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Jurisprudence : Vie privée

mercredi 25 février 2004
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Cour d’Appel de Lyon, 7ème chambre, section B, Arrêt du 25 février 2004

Procureur Général / Roger G. / Philippe A.

absence de déclaration - informatique et libertés - sites internet - vie privée

Faits et procédure
Par jugement en date du 18 février 2003, le tribunal de grande instance de Villefranche sur Saone a retenu Roger G. dans les liens de la prévention pour avoir, à Grandris (69), de mars 1997 au 7 août 2001 :

– y compris par négligence, procédé ou fait procéder à des traitements d’informations nominatives sans déclaration préalable auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés,

(art. 226-16 et 226-31 du code pénal, 16 et 41 de la loi 78-17 du 6 janvier 1978) ;

Et par application des articles susvisés, l’a condamné à :

– 450 € d’amende,

Le condamné étant redevable du droit fixe de procédure et la contrainte par corps fixée conformément à la loi.

Sur l’action civile, le tribunal a condamné le prévenu à payer à la partie civile un euro à titre de dommages-intérêts et 450 € en application de l’article 475-1 du code de procédure pénale.

Par lettre en date du 17 novembre 2000, adressée au doyen des juges d’instruction du tribunal de grande instance de Lyon, Philippe A. portait plainte avec constitution de partie civile à l’encontre de Roger G. auquel il reprochait de se servir d’un site internet dans la lutte qu’il avait entreprise contre l’Eglise de Scientologie et ses fidèles.

Philippe A. exposait que la société Worldnet, propriétaire du domaine « worldnet.fr », ayant pour nom commercial « SCT » hébergeait un site dénommé « Secticide » dont l’adresse était http://home.world.fr/-g. Ce site édité par Roger G. mentionnait notamment le nom de Philippe A.

Après vérifications auprès de la Commission nationale de l’informatique et libertés (CNIL), Philippe A. constatait qu’aucune déclaration n’avait été enregistrée auprès de leurs services au nom de http://home.world.fr/-g alors que, selon lui, ce type de site internet était bien un « traitement automatisé d’informations nominatives » au sens de l’article 5 de la loi du 6 janvier 1978 c’est à dire « un ensemble d’opérations réalisées par des moyens automatiques relatifs à la collecte, l’enregistrement, l’élaboration, la modification, la conservation et la destruction d’informations nominatives ».

Selon lui, était ainsi constituée l’infraction prévue par l’article 226-16 du code pénal réprimant le fait « y compris par négligence, de procéder ou de faire procéder à des traitements automatisés d’informations nominatives sans qu’aient été respectées les formalités préalables à leur mise en œuvre par la loi ».

Philippe A. reprochait par ailleurs à Roger G. l’utilisation de son nom dans deux fichiers accessibles sur le site internet ce qui constituait, selon lui, l’infraction prévue par les articles 31 de la loi du 6 janvier 1978 et 226-19 alinéa 1er du code pénal et réprimant le fait de « mettre ou de conserver en mémoire informatisée, sans l’accord exprès de l’intéressé, des données nominatives qui, directement ou indirectement, font apparaître les origines raciales ou les opinions politiques, philosophiques ou religieuses (…) ».

Le premier, http://home.world.fr/-g /list-wise-f.htm, contenait une liste de personnes sous le titre Wise France avec la mention « Philippe A. (eurowin consulting group) ».

Le second fichier figurant à l’adresse http://home.world.fr/ g /lardeur-juin2000.htm invitait à la lecture d’un texte intitulé « Scientologie et infiltration dans les entreprises ». Selon lui, ce texte dénonçait publiquement « une prétendue infiltration de la scientologie dans les entreprises par le biais de l’adhésion de certains chefs d’entreprise au World institute of scientology enterprises. Philippe A. était cité comme scientologue dans une rubrique page 11 du document en tant que dirigeant de la société Eurowin consulting group.

Philippe A. précisait que ce document avait fait l’objet d’un article de presse dans un numéro du magazine Paris Match en date du 17 février 2000.

L’enquête de la gendarmerie de Villefranche sur Saone ouverte sur commission rogatoire établissait en premier lieu que Philippe A. était membre de la scientologie.

Quant à la non déclaration du site internet, il était avéré que Roger G. avait déclaré le site par courrier en date du 22 août 2000 mais que cette déclaration n’avait pas été avalisée par la Cnil et qu’aucune attestation n’avait été délivrée car Roger G. n’avait pas rempli ni complété l’imprimé lui demandant des renseignements complémentaires.

Quant à la conservation ou la mise en mémoire de données nominatives, la Cnil ne déférait pas aux demandes de la gendarmerie d’expliquer par écrit les obligations en la matière mais attestait qu’à partir du moment ou un moteur de recherche permettait la sélection d’un personnel physique, il convenait de recueillir l’aval de la personne.

Entendu sur ces faits, Roger G. expliquait que son site était en ligne depuis 1997 et qu’il avait déjà été la cible de plaintes d’avocats scientologues américains et français mais que son fournisseur d’accès internet l’avait maintenu sur le site faute de demandes fondées.

Roger G. exposait qu’il avait été un dirigeant de la scientologie jusqu’en 1982, date à laquelle il avait quitté cette « escroquerie » puis qu’il avait écrit en 1995 un livre dénonçant les agissements de cette « secte ».

Il décrivait son site internet comme le regroupement dans 1500 fichiers de données obtenues avec des collègues anti-sectaires du monde entier, ces données étant composées d’essais universitaires, d’essais personnels, d’images de parodie, d’articles de presse, de témoignages, d’expertises, de décisions de justice, de rapport interministériel…

Sur la non déclaration du site internet, Roger G. affirmait qu’il s’agissait d’une omission involontaire.

Sur la conservation ou la mise en mémoire de données nominatives, il niait toute infraction et faisait valoir que la scientologie n’était ni un parti politique, ni une religion et que les informations reprises sur le site était de notoriété publique voir même des informations contenues dans des ouvrages de scientologues avérés.

Par lettres en date des 2 et 14 août 2001, Philippe A. faisait état de faits nouveaux expliquant que Roger G. persistait à diffuser les fichiers objets de sa plainte initiale ajoutant même de nouveaux fichiers concernant la procédure en cours.

Entendu sur ses nouveaux faits, Roger G. déclarait qu’il maintenait l’existence de son site afin de poursuivre son travail d’information sur les dérives sectaires de la scientologie et produisait le récépissé de déclaration d’un traitement automatisé d’informations nominatives établies par la Cnil le 7 août 2001.

Roger G. était finalement renvoyé devant le tribunal correctionnel de Villefranche sur Saone pour le seul défaut de déclaration préalable des traitements d’informations nominatives auprès de la Cnil, entre le mois de mars 1997 et le 7 août 2001.

A l’audience devant le tribunal correctionnel, Roger G. reconnaissait l’infraction qui lui était reprochée.

Sur les poursuites exercées à raison de ces faits, le tribunal de grande instance de Villefranche sur Saone a statué dans les termes ci-dessus reproduits par un jugement en date du 18 février 2003 dont il été régulièrement interjeté appel par le prévenu, le procureur de la République et la partie civile.

Discussion

Sur l’action publique

Attendu qu’il résulte des débats et des pièces de la procédure que si Roger G. a bien déclaré par courrier en date du 22 août 2000 mettre en ligne un site internet sous le sigle http://home.world.fr/-g, il n’a cependant pas fait retour du formulaire de déclaration que la Cnil lui avait fait parvenir et qu’en conséquence aucun récépissé de déclaration ne lui été envoyé ;

Attendu que Roger G. n’a régularisé cette situation que le 7 août 2001 ;

Attendu que dès lors, il convient de confirmer la déclaration de culpabilité du prévenu pour avoir, entre le mois de mars 1997 et le 7 août 2001, procédé à des traitements d’informations nominatives sans avoir respecté les formalités préalables à leur mise en œuvre ;

Attendu qu’eu égard à la nature des faits et en considération de la personnalité de leur auteur, il convient de confirmer la peine prononcée en première instance mais de l’assortir du sursis ;

Sur l’action civile

Attendu que Philippe A. sollicite la condamnation du prévenu à lui payer la somme de 15 000 € à titre de dommages-intérêts et celle de 2000 € sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale ; qu’il fait valoir que Roger G. a porté atteinte à la réputation professionnelle et à la liberté religieuse ou philosophique de membres de la scientologie et à la sienne et que « le droit d’accès, le droit à rectification et le droit à réparation est impossible aussi longtemps que le récépissé permettant la mise en œuvre du traitement n’a pas été délivré au demandeur » ;

Attendu que Philippe A. qui ne conteste pas son appartenance à la scientologie, ne précise pas en quoi il aurait voulu exercer un droit de rectification ; qu’il n’établit nullement avoir subi un préjudice direct et personnel du fait de l’infraction commise par le prévenu d’absence de déclaration préalable à la Cnil des traitements d’informations nominatives auxquelles celui-ci a procédé ;

Qu’il convient en conséquence d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il a condamné Roger G. à payer à Philippe A. les sommes de un euro à titre de dommages-intérêts et de 450 € sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale, et de débouter la partie civile de sa demande ;

Décisions

Statuant publiquement, contradictoirement, en matière correctionnelle, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Sur l’action publique

. Confirme le jugement déféré en ce qui concerne la déclaration de culpabilité et quant à la peine prononcée, mais dit que l’amende sera assortie du sursis,

. Met à la charge du condamné le paiement du droit fixe de procédure,

. Fixe la durée de la contrainte par corps conformément à la loi,

Sur l’action civile

Infirmant le jugement déféré,

. Déboute la partie civile de sa demande de dommages-intérêts,

. Dit n’y avoir lieu à application de l’article 475-1 du code de procédure pénale,

. Laisse à la charge de la partie civile les frais de son action.

La cour : M. Fournier (président) M. Penaud et Mme Saleix (conseillers), M. Robert-Charrerau (substitut général)

Avocat : Me Pasta

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