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Jurisprudence : Vie privée

vendredi 03 avril 2009
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Cour d’appel de Toulouse 4ème chambre, section 2 Arrêt du 6 juillet 2007

Eric P. / Lauzin

vie privée

FAITS ET PROCÉDURE

Eric P. est appelant d’un jugement du conseil de prud’hommes de Montauban en date du 7 juillet 2006, auquel le présent arrêt se réfère expressément pour plus ample exposé, qui :
– a dit que son licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse et l’a débouté de sa demande en dommages-intérêts de ce chef ;
– a condamné l’employeur à lui payer les sommes de 1267,60 € brut à titre de rappel de salaire, après annulation de la mise à pied, de 126,76 € brut au titre des congés payés afférents, 7200 € brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis et de 720 € brut au titre des congés payés afférents ;
– a condamné l’employeur aux dépens et au paiement d’une indemnité de procédure de 700 € ;
– a déclaré nulle la clause de non concurrence, mais rejeté la demande en dommages-intérêts.

Eric P. conclut à la réformation partielle du jugement en demandant à la Cour de :
– dire que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et de condamner l’employeur à lui payer une indemnité de 15 000 € sur le fondement de l’article L 122-14-5 du code du travail, les griefs allégués n’étant pas établis ;
– condamner l’employeur à lui payer une indemnité de 10 000 € en réparation du préjudice résultant du respect de la clause de non concurrence nulle ;
– condamner l’employeur aux dépens et au paiement d’une indemnité de procédure de 2500 €.

La société Lauzin conclut au rejet de l’appel et demande à la Cour d’infirmer le jugement pour dire que le licenciement pour faute grave de Eric P. était justifié, pour débouter celui-ci de toutes ses prétentions et de le condamner, outre aux dépens, au paiement d’une indemnité de procédure de 2500 €.

Elle fait valoir que le licenciement était fondé au regard de l’usage abusif de la connexion internet par Eric P. et des trois graves carences constatées dans l’exercice des fonctions de Eric P.

DISCUSSION

Sur la rupture du contrat de travail

Eric P., embauché le 7 juillet 2004 par la société Lauzin en qualité de chef de dépôt, statut cadre, coefficient 420, a été licencié par lettre du 1er février 2005 pour les motifs suivants :

“Vous avez été engagé le 12 juillet 2004 en qualité de chef de dépôt de notre établissement de Beaumont de Lomagne.

Début janvier, à réception de la facture établie par France Télécom, nous avons été surpris de constater que sur les mois de novembre et décembre, les communications vers internet s’élevaient à 55 heures et 42 minutes. En effet, dans le cadre de vos fonctions, vous n’avez nul besoin de consulter des sites internet, à l’exception de l’assurance Euler SFA C. Ce dernier usage ne représente que quelques minutes par mois.

Or, en consultant le détail de vos connexions auprès de notre fournisseur d’accès internet, nous avons constaté que vous vous connectiez très fréquemment, plusieurs fois par jour, et pour des durées parfois très longues.

Ainsi, pour le mois de décembre, pour reprendre quelques exemples
– 1er décembre : 51 minutes
– 7 décembre : 42 minutes
– 8 décembre : 5 heures et 13 minutes
– 13 décembre : 3 heures et 31 minutes
– 16 décembre : 2 heures et 6 minutes
– 27 décembre : 6 heures et 13 minutes
– 28 décembre : 4 heures et 38 minutes.

Si l’on rajoute les autres jours, le total s’établit à plus de 41 heures.

Pendant votre absence, nous avons tenté de prendre connaissance sur votre ordinateur du détail correspondant à ces connexions. Cela n’a pas été possible car vous avez pris le soin d’effacer tout l’historique, ainsi que tous les fichiers temporaires.

Au retour de vos congés, et alors qu’il y avait un certain nombre de dossiers à régler, vous avez à nouveau passé plus d’une heure et demie sur internet.

On peut déduire de ces faits que vous aviez totalement abandonné l’exercice de vos fonctions. Ainsi, nous avons pu constater :
– la baisse très sensible du chiffre d’affaires à compter du mois d’octobre 2004 par rapport au même mois de 2003 : – 31 %, phénomène qui s’est poursuivi en novembre et décembre respectivement : – 23 % et – 23 %.
– la non réalisation des tâches que nous vous avions demandé d’exécuter : absence d’établissement du document d’évaluation des risques professionnels, absence de préparation de l’inventaire (qui a duré 2,5 jours au lieu d’1 jour).
– le très mauvais suivi de la clientèle.
* quasiment aucun rendez-vous avec les artisans,
* commande non effectuée auprès du fournisseur concernant Monsieur A.,
* commande non suivie concernant Madame C.

Ces clients sont extrêmement mécontents, et au-delà des litiges individuels, c’est l’image de marque et la réputation de l’entreprise qui sont gravement mises en cause.

Lors de l’entretien, vous n’avez pu apporter aucune explication satisfaisante à l’ensemble de griefs rappelés ci-dessus.

Ceux-ci à l’évidence, ne permettent pas votre maintien dans l’entreprise, même pendant la durée du préavis.

En conséquence, nous vous notifions votre licenciement pour faute grave qui prendra effet dès réception de la présente, sans préavis.”

A) Sur la cause du licenciement

A titre liminaire, il convient de rappeler, d’une part, que le contrat de travail sans détermination de durée peut être rompu à l’initiative de l’une ou l’autre des parties, mais qu’il ne peut être justifié, en matière disciplinaire, que par une faute du salarié qu’il appartient à l’employeur de prouver lorsqu’elle est contestée, d’autre part, que la faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du contrat de travail pendant la durée du préavis.

En l’espèce, pour infirmer le jugement entrepris et dire et juger que le licenciement de Eric P. est fondé sur une faute grave, il suffira de relever :
– qu’il résulte des pièces produites que le poste informatique connecté au réseau internet se trouvait dans le bureau de Eric P., chef du dépôt de l’établissement situé à Beaumont de Lomagne et que les subordonnés de celui-ci (deux magasiniers et un chauffeur livreur) n’y avaient pas accès (cf. attestations de MM. F., D. et H. que la Cour estime probantes) ;
– que les relevés de connexion au réseau internet à partir de ce poste font apparaître durant le mois de décembre 2004 des connexions très fréquentes, plusieurs fois par jour pour des durées parfois très longues (10 fois plus d’1 heure, 4 fois plus de 2 heures) pour une durée totale de plus de 41 heures ;
– que c’est vainement que Eric P. allègue que ces connexions ne sauraient lui être imputées alors, d’une part, que ses subordonnés, dont certains ignoraient même l’existence de l’abonnement au réseau internet, sont unanimes pour affirmer qu’ils n’avaient pas accès au bureau du chef de dépôt, alors d’autre part, que si le dirigeant de l’entreprise était parfois présent au dépôt, des connexions fort longues ont été relevées à des périodes où celui-ci justifie ne pas avoir pu être à Beaumont de Lomagne (notamment le 8 décembre : 5 heures et 13 mn de connexion, le 27 décembre : 6 h et 13 mn de connexion, le 28 décembre : 4 h et 38 mn de connexion), alors enfin qu’après son licenciement les durées de connexion se sont limitées à quelques minutes par mois ;
– que c’est tout aussi vainement qu’il affirme que l’employeur ne démontre pas que les connexions avaient un caractère exclusivement privé, alors que l’employeur justifie que Eric P. – il ne le conteste d’ailleurs pas sérieusement et ne s’est jamais plaint de son insuffisance – disposait d’une documentation professionnelle importante et que non seulement aucune trace écrite quelconque des sites consultés n’a été retrouvée (pas le moindre tarif ou documentation fournis), mais que l’historique des connexions a été effacé ;
– qu’en effet, cet effacement, qui ne peut être le fruit d’une inadvertance, mais résulte nécessairement d’un acte volontaire puisqu’il nécessite une suite de gestes déterminés et non un acte unique, conjugué aux éléments pré-cités constitue une preuve suffisante de l’utilisation par Eric P. à des fins personnelles du matériel informatique mis à sa disposition par l’employeur ;
– que la connexion du poste pendant des heures démontre que Eric P. ne consacrait pas toute son activité à l’entreprise, mais se livrait durant de très larges périodes à des activités personnelles ;
– qu’il s’agit là d’un comportement fautif ;
– que l’impossibilité par l’employeur, lorsqu’il était absent, de procéder à un quelconque contrôle de l’activité de Eric P., rendait impossible le maintien de celui-ci dans l’entreprise, même pour la durée limitée du préavis et justifiait son licenciement pour faute grave.

B) Sur les conséquences financières de la rupture

Licencié pour faute grave, Eric P. ne peut prétendre ni à dommages-intérêts (son appel principal de ce chef sera donc rejeté), ni à indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, ni à rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire (l’appel incident de l’employeur de ces chefs apparaît fondé).

Sur la clause de non concurrence

II n’est pas contesté que la clause de non concurrence insérée dans le contrat de travail conclu le 7 juillet 2004 est nulle, dans la mesure où elle ne comporte aucune contrepartie financière ou la restriction de la liberté du travail qu’elle imposait au salarié.

Pour infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté la demande en dommages-intérêts de Eric P. et condamner l’employeur à réparer le préjudice résultant du respect par Eric P. d’une clause illicite, il suffira de rappeler :
– que le simple fait pour un salarié de solliciter un emploi similaire auprès d’une entreprise concurrente ne caractérise pas à lui seul le non respect de la clause illicite, qui ne sera établi que par la démonstration de l’accomplissement d’actes concrets de concurrence ;
– que le respect par Eric P. de la clause de non concurrence illicite lui a nécessairement causé un préjudice, dont il appartient au juge d’apprécier l’étendue ;
– qu’il incombe à l’employeur, qui s’oppose à la demande en paiement de dommages-intérêts de ce chef, de prouver que le salarié n’a pas respecté cette clause, preuve qu’en l’espèce l’employeur ne rapporte pas ;
– que compte tenu de la durée (2 ans) et de l’étendue (30 km autour de Beaumont de Lomagne) de l’obligation illicite imposée au salarié, le préjudice peut être chiffré à 800 €.

Sur les dépens et les frais non répétibles

Chacune des parties succombant partiellement, il y a lieu de laisser à leurs charges respectives les frais d’instance et d’appel et de les débouter de leurs demandes en paiement d’indemnité de procédure.

DECISION

La cour, par ces motifs,

. Déclare l’appel principal et l’appel incident réguliers en la forme et recevables.

Au fond,

. Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Et statuant à nouveau,

. Dit que le licenciement de Eric P. est fondé sur une faute grave.

. Déboute en conséquence Eric P. de ses demandes en paiement d’un rappel de salaire pour la durée de la mise à pied conservatoire, d’une indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents, d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

. Déclare nulle la clause de non concurrence stipulée dans le contrat de travail.

. Condamne en conséquence la société Lauzin à payer à Eric P. une somme de 800 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant du respect de cette clause illicite.

. Déboute les parties de leurs demandes respectives fondées sur l’article 700 du nouveau code de procédure civile.

. Dit que chacune des parties conservera à sa charge ses propres dépens d’instance et d’appel.

La cour : R. Muller (président), F. Briex et M.P. Pellarin (conseillers)

Avocats : Me Olivier Issanchou, SCP Bozec-Calverie et Ribau

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