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Jurisprudence : Responsabilité

jeudi 26 juillet 2007
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Cour d’appel d’Aix en Provence 9ème chambre B Arrêt du 07 octobre 2004

Jean Michel N. / Carrefour Vitrolles

responsabilité

FAITS ET PROCEDURE

Jean Michel N. a été engagé par la société Carrefour le 7 avril 1997 suivant contrat de travail à durée indéterminée en qualité de responsable de rayon ;

Il a été affecté au rayon de la parapharmacie, occupant ultérieurement, au même rayon, l’emploi de « manager métier » ; en janvier 2002, son salaire de référence mensuel brut était de 2500 € ;

A compter du 15 octobre 2001, il a été placé en arrêt maladie ;

Il a été licencié le 29 décembre 2001 pour faute grave ;

Par jugement du 2 juillet 2003, le conseil de Prud’hommes de Martigues a :

• Dit que le licenciement de Jean Michel N. est intervenu sans cause réelle et sérieuse,
• Condamné la société Carrefour à payer à Jean Michel N. les sommes de :
– 7558,31 € au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement,
– 16 770 € au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 500 € au titre de l’article 700 du ncpc,
• Débouté Jean Michel N. de ses autres chefs de demande,
• Débouté la société Carrefour de sa demande reconventionnelle

Jean Michel N. a relevé appel de cette décision par acte du 9 janvier 2002 dont la régularité n’est pas contestée.

Vu les conclusions de Jean Michel N. développées oralement à l’audience par lesquelles il est demandé à la cour de :

Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et lui a alloué une indemnité conventionnelle de licenciement ainsi qu’une indemnité sur le fondement des dispositions de l’article 700 du ncpc.

Le réformant et y ajoutant pour le surplus,

Condamner la société Carrefour au paiement des sommes suivantes :

– 7774,90 € à titre de rappel de salaire minimum,
– 777,49 € à titre d’incidence congés payés sur rappel précité,
– 7774,89 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
– 777,49 € à titre d’incidence congés payés sur indemnité précitée,
– 10 000 € à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale et lourdement fautive du contrat de travail,
– 38 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, en application des dispositions de l’article L 122-14-4 du code du travail,

Dire que toutes les créances de Jean Michel N. produiront intérêts de droit à compter de la demande en justice, soit le 14 juin 2002, avec capitalisation, en application des articles 1153-1 et 1154 du code civil,

Enjoindre par ailleurs la société Carrefour, sous astreinte définitive de 150 € par jour de retard à compter de la notification de l’arrêt à intervenir, d’avoir à établir et délivrer à Jean Michel N. les documents suivants :
– bulletins de salaire rectifiés mentionnant la rémunération judiciairement fixée,
– attestation destinée à l’Assedic rectifiée de même,

Condamner la société intimée au paiement d’une indemnité d’un montant de 1500 € en application des dispositions de l’article 700 du ncpc, l’indemnité allouée à ce titre par le premier juge étant maintenue.

Vu les conditions de la société Carrefour développées oralement à l’audience par lesquelles il est demandé à la cour de :

Infirmer le jugement entrepris,

Débouter Jean Michel N. de l’ensemble de ses demandes,

Condamner Jean Michel N. au paiement de la somme de 1000 € pour frais irrépétibles.

DISCUSSION

Sur le licenciement

En application des dispositions de l’article L 122-6 du code du travail, la charge de la preuve de la gravité de la faute justifiant la rupture immédiate du contrat de travail incombe à l’employeur ;

En l’espèce, dans la lettre de rupture du 29 décembre 2001 l’employeur reprochait à Jean Michel N. les faits suivants :

1°) lors de l’inventaire de novembre 2001, présence de produits périmés en réserve et dans les tiroirs de la parapharmacie, ces produits étant proposés à la vente, certains ayant une date inférieure au 20 novembre 2000,

2°) insuffisance des résultats depuis deux ans.

En ce qui concerne le premier grief : Jean Michel N. n’était pas présent le jour où a été réalisé l’inventaire puisqu’il se trouvait en arrêt maladie ; il a contesté les faits susvisés dès le 9 janvier 2002 dans un courrier adressé au directeur du magasin Carrefour ;

La société Carrefour verse aux débats l’attestation de M. B. stagiaire manager au rayon parapharmacie au moment de l’inventaire, aux termes de laquelle celui-ci indique avoir alors retiré des linéaires et des stocks des produits qui, selon leurs dates limites de vente, n’auraient pas du s’y trouver, celles-ci s’échelonnant entre décembre 2000 et octobre 2001 ; la présence de ces produits est également attestée par M. M., responsable hiérarchique de Jean Michel N., précisant « nous avons donc procédé au retour de certains produits quant les fournisseurs étaient d’accord, les autres ont été valorisés et jetés à la benne pour destruction… » ;

Me Schelouch, huissier de justice, a constaté le 28 août 2002 la présence de divers produits parapharmaceutiques périmés stockés dans la réserve ;

Force est de constater que, si la présence de produits périmés le jour de l’inventaire est attestée au moins par les témoignages de MM. B. et M., présents ce jour-là, aucun élément objectif ne permet de relier cet état de fait à la gestion de Jean Michel N. qui était absent de l’entreprise depuis le 15 octobre 2001, étant précisé que M. M. fait état de précédents inventaires au mois de juin 2000 et au mois de décembre 2000 sans toutefois qu’aucun document justificatif ne soit produit à cet égard permettant de vérifier la périodicité effective des inventaires et la situation exacte des stocks aux périodes visées ;

Dès lors, c’est à bon droit, que les premiers juges ont retenu que la faute grave n’est pas établie ;

En ce qui concerne l’insuffisance des résultats depuis deux ans : la société Carrefour fait valoir que le chiffre d’affaires TTC en 1999 est de 6939 KF, en 2000 de 6499 KF et en 2001 6158 KF ;

Toutefois, il n’est pas contesté que Jean Michel N. s’est vu contraint de gérer seul le rayon de parapharmacie du 15 mai 2000 au 1er juillet 2000 puis du 2 janvier 2001 au 31 août 2001 en l’absence de son collègue pour cause de maladie ; par ailleurs, il ressort de l’appréciation annuelle portée par les responsables du magasin sur l’activité de Jean Michel N. le 14 février 2001 que même si l’année a été difficile en chiffre d’affaires, le résultat net a été atteint ;

Dans ces conditions, l’insuffisance de résultats dont il est fait état ne constitue pas un grief tel justifiant la qualification de faute grave ayant empêché le maintien de Jean Michel N. dans l’entreprise pendant la durée du préavis ;

Doit en découler la confirmation du jugement entrepris ;

Sur le rappel de salaires

Jean Michel N. excipe d’un courrier électronique adressé le 12 novembre 1999 par Stéphane R., directeur des relations humaines, aux directeurs de magasins qui informe ces derniers, qu’afin de se repositionner favorablement sur le marché du recrutement des pharmaciens, des nouvelles rémunérations sont à prendre en compte pour ces derniers ; selon lui, cette note a valeur d’engagement unilatéral et aurait été appliquée à tous les parapharmaciens, sauf lui ;

La société Carrefour fait valoir qu’il s’agit d’une note interne, affichée par le biais d’une indiscrétion du syndicat CGT, constituant une simple préconisation à l’attention du directeur du magasin qui a, seul en dehors de l’application de la convention collective la possibilité de décider des salaires dans le magasin qu’il dirige ;

Il n’est pas contesté que la grille des salaires des « managers métier » de la convention collective applicable en l’espèce n’a fait l’objet d’aucune modification ;

Par ailleurs, Jean Michel N. produit un autre courrier électronique de M. M. en date du 21 août 2001 relatif au recrutement d’un docteur en pharmacie au nouveau salaire minimum soit 14 000 F pour affirmer que cette note a bien reçu application ; toutefois, ce document n’est pas significatif s’agissant d’un simple projet de recrutement et d’une proposition de la direction, compte tenu de la demande de la candidate d’un salaire minimum de 16 000 F par mois ;

En réalité, le courrier électronique susvisé ne relève manifestement pas d’une recommandation à caractère impératif et aucun élément objectif ne permet de retenir qu’il ait fait l’objet d’une application automatique au sein de la société Carrefour ;

Doit en découler le débouté de Jean Michel N. de ce chef ;

Sur la demande de dommages-intérêts pour exécution fautive du contrat de travail

Selon Jean Michel N., son licenciement a, en réalité, pour origine sa réclamation salariale qui lui a valu, en outre, lors d’un entretien avec le directeur du magasin, M. A., à ce sujet, le 10 octobre 2001, de subir des propos racistes, ce dernier l’ayant apostrophé ainsi « vous les jaunes » faisant référence à son origine vietnamienne ; qu’il a, en conséquence, subi un préjudice moral et professionnel distinct de celui résultant du défaut de cause réelle et sérieuse ;

Cet incident n’est évoqué d’aucune manière par la société Carrefour qui, en tout état de cause, ne conteste pas que M. A. a tenu les propos incriminés ; il ressort des explications contenues dans un courrier que celui-ci a adressé à Jean Michel N. le 26 octobre 2001 qu’ils ont été lancés à l’occasion d’une conversation houleuse ; toutefois, cette circonstance ne peut excuser le caractère raciste indéniable de la réflexion susvisée ; il s’en est suivi un préjudice moral pour Jean Michel N. qu’il convient de réparer à hauteur de 5000 € et de débouter pour le surplus, étant précisé qu’il n’est nullement établi que le licenciement procède de la réclamation salariale de Jean Michel N. ;

Il ne convient pas, en l’espèce, de faire remonter, à titre de complément d’indemnisation, le point de départ du cours des intérêts au jour de la demande en justice ;

Sur l’indemnité compensatrice de préavis

Jean Michel N. estime qu’en l’absence de faute grave, cette indemnité lui est due alors même qu’il se trouvait en arrêt pour cause de maladie ;

Toutefois, il est constant que seul le salarié victime d’un licenciement nul au sens des dispositions de l’article L 122-45 du code du travail peut prétendre à une telle indemnité dans cette hypothèse, ce qui n’est pas le cas en l’espèce ;

Doit en découler la confirmation du jugement entrepris ;

Sur l’indemnité conventionnelle de licenciement

L’indemnité accordée par les premiers juges n’est pas critiquée dans son montant par les parties et le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu’il a alloué de ce chef la somme de 7588,31 € à Jean Michel N. ;

Sur le dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse

La somme allouée par les premiers juges à hauteur de 16 770 € répare intégralement le préjudice subi par Jean Michel N. compte tenu de son ancienneté ainsi que du montant de son salaire mensuel et le jugement sera confirmé de ce chef ;

Il ne convient pas, en l’espèce, de faire remonter, à titre de complément d’indemnisation, le point de départ du cours des intérêts au jour de la demande en justice ;

En application de l’article 1154 du code civil, il convient d’ordonner la capitalisation des intérêts pourvu qu’il s’agisse d’intérêts dus au moins pour une année entière ;

Compte tenu de ce qui précède, Jean Michel N. est débouté de sa demande relative aux bulletins de salaire et à l’attestation Assedic ;

Il est alloué à Jean Michel N. la somme de 1000 € en application de l’article 700 du ncpc.

DECISION

La cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,

. Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a :

– Dit que le licenciement de Jean Michel N. est intervenu sans cause réelle et sérieuse,
– Condamné la société Carrefour à payer à Jean Michel N. les sommes de :
* 7558,31 € au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement,
* 16 770 € au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 500 € au titre de l’article 700 du ncpc,
– Débouté Jean Michel N. de sa demande relative à l’indemnité compensatrice de préavis,
– Débouté la société Carrefour de sa demande relative au rappel de salaires,
– Débouté Jean Michel N. de sa demande relative aux bulletins de salaire et à l’attestation Assedic

. Réforme pour le surplus et statuant à nouveau,

. Condamne la société Carrefour à payer à Jean Michel N. la somme de 5000 € à titre de dommages-intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

. Ordonne la capitalisation des intérêts échus pour vu qu’il s’agisse d’intérêts dus au moins pour une année entière,

. Condamne la société Carrefour à payer à Jean Michel N. la somme de 1000 € au titre de l’article 700 du ncpc,

. Condamne la société Carrefour aux entiers dépens.

La cour : M. Claude Veber (président), M. Alain Blanc et Mme Brigitte Berti (conseillers)

Avocats : Me Antoine Lounis, Me Isabelle Guittard

Voir décision de cour de cassation

 
 

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