Jurisprudence : Jurisprudences
Tribunal administratif de Montpellier, ordonnance de référé du 14 septembre 2016
Préfet de l’Hérault / le maire de Béziers
arrêté municipal - identification ADN - identification génétique - ordre public - référé - suspension - traitement automatisé de données à caractère personnel
Par un déféré enregistré le 19 août 2016 et un mémoire enregistré le 6 septembre 2016, le préfet de l’Hérault demande au tribunal :
1°) d’ordonner, sur le fondement de l’article L. 4142-1 alinéa 2 du code général des collectivités territoriales, la suspension de l’exécution de l’arrêté du 1er juin 2016 par lequel le maire de Béziers a, notamment, prescrit aux propriétaires ou détenteurs de chiens qui font circuler leur chien à l’intérieur d’un certain périmètre de prendre toutes dispositions pour permettre l’identification génétique de leur animal, à peine de se voir infliger l’amende prévue pour les contraventions de première classe, et a décidé que l’identité du propriétaire et l’identification génétique du chien feront l’objet de deux fichiers distincts, possédés respectivement par la mairie et la ou les sociétés en charge de l’identification génétique, ainsi que la suspension de l’exécution de la décision du maire de Béziers refusant de procéder au retrait de l’arrêté du 1er juin 2016 ;
2°) d’enjoindre au maire de Béziers, d’une part, de mettre fin à toute action ou démarche visant à procéder à la mise en place opérationnelle des fichiers en question, et, d’autre part, de retirer tous les messages d’actualité répertoriés sur le site de la ville en lien avec cette mesure, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
3°) de prescrire toute autre injonction que le tribunal jugera opportune. Il soutient que :
– l’arrêté est insuffisamment motivé ;
– il est entaché d’un vice de procédure dès lors que les dispositions de l’article 26-1 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 et de l’article D. 212-63 du code rural et de la pêche maritime n’ont pas été respectées ;
– l’arrêté est dépourvu de base légale dès lors qu’il ne s’agit pas d’une mesure de police tendant à prévenir un trouble à l’ordre public mais qu’il s’agit d’une mesure destinée à améliorer la recherche des auteurs d’infractions ;
– l’arrêté attaqué porte atteinte à des libertés fondamentales en subordonnant la circulation en centre ville avec un chien à un fichage préalable ; l’arrêté porte ainsi atteinte à la liberté d’aller et venir et à la vie privée ;
– à titre subsidiaire, la mesure présente un caractère disproportionné au regard des objectifs poursuivis et au regard de son champ d’application.
Par un mémoire enregistré le 1er septembre 2016, la commune de Béziers, représentée par Me XX, conclut au rejet du déféré et à la condamnation de l’Etat à lui verser la somme de
2 000 euros sur le fondement du l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– le préfet ne peut contester par la voie d’un déféré suspension l’arrêté du 1er juin
2016 dès lors que cet arrêté n’entrera en vigueur que le 1er octobre 2016 ;
– aucun des moyens n’est propre, en l’état de l’instruction, à créer un doute sérieux sur la légalité de l’arrêté attaqué.
Vu :
– le déféré enregistré sous le numéro 1604295 par lequel le préfet de l’Hérault demande l’annulation de l’arrêté du maire de Béziers du 1er juin 2016 et de sa décision refusant de procéder au retrait de cet arrêté ;
– les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code civil ;
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code pénal ;
– le code rural et de la pêche maritime ;
– le code de la santé publique ;
– le code de la voirie routière ;
– la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 ;
– le décret n° 2015-337 du 27 mars 2015 ;
– le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné Mme Hardy, vice-président, pour statuer sur les demandes de référé.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique du 7 septembre 2016 :
– le rapport de Mme Hardy, juge des référés,
– les explications de M. XX, représentant le préfet de l’Hérault,
– et les observations de Me XX, représentant la commune de Béziers. La clôture de l’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience.
DISCUSSION
1. Considérant que, par un arrêté du 1er juin 2016, le maire de Béziers a, notamment, prescrit aux propriétaires ou détenteurs de chiens qui font circuler leurs animaux à l’intérieur d’un périmètre qu’il a défini à l’article 6 de ce même arrêté, de prendre toutes dispositions pour permettre l’identification génétique de leurs chiens, à peine de se voir infliger l’amende prévue pour les contraventions de première classe, et a décidé que l’identité du propriétaire et l’identification génétique des chiens feront l’objet de deux fichiers distincts possédés respectivement par la mairie et la ou les sociétés en charge de l’identification génétique ; que, par une décision du 28 juin 2016, le maire de Béziers a rejeté la demande du préfet de l’Hérault tendant à ce qu’il procède au retrait de cet arrêté ; que le préfet de l’Hérault demande au juge des référés, notamment, de prononcer la suspension de l’exécution de cet arrêté et de cette décision ;
Sur la fin de non-recevoir opposée :
2. Considérant qu’aux termes de l’article L. 554-1 du code de justice administrative : « Les demandes de suspension assortissant les requêtes du représentant de l’Etat dirigées contre les actes des communes sont régies par le 3e alinéa de l’article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales ci-après reproduit : » Art. L. 2131-6, alinéa 3. – Le représentant de l’Etat peut assortir son recours d’une demande de suspension. Il est fait droit à cette demande si l’un des moyens invoqués paraît, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’acte attaqué. Il est statué dans un délai d’un mois. » (…) » ;
3. Considérant qu’en vertu des dispositions de l’article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, le représentant de l’Etat peut déférer au tribunal les actes mentionnés à l’article L. 2131-2 du même code qu’il estime contraire à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission, ce délai pouvant être interrompu par un recours gracieux ; que le présent déféré a bien été enregistré au tribunal dans les deux mois à compter de la réception, par les services du préfet de l’Hérault, de la décision du 28 juin 2016 par laquelle le maire de Béziers a rejeté la demande du préfet de l’Hérault tendant au retrait de l’arrêté contesté du 1er juin 2016 ; que la circonstance que cet arrêté, exécutoire depuis sa publication et sa transmission au représentant de l’Etat dans le département, diffère, dans son article 5, au 1er octobre 2016, la date à compter de laquelle il pourra être infligé une sanction à toute personne circulant avec un chien dans le centre ville sans justifier avoir réalisé l’identification génétique de son animal, n’est pas de nature à affecter la recevabilité du présent déféré ; que, par suite, la fin de non-recevoir opposée par la commune de Béziers doit être écartée ;
Sur les conclusions à fin de suspension :
4. Considérant qu’aux termes de l’article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales : « Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l’Etat dans le département, de la police municipale, de la police rurale et de l’exécution des actes de l’Etat qui y sont relatifs. » ; que l’article L. 2212-2 du même code dispose que : « La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques (…) » ; qu’enfin, selon l’article L. 2212-5 dudit code : « Les missions des agents de police municipale et l’organisation des services de police municipale sont régies par les dispositions du titre Ier du livre V du code de la sécurité intérieure.» ;
5. Considérant que les mesures de police administrative ne peuvent avoir d’autres buts que de préserver l’ordre public et de prévenir les infractions ;
6. Considérant qu’il ressort des termes mêmes de l’arrêté contesté que le maire de Béziers, après avoir constaté l’importance du nombre des morsures de chiens, des divagations de chiens et des déjections de chiens, a entendu faire usage de ses pouvoirs de police administrative ; que, toutefois, la mesure prise, qui consiste, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, à prescrire aux propriétaires ou détenteurs de chien qui font circuler leur animal à l’intérieur d’un certain périmètre du centre ville de Béziers, de prendre toutes dispositions pour permettre l’identification génétique de leur chien aux fins, selon les articles 3 et 4 de l’arrêté en litige, de constituer un fichier permettant de retrouver les propriétaires de chiens en état de divagation, auteurs de morsures ou de déjections et de leur appliquer les mesures et sanctions prévues par les textes, ne peut être regardée comme ayant pour but de préserver l’ordre public et de prévenir les infractions mais a, au contraire, pour objectif de permettre la recherche des auteurs des infractions en vue de l’application de sanctions et possède ainsi un caractère purement répressif ; qu’elle n’entre, par suite, pas dans le champ des pouvoirs dont dispose le maire au titre de la police administrative; que, dès lors, les articles L. 2212-1, L. 2212-2 et L. 2212-5 du code général des collectivités territoriales ne sauraient fonder légalement l’arrêté attaqué ;
7. Considérant qu’aux termes de l’article L. 211-22 du code rural et de la pêche maritime : « Les maires prennent toutes dispositions propres à empêcher la divagation des chiens et des chats. Ils peuvent ordonner que ces animaux soient tenus en laisse et que les chiens soient muselés. Ils prescrivent que les chiens et les chats errants et tous ceux qui seraient saisis sur le territoire de la commune sont conduits à la fourrière, où ils sont gardés pendant les délais fixés aux articles L. 211-25 et L. 211-26./ Les propriétaires, locataires, fermiers ou métayers peuvent saisir ou faire saisir par un agent de la force publique, dans les propriétés dont ils ont l’usage, les chiens et les chats que leurs maîtres laissent divaguer. Les animaux saisis sont conduits à la fourrière. / Un décret en Conseil d’Etat détermine les modalités d’application du présent article.» ;
8. Considérant que la mesure consistant à prescrire aux propriétaires ou détenteurs de chiens souhaitant les faire circuler dans le centre de ville de Béziers de procéder à l’identification génétique de leur animal ne peut être regardée, par elle-même, comme étant propre à empêcher la divagation des chiens au sens des dispositions précitées de l’article L. 211-22 du code rural alors même que les dispositions répressives que comporte l’arrêté litigieux pourraient avoir un caractère dissuasif ; que, par suite, les dispositions de l’article L. 211-22 du code rural et de la pêche maritime ne sauraient non plus fonder légalement l’arrêté contesté ;
9. Considérant qu’aucune des autres dispositions législatives ou réglementaires visées par l’arrêté litigieux, à savoir les articles R. 610-5 et R. 633-6 du code pénal, l’article 1385 du code civil, l’article R.116-2 du code de la voirie routière, les articles L. 1311-2 et L. 1312-1 du code de la santé publique, la loi n° 99-5 du 6 janvier 1999 relative aux animaux dangereux errant et à la protection des animaux, la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, le décret n° 2015-337 du 27 mars 2015 relatif à l’abandon d’ordures et autres objets, le règlement sanitaire départemental de l’Hérault et les arrêtés du maire de Béziers n° 1001 du 24 mai 2016 et n° 1321 du 28 juillet 2016, ne peuvent davantage fonder légalement cet arrêté ;
10. Considérant, dans ces conditions, que le moyen invoqué par le préfet de l’Hérault tiré de ce que l’arrêté contesté est dépourvu de toute base légale est, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de cet arrêté ; qu’il y a lieu, par suite, d’ordonner la suspension de l’exécution de cet arrêté ainsi que la suspension de l’exécution de la décision du 28 juin 2016 par laquelle le maire de Béziers a refusé de retirer ledit arrêté ;
Sur les conclusions à fin d’injonction :
11. Considérant que la suspension de l’exécution de l’arrêté du 1er juin 2016 du maire de Béziers implique nécessairement qu’il soit sursis à la mise en place opérationnelle des mesures qu’il prévoit et, par conséquent, qu’il soit mis fin à toute mesure d’information et de publicité la concernant, jusqu’à ce que le tribunal ait statué au fond sur le déféré tendant à l’annulation de la dudit arrêté, et ce, dès la notification de la présente ordonnance ; qu’il y a lieu d’enjoindre ces mesures à la commune de Béziers sans qu’il soit besoin, en l’état du dossier, d’assortir cette injonction d’une astreinte ;
12. Considérant, en revanche, qu’il n’appartient pas au juge des référés du tribunal administratif d’enjoindre au maire de Béziers de faire retirer tous les messages d’actualité répertoriés sur le site de sa ville présentant un lien avec la mesure litigieuse ; que, par suite, les conclusions du préfet de l’Hérault tendant à ces fins doivent être rejetées ;
Sur l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Considérant que les dispositions de cet article font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Etat, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme quelconque au titre des frais non compris dans les dépens exposés par la commune de Béziers ;
DECISION
Ordonne :
Article 1er : L’exécution de l’arrêté du 1er juin 2016 du maire de Béziers et de sa décision du 28 juin 2016 est suspendue.
Article 2 : Il est enjoint à la commune de Béziers, à compter de la notification de la présente ordonnance, de surseoir à la mise en place opérationnelle des mesures prévues par l’arrêté du
1er juin 2016 et de mettre fin à toute mesure d’information et de publicité les concernant, jusqu’à ce que le tribunal ait statué sur le déféré tendant à l’annulation de cet arrêté.
Article 3 : Le surplus des conclusions du préfet de l’Hérault et les conclusions de la commune de Béziers tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la commune de Béziers et au préfet de l’Hérault.
Copie en sera adressée au ministre de l’intérieur.
Le tribunal : Marianne Hardy, juge des référés
Le greffier : L. Bascunana
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