Les avocats du net

 
 


 

Jurisprudence : Jurisprudences

vendredi 08 décembre 2023
Facebook Viadeo Linkedin

Tribunal administratif de Nice, ordonnance du 23 novembre 2023

Ligue des droits de l’homme & autres

expérimentation - fonctionnalité non activée - logiciel non déployé - reconnaissance faciale - videosurveillance - vidéosurveillance algorithmique

Vu la procédure suivante : I. Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés les 20 et 22 novembre 2023 sous le numéro 2305692, l’association « La Ligue des droits de l’homme », prise en la personne de son président en exercice P. B., et l’Union syndicale « Solidaires », prise en la personne de son représentant légal en exercice, représentées par Maîtres Crusoé et Ogier, demandent au juge des référés, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d’enjoindre à la commune de Nice de cesser immédiatement l’usage du logiciel édité par la société « Briefcam » permettant la reconnaissance faciale et de mettre sous séquestre auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés la version du logiciel utilisé ;

2°) d’enjoindre à la commune de Nice de cesser immédiatement l’usage du logiciel de vidéosurveillance algorithmique dénommé « Wintics » ou, dans le cas où ledit logiciel ne serait pas utilisé, de ne pas le déployer, et de mettre sous séquestre auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés la version du logiciel ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Nice la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

* Elles ont un intérêt leur donnant qualité pour agir dans le cadre de la présente instance ;

* En ce qui concerne la condition d’urgence : l’urgence est établie dès lors que l’usage du logiciel de la société « Briefcam » ou d’un autre logiciel permettant la reconnaissance faciale dans le cadre du système de vidéoprotection de la commune de Nice expose les personnes à une atteinte fréquente et répétée à leurs droits et libertés fondamentales ;

* En ce qui concerne l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :

– l’usage du logiciel de la société « Briefcam » et/ou du logiciel de vidéosurveillance algorithmique dénommé « Wintics » dans le cadre du système de vidéoprotection de la commune de Nice, qui permet la reconnaissance faciale, outre qu’il n’a fait l’objet d’aucune autorisation, porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté personnelle, au droit au respect de la vie privée, au droit à la protection des données personnelles, à la liberté d’aller et venir, au droit de manifester, à la liberté d’expression et à la liberté de conscience ;
– l’usage du logiciel en cause méconnait les dispositions de l’article 90 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, en ce qu’aucune analyse d’impact n’a été réalisée (alors que, selon ces dispositions, si le traitement de données à caractère personnel est susceptible d’engendrer un risque élevé pour les droits et les libertés des personnes physiques, le responsable de traitement effectue une analyse d’impact relative à la protection des données à caractère personnel) ;
– l’usage du logiciel en cause est entaché d’un défaut de base légale (législative ou règlementaire) ;
– l’usage du logiciel en cause est entaché d’un vice de procédure en l’absence de saisine pour avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés ;
– l’usage du logiciel en cause méconnait l’article 23 du Règlement général sur la protection des données et l’article 110 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 (droit d’opposition de chaque personne au traitement de données à caractère personnel la concernant) ;
– et l’usage du logiciel en cause présente un caractère disproportionné au regard de la protection des droits et libertés fondamentales susmentionnées.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 20 novembre 2023, la Confédération générale du travail, prise en la personne de sa secrétaire générale en exercice, conclut à ce qu’il soit fait droit aux conclusions de la requête et s’associe aux moyens de cette dernière.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 novembre 2023, la commune de Nice, prise en la personne de son maire en exercice et représentée par Me De Faÿ, conclut au rejet de la requête et à ce que soit solidairement mise à la charge des requérantes la somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

La commune fait valoir :

– qu’aucune décision administrative n’est attaquée ;
– que l’urgence n’est pas constituée ;
– et qu’aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale n’est établie, dès lors que :

• le logiciel de la société Briefcam dont font état les requérantes, s’il a été utilisé par le passé, notamment à titre expérimental lors de la coupe d’Europe de football de 2016 et lors du carnaval de Nice édition 2019, n’est actuellement plus utilisé par la commune ;
• la commune n’avait en tout état de cause jamais activé la licence permettant de procéder à de la reconnaissance faciale au moyen du logiciel de la société Briefcam (et plus précisément de son module « Review ») ;
• la technique permettant de procéder à de la reconnaissance faciale a fait l’objet par le passé d’un usage à titre expérimental, lors du carnaval de Nice édition 2019, non au moyen du logiciel de la société Briefcam mais au moyen de la solution « Anyvision » éditée par la société « Confidentia » ;
• la commune a par ailleurs passé un marché pour l’acquisition d’un logiciel de vidéosurveillance augmentée, dénommé « Wintics », non édité par la société Briefcam, en vue de l’utiliser dans le cadre de l’expérimentation prévue par la loi n° 2023-380 du 19 mai 2023 et le décret n°2023-828 du 28 août 2023 (pour les Jeux olympiques et paralympiques 2024), lequel n’est pas encore déployé à ce stade.

II. Par une requête, enregistrée le 20 novembre 2023 sous le numéro 2305693, l’association « La Ligue des droits de l’homme », prise en la personne de son président en exercice P. B., le Syndicat de la magistrature, pris en la personne de sa présidente en exercice Mme K. R., l’association « Association de défense des libertés constitutionnelles », prise en la personne de M. P. W., membre de l’association, et M. P. C., représentés par Me Lendom, demandent au juge des référés, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d’enjoindre à la commune de Nice de cesser immédiatement l’usage du logiciel édité par la société « Briefcam » permettant la reconnaissance faciale et de mettre sous séquestre auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés la version du logiciel utilisé ainsi que l’ensemble des données et métadonnées issues du traitement des données à caractère personnel réalisé ;

2°) de prendre toutes les mesures utiles afin de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées aux droits des requérants ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Nice la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

* Ils ont un intérêt leur donnant qualité pour agir dans le cadre de la présente instance ;

* En ce qui concerne la condition d’urgence : l’urgence est établie dès lors que l’usage du logiciel de la société « Briefcam » dans le cadre du système de vidéoprotection de la commune de Nice, qui permet la reconnaissance faciale, n’est nullement encadré ;

* En ce qui concerne l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :

– l’usage du logiciel de la société « Briefcam » dans le cadre du système de vidéoprotection de la commune de Nice, qui permet la reconnaissance faciale, outre qu’il n’a fait l’objet d’aucune autorisation, porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée et au droit à la protection des données personnelles ;
– l’usage du logiciel en cause méconnait l’article 90 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, ainsi que l’article 35 du Règlement général sur la protection des données en ce qu’aucune analyse d’impact n’a été réalisée ;
– l’usage du logiciel en cause est entaché d’un vice de procédure en l’absence de saisine pour avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 novembre 2023, la commune de Nice, prise en la personne de son maire en exercice et représentée par Me De Faÿ, conclut au rejet de la requête et à ce que soit solidairement mise à la charge des requérants la somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

La commune fait valoir :

– qu’aucune décision administrative n’est attaquée ;
– que l’urgence n’est pas constituée ;
– et qu’aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale n’est établie, dès lors que :

• le logiciel de la société Briefcam dont font état les requérants, s’il a été utilisé par le passé, notamment à titre expérimental lors de la coupe d’Europe de football de 2016 et lors du carnaval de Nice édition 2019, n’est actuellement plus utilisé par la commune ;
• la commune n’avait en tout état de cause jamais activé la licence permettant de procéder à de la reconnaissance faciale au moyen du logiciel de la société Briefcam (et plus précisément de son module « Review ») ;
• la technique permettant de procéder à de la reconnaissance faciale a fait l’objet par le passé d’un usage à titre expérimental, lors du carnaval de Nice édition 2019, non au moyen du logiciel de la société Briefcam mais au moyen de la solution « Anyvision » éditée par la société « Confidentia » ;
• la commune a par ailleurs passé un marché pour l’acquisition d’un logiciel de vidéosurveillance augmentée, dénommé « Wintics », non édité par la société Briefcam, en vue de l’utiliser dans le cadre de l’expérimentation prévue par la loi n° 2023-380 du 19 mai 2023 et le décret n°2023-828 du 28 août 2023 (pour les Jeux olympiques et paralympiques 2024), lequel n’est pas encore déployé à ce stade.

III. Par une requête, enregistrée le 20 novembre 2023 sous le numéro 2305712, le Syndicat des avocats de France, pris en la personne de sa présidente en exercice et représenté par Me Lendom, demande au juge des référés, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d’enjoindre à la commune de Nice de cesser immédiatement l’usage du logiciel édité par la société « Briefcam » permettant la reconnaissance faciale et de mettre sous séquestre auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés la version du logiciel utilisé ainsi que l’ensemble des données et métadonnées issues du traitement des données à caractère personnel réalisé ;

2°) de prendre toutes les mesures utiles afin de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées aux droits du requérant ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Nice la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Le syndicat soutient que :

* Il a un intérêt lui donnant qualité pour agir dans le cadre de la présente instance ;

* En ce qui concerne la condition d’urgence : l’urgence est établie dès lors que l’usage du logiciel de la société « Briefcam » dans le cadre du système de vidéoprotection de la commune de Nice, qui permet la reconnaissance faciale, n’est nullement encadré ;

* En ce qui concerne l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :

– l’usage du logiciel de la société « Briefcam » dans le cadre du système de vidéoprotection de la commune de Nice, qui permet la reconnaissance faciale, outre qu’il n’a fait l’objet d’aucune autorisation, porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée et au droit à la protection des données personnelles ;
– l’usage du logiciel en cause méconnait l’article 90 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, ainsi que l’article 35 du Règlement général sur la protection des données en ce qu’aucune analyse d’impact n’a été réalisée ;
– l’usage du logiciel en cause est entaché d’un vice de procédure en l’absence de saisine pour avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 novembre 2023, la commune de Nice, prise en la personne de son maire en exercice et représentée par Me De Faÿ, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge du syndicat requérant la somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

La commune fait valoir :

– qu’aucune décision administrative n’est attaquée ;
– que l’urgence n’est pas constituée ;
– et qu’aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale n’est établie, dès lors que :

• le logiciel de la société Briefcam dont fait état le requérant, s’il a été utilisé par le passé, notamment à titre expérimental lors de la coupe d’Europe de football de 2016 et lors du carnaval de Nice édition 2019, n’est actuellement plus utilisé par la commune ;
• la commune n’avait en tout état de cause jamais activé la licence permettant de procéder à de la reconnaissance faciale au moyen du logiciel de la société Briefcam (et plus précisément de son module « Review ») ;
• la technique permettant de procéder à de la reconnaissance faciale a fait l’objet par le passé d’un usage à titre expérimental, lors du carnaval de Nice édition 2019, non au moyen du logiciel de la société Briefcam mais au moyen de la solution « Anyvision » éditée par la société « Confidentia » ;
• la commune a par ailleurs passé un marché pour l’acquisition d’un logiciel de vidéosurveillance augmentée, dénommé « Wintics », non édité par la société Briefcam, en vue de l’utiliser dans le cadre de l’expérimentation prévue par la loi n° 2023-380 du 19 mai 2023 et le décret n°2023-828 du 28 août 2023 (pour les Jeux olympiques et paralympiques 2024), lequel n’est pas encore déployé à ce stade.

Vu les autres pièces des dossiers. Vu :
– la Constitution, et notamment son Préambule ;
– la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ;
– le règlement du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, dit « Règlement général sur la protection des données » ;
– le code de la sécurité intérieure ;
– la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés ;
– le code de justice administrative.

La présidente du tribunal a désigné M. Silvestre-Toussaint-Fortesa, vice-président, pour statuer sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique du 22 novembre 2023 à 14 h 00, en présence de Mme Labeau, greffière :

– le rapport de M. Silvestre-Toussaint-Fortesa, juge des référés ;
– les observations de Me Lendom, pour l’ensemble des requérants, qui persistent dans leurs écritures et font en outre valoir :
* qu’ils entendent mettre en cause par les présentes requêtes l’usage de tout logiciel permettant la reconnaissance faciale qui serait utilisé par la commune de Nice ;
* que la commune n’apporte pas d’éléments de nature à démontrer que l’usage de tels logiciels n’est pas avéré, alors que cela ressort des éléments mis en ligne par le média « Disclose » ;
* que la Commission nationale de l’informatique et des libertés s’est auto-saisie ;
* que le cadre légal est notamment régi par la loi n° 2023-380 du 19 mai 2023 et le décret n° 2023-828 du 28 août 2023, et comporte toutes les garanties procédurales qui n’ont pas été respectées par la commune de Nice ;
– et les observations de Me De Faÿ, pour la commune de Nice, qui persiste dans ses écritures et soutient en outre :
* qu’aucune décision ne révèle l’usage par la commune du logiciel de la société Briefcam ;
* que l’urgence à prendre, dans les 48 heures, une mesure de nature à mettre fin à une atteinte grave et immédiate à une liberté fondamentale n’est nullement établie, dès lors qu’aucun logiciel permettant la reconnaissance faciale n’est actuellement utilisé par la commune ;
* que la voie d’action idoine en cas de doutes sur l’utilisation de logiciels permettant la reconnaissance faciale n’est pas celle du référé-liberté mais le signalement auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

La clôture de l’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience.

Une note en délibéré, présentée pour l’association « La Ligue des droits de l’homme », l’Union syndicale « Solidaires » et la Confédération générale du travail, a été enregistrée le 22 novembre 2023.

Une note en délibéré, présentée pour l’association « La Ligue des droits de l’homme », le Syndicat de la magistrature, l’association « Association de défense des libertés constitutionnelles » et M. P. C., a été enregistrée le 22 novembre 2023.

Une note en délibéré, présentée pour le Syndicat des avocats de France, a été enregistrée le 22 novembre 2023.

Une note en délibéré, présentée pour la commune de Nice, a été enregistrée le 23 novembre 2023.

Considérant ce qui suit :

1. Par des requêtes, enregistrées sous les numéros 2305692, 2305693 et 2305712, l’association « La Ligue des droits de l’homme », l’Union syndicale « Solidaires », le Syndicat de la magistrature, l’association « Association de défense des libertés constitutionnelles », M. P. C., le Syndicat des avocats de France et la Confédération générale du travail (ci-après, « CGT »), qui entend intervenir dans l’instance n°2305692, demandent au juge des référés, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, selon le dernier état de l’instruction, d’enjoindre à la commune de Nice de cesser immédiatement l’usage du logiciel édité par la société « Briefcam » permettant la reconnaissance faciale et de mettre sous séquestre auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (ci-après, « CNIL ») la version du logiciel utilisé, d’enjoindre à ladite commune de cesser immédiatement l’usage du logiciel de vidéosurveillance algorithmique dénommé « Wintics » ou, dans le cas où ledit logiciel ne serait pas utilisé, de ne pas le déployer, et de mettre également sous séquestre auprès de la CNIL la version dudit logiciel, et, en tout état de cause, d’enjoindre à la commune de cesser l’utilisation de tout logiciel qui permettrait la reconnaissance faciale.

Sur la jonction :

2. Les requêtes n° 2305692, n° 2305693 et n° 2305712 présentant à juger les mêmes questions et ayant fait l’objet d’une instruction commune, il y a lieu de les joindre pour y statuer par une seule ordonnance.

Sur l’intervention de la CGT :

3. La CGT justifie d’un intérêt suffisant pour intervenir à l’appui de la requête n° 2305692 susvisée. Ainsi, son intervention est recevable.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

4. Aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ». Et aux termes de l’article L. 511-1 dudit code : « Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n’est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais. ».

5. Il résulte de la combinaison des dispositions précitées qu’il appartient au juge des référés, lorsqu’il est saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 et qu’il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, résultant de l’action ou de la carence de cette personne publique, de prescrire les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte, dès lors qu’existe une situation d’urgence caractérisée justifiant le prononcé de mesures de sauvegarde à très bref délai. Ces mesures doivent, en principe, présenter un caractère provisoire, sauf lorsqu’aucune mesure de cette nature n’est susceptible de sauvegarder l’exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte.

6. Pour l’application de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, la liberté personnelle, le droit au respect de la vie privée, protégé par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui comprend le droit à la protection de ses données personnelles, la liberté d’aller et venir, la liberté de conscience, la liberté d’expression et le droit de manifester, invoqués par les requérants, constituent des libertés fondamentales au sens des dispositions de cet article, ce qui implique en particulier que ces droits et libertés ne puissent subir de contraintes excédant celles qu’imposent la prévention des atteintes à l’ordre public, objectif de valeur constitutionnelle ou le respect des droits d’autrui.

7. En premier lieu, et d’une part, aux termes de l’article L. 251-2 du code de la sécurité intérieure : « Des systèmes de vidéoprotection peuvent être mis en œuvre sur la voie publique par les autorités publiques compétentes aux fins d’assurer : 1° La protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords ; 2° La sauvegarde des installations utiles à la défense nationale ; 3° La régulation des flux de transport ; 4° La constatation des infractions aux règles de la circulation ; 5° La prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés à des risques d’agression, de vol ou de trafic de stupéfiants ainsi que la prévention, dans des zones particulièrement exposées à ces infractions, des fraudes douanières prévues par le dernier alinéa de l’article 414 du code des douanes et des délits prévus à l’article 415 du même code portant sur des fonds provenant de ces mêmes infractions ; 6° La prévention d’actes de terrorisme, dans les conditions prévues au chapitre III du titre II du présent livre ; 7° La prévention des risques naturels ou technologiques ; 8° Le secours aux personnes et la défense contre l’incendie ; 9° La sécurité des installations accueillant du public dans les parcs d’attraction ; 10° Le respect de l’obligation d’être couvert, pour faire circuler un véhicule terrestre à moteur, par une assurance garantissant la responsabilité civile ; 11° La prévention et la constatation des infractions relatives à l’abandon d’ordures, de déchets, de matériaux ou d’autres objets. Des systèmes de vidéoprotection peuvent également être mis en œuvre dans des lieux et établissements ouverts au public aux fins d’y assurer la sécurité des personnes et des biens lorsque ces lieux et établissements sont particulièrement exposés à des risques d’agression ou de vol. (…) Les conditions de mise en œuvre et le type de bâtiments et installations concernés sont définis par décret en Conseil d’Etat. ». D’autre part, l’article 2 du règlement du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, dit « Règlement général sur la protection des données » (ci-après, « RGPD »), dispose que : « Le présent règlement s’applique au traitement de données à caractère personnel, automatisé en tout ou en partie, ainsi qu’au traitement non automatisé de données à caractère personnel contenues ou appelées à figurer dans un fichier. ». L’article 4 dudit règlement dispose que l’on entend par « données à caractère personnel », « toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable (…) ; est réputée être une « personne physique identifiable » une personne physique qui peut être identifiée, directement ou indirectement, notamment par référence à un identifiant, tel qu’un nom, un numéro d’identification, des données de localisation, un identifiant en ligne, ou à un ou plusieurs éléments spécifiques propres à son identité physique, physiologique, génétique, psychique, économique, culturelle ou sociale ; ». Ce même article dispose que doit s’entendre comme
« traitement », « toute opération ou tout ensemble d’opérations effectuées ou non à l’aide de procédés automatisés et appliquées à des données ou des ensembles de données à caractère personnel, telles que la collecte, l’enregistrement, l’organisation, la structuration, la conservation, l’adaptation ou la modification, l’extraction, la consultation, l’utilisation, la communication par transmission, la diffusion ou toute autre forme de mise à disposition, le rapprochement ou l’interconnexion, la limitation, l’effacement ou la destruction ».

8. En second lieu et en l’espèce, d’une part, dès lors que l’usage d’un logiciel quel qu’il soit permettrait, par l’une de ses fonctionnalités, de procéder à de la reconnaissance faciale, conduisant ainsi à l’identification des personnes, l’usage de la fonctionnalité en cause serait, par lui-même, susceptible d’engendrer l’utilisation de données à caractère personnel et devrait dès lors être regardé comme un « traitement » au sens des dispositions susmentionnées au point précédent. D’autre part, il résulte de l’instruction et des éléments dont fait état la commune de Nice défenderesse, qui verse notamment au dossier un courrier électronique en date du 22 novembre 2023 de M. C., adjoint au directeur des systèmes d’information de la commune, que le logiciel de la société Briefcam dont font état les requérants, s’il a été utilisé par le passé, à titre expérimental lors de la coupe d’Europe de football de 2016 et lors du carnaval de Nice édition 2019, n’est actuellement plus utilisé par la commune, et que la commune n’avait en tout état de cause jamais activé la licence permettant de procéder à de la reconnaissance faciale au moyen de ce logiciel et plus précisément de son module « Review ». La commune fait en outre valoir, et n’est nullement contestée sur ce point, que si la technique permettant de procéder à de la reconnaissance faciale a bien fait l’objet par le passé d’un usage, cet usage a eu lieu à titre expérimental, lors du carnaval de Nice édition 2019, et ne comportait au demeurant pas l’utilisation du logiciel de la société Briefcam mais de la solution « Anyvision », éditée par la société « Confidentia ». La commune soutient par ailleurs, sans être sérieusement contestée, avoir passé un marché pour l’acquisition d’un « logiciel de vidéosurveillance augmentée », dénommé « Wintics », non édité par la société Briefcam, en vue de l’utiliser dans le cadre de l’expérimentation prévue par la loi n° 2023-380 du 19 mai 2023 et le décret n°2023-828 du 28 août 2023 (pour les jeux olympiques et paralympiques 2024), mais que ce logiciel n’est pas encore déployé à ce stade, dès lors que les procédures légales et réglementaires préexistantes à son déploiement sont en cours. Les requérants, se bornant à se prévaloir des éléments, mis en ligne le 14 novembre 2023 par le média « Disclose » et versés au dossier, selon lesquels la police nationale ainsi que la police municipale de nombreuses communes utiliseraient illégalement le logiciel édité par la société BRIEFCAM permettant la reconnaissance faciale, n’établissent par la même nullement que la commune de Nice, attaquée dans les présentes instances, utiliserait actuellement, dans le cadre de son dispositif de vidéoprotection, les fonctionnalités d’un quelconque logiciel permettant d’avoir recours à la reconnaissance faciale. En outre, à supposer même que la commune soit dotée d’un tel logiciel, lequel comporterait d’autres fonctionnalités que celle permettant la reconnaissance faciale, il n’est pas établi que la simple détention de ce logiciel impliquerait, dans tous les cas, que les informations recueillies par le système de vidéoprotection de la commune puissent conduire, au bénéfice d’un autre usage que celui qui ne mettrait pas en œuvre la reconnaissance faciale, à rendre les personnes auxquelles elles se rapportent identifiables. Dans ces conditions, aucune atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales mentionnées au point 6 n’est en l’espèce caractérisée. Par suite, et sans qu’il soit besoin de statuer sur l’urgence, les conclusions susmentionnées doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Nice, qui n’est pas partie perdante dans les présentes instances, la somme que demandent les requérants sur leur fondement. Il y a en revanche lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge solidaire de l’ensemble des requérants la somme de 3 000 (trois mille) euros, à verser à la commune de Nice au titre de ce même article.

DECISION

Article 1er : L’intervention de la Confédération générale du travail dans la requête n° 2305692 est admise.

Article 2 : Les requêtes n° 2305692, présentée par l’association « La Ligue des droits de l’homme » et l’Union syndicale « Solidaires », n° 2305693, présentée par l’association « La Ligue des droits de l’homme », le Syndicat de la magistrature, l’association « Association de défense des libertés constitutionnelles », M. P. C., et n° 2305712, présentée par le Syndicat des avocats de France, sont rejetées.

Article 3 : L’association « La Ligue des droits de l’homme », l’Union syndicale « Solidaires », le Syndicat de la magistrature, l’association « Association de défense des libertés constitutionnelles », M. P. C. et le Syndicat des avocats de France verseront solidairement à la commune de Nice, sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 3 000 (trois mille) euros.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à l’association « La Ligue des droits de l’homme », à l’Union syndicale « Solidaires », à la Confédération générale du travail, au Syndicat de la magistrature, à l’association « Association de défense des libertés constitutionnelles », à M. P. C., au Syndicat des avocats de France et à la commune de Nice.

 

Le Tribunal : Silvestre-Toussaint-Fortesa (juge des référés)

Avocats : Me Crusoé, Me Ogier, Me Lendom

Source : Legalis.net

Lire notre présentation de la décision

 
 

En complément

Maître Me Crusoé est également intervenu(e) dans les 3 affaires suivante  :

 

En complément

Maître Me Lendom est également intervenu(e) dans l'affaire suivante  :

 

En complément

Maître Me Ogier est également intervenu(e) dans les 3 affaires suivante  :

 

En complément

Le magistrat Silvestre-Toussaint-Fortesa est également intervenu(e) dans l'affaire suivante  :

 

* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.