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Jurisprudence : Jurisprudences

mardi 16 juin 2020
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Tribunal administratif de Versailles, ordonnance du 22 mai 2020

Ligue des Droits de l'Homme

Caméra thermique - données indirectement nominatives - données personnelles - enregistrement - traitement de données personnelles

Par une requête, enregistrée le 15 mai 2020, et par trois mémoires complémentaires enregistrés les 19, 20 et 21 mai 2020, la Ligue des Droits de l’Homme, représentée par Mes Crusoé et Ogier, demande au juge des référés, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l’exécution de la décision, révélée par voie de presse et sur le réseau social facebook, par laquelle la commune de Lisses a décidé à compter du 17 avril 2020 d’installer des caméras thermiques fixes et portables dans l’enceinte des locaux des services municipaux, afin de contrôler la température corporelle des personnes entrant dans l’enceinte du pôle administratif de la commune et dans les autres établissements communaux recevant du public ;

2°) d’enjoindre à la commune de Lisses de procéder au retrait de l’ensemble des caméras thermiques utilisées pour contrôler la température corporelle des agents et des administrés fréquentant les bâtiments et lieux gérés par l’administration ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Lisses la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

Sur la condition d’urgence :

Le juge des référés admet que la demande de suspension d’un acte réglementaire puisse présenter un caractère d’urgence au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, dès lors que son exécution expose les usagers à une atteinte fréquente et répétée à leurs droits et libertés reconnues comme fondamentales. Dans le cas présent, l’exécution de la décision en litige est mise en œuvre depuis plus de deux semaines. L’installation de la caméra thermique fixe a été testée le 17 avril dernier avant d’être mise en fonctionnement à la fin du mois d’avril 2020. A la date du 4 mai 2020, ce dispositif trouvait ainsi encore à s’appliquer à l’égard des personnes se rendant au sein du pôle administratif communal. Depuis le 11 mai 2020, l’exécution de cette décision impose, non seulement à la cinquantaine d’agents municipaux exerçant dans ce pôle administratif, mais également à l’ensemble des usagers, de se soumettre de manière obligatoire au test de température réalisé par caméra dès leur entrée dans le bâtiment administratif, et à chaque fois qu’ils y pénètrent.

Sur l’atteinte grave et manifestement illégale portée au droit au respect de la vie privée, au droit de chacun au respect de sa liberté personnelle et à la liberté d’aller et venir :

La décision d’installer une caméra thermique et d’en généraliser l’utilisation porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée, au droit de chacun au respect de sa liberté personnelle et à la liberté d’aller et venir, dès lors que :

En premier lieu, elle méconnaît les dispositions des articles L. 251-1 et suivants du code de la sécurité intérieure et les règles posées par le règlement général n° 2016/679 sur la protection des données. D’une part, en effet, dès lors que les données traitées par cet équipement ne sont pas recueillies par un professionnel de santé et sont directement adressées à l’employeur, la réserve posée par l’article 9 du règlement général sur les données personnelles est méconnue, la prise de température par caméra constituant bien un traitement des données personnelles au sens de ce règlement. Ce dispositif méconnaît également l’article 6 de ce règlement. D’autre part, aucune étude d’impact telle que prévue par l’article 35 du règlement n’a été effectuée. Enfin, l’installation en cause n’a pas été autorisée par le préfet de l’Essonne.

En deuxième lieu, l’acte de diagnostic médical résultant de la prise de température corporelle méconnaît le principe de libre consentement de la personne, tel que posé par l’article L. 1111-4 du code de la santé publique.

En troisième lieu, le dispositif de caméra thermique excède les limites du pouvoir de police du maire, en période d’état d’urgence sanitaire. En particulier, l’utilisation de cette caméra thermique est de nature à induire en erreur puisqu’existe le risque que, sur le lieu de travail, les membres du personnel s’en remettent à l’analyse qui aura été faite par la caméra thermique.

En quatrième lieu, la décision litigieuse constitue une ingérence injustifiée dans le droit des personnes au respect de leur vie privée, garanti par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et porte ainsi une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée. En outre, en tant qu’elle fait obligation aux personnes qui entrent dans le bâtiment de dévoiler un élément de leur état de santé et qu’elle crée des restrictions à l’accès à un bâtiment simplement fondé sur l’état apyrétique – ou non – d’une personne, alors qu’aucun objectif d’ordre public ou en lien avec les nécessités du service ne permet de justifier de telles restrictions, la décision en litige emporte une atteinte grave et manifeste illégale à la liberté personnelle.

En cinquième et dernier lieu, le dispositif en cause méconnaît les stipulations de l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dès lors que les mesures mises en œuvre par la commune de Lisses pour écarter de l’accès aux bâtiments toute personne qui aurait une température supérieure à 37,5 degrés crée une discrimination en raison de l’état de santé.

Par deux mémoires en défense enregistrés le 20 mai 2020, et par un mémoire non communiqué enregistré le 22 mai 2020, la commune de Lisses, représentée par Me Sagalovitsch, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la Ligue des Droits de l’Homme la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que la requérante n’a pas intérêt à agir dans la présente instance, que l’urgence n’est pas constituée et qu’aucune atteinte aux libertés fondamentales ne saurait être relevée, compte tenu en particulier des modalités de fonctionnement de la caméra thermique installée à l’entrée du bâtiment administratif des Malines et de la circonstance que la prise de température repose sur le volontariat des agents.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
– la Constitution, et notamment son Préambule ;
– la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ;
– le règlement (UE) n° 2016/679 du 27 avril 2016 ;
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code de la santé publique ;
– le code de la sécurité intérieure ;
– la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
– la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 ;
– le décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 ;
– le code de justice administrative.

La présidente du tribunal a désigné Mme Marc, premier conseiller, pour statuer sur les demandes de référé.

Par lettre du 15 mai 2020, le tribunal, en application de l’article 9 de l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020, a informé les parties qu’il sera statué sans audience publique et a fixé la clôture de l’instruction au 20 mai 2020 à 11 heures. Cette clôture a été reportée au 20 mai 2020 à 18 heures, puis au 22 mai 2020 à 10 heures.

Considérant ce qui suit :

1. L’article L. 511-1 du code de justice administrative dispose que : « Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n’est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais. ». Aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ».

Sur les circonstances :

2. L’émergence d’un nouveau coronavirus (covid-19), de caractère pathogène et particulièrement contagieux et sa propagation sur le territoire français ont conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, par plusieurs arrêtés à compter du 4 mars 2020, des mesures sur le fondement des dispositions de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique. En particulier, par un arrêté du 14 mars 2020, un grand nombre d’établissements recevant du public ont été fermés au public, les rassemblements de plus de 100 personnes ont été interdits et l’accueil des enfants, élèves et étudiants dans les établissements les recevant et les établissements scolaires et universitaires a été suspendu. Puis, par un décret du 16 mars 2020 motivé par les circonstances exceptionnelles découlant de l’épidémie de covid-19, modifié par décret du 19 mars 2020, le Premier ministre a interdit le déplacement de toute personne hors de son domicile, sous réserve d’exceptions limitativement énumérées et devant être dûment justifiées, à compter du 17 mars à 12h, sans préjudice de mesures plus strictes susceptibles d’être ordonnées par le représentant de l’Etat dans le département. Le ministre des solidarités et de la santé a pris des mesures complémentaires par plusieurs arrêtés successifs.

3. Par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid19, a été déclaré l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois sur l’ensemble du territoire national. Par un nouveau décret du 23 mars 2020 pris sur le fondement de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique issu de la loi du 23 mars 2020, plusieurs fois modifié et complété depuis lors, le Premier ministre a réitéré les mesures précédemment ordonnées tout en leur apportant des précisions ou restrictions complémentaires. Leurs effets ont été prolongés en dernier lieu par décret du 14 avril 2020. Par plusieurs décrets du 11 mai 2020, le Premier ministre a modifié les mesures précédemment ordonnées et a prescrit les nouvelles mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.

Sur le cadre juridique du litige, l’office du juge des référés et les libertés fondamentales en jeu :

4. Dans l’actuelle période d’état d’urgence sanitaire, il appartient aux différentes autorités compétentes de prendre, en vue de sauvegarder la santé de la population, toutes dispositions de nature à prévenir ou à limiter les effets de l’épidémie. Ces mesures, qui peuvent limiter l’exercice des droits et libertés fondamentaux doivent, dans cette mesure, être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique qu’elles poursuivent.

5. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1 et L. 521-2 du code de justice administrative qu’il appartient au juge des référés, lorsqu’il est saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 et qu’il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, résultant de l’action ou de la carence de cette personne publique, de prescrire les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte, dès lors qu’existe une situation d’urgence caractérisée justifiant le prononcé de mesures de sauvegarde à très bref délai. Ces mesures doivent, en principe, présenter un caractère provisoire, sauf lorsque aucune mesure de cette nature n’est susceptible de sauvegarder l’exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Sur le fondement de l’article L. 521-2, le juge des référés peut ordonner à l’autorité compétente de prendre, à titre provisoire, des mesures d’organisation des services placés sous son autorité, dès lors qu’il s’agit de mesures d’urgence qui lui apparaissent nécessaires pour sauvegarder, à très bref délai, la liberté fondamentale à laquelle il est gravement, et de façon manifestement illégale, porté atteinte. Le caractère manifestement illégal de l’atteinte doit s’apprécier notamment en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente et des mesures qu’elle a déjà prises.

6. Pour l’application de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, le droit au respect de la vie privée qui comprend le droit à la protection des données personnelles, le droit de chacun au respect de sa liberté personnelle, qui implique en particulier qu’il ne puisse subir de contraintes excédant celles qu’imposent la sauvegarde de l’ordre public ou le respect des droits d’autrui, et la liberté d’aller et venir constituent des libertés fondamentales au sens des dispositions de cet article.

Sur la demande en référé :

7. Il résulte de l’instruction que la commune de Lisses a procédé à l’installation d’une caméra fixe thermographique à l’entrée du bâtiment administratif dit des Malines, lequel regroupe les services communaux de la direction de la sécurité informatique, des ressources humaines, de la comptabilité et des sports, ainsi que les bureaux des services techniques. Lorsqu’une personne se présente à une distance déterminée de la caméra, distance qui est marquée au sol, un écran fixé sur le mur affiche alors un carré rouge ou vert, en fonction de la température relevée. Il résulte également de l’instruction que la commune de Lisses a acquis des caméras thermiques portatives, utilisées dans les bâtiments scolaires et périscolaires, lors de l’accueil des enfants, aux fins de vérifier leur température ainsi que celle des personnels les encadrant.

8. La Ligue des Droits de l’Homme demande au juge des référés, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, d’ordonner le retrait de l’ensemble des caméras thermiques utilisées pour contrôler la température corporelle des agents et des administrés fréquentant les bâtiments et lieux gérés par l’administration.

En ce qui concerne la condition d’urgence :

9. Eu égard, d’une part, au nombre de personnes susceptibles d’en faire l’objet et, d’autre part, à leurs effets, la fréquence et le caractère répété des mesures de surveillance litigieuses créent une situation d’urgence au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative.

En ce qui concerne l’atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées :

10. En premier lieu, d’une part, l’article 2 du règlement du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE, dit règlement général sur la protection des données, dispose que : « Le présent règlement s’applique au traitement de données à caractère personnel, automatisé en tout ou en partie, ainsi qu’au traitement non automatisé de données à caractère personnel contenues ou appelées à figurer dans un fichier. ». L’article 4 dudit règlement dispose que l’on entend par « données à caractère personnel », « toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable (…) ; est réputée être une « personne physique identifiable » une personne physique qui peut être identifiée, directement ou indirectement, notamment par référence à un identifiant, tel qu’un nom, un numéro d’identification, des données de localisation, un identifiant en ligne, ou à un ou plusieurs éléments spécifiques propres à son identité physique, physiologique, génétique, psychique, économique, culturelle ou sociale ; ». Ce même article dispose que doit s’entendre comme « traitement », « toute opération ou tout ensemble d’opérations effectuées ou non à l’aide de procédés automatisés et appliquées à des données ou des ensembles de données à caractère personnel, telles que la collecte, l’enregistrement, l’organisation, la structuration, la conservation, l’adaptation ou la modification, l’extraction, la consultation, l’utilisation, la communication par transmission, la diffusion ou toute autre forme de mise à disposition, le rapprochement ou l’interconnexion, la limitation, l’effacement ou la destruction ». Ce même article dispose, enfin, que doit s’entendre par « consentement » de la personne concernée, « toute manifestation de volonté, libre, spécifique, éclairée et univoque par laquelle la personne concernée accepte, par une déclaration ou par un acte positif clair, que des données à caractère personnel la concernant fassent l’objet d’un traitement ; ».

11. Il résulte de l’instruction que le dispositif constitué par la caméra fixe installée à l’entrée du bâtiment des Malines et les caméras portatives utilisées dans les bâtiments scolaires et périscolaires consiste à capter par une opération automatisée la température corporelle des personnes se présentant devant la caméra installée à l’entrée du bâtiment ou passant dans le faisceau de la caméra portable activée par son utilisateur. Lorsque la personne passe dans le faisceau de la caméra fixe, un écran affiche un carré vert, indiquant une température normale, ou un carré rouge, indiquant une température anormale, lesdits carrés se superposant à une forme corporelle. Lorsqu’une personne passe dans le faisceau de la caméra portative, sa température maximale est indiquée, cette information étant accompagnée, elle aussi, de l’affichage d’une forme corporelle.

12. Alors même qu’il est soutenu que la prise de température ainsi opérée ne revêt pas le caractère d’un « traitement » ni ne saurait davantage être qualifiée de « donnée », dès lors que l’usage qui est fait des appareils ne conduit pas à l’identification des personnes ni ne donne lieu à enregistrement, au regard de leur fiche d’utilisation indiquant que le matériel livré ne comporte pas de carte de stockage, l’ensemble des informations et images qui s’affichent à l’écran, fixe ou mobile, est susceptible d’engendrer l’utilisation de données à caractère personnel et doit ainsi être regardé comme un « traitement ». Ces matériels ne comportent, en l’état de l’instruction, aucun dispositif technique de nature à éviter, dans tous les cas, que les informations recueillies puissent conduire, au bénéfice d’un autre usage que celui actuellement pratiqué, à rendre les personnes auxquelles elles se rapportent identifiables, compte tenu notamment de la forme corporelle qui s’affiche sur l’écran. Dans ces conditions, les données susceptibles d’être utilisées par le traitement litigieux doivent être regardées comme revêtant un caractère personnel en matière de santé, au sens et pour l’application du règlement général sur la protection des données.

13. D’autre part, l’article 9 du règlement général sur la protection des données dispose :
« 1. Le traitement des données à caractère personnel qui révèle l’origine raciale ou ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques ou l’appartenance syndicale, ainsi que le traitement des données génétiques, des données biométriques aux fins d’identifier une personne physique de manière unique, des données concernant la santé ou des données concernant la vie sexuelle ou l’orientation sexuelle d’une personne physique sont interdits. 2. Le paragraphe 1 ne s’applique pas si l’une des conditions suivantes est remplie : a) la personne concernée a donné son consentement explicite au traitement de ces données à caractère personnel pour une ou plusieurs finalités spécifiques, sauf lorsque le droit de l’Union ou le droit de l’État membre prévoit que l’interdiction visée au paragraphe 1 ne peut pas être levée par la personne concernée ; (…) ». L’article 6 de ce même règlement dispose que : « 1. Le traitement n’est licite que si, et dans la mesure où, au moins une des conditions suivantes est remplie : a) la personne concernée a consenti au traitement de ses données à caractère personnel pour une ou plusieurs finalités spécifiques ; (…) ». Enfin, l’article L. 1111-4 du code de la santé publique dispose que : « (…) Aucun acte médical (…) ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. (…) ».

14. Il résulte de l’instruction, en particulier du procès-verbal du comité d’hygiène et de sécurité et des conditions de travail en date du 16 avril 2020, soit avant l’installation de la caméra fixe litigieuse située dans le bâtiment des Malines, que s’il avait été initialement envisagé que les agents aient obligatoirement à se soumettre à une prise de température corporelle, les notes de service des 11, 14 et 18 mai 2020, respectivement destinées aux agents des services de la direction des ressources humaines, des services techniques et des services des sports, se bornent à recommander aux agents, et ne leur imposent pas, contrairement à ce qui est soutenu, une prise de température. D’autre part, il ressort de la fiche technique et des photographies de l’installation en cause que pour que la température soit effectivement relevée, la personne doit se trouver à une distance précise et déterminée de la caméra, soit à 1,50 mètre de cette dernière. En l’espèce, à l’entrée du bâtiment des Malines, est signalé de manière très visible par une signalétique au sol, constituée par un carré, le lieu où s’effectue la prise de température. Un panneau d’affichage indique également que l’utilisateur du bâtiment entre dans une zone de prise de température. Or, compte tenu de la configuration des locaux, suffisamment large contrairement à ce qui est allégué pour pénétrer dans le bâtiment sans passer dans le faisceau de prise de température, il est tout à fait loisible aux agents, clairement informés du dispositif, d’entrer dans les locaux sans avoir à se soumettre à une prise de température. Enfin, il ne résulte d’aucune des dispositions de l’arrêté du maire de Lisses du 11 mai 2020, relatif à l’accès aux équipements et bâtiments municipaux, qu’une prise de température préalable à une entrée en leur sein présenterait un caractère obligatoire. Ainsi, eu égard au caractère volontaire que revêt en l’espèce la prise de température corporelle, le dispositif de caméra fixe en cause ne méconnaît pas le principe d’interdiction posé par les dispositions de l’article 9 précité du règlement général sur la protection des données. Quant aux caméras portatives, leurs modalités de fonctionnement propres font par nature obstacle à toute prise de température imposée. En tout état de cause, il n’est ni établi ni même allégué, et ne résulte d’ailleurs d’aucun élément de l’instruction, qu’une prise de température opérée du fait de leur utilisation n’aurait pas donné lieu au consentement préalable des parents des enfants, avant l’entrée dans les bâtiments scolaires et périscolaires, et des personnels les encadrant.

15. En deuxième lieu, l’article 35 du règlement général dispose que : « 1. Lorsqu’un type de traitement, en particulier par le recours à de nouvelles technologies, et compte tenu de la nature, de la portée, du contexte et des finalités du traitement, est susceptible d’engendrer un risque élevé pour les droits et libertés des personnes physiques, le responsable du traitement effectue, avant le traitement, une analyse de l’impact des opérations de traitement envisagées sur la protection des données à caractère personnel. Une seule et même analyse peut porter sur un ensemble d’opérations de traitement similaires qui présentent des risques élevés similaires. (…) ». Compte tenu de ce qui a été exposé au point précédent, aucun risque élevé pour les droits et libertés des personnes physiques, au sens de ces dispositions, ne saurait en l’espèce être relevé.

16. En troisième lieu, la requérante soutient que le préfet de l’Essonne n’a pas autorisé le dispositif vidéo en cause, en méconnaissance des dispositions des articles L. 251-1 et suivants du code de la sécurité intérieure et en particulier en méconnaissance de celles de l’article L. 252-1 de ce code.

17. Aux termes de l’article L. 251-2 du code de la sécurité intérieure : « La transmission et l’enregistrement d’images prises sur la voie publique par le moyen de la vidéoprotection peuvent être mis en œuvre par les autorités publiques compétentes aux fins d’assurer : 1° La protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords ; 2° La sauvegarde des installations utiles à la défense nationale ; 3° La régulation des flux de transport ; 4° La constatation des infractions aux règles de la circulation ; 5° La prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés à des risques d’agression, de vol ou de trafic de stupéfiants ainsi que la prévention, dans des zones particulièrement exposées à ces infractions, des fraudes douanières prévues par le dernier alinéa de l’article 414 du code des douanes et des délits prévus à l’article 415 du même code portant sur des fonds provenant de ces mêmes infractions ; 6° La prévention d’actes de terrorisme, dans les conditions prévues au chapitre III du titre II du présent livre ; 7° La prévention des risques naturels ou technologiques ; 8° Le secours aux personnes et la défense contre l’incendie ; 9° La sécurité des installations accueillant du public dans les parcs d’attraction ; 10° Le respect de l’obligation d’être couvert, pour faire circuler un véhicule terrestre à moteur, par une assurance garantissant la responsabilité civile ; 11° La prévention et la constatation des infractions relatives à l’abandon d’ordures, de déchets, de matériaux ou d’autres objets. Il peut être également procédé à ces opérations dans des lieux et établissements ouverts au public aux fins d’y assurer la sécurité des personnes et des biens lorsque ces lieux et établissements sont particulièrement exposés à des risques d’agression ou de vol. Après information du maire de la commune concernée et autorisation des autorités publiques compétentes, des commerçants peuvent mettre en œuvre sur la voie publique un système de vidéoprotection aux fins d’assurer la protection des abords immédiats de leurs bâtiments et installations, dans les lieux particulièrement exposés à des risques d’agression ou de vol. Les conditions de mise en œuvre et le type de bâtiments et installations concernés sont définis par décret en Conseil d’Etat. ». Aux termes de l’article L. 252-1 du même code : « L’installation d’un système de vidéoprotection dans le cadre du présent titre est subordonnée à une autorisation du représentant de l’Etat dans le département et, à Paris, du préfet de police donnée, sauf en matière de défense nationale, après avis de la commission départementale de vidéoprotection. Lorsque le système comporte des caméras installées sur le territoire de plusieurs départements, l’autorisation est délivrée par le représentant de l’Etat dans le département dans lequel est situé le siège social du demandeur et, lorsque ce siège est situé à Paris, par le préfet de police, après avis de la commission départementale de vidéoprotection. Les représentants de l’Etat dans les départements dans lesquels des caméras sont installées en sont informés. Les systèmes installés sur la voie publique ou dans des lieux ouverts au public dont les enregistrements sont utilisés dans des traitements automatisés ou contenus dans des fichiers structurés selon des critères permettant d’identifier, directement ou indirectement, des personnes physiques, sont autorisés dans les conditions fixées par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. ».

18. Il ne résulte d’aucun élément de l’instruction que la commune de Lisses ait acquis et installé, ni utilise d’ailleurs les caméras thermiques en litige pour l’une des fins mentionnées par l’article L. 251-2 précité du code de la sécurité intérieure. Ainsi, aucune méconnaissance des dispositions invoquées du code de la sécurité intérieure, en particulier celles de son article L. 252-1, ne saurait être relevée.

19. En quatrième lieu, l’installation d’une caméra fixe à l’entrée du bâtiment administratif des Malines et l’utilisation d’une caméra thermique portative à l’égard des agents dans les bâtiments scolaires et périscolaires procède, contrairement à ce qui est soutenu, d’une décision du maire prise en qualité de chef de service, au titre de son pouvoir général d’organisation du service, et non en qualité d’autorité de police administrative générale, de sorte que l’invocation d’une méconnaissance des limites de ce pouvoir est inopérante.

20. Enfin, en dernier lieu, compte tenu de ce qui a été exposé au point 14 ci-dessus, le dispositif de caméras en litige ne saurait être regardé comme méconnaissant les articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

21. Il résulte de tout ce qui précède que le dispositif de caméras thermiques installé et utilisé sur le territoire de la commune de Lisses ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée, au droit de chacun au respect de sa liberté personnelle et à la liberté d’aller et venir. Par suite, les conclusions présentées par la Ligue des Droits de l’Homme sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative doivent être rejetées, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur son intérêt à agir.

Sur les frais liés à l’instance :

22. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Lisses, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que demande la requérante sur leur fondement. Il y a en revanche lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la Ligue des Droits de l’Homme la somme de 1 000 (mille) euros à verser à la commune de Lisses au titre de ce même article.

 

DÉCISION

Article 1er : La requête présentée par la Ligue des Droits de l’Homme est rejetée.

Article 2 : La Ligue des Droits de l’Homme versera à la commune de Lisses, sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 000 (mille) euros.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la Ligue des Droits de l’Homme et à la commune de Lisses.

 

Le Tribunal : Mme E. Marc (juge des référés)

Avocats : Me Crusoé, Me Ogier, Me Sagalovitsch

Source : versailles.tribunal-administratif.fr

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