Jurisprudence : Logiciel
Cour d’appel d’Aix en Provence 1ère chambre A Arrêt du 11 septembre 2007
Digitechnic / Michel A.
accès - client - code source - condamnation - faute - liquidateur - liquidation judiciaire - refus - titulaire de droit
FAITS ET PROCÉDURE
Vu le jugement rendu contradictoirement le 26 janvier 2006 par le tribunal de grande instance de Grasse dans le litige opposant la société Digitechnic à Maître Michel A., en présence de Maître M. ès qualités de représentant des créanciers de la société Digitechnic, et de Maître W., ès qualités de commissaire à l’exécution du plan de la société Digitechnic ;
Vu la déclaration d’appel déposée par la société Digitechnic le 7 avril 2006 ;
Vu les conclusions déposées par Maître Michel A. le 17 janvier 2007 ;
Vu les conclusions déposées par Maître M., ès qualités de représentant des créanciers de la société Digitechnic, et Maître R., ès qualités de commissaire à exécution du plan de la société Digitechnic le 26 mars 2007 ;
Vu les conclusions déposées par la société Digitechnic le 28 mars 2007 ;
DISCUSSION
Sur la genèse du litige
La société Digitechnic exerce une activité d’assembleurs d’ordinateurs sous la marque Carri Systems. Pour renouveler son outil de gestion intégrée, elle a conclu le 5 janvier 2001 avec la société TIC dont le gérant était Guy S., un contrat portant sur la fourniture d’un progiciel de gestion paramétrable suivant ses besoins internes pour un coût de 46 011,09 € (cf. facture en date du 20 février 2001). Il convient de préciser que ce progiciel était propriété de Guy S. qui en avait concédé un droit d’usage et d’exploitation exclusif à la société TIC suivant contrat en date du 30 août 2000.
Aux termes du contrat signé entre la société Digitechnic et la société TIC, il était expressément prévu qu’en cas de défaillance de cette dernière, du fait d’une éventuelle liquidation judiciaire ou cessation d’activité, une copie des sources serait remise à la société Digitechnic afin de lui permettre de pérenniser son investissement (cf. page 8).
Le 15 mai 2002, la société TIC a déposé son bilan et a immédiatement été placée en liquidation judiciaire, Maître Michel A. étant désigné en qualité de mandataire liquidateur.
Lorsqu’elle a appris cette situation, la société Digitechnic a fait adresser par son conseil un courrier à Maître Michel A. le 20 juin 2002 lui demandant de faire le nécessaire pour sauvegarder une copie des sources du progiciel. Puis, par courrier recommandé en date du 26 juin 2002, elle lui a adressé une déclaration de créance dans laquelle elle rappelait la clause du contrat par laquelle elle pouvait prétendre à une copie des sources en cas de liquidation judiciaire de la société TIC.
Maître Michel A. n’a pas donné suite à cette demande, lui faisant connaître par courrier du 15 juillet 2002, que par ordonnance en date du 2 juin 2002, le juge commissaire avait autorisé la cession de l’unité de production de maintenance du progiciel exploitée par la société TIC à la société Netmakers Ingenierie et qu’en ce qui concerne les copies des sources, il adressait copie de son courrier à Guy S. afin que ce dernier se mette en rapport avec elle.
La société Digitechnic n’a pu obtenir restitution des sources de son progiciel de gestion et ce, malgré une procédure de référé engagée devant le président du tribunal de commerce d’Antibes ayant donné lieu à une ordonnance en date du 23 septembre 2002 par laquelle ce dernier s’est déclaré incompétent.
Elle recherche à présent la responsabilité personnelle de Maitre Michel A. au motif qu’il a délibérément ignoré l’obligation de restitution des sources qui pesait sur son administrée et qu’il est ainsi à l’origine du préjudice qu’elle a subi du fait de la désorganisation qui s’en est suivie résultant de l’impossibilité de faire évoluer le progiciel acquis auprès de la société TIC et qui a entraîné sen placement en redressement judiciaire le 10 mai 2005.
Le premier juge l’a déboutée de sa demande au motif qu’elle ne rapportait pas la preuve que la copie des sources se trouvait entre les mains de la société TIC après l’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire.
Sur la faute reprochée à Maître Michel A.
Il convient de rappeler que Guy S., titulaire des droits d’auteur sur le progiciel litigieux, en avait concédé la licence exclusive à la société TIC suivant contrat en date du 30 août 2000 et qu’aux termes de ce contrat, régulièrement versé aux débats, le licencié, c’est-à-dire la société TIC, bénéficiait d’un accès libre au programme source (cf. page 5), d’ailleurs totalement indispensable pour assurer l’exploitation commerciale de celui-ci.
Contrairement à ce qu’a pu noter le premier juge, ce contrat de licence ne s’est pas trouvé résilié du seul fait de la liquidation judiciaire de la société TIC.
Dès lors, au jour où Maître Michel A. a pris ses fonctions de liquidateur de celle-ci, les codes source se trouvaient obligatoirement en possession de son administrée ou, à tout le moins, il était en droit de les exiger de Guy S.
Par ailleurs, il lui appartenait au jour de sa prise de fonction de s’enquérir des contrats en cours et particulièrement du contrat liant la société TIC à la société Digitechnic qui contenait obligation de remettre à cette dernière copie des sources en cas de liquidation judiciaire du fournisseur.
En tout état de cause, cette obligation lui a particulièrement été rappelée par le courrier en date du 20 juin 2002 adressé par le conseil de la société Digitechnic lui demandant de faire le nécessaire pour sauvegarder une copie des sources du progiciel, puis par le courrier recommandé en date du 26 juin 2002, contenant déclaration de créance de la part de la société Digitechnic et reprenant expressément le contenu de la clause du contrat prévoyant à son profit la remise d’une copie des sources en cas de liquidation judiciaire de la société TIC.
Officiellement avisé de l’obligation qui pesait sur la société TIC, Maître Michel A. n’a procédé à aucune diligence et tout au contraire, a laissé se poursuivre la cession du droit d’exploitation du logiciel au profit de la société Netmakers Ingenierie, intervenue selon acte en date du 15 juillet 2002, et qui a eu pour effet d’entraîner la perte de l’accès aux sources pour la société TIC et donc impossibilité définitive d’honorer son obligation de remise d’une copie des sources.
Maître Michel A. ne peut se retrancher derrière le fait que cette cession pour laquelle la société Netmakers Ingenierie s’était portée candidate le 16 mai 2002, soit le lendemain de la mise en liquidation judiciaire de la société TIC, avait été autorisée dès le 2 juin 1002 par le juge commissaire puisqu’il lui incombait d’informer ce dernier des conditions dans lesquelles pouvaient avoir lieu cette cession. II lui appartenait particulièrement de veiller à ce que cette cession qui n’est intervenue que le 15 juillet 2002, alors même que les obligations qui pesaient sur son administrée lui avaient été rappelées à deux reprises, ne soit réalisée qu’après remise de la copie des sources à la société Digitechnic.
De l’ensemble de ces éléments, il ressort que Maître Michel A. , en ignorant sciemment la clause du contrat qui obligeait son administrée à fournir copie des sources du progiciel en cas de liquidation judiciaire, a incontestablement commis une faute à l’origine d’un préjudice pour la société Digitechnic, celle-ci n’ayant plus été en mesure de faire évoluer le progiciel acquis 5 janvier 2001 et qui, au 15 mai 2002, était loin d’être parfaitement opérationnel (cf. attestation de Philippe R., ancien salarié de la société TIC).
Sur le préjudice
Pour apprécier l’ampleur du préjudice subi par la société Digitechnic, il apparaît utile de préciser que par arrêt confirmatif de cette cour en date du 20 octobre 2004, devenu définitif, la société Digitechnic a d’ores et déjà obtenu la condamnation de Guy S. pour non-respect de l’obligation de restitution qui pesait sur la société dont il était le gérant, à lui verser la somme de 100 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte d’une chance de pouvoir rendre le progiciel opérationnel en l’état de la privation de ses sources.
En l’espèce, le préjudice subi par la société Digitechnic du fait de la faute de Maître Michel A. consistant en la non-remise des sources ne peut s’analyser que comme la perte d’une chance supplémentaire d’avoir pu faire évoluer le progiciel en fonction des besoins internes de l’entreprise.
Eu égard à la somme déjà allouée à ce titre, cette perte d’une chance supplémentaire pourra être justement évaluée à la somme de 20 000 €.
Sur la demande en livraison des sources
La société Digitechnic ne peut qu’être déboutée d’une telle demande formée contre Maître Michel A., à titre personnel, étant ajouté qu’en raison du temps écoulé, l’utilité actuelle de la remise des sources du progiciel n’apparaît pas établie.
Il convient d’allouer à la société Digitechnic la somme de 3000 € au titre des dispositions de l’article 700 du nouveau code de procédure civile et à Maître M., ès qualités de représentant des créanciers de la société Digitechnic, et Maître B., ès qualités de commissaire à exécution du plan de la société Digitechnic celte de 1500 € au même titre.
Maître Michel A. qui succombe supportera les entiers dépens.
DÉCISION
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en dernier ressort et en matière civile,
En la forme,
. Reçoit la société Digitechnic en son appel principal et Maître Michel A. en son appel incident,
Au fond,
. Infirme le jugement du 26 janvier 2006 en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
.Condamne Maître Michel A. à verser à la société Digitechnic la somme de 20 000 € à titre de dommages et intérêts,
. Déboute la société Digitechnic de sa demande en restitution des sources formée contre ce dernier,
. Condamne Maître Michel A. à verser à la société Digitechnic la somme de 3000 € au titre des dispositions de l’article 700 du nouveau code de procédure civile et à Maître M., ès qualités de représentant des créanciers de la société Digitechnic, et Maître B., ès qualités de commissaire à exécution du plan de la société
Digitechnic celle de 1500 € au même titre,
. Condamne Maître Michel A aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du nouveau code de procédure civile.
La cour : M. Gérard Lambrey (président), M. Jean Veyre et Mme Marie-Annick Varlamoff (conseillers)
Avocats : Me Claude Guez, Me Béatrice Hiest-Noblet, Me Jean-Pierre Fabre
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