Jurisprudence : Contenus illicites
Cour d’appel de Versailles 7ème chambre Arrêt du 10 novembre 2008
Didier et Isabelle B. / M. T.
contenus illicites
RAPPEL DE LA PROCÉDURE
Le jugement :
Par jugement contradictoire en date du 27 juin 2007, le Tribunal correctionnel de Versailles a déclaré T. M. coupable de :
– Non assistance à personne en danger, faits commis le 24/04/2006, à Porcheville, à l’encontre de Madame Isabelle H. épouse B., infraction prévue par l’article 223-6 al. 2 du Code pénal et réprimée par les articles 223-6 al. 2, al. 1, 223-16 du Code pénal,
– Utilisation d’un document ou enregistrement obtenu par une atteinte à la vie privée d’autrui, faits commis le 24/04/2006, à Porcheville, à l’encontre de Madame Isabelle H. épouse B., infraction prévue et réprimée par les articles 226-1, 226-5, 226-6 et 226-31 du code pénal,
Sur l’action publique :
– l’a condamné à 1 an d’emprisonnement dont 6 mois avec sursis,
Sur l’action civile :
– a déclaré recevable la constitution de partie civile de Monsieur Didier B. et de Madame Isabelle H. épouse B.,
– a déclaré T. M. entièrement responsable du préjudice subi par les parties civiles,
– a condamné T. M. à verser à Madame Isabelle H. épouse B., les sommes de 5000 € à litre de dommages-intérêts et 2000 € au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale,
– a condamné T. M. à verser à Monsieur Didier T., la somme de 1 euro à titre de dommages et intérêts,
[…]
FAITS ET PROCEDURE
La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, jugeant publiquement, a rendu l’arrêt suivant :
La cour est saisie des appels formés le 6 juillet 2007 par M. T., prévenu, pour les dispositions pénales et civiles, et, le même jour, par le ministère public, d’un jugement contradictoire du tribunal correctionnel de Versailles, rendu le 27 juin 2007, et dont le dispositif a été rappelé ci-dessus ;
Ces appels, formés dans le respect des formes et des délais prévus par le code de procédure pénale, sont recevables ;
Les faits sont les suivants :
Le 24 avril 2006 à 16 heures 05, le proviseur adjoint du lycée Lavoisier à Porcheville avisait le commissariat de Mantes la Jolie que Mme Isabelle H. épouse B., professeur dans cet établissement, venait d’être physiquement agressée par un de ses élèves, A.W., à l’occasion d’un cours de “vie sociale et professionnelle” ;
La victime rapportait que son cours avait commencé depuis trois minutes lorsque A. W., qui venait de pénétrer dans la salle de classe, s’était jeté sur elle, lui avait porté une gifle à hauteur du visage, puis lui avait lancé une chaise qu’elle avait réussi à esquiver avec son bras droit ; après qu’elle ait chuté sur le sol, A. W. avait continué à la rouer de coups de pied jusqu’à ce qu’un élève s’interpose, obligeant l’agresseur à quitter alors les lieux ;
Celui-ci faisait l’objet, à l’issue de sa garde à vue, d’une convocation devant le tribunal correctionnel de Versailles pour le 26 juin 2006 ;
Cependant, et dès le lendemain des faits, la presse révélait que les agissements de W. avaient été filmés au moyen d’un téléphone portable et que la vidéo litigieuse, d’une durée de treize secondes, circulait dans la cité du Val Fourré de Mantes la Jolie ;
Réentendu, W. affirmait n’avoir pas prémédité l’agression et n’avoir eu aucun complice ; l’audition de Mme H. et de six élèves ne permettait pas, dans un premier temps, d’identifier le vidéaste ;
Le visionnage de la vidéo litigieuse révélait distinctement les différents temps de l’agression, et manifestait que le vidéaste s’était rapproché de la scène pour filmer sous un meilleur angle ; l’audition de divers témoins révélait que dès la fin de l’agression, la vidéo avait été visionnée par un groupe d’élèves auquel appartenait M. T. ; celui-ci, confondu par le fait que l’angle de la prise de vue désignait, comme position initiale du vidéaste, la place qu’il occupait dans la classe, finissait par reconnaître être l’auteur de la vidéo, mais niait toute préméditation, et toute complicité avec W. ;
Il expliquait avoir sorti son téléphone instinctivement et comme par réflexe, dès qu’il avait vu que “ça chauffait » ; il n’avait pas pensé porter secours à son professeur, avec laquelle il n’avait pourtant eu aucun problème, et indiquait avoir agi ainsi juste “pour se marrer”, et parce que c’était à la mode parmi les élèves de se montrer et de faire passer, grâce à la technologie “bluetooth” équipant les téléphones portables les plus récents, toute sorte de petits films intéressants ;
Il ajoutait qu’aussitôt après les faits, il avait rejoint W., qu’il connaissait bien et qu’il avait laissé son téléphone sur sa table ; des camarades étaient venus lui dire que son téléphone était passé de mains en mains, et que plusieurs élèves avaient profité de cette occasion pour télécharger la vidéo ; sur les conseils d’un ami, il l’avait alors effacé, puis avait vendu rapidement son téléphone pour s’en débarrasser, il exprimait de profonds regrets pour ses agissements ;
Devant la cour
M. T. est présent et assisté ; l’arrêt sera donc contradictoire à son égard ; son conseil dépose des conclusions à l’audience tendant, d’une part à voir constater la nullité du jugement entrepris en ce qu’il aurait procédé à une requalification des faits sans que M. T. ait pu s’expliquer sur les faits objet de cette requalification, et d’autre part, à titre subsidiaire, à voir prononcer une relaxe des faits d’enregistrement et d’utilisation ;
Isabelle H. et Didier B. ne comparaissent pas mais sont représentés, en sorte que l’arrêt sera également contradictoire à leur égard ; ils sollicitent tous deux la confirmation du jugement entrepris ; Isabelle H. dépose en ce sens des conclusions à l’audience et sollicite en outre une somme supplémentaire de 1500 € au titre de ses frais irrépétibles exposés en cause d’appel, et la condamnation de M. T. aux dépens ;
Mme l’Avocat général requiert le rejet de l’exception de nullité, et la confirmation de la décision entreprise ;
La cour joint l’incident au fond ;
Le prévenu a eu la parole le dernier ;
DISCUSSION
Considérant, sur l’exception de nullité, que M. T. estime que le jugement querellé a procédé en cours de délibéré à une requalification des faits qui lui étaient reprochés, au visa de l’article 226-1 du code pénal, en des faits prévus par l’article 226-2 du même code, sans qu’il ait été mis à même de présenter sa défense sur la nouvelle qualification envisagée ;
Qu’il fonde cette analyse sur le fait que le jugement le déclare coupable d’utilisation d’un enregistrement obtenu par une atteinte à la vie privée d’autrui, reprenant ainsi la notion d’utilisation, propre à l’article 226-2 du code pénal ;
Considérant toutefois que cette mention, ainsi que celle similaire portée dans le « chapeau” du jugement, ne constitue qu’une simple erreur matérielle, liée à la proximité des deux infractions dans les codes informatiques utilisés par le greffe ;
Qu’en effet la motivation retenue par les premiers juges, sans jamais évoquer la perspective d’une requalification, s’attache particulièrement à caractériser les éléments constitutifs du délit prévu par l’article 226-1 du code pénal visé aux poursuites ;
Qu’ainsi elle énonce le fait que le film en cause a bien été fixé et enregistré par M. T., en permettant ainsi sa transmission ultérieure aux autres élèves, sans jamais relever qu’il l’a lui même porté à la connaissance du public ;
Que de même elle rappelle qu’une salle de classe est bien le lieu privé exigé pour l’application de l’article 226-1 ;
Considérant ainsi qu’il ne saurait y avoir de doute sur la volonté des premiers juges de déclarer M. T. coupable du délit prévu par l’article 226-1 du code pénal ;
Que d’ailleurs, le dispositif du jugement porte expressément vu les articles susvisés, ce qui exclut toute référence à l’article 226-2 du code pénal qui n’est mentionné ni dans l’acte de saisine de la juridiction, ni dans les qualifications reprises en tête du jugement ;
Considérant dès lors que les premiers juges n’ont nullement opéré une requalification en fraude du principe du contradictoire et des droits de la défense, mais ont commis une simple erreur matérielle susceptible de rectification ;
Que l’exception de nullité ne pourra en conséquence qu’être écartée ;
Considérant, au fond, que les premiers juges ont statué par des motifs pertinents que la cour fait siens ;
Que la cour observera que M. T. a reconnu avoir volontairement “fixé” la scène, et qu’il est constant qu’il l’a “enregistrée”, même s’il affirme, de façon peu convaincante, qu’il ignorait l’avoir fait ;
Que M. T. sera donc en conséquence déclaré coupable de non assistance à personne en danger (prévue et réprimée par les articles 223-6 alinéa 2 et 223-16 du code pénal) et d’atteinte à l’intimité de la vie d’autrui par fixation ou enregistrement volontaires de l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé sans son consentement (prévue et réprimée par les articles 226-1, 226-5, 226-6 et 226-31 du code pénal), faits pour lesquels il était renvoyé devant le tribunal correctionnel ;
Considérant, en revanche, sur la peine, que la cour tiendra compte du jeune âge de M. T. au moment des faits, de son absence d’antécédents judiciaires, et des regrets sincères qu’il exprime de son geste dont il a pris pleine conscience du caractère inacceptable ; qu’elle le condamnera donc à une peine de dix huit mois d’emprisonnement, qu’elle estime justifiée par la gravité particulière des faits, mais qu’elle assortira cependant entièrement du sursis ;
Considérant, sur l’action civile d’Isabelle H. et de Didier B., que les premiers juges ont fait une exacte appréciation du préjudice résultant de l’infraction dont ils ont déclaré M. T. coupable ; que le jugement attaqué sera donc entièrement confirmé de ce chef ;
Que l’équité justifie que soit accordée à Isabelle H. une somme supplémentaire de 1000 € au titre des frais irrépétibles exposés par elle en cause d’appel ;
Considérant que la demande de condamnation aux dépens civils se heurte aux dispositions de l’article 800-1 du C.P.P, qui met à la charge de l’Etat tous les frais de justice correctionnelle, sans recours envers les condamnés ;
DECISION
La cour, statuant publiquement, et contradictoirement ;
. Reçoit les appels de M. T. et du ministère public,
. Rejette l’exception de nullité présentée par M. T.,
. Déclare M. T. coupable des faits commis le 24 avril 2006 à Porcheville sur la personne de Isabelle H., et qualifiés de non assistance à personne en danger (prévue et réprimée par les articles 223-6 alinéa 2 et 223-16 du code pénal) et d’atteinte à l’intimité de la vie d’autrui par fixation ou enregistrement volontaires de l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé sans son consentement (prévue et réprimée par les articles 226-1, 226-5, 226-8 et 226-31 du code pénal),
. Confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions excepté sur la peine,
. Reformant de ce dernier chef,
. Condamne M. T. à la peine de 18 mois d’emprisonnement,
. Dit qu’il sera entièrement sursis à l’exécution de cette peine,
. Constate que l’avertissement prévu par l’article 132-29 du code pénal a été donné à M. T.,
Et y ajoutant,
. Condamne M. T. à payer à Isabelle H. une somme de 1000 € au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale,
. Dit n’y avoir lieu à condamnation aux dépens civils ;
La cour : M. Echappé (président), M. de Becdelièvre et Mme Dionisi (conseillers)
Avocats : Me Gallais Sophie, Me Cécile Flecheux
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.