Jurisprudence : Vie privée
Tribunal administratif de Besançon 1ère chambre 19 décembre 2006
Elisabeth M. / Ville de Lons-Le-Saunier
interdiction - messagerie électronique - syndicat - utilisation - vie privée
Vu la requête, enregistrée le 6 mai 2004, présentée par Elisabeth M. qui demande au tribunal :
– d’annuler l’arrêté du maire de la ville de Lons-Le-Saunier, en date du 12 mars 2004, lui infligeant un blâme ;
– de « porter injonction au maire de Lons-Le-Saunier en vue d’attribuer des locaux syndicaux » ;
– de mettre à la charge de la ville de Lons-Le-Saunier la somme de 150 € au titre de l’article L 761-1 du code de justice administrative ;
DISCUSSION
Considérant que Elisabeth M. conteste l’arrêté du 12 mars 2004, par lequel le maire de Lons-Le-Saunier lui a infligé à titre de sanction disciplinaire un blâme au motif qu’elle avait manqué à son devoir d’obéissance, en ne respectant pas l’interdiction d’une utilisation non professionnelle de sa messagerie électronique par ordinateur ;
Sur les conclusions à fin d’annulation et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête :
Considérant qu’il résulte des pièces du dossier que le samedi 14 février 2004, la ville de Lons-Le-Saunier a organisé une cérémonie à l’occasion de l’inauguration des locaux du « Théâtre de l’Exil » ; que participèrent à cet événement diverses personnalités, dont le préfet du Jura, le président du conseil général du Jura et le député-maire de la ville de Lons-Le-Saunier ; que, dans ces circonstances, plusieurs syndicats ont souhaité exprimer leur désaccord avec la politique menée à l’époque, tant au niveau local que sur le plan national ;
que le jeudi 12 février 2004, Elisabeth M., adjoint administratif des services de la ville de Lons-Le-Saunier et responsable syndical CGT, invita par la messagerie internet et intranet de la commune une vingtaine d’agents municipaux à participer à la manifestation au cours de laquelle étaient prévues la distribution et la lecture d’un tract intersyndical critiquant vivement la politique menée notamment dans les domaines éducatif et sociaux ;
qu’estimant que Elisabeth M. avait ainsi manqué à ses obligations professionnelles, en ne respectant pas l’interdiction d’utiliser la messagerie à des fins personnelles ou syndicales, l’autorité territoriale, par la décision attaquée, a prononcé à l’encontre de Elisabeth M. la sanction du blâme ;
Considérant que le Préambule de la constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère le Préambule de la constitution du 4 octobre 1958, range au nombre des principes particulièrement nécessaires à notre temps la faculté qu’a tout homme de « défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale » ;
qu’aux termes de l’article 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « 1. Toute personne a le droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts. / 2. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui… » ;
que l’article L 411-1 du code du travail prévoit : « Les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l’étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels, des personnes visées par leurs statuts » ; que l’article 8 de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires proclame que : « Le droit syndical est garanti aux fonctionnaires » ;
qu’il résulte de l’ensemble de ces dispositions que, d’une part, le droit syndical constitue une liberté fondamentale dont l’exercice doit être protégé, et que, d’autre part, nul ne peut apporter à cette liberté fondamentale des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ;
Considérant, en premier lieu, qu’au nombre des mesures que le maire de Lons-Le-Saunier pouvait légalement édicter, par son approbation de la « Charte internet » du 26 décembre 2001 et par sa note de service du 18 novembre 2003, figure l’interdiction de l’utilisation des messageries intranet et internet de la commune à des fins personnelles ;
que, le directeur général des services de la ville de Lons-Le-Saunier pouvait également s’opposer comme il l’a fait le 10 mars 2003, à la diffusion de messages à caractère politique, étrangers par nature à tout intérêt syndical, en l’occurrence une protestation contre la guerre en Irak ; que, toutefois, en étendant par la sanction disciplinaire contestée, ces interdictions à la diffusion d’un message à caractère purement syndical, le maire de la ville de Lons-Le-Saunier à commis une erreur de droit ;
Considérant, en deuxième lieu, que tant le courriel du 12 mars 2004 que le tract qui y était annexé ne contenaient aucune expression injurieuse ou diffamatoire ; que l’interpellation des autorités publiques visaient les représentants d’institutions et non des individus à titre personnel ;
Considérant, en troisième lieu, qu’il n’est pas contesté par la défenderesse que la diffusion du message en litige n’a eu aucune incidence perturbatrice ou dommageable sur le fonctionnement des services publics de la ville de Lons-Le-Saunier ;
Considérant, en dernier lieu, qu’il n’est pas contesté que l’appel à manifester lancé par Elisabeth M., qui n’était adressé qu’aux seuls agents municipaux de la ville de Lons-Le-Saunier, s’inscrivait dans une perspective pacifique et ne contenait aucune incitation à des actes contraires à l’ordre public ; que le contenu du message ne présentait pas un caractère pornographique, raciste ou illicite et n’était pas susceptible de porter atteinte à l’intégrité ou à la sensibilité d’un autre internaute ou à l’image de la ville de Lons-Le-Saunier ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que les faits reprochés à l’intéressée ne pouvaient légalement fonder une sanction disciplinaire ; qu’ainsi, Elisabeth M., est fondée à demander l’annulation de l’arrêté, en date du 12 mars 2004, par lequel le maire de la ville de Lons-Le-Saunier lui a infligé un blâme ;
Sur les conclusions à fin d’injonction :
Considérant qu’aux termes de l’article L 911-1 du code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution » ;
Considérant que le présent jugement n’implique pas que soit adressé au maire de la ville de Lons-Le-Saunier une injonction d’attribution de locaux syndicaux ; qu’au demeurant, il ne ressort pas des pièces du dossier que l’employeur public ne respecte pas ses obligations en la matière ; que, par suite, les conclusions présentées à ce titre seront rejetées ;
Sur l’application de l’article L 761-1 du code de la justice administrative :
Considérant qu’aux termes de l’article L 761-1 du code de justice administrative : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation » ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, en application de ces dispositions, de mettre à la charge de la ville de Lons-Le-Saunier la somme de 150 € au titre des frais exposés par Elisabeth M. et non compris dans les dépens ;
DECISION
Article 1er : L’arrêté du 12 mars 2004, infligeant un blâme à Elisabeth M. est annulé.
Article 2 : La ville de Lons-Le-Saunier versera la somme de 150 € à Elisabeth M. au titre de l’article L 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Elisabeth M. est rejeté.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à Elisabeth M. et à la ville de Lons-Le-Saunier.
Le tribunal : M. Mallol (président), M. Duboz et Mlle Michel (conseillers)
Voir décision de cour d’appel du 02/08/2007
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