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Jurisprudence : Vie privée

mardi 08 décembre 2009
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Cour d’appel d’Aix en Provence 17ème chambre Arrêt du 10 mars 2008

Co P. / Maisons du Monde

courrier électronique - email - employeur - liberté d'expression - salarié - vie privée

FAITS ET PROCEDURE

Par contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel du 28 avril 2003, Mme Co P. a été embauchée en qualité de vendeuse par la société Maisons du Monde, qui exploite une chaîne de magasins d’ameublement et décoration sur l’ensemble du territoire national. Co P. a été affectée à la boutique de Nice.

Par courrier du 2 février 2006, la société Maisons du Monde a notifié à Co P. son licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Le 5 mai 2006, Co P. a saisi le conseil de prud’hommes de Nice d’une requête aux fins de voir juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse, et de voir condamner la société Maisons du Monde à lui verser une indemnité à ce titre.

Par jugement du 5 février 2007, le conseil a débouté Co P. de toutes ses demandes et l’a condamnée aux dépens.

Par lettre recommandée expédiée le 16 avril 2007, Co P. a formé appel de cette décision.

Elle demande à la cour d’infirmer le jugement déféré et de condamner son employeur à lui verser la somme de 15 000 € à titre d’indemnité pour licenciement abusif.

La société Maisons du Monde demande, in limine litis, que l’appel de Co P. soit déclaré irrecevable. Au fond, il demande la confirmation du jugement et la condamnation de la salariée à lui payer la somme de 1500 € au titre de l’article 700 du ncpc.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement déféré et aux écritures déposées, oralement reprises.

DISCUSSION

Sur la recevabilité de l’appel

Attendu que le jugement déféré a été notifié aux parties par le greffier du conseil de prud’hommes, par voie de lettre recommandée avec demande d’accusé de réception en date du 8 février 2007 ; que la lettre a été présentée le 12 février 2007 à l’adresse de chacune des parties ; que celle destinée à Co P. a été retournée par la poste, le 28 février 2007, avec la mention « non réclamé – retour à l’envoyeur » ;

Que la société Maisons du Monde soulève l’irrecevabilité de l’appel, formé le 16 avril 2007 par Co P. ;

Mais attendu qu’en application de l’article 670-1 du ncpc, le délai d’appel ne pouvait courir, en l’absence de réception de la lettre recommandée de notification, qu’à compter de la signification du jugement à la requête de la partie la plus diligente ;

Au fond

Attendu qu’aux termes de la lettre de licenciement, il est reproché à Co P. d’avoir, le 18 janvier 2006, envoyé un e-mail de son « domicile » à l’attention de tous les magasins de l’enseigne et de certaines personnes du siège social, dans lequel elle se plaignait de ses conditions de travail et de rémunération, contenant des propos mensongers et satyriques, manifestant un manque de loyauté envers l’entreprise et procédant par dénigrement de ses fonctions ;

Que le message de Co P. se présente comme une réponse à un e-mail du 13 janvier 2006 qu’avait adressé Mme Julie B., au nom de la société employeur à l’occasion du nouvel an, à tous les directeurs de magasin ainsi qu’à « chaque membre de chaque équipe, quel que soit son statut » ;

Que, dans son contenu, Co P. commente les instructions données au personnel par l’employeur, dans le courrier susvisé ; qu’à cette occasion, elle formule un certain nombre de doléances : horaire de service dépassé et non rémunéré, rythme tendu et stressant lors de la période de Noël, salaire aligné sur le Smic, travail de manutention pénible, mauvaise qualité du tablier de travail, contrôle sans restriction des sacs à la sortie du magasin ; que le ton satyrique du message peut être résumé par la formule finale : « Sachez que je travaille dur, et toujours avec le sourire, pour contribuer à votre enrichissement ».

Que la société Maisons du Monde réfute point par point les critiques de Co P., justifiant les instructions contenues dans sa circulaire du 13 janvier 2006 ;

Mais attendu qu’il n’appartient pas à la cour d’entrer dans une discussion sur la politique salariale et les méthodes de management de la société employeur ; que le courrier du 18 janvier 2006, quelle que soit la pertinence de ses critiques, au demeurant présentées sur un ton ironique mais non violent, ne comportait pas de termes injurieux, diffamatoires ou excessifs, de nature à faire dégénérer en abus la liberté d’expression dont jouit tout salarié dans l’entreprise ;

Que la société employeur fait encore valoir que la diffusion du message à l’ensemble de l’entreprise indique une certaine intention de nuire de la part de Co P., exclusive du droit d’expression des salariés sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation de leur travail, qui s’exerce seulement dans le cadre de réunions collectives organisées sur les lieux et pendant le temps de travail ;

Mais attendu, d’une part, que Co P. s’est bornée à répondre au courrier que sa direction lui avait adressé, le 13 janvier 2006, en envoyant cette réponse à l’expéditeur, Mme Julie B., ainsi qu’aux neuf adresses électroniques recopiées des destinataires de ce premier courrier ; que, d’autre part, pour une entreprise constituée par une chaîne de magasins, comme la société Maisons du Monde, qui regroupe 120 boutiques réparties sur l’ensemble de la France, le lieu de travail doit s’entendre aussi de l’espace internet, dès lors qu’il fonctionne, en réseau interne à l’entreprise et qu’il constitue un lieu de centralité des personnels disséminés ;

Qu’il s’ensuit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Attendu que Co P. travaillait 25 heures par semaine pour un salaire brut mensuel de 869,89 € ; qu’elle avait acquis 2 ans et 9 mois d’ancienneté dans l’entreprise ; qu’elle ne justifie pas de sa situation actuelle de demanderesse d’emploi, invoquée dans ses écritures ; qu’il convient de fixer à 9000 € le montant de son préjudice.

DECISION

Par ces motifs, la cour,

. Déclare Co P. recevable en son appel,

. Infirme le jugement déféré,

. Dit que le licenciement de Co P. est sans cause réelle et sérieuse,

. Condamne la société Maisons du Monde à lui payer la somme de 9000 € à titre d’indemnité de ce chef,

. Condamne aux dépens de première instance et d’appel, et à payer à Co P. la somme de 1500 € au titre de l’article 700 du ncpc.

La cour : M. Olivier Grand (président), M. Gilles Lacan et Mme Ghislaine Poirine (conseillers)

Avocat : Me Jean-Yves Simon

Voir décision de cassation

 
 

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