire pendant la mise à pied, le 13ème mois sur préavis et l’indemnité de congés payés.

Attendu qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de Lydie L. ceux des frais non compris dans les dépens dont elle a fait l’avance ; que la SCP Laville-Aragon devra lui payer la somme de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc.

DECISION

La cour, statuant publiquement sur renvoi de la cour de cassation, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

. Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a alloué à Lydie L. les indemnités de rupture, le salaire pendant la mise à pied, le 13ème mois et l’indemnité de congés payés,

. Déboute Lydie L. de sa demande en dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré établi le harcèlement sexuel de Michel L. à l’égard de Lydie L.,

. Condamne la SCP Laville-Aragon à payer à titre de dommages-intérêts sur ce fondement à Lydie L. la somme de 15 000 € et celle de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc,

. Condamne la SCP Laville-Aragon en tous les dépens.

La cour : Mme Nicole Roger (présidente), M. Francis Tcherkez et Mme Chantal Auber (conseillers)

Avocats : SCP Camille & associés, SCP S. Cohen

Voir décision de Cour de cassation

 
 

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