Jurisprudence : E-commerce
Cour d’appel de Bourges Chambre civile Arrêt du 13 avril 2006
SCP Antoine Macquart-Moulin et Jean Louis Balleret / Ordre des avocats au Barreau de Nevers
avocat - déontologie - e-commerce - interdiction - publicité
FAITS
Par délibération du 16 mars 2005, le Conseil de l’Ordre des avocats au barreau de Nevers (ci-après le Conseil de l’Ordre), examinant le souhait de certains confrères de souscrire l’abonnement proposé par la société Les Pages Jaunes, a considéré que « la publication d’un encart dans l’annuaire des Pages Jaunes, papier, minitel ou internet, est contraire aux règles régissant les principes essentiels de la profession d’avocat ».
La SCP Antoine Macquart-Moulin et Jean Louis Balleret, avocats au barreau de Nevers, a conformément aux dispositions de l’article 15 du décret du 27 novembre 1991, par lettre recommandée avec accusé de réception du 12 mai 2005, contesté cette délibération soulignant que celle-ci s’opposait à son inscription dans l’annuaire des Pages Jaunes sous l’égide de l’Association Gesica « Réseau International d’Avocats Indépendants ».
Par délibération du 1er juin 2005, le Conseil de l’Ordre, après avoir constaté que la SCP Antoine Macquart-Moulin et Jean Louis Balleret n’a pas respecté les dispositions des articles 24-10 et 24-11 du règlement intérieur du barreau de Nevers reprenant les articles 10-10 et 10-11 du Règlement Intérieur Unifié arrêté par le Conseil national des barreaux, qui imposent une communication préalable à l’Ordre de toutes les insertions dans les annuaires téléphoniques, a considéré que la publication litigieuse est contraire aux principes essentiels de la profession définis par les articles 1, 24 et 24-10 du règlement intérieur du barreau de Nevers reprenant les articles 1, 10 et 10-10 du Règlement Intérieur Unifié arrêté par le Conseil national des barreaux. Le Conseil de l’Ordre a également considéré qu’une telle inscription apparaît contraire auxdits principes et règles en ce que son achat par des réseaux d’avocats leur permet de figurer en première place dans les résultats de recherches sur l’annuaire électronique des Pages Jaunes annulant ainsi le système dit du « tri alpha tournant » qui permet un classement aléatoire à chaque recherche.
La SCP Antoine Macquart-Moulin et Jean Louis Balleret a formulé un recours contre les deux décisions du Conseil de l’Ordre.
PROCEDURE
Vu les conclusions déposées le 20 février 2006 par la requérante qui poursuit l’annulation des deux délibérations du Conseil de l’Ordre, aux termes desquelles, après avoir rappelé l’évolution de la réglementation de la publicité par les avocats jusqu’à la situation actuelle régie par la décision à caractère normatif n°2005-003 du Conseil national des barreaux modifiant l’article 10.1 du Règlement Intérieur National, la SCP Antoine Macquart-Moulin et Jean Louis Balleret estime d’une part que la délibération du 17 mars 2005 qui aboutit à une modification du règlement intérieur du barreau de Nevers, est entachée de nullité pour excès de pouvoir dans la mesure où elle interdit toute forme de publicité aux avocats en violation des normes nationales et européennes lesquelles autorisent de façon générale la publicité et, d’autre part, que la publicité dans les Pages Jaunes ne contrevient pas aux règles essentielles de la profession que sont la dignité, la conscience, l’indépendance, la probité, l’humanité, l’honneur, la loyauté, le désintéressement, la confraternité, la délicatesse, la modération et la courtoisie, la compétence, le dévouement, la diligence et la prudence, édictées par le décret et le Règlement Intérieur National. Selon l’appelante le litige tient au fait qu’elle soit la seule à avoir actuellement souscrit un tel service ;
Vu les conclusions déposées le 2 mars 2006 par le Conseil de l’Ordre qui ne conteste pas la recevabilité du présent recours, renonce à se prévaloir du non respect de l’obligation d’information préalable de l’Ordre, précise que le décret du 12 juillet 2005 qui constitue une étape complémentaire vers une déréglementation de la publicité des avocats, n’était pas en vigueur à la date des délibérations et estime que la SCP Antoine Macquart-Moulin et Jean Louis Balleret doit être déboutée de l’ensemble de ses demandes. Le Conseil de l’Ordre indique que ce n’est que parce que la souscription d’un encart donne à l’avocat le souscrivant, une priorité dans la réponse électronique aux consultations des rubriques Avocats de l’annuaire des Pages Jaunes, que l’Ordre de Nevers a maintenu sa position de proscrire une telle souscription par ses membres, dans la mesure où cette publicité ne présente aucun caractère informatif au sens du décret du 27 novembre 1991 dans sa rédaction applicable aux délibérations déférées et que le seul fait d’apparaître en priorité par rapport à un autre confrère, d’une part, n’est pas une information et, d’autre part, n’est pas acceptable au regard de la confraternité, de la délicatesse et même de la dignité ;
Vu les conclusions déposées le 6 septembre 2005 par M. l’avocat général qui fait siennes les observations du Conseil de l’Ordre et estime que la publicité ainsi réalisée contrevient effectivement aux principes essentiels de la profession ;
Vu les demandes et les moyens contenus dans ces écritures ;
DISCUSSION
Attendu que le recours exercé par la SCP Antoine Macquart-Moulin et Jean Louis Balleret dans les formes et délais prévus par les articles 19 de la loi du 31 décembre 1971 et 15 du décret 91-1197 du 27 novembre 1991 et recevable en la forme ;
Qu’il convient de donner acte au Conseil de l’Ordre des avocats au barreau de Nevers de ce qu’il n’entend aucunement se prévaloir du non respect par la SCP Antoine Macquart-Moulin et Jean Louis Balleret des règles de la profession imposant une information préalable de l’Ordre avant parution des insertions dans les annuaires téléphoniques ;
Attendu qu’il résulte des écritures des parties et de leurs productions ainsi que des débats à l’audience, que le litige dont ils ont entendu saisir la cour, concerne exclusivement l’annuaire téléphonique des Pages Jaunes, l’annuaire papier conservant un classement alphabétique immuable et le minitel étant un moyen de recherches qui tombe en désuétude et dont les parties se désintéressent ;
Que n’ont jamais été évoqués, dans le présent recours, les autres services proposé par les Pages Jaunes en particulier sur le support papier, l’utilisation de couleurs, de caractères différents ou de textes encadrés pouvant revêtir les formes multiples que procurent les moyens techniques les plus perfectionnés ;
Attendu que la recherche par internet sur les Pages Jaunes permet de retrouver tous les professionnels inscrits gratuitement, et qui apparaissent à l’écran selon le système dit du « tri alpha tournant » opérant un choix aléatoire ;
Que par contre les avocats ou cabinets d’avocats ayant souscrit un abonnement, bénéficient d’un avantage dans la mesure où leur annonce est prioritaire et échappe au tri aléatoire réservé à tous les avocats, un tri aléatoire étant le cas échéant réalisé entre les abonnés payant, ce qui n’est pas le cas en l’espèce puisqu’il n’existe qu’un seul inscrit pour le ressort du barreau de Nevers ;
Attendu qu’il n’appartient à la cour ni d’anticiper les évolutions prévisibles de la profession d’avocat dans le domaine de la publicité, ni d’attendre une solution technique et nationale éventuellement négociée par les organismes professionnels, mais de rechercher si l’Ordre des avocats a commis un excès de pouvoir ou a pris des délibérations régulières et fondées, au regard des textes et principes, en vigueur lorsqu’il a statué, ci-après rappelés :
1) les textes et principes en vigueur :
Article 161 du décret 91-1197 du 27 novembre 1991 :
« la publicité est permise à l’avocat dans la mesure où elle procure au public une nécessaire information. Les moyens auxquels il est recouru à cet effet sont mis en oeuvre avec discrétion, de façon à ne pas porter atteinte à la dignité de la profession et communiqués au Conseil de l’Ordre » ;
Le Conseil national des barreaux, dans son Règlement Intérieur Harmonisé (RIH) de 1999, puis dans son Règlement Intérieur Unifié (RIU) de 2004, prévoyait notamment à l’article 10.1 :
« la publicité personnelle de l’avocat est permise dans la mesure où elle procure au public une nécessaire information. Cette publicité doit être véridique, respectueuse du secret professionnel et mise en œuvre avec dignité et délicatesse. »
Attendu que ces normes réglementaires doivent être appréciées par rapport aux valeurs essentielles de la profession précitées qui doivent guider en toutes circonstances le comportement de l’avocat et servent à l’interprétation de toutes les règles légales, réglementaires ou ordinales régissant la profession ;
Que les principes invoqués en l’espèce sont la confraternité, la délicatesse et la dignité ;
2) discussion :
Attendu que contrairement à ce que soutient la SCP Antoine Macquart-Moulin et Jean Louis Balleret, les deux décisions frappées du présent recours sont indissociables et doivent faire l’objet d’une appréciation unique ;
Qu’en effet, cette SCP, s’estimant lésée dans ses intérêts professionnels par la délibération du 17 mars 2005, a pu exercer un recours amiable devant le bâtonnier lequel a provoqué la décision du Conseil de l’Ordre sur sa réclamation que constitue la délibération du 1er juin 2005 laquelle vient préciser et éclairer de façon utile la position de l’Ordre des avocats du barreau de Nevers ;
Qu’en toute hypothèse, c’est à tord que la requérante prétend que par sa délibération du 17 mars 2005 le Conseil de l’Ordre commettrait un excès de pouvoir en interdisant toute publicité sur les supports de la société Pages Jaunes, dans la mesure où d’une part, cette interdiction n’est pas générale, comme ne s’entendant pas aux autres supports, et que, d’autre part, cette interdiction peut être levée si la société Pages Jaunes accepte de se mettre en conformité avec les règles régissant les principes essentiels de la profession, le rapport sur les Pages Jaunes de M. Le Bâtonnier Alain P. membre du bureau de la conférence des bâtonniers du 1er juillet 2005 faisant d’ailleurs état d’une réunion avec des responsables des Pages Jaunes au cours de laquelle cette question a été abordée ;
– la publicité doit procurer au public une nécessaire information :
Attendu que si le Conseil de l’Ordre relève devant la cour que l’encart publicitaire de la SCP Antoine Macquart-Moulin et Jean Louis Balleret sur internet n’apporte aucune information spécifique au public, contrairement au principe posé par l’article 161 du décret du 27 novembre 1991, la violation de cette disposition réglementaire n’a pas été retenue dans la motivation des délibérations entreprises ;
Que d’ailleurs la requérante n’a pas estimé devoir s’expliquer sur ce point ;
Attendu en définitive que le non respect apparent de cette disposition réglementaire n’est pas suffisant pour interdire la publicité dans les Pages Jaunes dans la mesure où la souscription d’un encart payant dans les Pages Jaunes qui apporterait les mêmes informations que celles fournies par l’inscription gratuite (plan – itinéraire – site internet et coordonnées habituelles que sont les numéros de téléphone et fax), ne serait pas prohibée si elle respectait les règles régissant les principes essentiels de la profession ;
– le respect des règles régissant les principes essentiels de la profession :
Attendu que si la SCP Antoine Macquart-Moulin et Jean Louis Balleret n’a pas souscrit avec les Pages Jaunes un contrat discriminatoire et si tous les avocats ont accès à ce service payant proposé par une entreprise commerciale, sur un marché non seulement national mais européen qui interdit aux avocats et à leurs organes représentatifs d’imposer des pratiques restrictives de concurrence, la profession d’avocat ne peut pas abandonner ou méconnaître les principes déontologiques qui sont le fondement de sa mission spécifique de conseil et de représentation en justice en faveur de tous les justiciables ;
Que la SCP Antoine Macquart-Moulin et Jean Louis Balleret qui ne remet pas en cause les principes régissant la profession d’avocat, ne peut pas considérer que la fuite en avant que constitueraient des offres commerciales toujours renouvelées et plus coûteuses et se répercutant sur les honoraires, seraient un progrès pour la profession ;
Attendu qu’en l’espèce, c’est à bon droit que le Conseil de l’Ordre estime que l’effet attaché à la souscription d’un encart publicitaire consistant à « se mettre en avant » même si c’est le cas échéant en concours avec d’autres confrères, et d’apparaître ainsi en priorité sur internet à la vue d’une personne qui recherche un avocat, n’est pas acceptable au regard de la confraternité, de la délicatesse et même de la dignité ;
Que d’ailleurs la SCP n’a donné aucune explication quant aux motifs réels qui ont incité le groupe Gesica à signer ce contrat en dehors de l’avantage majeur, dans un monde qui repose sur une communication instantanée et efficace, conduisant son destinataire à un choix rapide, d’échapper au tri aléatoire imposé aux avocats n’ayant pas rétribué un tel service, étant observé qu’aucun des (ou du) contrat(s) n’a été versé aux débats ;
Que, au regard de l’effet attaché à la publicité ainsi souscrite, il convient de constater que l’avocat est responsable des conséquences des décisions qu’il prend, en particulier des conséquences des conventions qui l’engagent, y compris dans le cadre des publicités négociées par le réseau auquel il appartient ;
Attendu en conséquence que la SCP Antoine Macquart-Moulin et Jean Louis Balleret sera déboutée de son recours, le Conseil de l’Ordre ayant fait une exacte application des règles régissant, lorsqu’il a statué, les principes essentiels de la profession d’avocat ;
DECISION
La cour, statuant publiquement, après débats en chambre du conseil, contradictoirement, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
. Déclare recevable le recours formé par la SCP Antoine Macquart-Moulin et Jean Louis Balleret , avocats au barreau de Nevers contre les délibérations du Conseil de l’Ordre au barreau de Nevers en date des 16 mars et 1er juin 2005 ;
. Le dit mal fondé ;
. Déboute la SCP Antoine Macquart-Moulin et Jean Louis Balleret, avocats au barreau de Nevers, de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
. Dit n’y avoir lieu à annulation des délibérations du Conseil de l’Ordre du barreau de Nevers des 17 mars et 1er juin 2005 ;
. La condamne aux dépens.
La cour : M. Gabin (président), Mme Vallee et M. Magdeleine (présidents de chambre), M. Lachal et Mme Ladant (conseillers)
Avocats : Me Atzenhoffer, Me Denys Robiliard
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Voir décision de Cour de cassation
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