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Jurisprudence : Vie privée

lundi 23 décembre 2013
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Cour de justice de l’Union européenne 3ème chambre Arrêt du 7 novembre 2013

IPI, Geoffrey E, Grégory F.

directive europeenne - droit communautaire - exception - obligation d'information - portée - traitement automatisé de données à caractère personnel

DISCUSSION

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 13, paragraphe 1, sous d) et g), de la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (JO L 281, p. 31).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant l’Institut professionnel des agents immobiliers (IPI) à M. E., à Immo 9 SPRL et à M. F. au sujet d’infractions présumées à la réglementation nationale relative à l’exercice de la profession d’agent immobilier.

Le cadre juridique

– Le droit de l’Union

* La directive 95/46

3 Les considérants 3, 8, 10, 37 et 43 de la directive 95/46 se lisent comme suit :

«(3) considérant que l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur dans lequel, conformément à l’article 7 A du traité, la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée, nécessitent non seulement que des données à caractère personnel puissent circuler librement d’un État membre à l’autre, mais également que les droits fondamentaux des personnes soient sauvegardés ;

[…]

(8) considérant que, pour éliminer les obstacles à la circulation des données à caractère personnel, le niveau de protection des droits et libertés des personnes à l’égard du traitement de ces données doit être équivalent dans tous les États membres ; […]

[…]

(10) considérant que l’objet des législations nationales relatives au traitement des données à caractère personnel est d’assurer le respect des droits et libertés fondamentaux, notamment du droit à la vie privée reconnu également dans l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et dans les principes généraux du droit communautaire; que, pour cette raison, le rapprochement de ces législations ne doit pas conduire à affaiblir la protection qu’elles assurent mais doit, au contraire, avoir pour objectif de garantir un niveau élevé de protection dans la Communauté ;

[…]

(37) considérant que le traitement de données à caractère personnel à des fins de journalisme ou d’expression artistique ou littéraire, notamment dans le domaine audiovisuel, doit bénéficier de dérogations ou de limitations de certaines dispositions de la présente directive dans la mesure où elles sont nécessaires à la conciliation des droits fondamentaux de la personne avec la liberté d’expression, […] ;

[…]

(43) considérant que des restrictions aux droits d’accès et d’information, ainsi qu’à certaines obligations mises à la charge du responsable du traitement de données, peuvent également être prévues par les États membres dans la mesure où elles sont nécessaires à la sauvegarde, par exemple, de la sûreté de l’État, de la défense, de la sécurité publique, d’un intérêt économique ou financier important d’un État membre ou de l’Union européenne, ainsi qu’à la recherche et à la poursuite d’infractions pénales ou de manquements à la déontologie des professions réglementées; […]».

4 L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 95/46 énonce :

«Les États membres assurent, conformément à la présente directive, la protection des libertés et droits fondamentaux des personnes physiques, notamment de leur vie privée, à l’égard du traitement des données à caractère personnel.»

5 L’article 2, sous a) et d), de la directive 95/46 prévoit :

«Aux fins de la présente directive, on entend par :

a) ‘données à caractère personnel’ : toute information concernant une personne physique identifiée ou identifiable (personne concernée) […]

[…]

d) ‘responsable du traitement’ : la personne physique ou morale, l’autorité publique, le service ou tout autre organisme qui, seul ou conjointement avec d’autres, détermine les finalités et les moyens du traitement de données à caractère personnel ; […]»

6 L’article 9 de la directive 95/46 dispose :

«Les États membres prévoient, pour les traitements de données à caractère personnel effectués aux seules fins de journalisme ou d’expression artistique ou littéraire, des exemptions et dérogations au présent chapitre, au chapitre IV et au chapitre VI dans la seule mesure où elles s’avèrent nécessaires pour concilier le droit à la vie privée avec les règles régissant la liberté d’expression.»

7 Sous l’intitulé «Information de la personne concernée», la section IV de la directive 95/46 comprend les articles 10 et 11 qui régissent respectivement les situations où les données ont été collectées auprès de cette personne et celles où les données n’ont pas été collectées auprès d’elle.

8 L’article 10 de la directive 95/46 énonce :

«Les États membres prévoient que le responsable du traitement ou son représentant doit fournir à la personne auprès de laquelle il collecte des données la concernant au moins les informations énumérées ci-dessous, sauf si la personne en est déjà informée :
a) l’identité du responsable du traitement et, le cas échéant, de son représentant ;

b) les finalités du traitement auquel les données sont destinées ;

c) toute information supplémentaire telle que :

– les destinataires ou les catégories de destinataires des données,

– le fait de savoir si la réponse aux questions est obligatoire ou facultative ainsi que les conséquences éventuelles d’un défaut de réponse,

– l’existence d’un droit d’accès aux données la concernant et de rectification de ces données,

dans la mesure où, compte tenu des circonstances particulières dans lesquelles les données sont collectées, ces informations supplémentaires sont nécessaires pour assurer à l’égard de la personne concernée un traitement loyal des données.»

9 L’article 11 de cette directive dispose que, lorsque les données n’ont pas été collectées auprès de la personne concernée, les États membres prévoient que le responsable du traitement ou son représentant doit, dès l’enregistrement des données ou, si une communication de données à un tiers est envisagée, au plus tard lors de la première communication de données, fournir à la personne concernée au moins les informations énumérées à cet article, sauf si la personne en est déjà informée.

10 L’article 13 de la directive 95/46, intitulé «Exceptions et limitations», prévoit à son paragraphe 1 :

«Les États membres peuvent prendre des mesures législatives visant à limiter la portée des obligations et des droits prévus à l’article 6 paragraphe 1, à l’article 10, à l’article 11 paragraphe 1 et aux articles 12 et 21, lorsqu’une telle limitation constitue une mesure nécessaire pour sauvegarder :

a) la sûreté de l’État ;

b) la défense ;

c) la sécurité publique ;

d) la prévention, la recherche, la détection et la poursuite d’infractions pénales ou de manquements à la déontologie dans le cas des professions réglementées ;

e) un intérêt économique ou financier important d’un État membre ou de l’Union européenne, y compris dans les domaines monétaire, budgétaire et fiscal ;

f) une mission de contrôle, d’inspection ou de réglementation relevant, même à titre occasionnel, de l’exercice de l’autorité publique, dans les cas visés aux points c), d) et e) ;

g) la protection de la personne concernée ou des droits et libertés d’autrui.»

* La directive 2002/58/CE

11 La directive 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 juillet 2002, concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques (directive vie privée et communications électroniques) (JO L 201, p. 37), prévoit à son article 15, paragraphe 1 :

«Les États membres peuvent adopter des mesures législatives visant à limiter la portée des droits et des obligations prévus aux articles 5 et 6, à l’article 8, paragraphes 1, 2, 3 et 4, et à l’article 9 de la présente directive lorsqu’une telle limitation constitue une mesure nécessaire, appropriée et proportionnée, au sein d’une société démocratique, pour sauvegarder la sécurité nationale – c’est-à-dire la sûreté de l’État – la défense et la sécurité publique, ou assurer la prévention, la recherche, la détection et la poursuite d’infractions pénales ou d’utilisations non autorisées du système de communications électroniques, comme le prévoit l’article 13, paragraphe 1, de la directive [95/46]. […]»

– Le droit belge

12 La loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l’égard des traitements de données à caractère personnel (Moniteur belge du 18 mars 1993, p. 5801) a été modifiée par la loi du 11 décembre 1998 transposant la directive 95/46/CE (Moniteur belge du 3 février 1999, p. 3049, ci-après la «loi de 1992»). L’article 9 de la loi de 1992, dont les paragraphes 1 et 2 correspondent respectivement aux articles 10 et 11 de cette directive, impose une obligation d’information de la personne concernée.

13 L’article 3, paragraphes 3 à 7, de la loi de 1992 prévoit des exceptions et des limitations à cette obligation d’information, notamment, lorsque le traitement des données à caractère personnel est effectué aux seules fins de journalisme ou d’expression littéraire ou artistique et lorsqu’il est géré par la sûreté de l’État, par le service général du renseignement et de la sécurité des forces armées, par les autorités publiques en vue de l’exercice de leurs missions de police judiciaire, par les services de police en vue de l’exercice de leurs missions de police administrative ou par le centre européen pour les enfants disparus et sexuellement exploités.

Les faits au principal et les questions préjudicielles

14 L’IPI, créé par un arrêté royal du 17 février 1995, a notamment pour mission de veiller au respect des conditions d’accès à la profession d’agent immobilier et au bon exercice de celle-ci. Il peut, à cet effet, ester en justice en dénonçant aux autorités judiciaires toute infraction à la réglementation applicable. L’IPI est autorisé à recourir aux services de détectives privés afin d’accomplir sa mission.

15 Dans le cadre de son activité, l’IPI a demandé au tribunal de commerce de Charleroi de constater que M. E., Immo 9 SPRL et M. F. avaient commis des actes contraires à cette réglementation et d’ordonner à MM. E. et F. la cessation de diverses activités immobilières. L’IPI a fondé son action sur des éléments de faits recueillis par des détectives privés auxquels il a eu recours.

16 Le tribunal de commerce de Charleroi s’est interrogé sur la valeur à attribuer aux preuves fournies par ces derniers, compte tenu de la possibilité qu’elles aient été obtenues sans respecter les exigences en matière de protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et, par conséquent, en violation de la loi de 1992. Ce tribunal a indiqué que, selon l’IPI, l’application de cette loi qui exige d’informer préalablement la personne concernée de l’enquête menée par des détectives ou, lorsque les données sont collectées auprès de tiers, dès l’enregistrement des données en question, rend impossible l’activité de détective privé. Ledit tribunal s’est demandé si, en n’étendant pas aux détectives privés les exceptions à cette obligation d’information dont bénéficient d’autres catégories professionnelles ou organismes d’intérêt public, l’article 3, paragraphes 3 à 7, de la loi de 1992 ne crée pas une inégalité de traitement contraire à la Constitution. Il a, par conséquent, décidé d’interroger la Cour constitutionnelle à ce sujet.

17 Cette dernière estime qu’il faut vérifier si la loi de 1992, en ne prévoyant pas d’exceptions pour les détectives privés comparables à celles visées à l’article 13, paragraphe 1, sous d) et g), de la directive 95/46, transpose correctement cette disposition. Elle expose que l’article 3, paragraphes 3 à 7, de la loi de 1992 crée une différence de traitement entre, d’une part, les personnes exerçant une activité journalistique, artistique ou littéraire, les services compétents en matière de sécurité et de police et le centre européen pour les enfants disparus et sexuellement exploités et, d’autre part, les personnes exerçant la profession de détective privé, en ce sens que seuls les premiers sont dispensés de l’obligation d’information prévue à l’article 9 de la loi de 1992.

18 Selon la juridiction de renvoi, cette dispense s’explique au regard des activités exercées, lesquelles ont trait à l’information du public ou à la vie culturelle, au maintien de la sécurité et de l’ordre public et à la défense des droits fondamentaux des plus faibles.

19 Les détectives privés se trouveraient dans une situation différente. La juridiction de renvoi fait observer que, même si leur profession est réglementée par une loi de 1991 qui en détermine les contours et soumet l’exercice de la profession à l’autorisation du ministre de l’Intérieur, leur activité est étrangère à la protection de ces droits fondamentaux et intérêts généraux et porte généralement sur la défense d’intérêts privés.

20 La Cour constitutionnelle relève que, si l’article 13, paragraphe 1, de la directive 95/46 semble conférer une certaine liberté aux États membres pour adopter ou non les exceptions en question, un doute existe néanmoins compte tenu de l’harmonisation, en principe complète, réalisée par cette directive.

21 Dans ces conditions, la Cour constitutionnelle a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

«1) L’article 13, paragraphe 1, [sous] g), in fine, de la directive [95/46] doit-il être interprété en ce sens qu’il laisse aux États membres la liberté de prévoir ou non une exception à l’obligation d’information immédiate visée à l’article 11, paragraphe 1, si celle-ci est nécessaire en vue de la protection des droits et libertés d’autrui ou les États membres sont-ils en la matière soumis à des restrictions ?

2) Les activités professionnelles des détectives privés, réglées par le droit interne et exercées au service d’autorités habilitées à dénoncer aux autorités judiciaires toute infraction aux dispositions protégeant un titre professionnel et organisant une profession, relèvent-elles, selon les circonstances, de l’exception visée à l’article 13, paragraphe 1, [sous] d) et g), in fine, de la directive [95/46] ?

3) En cas de réponse négative à la deuxième question, l’article 13, paragraphe 1, [sous] d) et g), in fine, de la directive [95/46] est-il compatible avec l’article 6, paragraphe 3, [TUE], plus précisément avec le principe d’égalité et de non-discrimination ?»

Sur les questions préjudicielles

– Observation liminaire

22 Dans le cadre de sa première question, la juridiction de renvoi fait référence à une obligation immédiate d’informer la personne concernée qui serait visée à l’article 11 de la directive 95/46.

23 Il y a lieu, toutefois, de relever que cette disposition, qui concerne les données qui n’ont pas été collectées auprès de la personne concernée, prévoit une information de celle-ci non pas au moment où les données sont collectées, mais à un stade ultérieur. En revanche, l’article 10 de la directive 95/46, qui a trait à la collecte de données auprès de la personne concernée, prévoit l’information de cette personne au moment de la collecte des données (voir, en ce sens, arrêt du 7 mai 2009, Rijkeboer, C‑553/07, Rec. p. I‑3889, point 68). Le caractère immédiat de l’information de la personne concernée ressort donc non pas de l’article 11 de la directive 95/46 mentionné par la juridiction de renvoi, mais de cet article 10.

24 S’agissant d’enquêtes menées par un détective privé, il ressort de la décision de renvoi que celui-ci peut être amené à recueillir des données soit directement auprès de la personne concernée, soit indirectement, notamment auprès de tiers. Il y a lieu, par conséquent, de constater que tant l’article 10 que l’article 11, paragraphe 1, de la directive 95/46 peuvent, selon les circonstances, se révéler pertinents pour de telles enquêtes.

– Sur les deux premières questions

25 Par ses deux premières questions, qu’il y a lieu d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, d’une part, si l’article 13, paragraphe 1, de la directive 95/46 doit être interprété en ce sens que les États membres ont la faculté ou bien l’obligation de transposer dans leur droit national les exceptions qu’il prévoit à l’obligation d’informer la personne concernée du traitement de ses données à caractère personnel et, d’autre part, si l’activité de détective privé agissant pour un organisme professionnel afin de rechercher des manquements à la déontologie d’une profession réglementée, en l’occurrence celle d’agent immobilier, relève dudit article 13, paragraphe 1, sous d) ou g).

26 Il convient de relever d’emblée que des données, telles que celles qui, selon la juridiction de renvoi, sont collectées par les détectives privés dans l’affaire en cause au principal, portent sur des personnes agissant comme agents immobiliers et concernent des personnes physiques identifiées ou identifiables. Elles constituent, par conséquent, des données à caractère personnel, au sens de l’article 2, sous a), de la directive 95/46. Leur collecte, leur conservation et leur transmission par un organisme réglementé tel que l’IPI ou par les détectives privés agissant pour leur compte présentent, dès lors, le caractère d’un «traitement de données à caractère personnel», au sens de l’article 2, sous b), de la directive 95/46 (voir arrêt du 16 décembre 2008, Huber, C‑524/06, Rec. p. I‑9705, point 43).

27 Afin de répondre à la question posée, il y a lieu d’examiner, dans un premier temps, si, en vertu de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 95/46, les États membres disposent de la faculté ou sont tenus de prévoir une ou plusieurs des exceptions, qu’il énumère, à l’obligation d’informer la personne concernée du traitement de ses données à caractère personnel.

28 Il ressort des considérants 3, 8 et 10 de la directive 95/46 que le législateur de l’Union a entendu faciliter la libre circulation des données à caractère personnel en rapprochant les législations des États membres tout en sauvegardant les droits fondamentaux des personnes, notamment le droit à la protection de la vie privée, et en garantissant un niveau élevé de protection dans l’Union. L’article 1er de cette directive prévoit ainsi que les États membres doivent assurer la protection des libertés et des droits fondamentaux des personnes physiques, notamment de leur vie privée, à l’égard du traitement des données à caractère personnel (arrêts Huber, précité, point 47, ainsi que du 24 novembre 2011, ASNEF et FECEMD, C‑468/10 et C‑469/10, Rec. p. I‑12181, point 25).

29 À cet effet, la directive 95/46 contient, à ses articles 10 et 11, des obligations d’informer la personne concernée du traitement de ses données tout en prévoyant, à son article 13, paragraphe 1, que les États membres peuvent prendre des mesures législatives visant à limiter la portée de ces obligations lorsqu’une telle mesure est nécessaire aux fins énumérées à cet article 13, paragraphe 1, sous a) à g).

30 La juridiction de renvoi s’interroge, à cet égard, sur la marge de manœuvre dont disposent les États membres, compte tenu de l’objectif d’harmonisation poursuivi par le législateur, tel qu’exprimé au considérant 8 de cette directive, visant à rendre équivalent, dans tous les États membres, le niveau de protection des droits et des libertés des personnes à l’égard du traitement des données à caractère personnel.

31 Il convient de rappeler que la Cour a, en effet, précédemment jugé que la directive 95/46 aboutit à une harmonisation qui est, en principe, complète (voir arrêts du 6 novembre 2003, Lindqvist, C‑101/01, Rec. p. I‑12971, points 95 et 96, ainsi que Huber, précité, points 50 et 51). La Cour a, toutefois, également constaté que les dispositions de la directive 95/46 sont nécessairement relativement générales étant donné que celle-ci doit s’appliquer à un grand nombre de situations très diverses et a considéré que cette directive comporte des règles caractérisées par une certaine souplesse laissant dans de nombreux cas aux États membres le soin d’arrêter les détails ou de choisir parmi des options (arrêt Lindqvist, précité, point 83).

32 S’agissant de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 95/46, il résulte clairement de son libellé, et notamment de l’emploi des termes «les États membres peuvent», que cette disposition n’oblige pas les États membres à prévoir dans leur droit national des exceptions aux fins énumérées à cet article 13, paragraphe 1, sous a) à g), mais que, au contraire, le législateur a entendu leur laisser le choix de décider si, et le cas échéant pour quelles fins, ils souhaitent prendre des mesures législatives visant à limiter notamment la portée des obligations d’information de la personne concernée. En outre, il ressort également du libellé du même article 13, paragraphe 1, que les États membres peuvent prévoir de telles mesures uniquement lorsque celles-ci sont nécessaires. Le caractère «nécessaire» des mesures conditionne ainsi la faculté accordée aux États membres par ledit article 13, paragraphe 1, et ne signifie nullement que ces derniers sont contraints d’adopter les exceptions en cause dans tous les cas où cette condition est satisfaite.

33 Cette interprétation est, tout d’abord, corroborée par le libellé du considérant 43 de la directive 95/46, selon lequel des restrictions aux droits d’information «peuvent […] être prévues par les États membres dans la mesure où elles sont nécessaires à la sauvegarde» desdites fins. Elle est, ensuite, confirmée par une comparaison entre, d’une part, le libellé de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 95/46 et, d’autre part l’article 9 et le considérant 37 de cette directive qui, eux, imposent clairement l’obligation aux États membres de prévoir, pour les traitements de données à caractère personnel effectués aux seules fins de journalisme ou d’expression artistique ou littéraire, des exemptions et des dérogations dans la mesure où elles s’avèrent nécessaires pour concilier le droit à la vie privée avec les règles régissant la liberté d’expression.

34 Cette interprétation est également corroborée par l’analyse faite par la Cour, dans son arrêt du 29 janvier 2008, Promusicae (C‑275/06, Rec. p. I‑271), de l’article 15, paragraphe 1, de la directive vie privée et communications électroniques, lequel est rédigé dans des termes qui sont proches de ceux de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 95/46 et, de surcroît, renvoient expressément à ces derniers.

35 La Cour a, tout d’abord, constaté que ledit article 15, paragraphe 1, offre aux États membres la possibilité de prévoir des exceptions à l’obligation de principe de garantir la confidentialité des données à caractère personnel (arrêt Promusicae, précité, point 50).

36 S’agissant de l’une de ces exceptions, la Cour a ensuite jugé que ledit article 15, paragraphe 1, ne peut, cependant, pas être interprété comme contraignant, dans les situations qu’il énumère, les États membres à prévoir une obligation de divulgation (arrêt Promusicae, précité, points 51 et 53).

37 Il y a lieu, par conséquent, de considérer que l’article 13, paragraphe 1, de la directive 95/46 offre aux États membres la faculté de prévoir une ou plusieurs des exceptions qu’il énumère, mais que ces États n’y sont nullement contraints.

38 Il convient, dans un second temps, d’examiner si l’activité de détective privé agissant pour un organisme réglementé, tel que l’IPI, relève des exceptions prévues à l’article 13, paragraphe 1, sous d) et g), de la directive 95/46.

39 Conformément à une jurisprudence constante, la protection du droit fondamental à la vie privée exige que les dérogations à la protection des données à caractère personnel et les limitations de celles-ci doivent s’opérer dans les limites du strict nécessaire (arrêts du 16 décembre 2008, Satakunnan Markkinapörssi et Satamedia, C‑73/07, Rec. p. I‑9831, point 56, ainsi que du 9 novembre 2010, Volker und Markus Schecke et Eifert, C‑92/09 et C‑93/09, Rec. p. I‑11063, points 77 et 86).

40 S’agissant des exceptions énoncées à l’article 13, paragraphe 1, sous d) et g), de la directive 95/46, celles-ci se réfèrent, en particulier, pour la première, à une situation concrètement définie, à savoir la prévention, la recherche, la détection et la poursuite de manquements à la déontologie dans le cas de professions réglementées et, pour la seconde, à la protection des droits et des libertés d’autrui, lesquels ne sont, en revanche, pas précisés.

41 Il convient d’examiner, en premier lieu, l’exception prévue à l’article 13, paragraphe 1, sous d), de ladite directive et de vérifier si elle s’applique à l’activité de détective privé agissant pour le compte d’un organisme tel que l’IPI.

42 Il ressort de la décision de renvoi que la profession d’agent immobilier constitue une profession réglementée en Belgique et que l’IPI est un organisme professionnel chargé de veiller au respect de la réglementation en cause en recherchant et en dénonçant les infractions à cette réglementation.

43 Il y a lieu de constater que l’activité d’un organisme tel que l’IPI correspond à la situation visée par l’exception énoncée à l’article 13, paragraphe 1, sous d), de la directive 95/46 et qu’elle est, dès lors, susceptible de relever de cette exception.

44 La directive 95/46 ne précisant pas les modalités de la recherche et de la détection des manquements à la réglementation, il y a lieu de considérer que cette directive n’empêche pas un tel organisme professionnel d’avoir recours à des enquêteurs spécialisés, tels que des détectives privés chargés de cette recherche et de cette détection, afin d’accomplir sa mission.

45 Il en résulte que, si un État membre a choisi de transposer l’exception prévue audit article 13, paragraphe 1, sous d), alors l’organisme professionnel concerné et les détectives privés agissant pour lui peuvent s’en prévaloir et ne sont pas soumis à l’obligation d’information de la personne concernée prévue aux articles 10 et 11 de la directive 95/46.

46 À l’inverse, si l’État membre n’a pas prévu cette exception, les personnes concernées doivent être informées du traitement de leurs données à caractère personnel, selon les modalités, notamment en matière de délai, prévues auxdits articles 10 et 11.

47 Selon l’IPI, l’application de l’exception à l’obligation d’information, à lui-même et aux détectives privés agissant pour son compte, est indispensable à l’accomplissement de sa mission. Il serait impossible aux détectives privés d’exercer efficacement leur activité au service de l’IPI s’ils devaient divulguer leur identité et les motifs de leurs investigations avant même d’interroger les personnes sur lesquelles ils enquêtent. Le gouvernement néerlandais a également soutenu que les enquêtes en question seraient vouées à l’échec.

48 Ainsi qu’il ressort du point 37 du présent arrêt, c’est toutefois aux États membres qu’il appartient de décider s’ils estiment nécessaire de prévoir dans leur législation l’exception prévue à l’article 13, paragraphe 1, sous d), de la directive 95/46 en faveur d’organismes professionnels tels que l’IPI agissant directement ou avec l’aide de détectives privés. Il leur est loisible de considérer que ces organismes professionnels et les détectives privés agissant pour le compte de ceux-ci disposent de moyens suffisants, malgré l’application des articles 10 et 11 de cette directive, pour parvenir à détecter les manquements à la déontologie en cause de sorte qu’il n’est pas nécessaire de transposer cette exception pour permettre à ces organismes d’accomplir leur mission consistant à veiller au respect de la réglementation.

49 En ce qui concerne la portée de ladite exception, il y a lieu, également, de préciser la notion de «manquement à la déontologie». En effet des divergences de vues sont apparues dans les observations écrites et orales présentées à la Cour à ce sujet. Selon le gouvernement belge, et contrairement à ce que soutient l’IPI, les manquements en question ne concernent que les agissements d’agents immobiliers dûment agréés dans l’exercice de leur profession et ne s’étendent pas aux agissements de personnes qui, sans être agréées, se font passer pour des agents immobiliers.

50 À cet égard, il convient de constater que les règles relatives à l’accès à une profession réglementée font partie des règles de déontologie. Il en résulte que les recherches portant sur les actes de personnes qui enfreignent ces règles en se faisant passer pour des agents immobiliers sont couvertes par l’exception prévue à l’article 13, paragraphe 1, sous d), de la directive 95/46.

51 Il s’ensuit que, selon cette directive, les États membres peuvent prévoir qu’un organisme professionnel réglementé, tel que l’IPI, peut, seul ou avec l’aide de détectives privés, rechercher des manquements éventuels aux règles de la déontologie, en ce compris des manquements résultant d’actes de personnes n’ayant pas respecté les règles relatives à l’accès à la profession, en étant couvert par ladite exception.

52 Eu égard à la portée de cette exception, il n’est pas nécessaire d’examiner si l’activité de détective privé agissant pour un organisme professionnel tel que l’IPI relève également de l’exception prévue à l’article 13, paragraphe 1, sous g), de la directive 95/46.

53 Il convient, dès lors, de répondre aux deux premières questions que :

– l’article 13, paragraphe 1, de la directive 95/46 doit être interprété en ce sens que les États membres ont non pas l’obligation, mais la faculté de transposer dans leur droit national une ou plusieurs des exceptions qu’il prévoit à l’obligation d’informer les personnes concernées du traitement de leurs données à caractère personnel;

– l’activité de détective privé agissant pour un organisme professionnel afin de rechercher des manquements à la déontologie d’une profession réglementée, en l’occurrence celle d’agent immobilier, relève de l’exception prévue à l’article 13, paragraphe 1, sous d), de la directive 95/46.

– Sur la troisième question

54 Compte tenu de la réponse apportée aux deux premières questions, il n’y a pas lieu de répondre à la troisième question.

Sur les dépens

55 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

DÉCISION

Par ces motifs, la Cour dit pour droit :

– L’article 13, paragraphe 1, de la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, doit être interprété en ce sens que les États membres ont non pas l’obligation, mais la faculté de transposer dans leur droit national une ou plusieurs des exceptions qu’il prévoit à l’obligation d’informer les personnes concernées du traitement de leurs données à caractère personnel.

– L’activité de détective privé agissant pour le compte d’un organisme professionnel afin de rechercher des manquements à la déontologie d’une profession réglementée, en l’occurrence celle d’agent immobilier, relève de l’exception prévue à l’article 13, paragraphe 1, sous d), de la directive 95/46.

La Cour : M. M. Ilešič, (président de chambre), MM. C. G. Fernlund (rapporteur), A. Ó Caoimh, Mme C. Toader et M. E. Jarašiūnas (juges)

Avocats : Mes Y. Paquay et H. Nyssen, Me B. Renson

Source : curia.europa.eu

Notre présentation de la décision

 
 

* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.