Jurisprudence : Droit d'auteur
Cour de justice de l’Union européenne 4ème chambre Arrêt du 11 septembre 2014
Technische Universität Darmstadt / Eugen Ulmer KG
bibliothèque - clé USB - collection - droit de reproduction - livres - numérisation - stockage
«Renvoi préjudiciel – Directive 2001/29/CE – Droit d’auteur et droits voisins – Exceptions et limitations – Article 5, paragraphe 3, sous n) – Utilisation à des fins de recherches ou d’études privées d’œuvres et d’autres objets protégés – Livre mis à la disposition des particuliers au moyen de terminaux spécialisés dans une bibliothèque accessible au public – Notion d’œuvre non soumise à des ‘conditions en matière d’achat ou de licence’ – Droit de la bibliothèque de numériser une œuvre faisant partie de sa collection afin de la mettre à la disposition des usagers au moyen de terminaux spécialisés – Mise à disposition de l’œuvre au moyen de terminaux spécialisés permettant son impression sur papier ou son stockage sur une clé USB»
Dans l’affaire C‑117/13,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bundesgerichtshof (Allemagne), par décision du 20 septembre 2012, parvenue à la Cour le 14 mars 2013, dans la procédure
Technische Universität Darmstadt contre Eugen Ulmer KG,
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DISCUSSION
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 5, paragraphe 3, sous n), de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO L 167, p. 10).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la Technische Universität Darmstadt (ci-après la «TU Darmstadt») à Eugen Ulmer KG (ci-après «Ulmer»), au sujet de la mise à la disposition du public, par la TU Darmstadt, au moyen de terminaux installés dans les locaux d’une bibliothèque, d’un livre faisant partie de la collection de cette dernière et dont les droits d’exploitation sont détenus par Ulmer.
Le cadre juridique
– Le droit de l’Union
3 Les considérants 31, 34, 36, 40, 44, 45 et 51 de la directive 2001/29 sont libellés comme suit:
«(31) Il convient de maintenir un juste équilibre en matière de droits et d’intérêts entre les différentes catégories de titulaires de droits ainsi qu’entre celles-ci et les utilisateurs d’objets protégés. […]
[…]
(34) Les États membres devraient avoir la faculté de prévoir certaines exceptions et limitations dans certains cas tels que l’utilisation, à des fins d’enseignement ou de recherche scientifique, au bénéfice d’établissements publics tels que les bibliothèques et les archives, à des fins de compte rendu d’événements d’actualité, pour des citations, à l’usage des personnes handicapées, à des fins de sécurité publique et à des fins de procédures administratives ou judiciaires.
[…]
(36) Les États membres peuvent prévoir une compensation équitable pour les titulaires de droits même lorsqu’ils appliquent les dispositions optionnelles relatives aux exceptions ou limitations qui n’exigent pas cette compensation.
[…]
(40) Les États membres peuvent prévoir une exception ou une limitation au bénéfice de certains établissements sans but lucratif, tels que les bibliothèques accessibles au public et autres institutions analogues, ainsi que les archives, cette exception devant toutefois être limitée à certains cas particuliers couverts par le droit de reproduction. […] Il est donc opportun de promouvoir des contrats ou des licences spécifiques qui favorisent, sans créer de déséquilibre, de tels établissements et la réalisation de leur mission de diffusion.
[…]
(44) Lorsque les exceptions et les limitations prévues par la présente directive sont appliquées, ce doit être dans le respect des obligations internationales. Ces exceptions et limitations ne sauraient être appliquées d’une manière qui cause un préjudice aux intérêts légitimes du titulaire de droits ou qui porte atteinte à l’exploitation normale de son œuvre ou autre objet. […]
(45) Les exceptions et limitations visées à l’article 5, paragraphes 2, 3 et 4, ne doivent toutefois pas faire obstacle à la définition des relations contractuelles visant à assurer une compensation équitable aux titulaires de droits dans la mesure où la législation nationale le permet.
[…]
(51) […] Les États membres doivent encourager les mesures volontaires prises par les titulaires de droits, y compris la conclusion et la mise en œuvre d’accords entre titulaires de droits et d’autres parties concernées, pour permettre d’atteindre les objectifs visés par certaines exceptions ou limitations prévues par le droit national conformément à la présente directive. […]»
4 L’article 2 de cette directive, intitulé «Droit de reproduction», dispose:
«Les États membres prévoient le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit, en tout ou en partie:
a) pour les auteurs, de leurs œuvres;
[…]»
5 L’article 3 de ladite directive, intitulé «Droit de communication d’œuvres au public et droit de mettre à la disposition du public d’autres objets protégés», prévoit à son paragraphe 1:
«Les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement.»
6 L’article 5 de la même directive, intitulé «Exceptions et limitations», prévoit à son paragraphe 2:
«Les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations au droit de reproduction prévu à l’article 2 dans les cas suivants:
a) lorsqu’il s’agit de reproductions effectuées sur papier ou sur support similaire au moyen de toute technique photographique ou de tout autre procédé ayant des effets similaires, à l’exception des partitions, à condition que les titulaires de droits reçoivent une compensation équitable;
b) lorsqu’il s’agit de reproductions effectuées sur tout support par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, à condition que les titulaires de droits reçoivent une compensation équitable qui prend en compte l’application ou la non application des mesures techniques visées à l’article 6 aux œuvres ou objets concernés;
c) lorsqu’il s’agit d’actes de reproduction spécifiques effectués par des bibliothèques accessibles au public, des établissements d’enseignement ou des musées ou par des archives, qui ne recherchent aucun avantage commercial ou économique direct ou indirect;
[…]»
7 L’article 5, paragraphe 3, de la directive 2001/29 dispose:
«Les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations aux droits prévus aux articles 2 et 3 dans les cas suivants:
[…]
n) lorsqu’il s’agit de l’utilisation, par communication ou mise à disposition, à des fins de recherches ou d’études privées, au moyen de terminaux spécialisés, à des particuliers dans les locaux des établissements visés au paragraphe 2, point c), d’œuvres et autres objets protégés faisant partie de leur collection qui ne sont pas soumis à des conditions en matière d’achat ou de licence;
[…]»
8 Aux termes de l’article 5, paragraphe 5, de cette directive:
«Les exceptions et limitations prévues aux paragraphes 1, 2, 3 et 4 ne sont applicables que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit.»
– Le droit allemand
9 L’article 52b de la loi sur le droit d’auteur et les droits voisins [Gesetz über Urheberrecht und verwandte Schutzrechte (Urheberrechtsgesetz), ci-après l’«UrhG»], du 9 septembre 1965 (BGBl. I, p. 1273), dans sa version applicable à la date des faits au principal, est libellé comme suit:
«Reproduction d’œuvres aux postes de lecture électronique dans les bibliothèques publiques, les musées et les archives
La mise à disposition d’ouvrages publiés provenant du fonds des bibliothèques, des musées ou des archives accessibles au public, qui ne poursuivent aucun but directement ou indirectement économique ou lucratif, et prévue exclusivement dans les locaux de l’établissement concerné aux postes de lecture électronique spécialement prévus à cet effet à des fins de recherche et d’études privées, est autorisée pour autant qu’aucune disposition contractuelle ne s’y oppose. Le nombre d’exemplaires d’un ouvrage rendus accessibles aux postes de lecture électronique ne doit pas en principe être supérieur à ce que contient le fonds de l’établissement. La mise à disposition donne lieu au paiement d’une rémunération appropriée. Seule une société de gestion collective peut faire valoir le droit à une telle rémunération.»
Le litige au principal et les questions préjudicielles
10 La TU Darmstadt gère une bibliothèque régionale et universitaire dans laquelle elle a installé des postes de lecture électronique permettant au public de consulter des ouvrages faisant partie du fonds de cette bibliothèque.
11 Parmi ces ouvrages se trouvait, depuis le mois de janvier ou de février 2009, le manuel de M. Schulze, W., Einführung in die neuere Geschichte (ci-après le «manuel litigieux»), publié par Ulmer, une maison d’édition scientifique établie à Stuttgart (Allemagne).
12 La TU Darmstadt n’a pas accepté l’offre d’Ulmer, du 29 janvier 2009, lui proposant d’acquérir et d’utiliser, sous forme de livres électroniques, les manuels qu’elle édite et dont fait partie le manuel litigieux.
13 La TU Darmstadt a numérisé ce manuel afin de le mettre à la disposition des usagers, sur les postes de lecture électronique installés dans sa bibliothèque. Ces postes ne permettaient pas de consulter simultanément un nombre d’exemplaires de cette œuvre supérieur à celui dont disposait cette bibliothèque. Les usagers desdits postes de lecture pouvaient imprimer sur papier ou stocker sur une clé USB tout ou partie de l’œuvre et l’emporter sous cette forme hors de ladite bibliothèque.
14 Saisi par Ulmer, le Landgericht Frankfurt am Main (tribunal régional de Francfort-sur-le-Main) a considéré, par un jugement du 6 mars 2011, que le titulaire de droits et l’établissement devaient avoir conclu, au préalable, un accord sur l’utilisation numérique de l’œuvre concernée pour que l’application de l’article 52b de l’UrhG soit exclue. Cette juridiction a en outre rejeté la demande d’Ulmer visant à interdire à la TU Darmstadt de numériser ou de faire numériser le manuel litigieux. Elle a toutefois accédé à la demande de cette société visant à interdire que des usagers de la bibliothèque de la TU Darmstadt puissent, à partir des postes de lecture électronique installés dans celle-ci, imprimer cette œuvre et/ou la stocker sur une clé USB et/ou emporter les reproductions de celle-ci hors de cette bibliothèque.
15 Saisi par la TU Darmstadt d’un recours direct en «Revision», le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) considère que se pose en premier lieu la question de savoir si les œuvres et les autres objets protégés sont «soumis à des conditions en matière d’achat ou de licence», au sens de l’article 5, paragraphe 3, sous n), de la directive 2001/29, lorsque le titulaire des droits propose à un établissement visé à cette disposition de conclure, à des conditions adéquates, des contrats de licence d’utilisation de ceux-ci ou si une autre interprétation de cette disposition doit être retenue, selon laquelle ne seraient visés que les cas dans lesquels le titulaire et l’établissement concernés ont passé une convention sur ce point.
16 Ladite juridiction estime que, contrairement à la version en langue allemande de cette disposition, les versions en langues anglaise et française de celle-ci vont dans le sens de la première de ces interprétations. Celle-ci pourrait également s’appuyer sur l’économie générale et la finalité de la directive 2001/29. En revanche, si seule la conclusion d’une convention permettait d’exclure que ladite disposition s’applique, il serait loisible à l’établissement concerné de refuser une offre adéquate du titulaire des droits afin de bénéficier de la limitation en question, ce qui impliquerait également que ce titulaire ne bénéficierait pas d’une rémunération appropriée, dont l’obtention constituerait pourtant l’un des objectifs de cette directive.
17 En deuxième lieu, la juridiction de renvoi s’interroge sur la question de savoir si l’article 5, paragraphe 3, sous n), de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens qu’il permet aux États membres d’accorder aux établissements visés par cette disposition le droit de numériser les œuvres qui se trouvent dans leurs collections, dans la mesure où la communication ou la mise à disposition de ces œuvres sur leurs terminaux requiert une telle reproduction. La juridiction de renvoi estime que les États membres devraient disposer d’une compétence de nature accessoire aux fins de prévoir une telle exception au droit de reproduction visé à l’article 2 de cette directive ou une telle limitation de ce droit, dès lors que, à défaut, l’effet utile de l’article 5, paragraphe 3, sous n), de celle-ci ne serait pas assuré. Cette compétence pourrait en tout état de cause être inférée de l’article 5, paragraphe 2, sous c), de ladite directive.
18 En troisième lieu, la juridiction de renvoi estime que le litige au principal soulève la question de savoir si, conformément à l’article 5, paragraphe 3, sous n), de la directive 2001/29, les États membres ont la faculté de prévoir un régime de limitation permettant aux usagers d’un établissement visé à cette disposition d’imprimer sur papier ou de stocker ou de télécharger sur une clé USB, en tout ou partie, les œuvres communiquées ou mises à leur disposition par l’établissement concerné sur ses terminaux.
19 À cet égard, cette juridiction estime, tout d’abord, que si ces impressions, stockages ou téléchargements, dès lors qu’ils se rattachent à la reproduction d’une œuvre, ne sont pas, en principe, couverts par la limitation prévue à l’article 5, paragraphe 3, sous n), de la directive 2001/29, ils pourraient néanmoins être permis, en tant que prolongement de la communication ou de la mise à disposition d’une œuvre par l’établissement concerné, au titre d’une autre limitation, en particulier, en vertu de l’exception dite «de copie privée», prévue à l’article 5, paragraphe 2, sous b), de cette directive.
20 Ensuite, l’objectif visé à l’article 5, paragraphe 3, sous n), de la directive 2001/29, qui consiste à permettre d’utiliser de manière efficace, à des fins de recherches ou d’études privées, des textes communiqués ou mis à disposition sur les terminaux d’un établissement, tel qu’une bibliothèque, irait dans le sens d’une interprétation de cette disposition selon laquelle l’impression sur papier d’une œuvre à partir d’un terminal devrait être permise, alors que le stockage sur une clé USB ne le serait pas.
21 Enfin, la juridiction de renvoi considère qu’une telle interprétation de l’article 5, paragraphe 3, sous n), de la directive 2001/29 permettrait également d’assurer que la portée de la limitation prévue à cette disposition respecte la triple condition figurant à l’article 5, paragraphe 5, de ladite directive. En effet, le stockage d’une œuvre sur une clé USB empièterait davantage sur les droits de l’auteur de cette œuvre que l’impression de celle-ci sur papier.
22 Dans ces conditions, le Bundesgerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Une œuvre est-elle soumise à des conditions en matière d’achat ou de licence, au sens de l’article 5, paragraphe 3, sous n), de la directive 2001/29, lorsque le titulaire du droit offre aux établissements visés à cette disposition de conclure à des conditions adéquates des contrats de licence d’utilisation de cette œuvre?
2) L’article 5, paragraphe 3, sous n), de la directive 2001/29 habilite-t-il les États membres à accorder aux établissements le droit de numériser les œuvres de leurs collections si la mise à disposition de ces œuvres au moyen de terminaux le requiert?
3) Les droits prévus par les États membres conformément à l’article 5, paragraphe 3, sous n), de la directive 2001/29 peuvent-ils aller jusqu’à permettre aux usagers des terminaux d’imprimer sur papier ou de stocker sur une clé USB les œuvres qui y sont mises à leur disposition?»
Sur les questions préjudicielles
– Sur la première question
23 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si une œuvre est soumise à des «conditions en matière d’achat ou de licence», au sens de l’article 5, paragraphe 3, sous n), de la directive 2001/29, lorsque le titulaire de droits a proposé à un établissement, tel qu’une bibliothèque accessible au public, visé à cette disposition, de conclure, à des conditions adéquates, un contrat de licence ou d’utilisation de cette œuvre.
24 Tous les intéressés ayant présenté des observations écrites, à l’exception d’Ulmer, proposent de répondre par la négative à cette question et soutiennent, en substance, une interprétation selon laquelle la notion de «conditions en matière d’achat ou de licence», figurant à l’article 5, paragraphe 3, sous n), de la directive 2001/29, doit être comprise en ce sens que le titulaire du droit et l’établissement concernés doivent avoir conclu un contrat de licence ou d’utilisation de l’œuvre concernée spécifiant les conditions dans lesquelles cet établissement peut utiliser celle-ci.
25 Ulmer fait valoir que le seul fait, pour le titulaire du droit, de proposer à une bibliothèque accessible au public de conclure un contrat de licence ou d’utilisation, pourvu que cette proposition soit «adéquate», est suffisant pour que soit exclue l’application de l’article 5, paragraphe 3, sous n), de la directive 2001/29.
26 À cet égard, il ressort tout d’abord de la comparaison des versions linguistiques de l’article 5, paragraphe 3, sous n), de la directive 2001/29, et notamment des versions en langues anglaise, française, allemande et espagnole, qui emploient respectivement les mots «terms», «conditions», «Regelung» et «condiciones», que le législateur de l’Union a utilisé, dans le libellé de cette disposition, les notions de «conditions» ou de «dispositions», qui se réfèrent à des clauses contractuelles effectivement convenues plutôt qu’à de simples offres contractuelles.
27 Ensuite, il convient de rappeler que la limitation découlant de l’article 5, paragraphe 3, sous n), de la directive 2001/29 vise à promouvoir l’intérêt public lié à la promotion des recherches et des études privées, par la diffusion des connaissances, ce qui constitue, en outre, la mission fondamentale d’établissements tels que les bibliothèques accessibles au public.
28 Or, l’interprétation préconisée par Ulmer implique que le titulaire du droit pourrait, par une intervention unilatérale et essentiellement discrétionnaire, priver l’établissement concerné du droit de bénéficier de cette limitation et d’empêcher ainsi la réalisation de sa mission fondamentale et la promotion dudit intérêt public.
29 Par ailleurs, le considérant 40 de la directive 2001/29 énonce qu’il est opportun de promouvoir des contrats ou des licences spécifiques qui favorisent, sans créer de déséquilibre, de tels établissements et la réalisation de leur mission de diffusion.
30 Ainsi que l’a relevé en substance M. l’avocat général aux points 21 et 22 de ses conclusions, les considérants 45 et 51 de cette directive confirment, y compris dans leur version en langue allemande, que, dans le contexte, notamment, des exceptions et des limitations énumérées à l’article 5, paragraphe 3, de la directive 2001/29, il est fait référence à des relations contractuelles effectives ainsi qu’à la conclusion et à la mise en œuvre d’accords contractuels effectifs et non pas à de simples offres de contrats ou de licences.
31 Par ailleurs, l’interprétation proposée par Ulmer est difficilement conciliable avec l’objectif poursuivi à l’article 5, paragraphe 3, sous n), de la directive 2001/29, qui consiste à maintenir un juste équilibre entre les droits et les intérêts de titulaires de droits, d’une part, et d’utilisateurs d’œuvres protégées qui souhaitent communiquer celles-ci au public à des fins de recherches ou d’études privées effectuées par des particuliers, d’autre part.
32 En outre, si le seul fait de proposer la conclusion d’un contrat de licence ou d’utilisation suffisait pour exclure l’application de l’article 5, paragraphe 3, sous n), de la directive 2001/29, une telle interprétation serait de nature à vider la limitation prévue à cette disposition d’une grande partie de sa substance, voire de son effet utile, dès lors que, si elle était retenue, ladite limitation ne s’appliquerait, ainsi que l’a soutenu Ulmer, qu’aux seules œuvres, de plus en plus rares, pour lesquelles une version électronique, en particulier sous forme de livre électronique, n’est pas encore offerte sur le marché.
33 Enfin, l’interprétation selon laquelle il doit s’agir de conditions contractuelles effectivement convenues ne saurait non plus être écartée, contrairement à ce que soutient Ulmer, en raison du fait qu’elle se heurterait à la triple condition prévue à l’article 5, paragraphe 5, de la directive 2001/29.
34 À cet égard, il suffit de constater que la limitation prévue à l’article 5, paragraphe 3, sous n), de la directive 2001/29 est assortie de plusieurs restrictions qui garantissent, même si l’application de cette disposition est exclue uniquement dans l’hypothèse de la conclusion de conditions contractuelles effectives, qu’une telle limitation reste applicable dans des cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale des œuvres ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit.
35 Au vu des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que la notion de «conditions en matière d’achat ou de licence», figurant à l’article 5, paragraphe 3, sous n), de la directive 2001/29, doit être comprise en ce sens qu’elle implique que le titulaire de droits et un établissement, tel qu’une bibliothèque accessible au public, visé à cette disposition doivent avoir conclu un contrat de licence ou d’utilisation de l’œuvre concernée spécifiant les conditions dans lesquelles cet établissement peut utiliser celle-ci.
– Sur la deuxième question
36 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, paragraphe 3, sous n), de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un État membre accorde aux bibliothèques accessibles au public, visées à cette disposition, le droit de numériser les œuvres faisant partie de leurs collections, si cet acte de reproduction est nécessaire aux fins de la mise à la disposition des usagers de ces œuvres, au moyen de terminaux spécialisés, dans les locaux de ces établissements.
37 À titre liminaire, il y a lieu de relever qu’il est constant que la numérisation d’une œuvre, en ce qu’elle consiste essentiellement en la conversion de cette dernière du format analogique au format numérique, constitue un acte de reproduction de celle-ci.
38 Se pose donc la question de savoir si l’article 5, paragraphe 3, sous n), de la directive 2001/29 permet aux États membres de conférer ce droit de reproduction aux bibliothèques accessibles au public, alors que, selon l’article 2 de cette directive, les auteurs disposent du droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction de leurs œuvres.
39 À cet égard, il convient tout d’abord de constater que, aux termes de la première phrase du paragraphe 3 de l’article 5 de la directive 2001/29, les exceptions et les limitations énoncées à ce paragraphe concernent les droits prévus aux articles 2 et 3 de cette directive et, partant, tant le droit exclusif de reproduction dont bénéficie le titulaire de droits que le droit de communication d’œuvres au public.
40 Toutefois, l’article 5, paragraphe 3, sous n), de ladite directive limite l’utilisation d’œuvres, au sens de cette disposition, à la «communication ou [à la] mise à disposition» de celles-ci et donc à des actes qui relèvent du seul droit exclusif de communication d’œuvres au public visé à l’article 3 de la même directive.
41 Ensuite, il y a lieu de rappeler que pour qu’il y ait «acte de communication», au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, il suffit, notamment, que lesdites œuvres soient mises à la disposition d’un public de sorte que les personnes qui le composent puissent y avoir accès sans qu’il soit déterminant qu’elles utilisent ou non cette possibilité (arrêt Svensson e.a., C-466/12, EU:C:2014:76, point 19).
42 Il en découle que, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, le fait, pour un établissement, tel qu’une bibliothèque accessible au public, qui relève de l’article 5, paragraphe 3, sous n), de la directive 2001/29, de donner accès à une œuvre faisant partie de sa collection à un «public», à savoir l’ensemble des particuliers utilisant des terminaux spécialisés installés dans ses locaux à des fins de recherches ou d’études privées, doit être qualifié de «mise à disposition» et, par conséquent, d’«acte de communication», au sens de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive (voir, en ce sens, arrêt Svensson e.a., EU:C:2014:76, point 20).
43 Ce droit de communication d’œuvres que tirent les établissements, tels que les bibliothèques accessibles au public, visés à l’article 5, paragraphe 3, sous n), de la directive 2001/29, dans les limites des conditions prévues à cette disposition, risquerait d’être vidé d’une grande partie de sa substance, voire de son effet utile, si ceux-ci ne disposaient pas d’un droit accessoire de numérisation des œuvres concernées.
44 Un tel droit est reconnu auxdits établissements à l’article 5, paragraphe 2, sous c), de la directive 2001/29, pour autant qu’il s’agit d’«actes de reproduction spécifiques».
45 Cette condition de spécificité doit être comprise en ce sens que les établissements concernés ne sauraient en règle générale procéder à une numérisation de l’ensemble de leurs collections.
46 En revanche, cette condition est en principe respectée lorsque la numérisation de certaines des œuvres d’une collection est nécessaire aux fins de «l’utilisation, par communication ou mise à disposition, à des fins de recherches ou d’études privées, au moyen de terminaux spécialisés, à des particuliers», ainsi que le prévoit l’article 5, paragraphe 3, sous n), de la directive 2001/29.
47 Par ailleurs, la portée de ce droit accessoire de numérisation doit être précisée par une interprétation de l’article 5, paragraphe 2, sous c), de la directive 2001/29 à la lumière de l’article 5, paragraphe 5, de celle-ci, selon lequel cette limitation n’est applicable que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou de l’autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit, cette dernière disposition n’ayant toutefois pas pour vocation d’élargir la portée des exceptions et des limitations prévues à l’article 5, paragraphe 2, de cette directive (voir, en ce sens, arrêts Infopaq International, C-5/08, EU:C:2009:465, point 58, et ACI Adam e.a., C-435/12, EU:C:2014:254, point 26).
48 En l’espèce, il y a lieu de constater que, dans le cadre de la législation nationale applicable, il est dûment tenu compte des conditions prescrites à l’article 5, paragraphe 5, de ladite directive, dès lors qu’il découle, en premier lieu, de l’article 52b de l’UrhG que la numérisation d’œuvres par des bibliothèques accessibles au public ne saurait avoir pour conséquence que le nombre d’exemplaires de chacune des œuvres mises à la disposition des usagers au moyen de terminaux spécialisés dépasse celui que ces bibliothèques ont acquis dans un format analogique. En second lieu, si, en vertu de cette disposition du droit national, la numérisation de l’œuvre n’est pas, en tant que telle, assortie d’une obligation de compensation, la mise à disposition ultérieure de celle-ci dans un format numérique, sur des terminaux spécialisés, donne lieu au paiement d’une rémunération appropriée.
49 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la deuxième question que l’article 5, paragraphe 3, sous n), de la directive 2001/29, lu en combinaison avec l’article 5, paragraphe 2, sous c), de celle-ci, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’un État membre accorde aux bibliothèques accessibles au public, visées à ces dispositions, le droit de numériser les œuvres faisant partie de leurs collections, si cet acte de reproduction est nécessaire aux fins de la mise à la disposition des usagers de ces œuvres, au moyen de terminaux spécialisés, dans les locaux de ces établissements.
– Sur la troisième question
50 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, paragraphe 3, sous n), de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un État membre accorde aux bibliothèques accessibles au public, visées à cette disposition, le droit de mettre des œuvres à la disposition des usagers, au moyen de terminaux spécialisés qui permettent l’impression de celles-ci sur papier ou leur stockage sur une clé USB.
51 Ainsi qu’il ressort des points 40 et 42 du présent arrêt, la limitation prévue à l’article 5, paragraphe 3, sous n), de la directive 2001/29 ne couvre en principe que certains actes de communication qui relèvent normalement du droit exclusif du titulaire visé à l’article 3 de cette directive, à savoir ceux par lesquels les établissements concernés mettent une œuvre à la disposition de particuliers, à des fins de recherches ou d’études privées, au moyen de terminaux spécialisés installés dans leurs locaux.
52 Or, il est constant que des actes tels que l’impression d’une œuvre sur papier ou le stockage de celle-ci sur une clé USB, même s’ils sont rendus possibles en raison de certaines fonctionnalités dont sont équipés les terminaux spécialisés sur lesquels cette œuvre peut être consultée, sont des actes non pas de «communication», au sens de l’article 3 de la directive 2001/29, mais de «reproduction», au sens de l’article 2 de cette directive.
53 Il s’agit en effet de la création d’une nouvelle copie analogique ou numérique de la copie numérique de l’œuvre mise à la disposition des usagers, par un établissement, au moyen de terminaux spécialisés.
54 Ces actes de reproduction, contrairement à certaines opérations de numérisation d’une œuvre, ne sauraient non plus être permis au titre d’un droit accessoire découlant des dispositions combinées des articles 5, paragraphe 2, sous c), et 5, paragraphe 3, sous n), de la directive 2001/29, dès lors qu’ils ne sont pas nécessaires aux fins de permettre la mise à la disposition des usagers de cette œuvre, au moyen de terminaux spécialisés, dans le respect des conditions posées par ces dispositions. En outre, lesdits actes, dès lors qu’ils sont effectués non pas par des établissements visés à l’article 5, paragraphe 3, sous n), de la directive 2001/29, mais par les usagers des terminaux spécialisés installés dans les locaux de ces établissements ne sauraient être autorisés au titre de cette disposition.
55 En revanche, de tels actes de reproduction sur support analogique ou numérique peuvent, le cas échéant, être autorisés au titre de la législation nationale transposant les exceptions ou les limitations prévues à l’article 5, paragraphe 2, sous a) ou b), de la directive 2001/29, dès lors que, dans chaque cas d’espèce, les conditions posées par ces dispositions, notamment celle liée à la compensation équitable dont doit bénéficier le titulaire de droits, sont réunies.
56 Par ailleurs, de tels actes de reproduction doivent respecter les conditions prévues à l’article 5, paragraphe 5, de la directive 2001/29. Par conséquent, l’ampleur des textes reproduits ne saurait notamment causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes des titulaires du droit d’auteur.
57 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la troisième question que l’article 5, paragraphe 3, sous n), de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens qu’il ne couvre pas des actes tels que l’impression d’œuvres sur papier ou leur stockage sur une clé USB, effectués par des usagers à partir de terminaux spécialisés installés dans des bibliothèques accessibles au public, visées à cette disposition. En revanche, de tels actes peuvent, le cas échéant, être autorisés au titre de la législation nationale transposant les exceptions ou les limitations prévues à l’article 5, paragraphe 2, sous a) ou b), de cette directive, dès lors que, dans chaque cas d’espèce, les conditions posées par ces dispositions sont réunies.
Sur les dépens
58 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
DECISION
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:
1) La notion de «conditions en matière d’achat ou de licence», figurant à l’article 5, paragraphe 3, sous n), de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, doit être comprise en ce sens qu’elle implique que le titulaire de droits et un établissement, tel qu’une bibliothèque accessible au public, visé à cette disposition doivent avoir conclu un contrat de licence ou d’utilisation de l’œuvre concernée spécifiant les conditions dans lesquelles cet établissement peut utiliser celle-ci.
2) L’article 5, paragraphe 3, sous n), de la directive 2001/29, lu en combinaison avec l’article 5, paragraphe 2, sous c), de celle-ci, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’un État membre accorde aux bibliothèques accessibles au public, visées à ces dispositions, le droit de numériser les œuvres faisant partie de leurs collections, si cet acte de reproduction est nécessaire, aux fins de la mise à la disposition des usagers de ces œuvres, au moyen de terminaux spécialisés, dans les locaux de ces établissements.
3) L’article 5, paragraphe 3, sous n), de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens qu’il ne couvre pas des actes tels que l’impression d’œuvres sur papier ou leur stockage sur une clé USB, effectués par des usagers à partir de terminaux spécialisés installés dans des bibliothèques accessibles au public, visées à cette disposition. En revanche, de tels actes peuvent, le cas échéant, être autorisés au titre de la législation nationale transposant les exceptions ou les limitations prévues à l’article 5, paragraphe 2, sous a) ou b), de cette directive, dès lors que, dans chaque cas d’espèce, les conditions posées par ces dispositions sont réunies.
La Cour : M. L. Bay Larsen (président), MM. M. Safjan, J. Malenovský, Mmes A. Prechal (rapporteur) et K. Jürimäe (juge)
Avocat : M. N. Jääskinen
Source : curia.europa.eu
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