Jurisprudence : E-commerce
Tribunal de commerce de Bobigny 7ème chambre Jugement du 29 janvier 2008
Agents et mandataires exclusifs Nouvelles Frontières / Nouvelles Frontières Distribution
bonne foi - concurrence - contrat - distribution - e-commerce - vente en ligne
FAITS
Nouvelles Frontières (ci-après NF) a été créée en 1967 par Monsieur Jacques M. avec le projet de mettre à la disposition du public des formules de voyages, séjours et autres produits touristiques originaux conçus et mis au point de manière centralisés, proposés à des prix tels qu’ils puissent être accessibles au plus grand nombre.
Dans l’organisation mise en place à l’origine, qui est demeurée pratiquement sans équivalent en France, ces produits, élaborés par la société Tour Aventure du groupe NF sont commercialisés de manière exclusive par la filiale Nouvelle Frontière Distribution -NFD- au travers d’un réseau de succursales et d’agents indépendants et de mandataires, ci-après dénommés « les Agents » ces derniers aujourd’hui au nombre de 48, qui eux-mêmes, en contrepartie de l’exclusivité dont ils bénéficient, ne peuvent distribuer de produits autres que ceux mis à leur disposition par NFD.
Selon la réglementation en vigueur pour les agences de voyage, les agents recrutés par NFD exercent dans un premier temps, pendant 3 ans, leur activité sous le couvert de NFD en tant que mandataire de celle-ci, dans l’attente de leur licence d’agence de voyage qui ne peut leur être délivrée qu’à l’issue de ce délai. Une fois celle-ci obtenue, ils opèrent de manière autonome, en tant que commerçants indépendants, dans la limite de la double exclusivité ci-dessus évoquée, les agents étant de préférence situés dans les villes moyennes, tandis que la présence dans les grandes agglomérations est plutôt réservée aux succursales de NFD.
Les agences sont titulaires d’un mandat exclusif d’une durée de 5 ans et sont rémunérées, notamment, au moyen du versement d’une commission calculée au taux de 8% -6% pour les voyages en groupe- sur le prix de vente client des produits qu’ils commercialisent au nom et pour le compte de NFD.
Au cours des dernières années, des évolutions et évènements sont survenus qui ont eu des répercussions sur l’économie du réseau de distribution des produits NF tel qu’il vient d’être présenté.
Il s’agit tout d’abord du changement du mode de rémunération des agences de voyage en général sur la vente des billets d’avion : au paiement à la commission par le transporteur aérien sur le prix de la vente des billets réalisée par l’agence a été, en effet, substitué un système de remboursement de frais de billetterie. Il en est résulté certaines différences techniques entre les contrats des Agents.
Dans le courant de 2002 NF, en proie à certaines difficultés financières, a, d’autre part, été cédée au groupe allemand Preussag qui a, lui-même, parallèlement acquis le secteur voyage du groupe Havas, les produits de Preussag, diffusés sous la marque TUI peu connue en France étant regroupés avec ceux d’Havas et distribués sous la marque «Havas Voyages» au travers d’un réseau distinct du réseau NFD, qui selon l’association des agents NE, proposerait des produits voisins de ceux de NF puisque préparés par le même prestataire, Touraventure, et ce, en dépit de l’exclusivité contractuelle dont bénéficient les agences.
Enfin et surtout, les ventes des produits Nouvelles Frontières sur internet se sont, à l’instar de ce qui s’est passé durant la période récente dans d’autres secteurs d’activité s’adressant au grand public, développées de manière très importante au cours des dernières années. Ces ventes sont réalisées de manière centralisée par Nouvelles Frontières à partir de son site marchand internet propre ainsi que par un numéro d’appel centralisé de réservation : elles ne donnent pas lieu à rémunération pour l’agence du lieu où réside le client, qui n’en est pas moins tenue d’assurer gratuitement, un certain service après vente auprès de celui-ci.
Depuis 1991, les Agents dont les contrats sont tous basés sur un même contrat type datant de 2003, se sont regroupés en une association dénommée Association des Agents et Mandataires Exclusifs Nouvelles Frontières (ci-après : l’Association) afin de défendre d’une seule voix leurs intérêts communs et de représenter une force unie et cohérente vis avis de Nouvelles Frontières, en l’occurrence de sa filiale NFD, et susceptible de discuter, en quelque sorte, d’égal à égal avec le mandant alors que, pris isolément, les Agents ne peuvent disposer de la même position.
La plupart, pour ne pas dire la totalité, des agences sont membres actifs de cette association qui a engagé avec NFD des pourparlers et discussions ont eu lieu au cours de la période récente, portant sur les mesures qui seraient susceptibles de compenser les pertes que les Agents disent avoir subi en raison des circonstances ci-dessus évoquées et de diverses atteintes à leurs droits tels qu’ils résultent de leur contrat dont ils affirment souffrir.
Ces pourparlers se sont déroulés dans un contexte défavorable, la situation des Agents comme celle du groupe NF d’ailleurs étant difficile et bien qu’ayant permis des avancées significatives, n’ont finalement pas pu aboutir à une solution d’ensemble jugée satisfaisante pour l’Association.
C’est dans ces circonstances que celle-ci a été conduite à saisir le Tribunal.
PROCEDURE
Par assignation à bref délai en date du 28 février 2007, Association des Agents et Mandataires Exclusifs Nouvelles Frontières, ci-après désignée l’association demande au tribunal de céans de :
Vu l’article 1134 du Code Civil,
– constater que l’Association des Agents et Mandataires Exclusifs Nouvelles Frontières a qualité et intérêt à agir pour la défense des intérêts collectifs et particuliers des Agents et Mandataires Exclusifs Nouvelles Frontières ;
– constater que l’Association des Agents et Mandataires Exclusifs Nouvelles Frontières a reçu pouvoir des Agents et Mandataires exclusifs Nouvelles Frontières de renégocier en leur nom, les termes du nouveau contrat d’Agent Exclusif Nouvelles Frontières et de Mandataire Exclusif Nouvelles Frontières ;
– constater que l’économie du contrat de mandataire et agent exclusif Nouvelles Frontières a été remise en cause par les évolutions intervenues au sein du Groupe Nouvelles Frontières et au sein de la profession d’Agent de voyages et les agissements de la société Nouvelles Frontières Distribution ;
– dire et juger que la société Nouvelles Frontières Distribution manque à son obligation d’exécuter le contrat de bonne foi en se refusant à toute négociation avec l’Association des Agents et Mandataires Exclusifs Nouvelles Frontières alors que: l’économie du contrat qui lie la société Nouvelles Frontières Distribution aux Agents et Mandataires Exclusifs Nouvelles Frontières est totalement remise en cause ;
– dire et juger que la société Nouvelles Frontières Distribution devra renégocier avec l’Association des Agents et Mandataires Exclusifs Nouvelles Frontières, les termes du contrat d’Agents et mandataires Exclusifs Nouvelles Frontières ;
En tout état de cause,
– dire et juger que la société Nouvelles Frontières Distribution manque à son obligation de respecter l’exclusivité territoriale concédée aux Agents et Mandataires Exclusifs Nouvelles Frontières ;
– dire et juger qu’en instaurant des frais de dossiers et de billetterie distincts entre le réseau internet et le réseaux physique et en déduisant unilatéralement la différence, des commissions des Agents, la société Nouvelles Frontières Distribution manque à son obligation de loyauté et à l’article 12 du Contrat d’Agent Exclusif Nouvelles Frontières relatif à la rémunération ;
– En conséquence, interdire à la société Nouvelles Frontières Distribution de pratiquer des frais de dossiers et de billetterie distincts selon que les ventes s’effectuent via le canal de l’internet ou via les Agences ;
– En conséquence, dire et juger que la société Nouvelles Frontières Distribution ne peut déduire unilatéralement des frais de dossiers et de billetterie des commissions dues aux Agents et Mandataires Exclusifs Nouvelles Frontières ;
– Dire et juger que la société Nouvelles Frontières Distribution manque à ses obligations contractuelles telles qu’elles résultent de l’article 12 du contrat, en déduisant les surcharges de carburant du chiffre d’affaires des Agents et Mandataires Exclusifs Nouvelles Frontières, manque à ses obligations relatives à la rémunération des Agents et Mandataires Exclusifs Nouvelles Frontières telles qu’elles résultent de l’article 12 de ce contrat ;
– En conséquence, dire et juger que la société Nouvelles Frontières Distribution ne peut déduire les surcharges dues à l’augmentation du prix du carburant du chiffre d’affaires des Agents et Mandataires Exclusifs Nouvelles Frontières servant d’assiette à la rémunération de 6,5% ou 8% versée aux Agents et Mandataires Exclusifs Nouvelles Frontières en contrepartie de leurs prestations ;
– Dire et juger que la société Nouvelles Frontières Distribution en retranchant unilatéralement du chiffre d’affaires réalisé par les Agents et Mandataires exclusifs Nouvelles Frontières, les frais de billetterie et en ne versant aucune commission aux Agents sur ces sommes facturées aux clients ;
– En conséquence, dire et juger que la société Nouvelles Frontières Distribution à l’obligation de verser aux Agents et Mandataires Exclusifs Nouvelles Frontières une commission de 20 % sur les frais de billetterie ;
– Dire et juger que la société Nouvelles Frontières Distribution ne respecte pas les dispositions de l’article 12 du contrat en ne versant aux Agents et Mandataires Exclusifs Nouvelles Frontières qu’une commission de 6,5% ou 8% sur les primes d’assurance rapatriement au lieu des 20 % contractuels ;
– En conséquence, dire et juger que la société Nouvelles Frontières Distribution doit réintégrer les primes d’assurances rapatriement parmi l’assiette des primes d’assurance et rémunérer ces primes au taux actuellement prévu de 20% ;
– Dire et juger que la société Nouvelles Frontières Distribution manque à son obligation d’exécuter de bonne foi l’article 15 du contrat relatif à ses obligations en matière de publicité ;
– Dire et juger que la société Nouvelles Frontières Distribution doit mentionner dans les brochures Nouvelles Frontières, les coordonnées téléphoniques des Agents et Mandataires Exclusifs Nouvelles Frontières ;
– Ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir ;
– Condamner la société Nouvelles Frontières Distribution aux dépens ;
– Condamner solidairement la société Nouvelles Frontières Distribution à verser à l’Association Agents et mandataires Exclusifs Nouvelles Frontières une somme de 1000 € au titre de l’article 700 du ncpc.
L’affaire est appelée devant la 7ème chambre le 23 mars 2007. A cette audience la société Nouvelles Frontières Distribution, ci-après désignée NFD dépose des conclusions demandant au tribunal :
Vu les articles 31 et 122 du ncpc,
Dire et juger que l’association est dépourvue de qualité à agir dans le cadre de la présente instance,
Dire et juger en conséquence l’association irrecevable en soit action pour défaut de droit à agir,
Condamner l’association à payer à Nouvelles Frontières Distribution la somme de 5000 € au titre de l’article 700 du ncpc,
La condamner aux dépens.
A l’audience du 6 avril, l’Association dépose des conclusions en réplique ;
A leur demande les parties sont convoquées à une audience collégiale de plaidoirie fixée au 27 avril en vue de laquelle Nouvelles Frontières Distribution dépose de nouvelles conclusions reprenant son précédent dispositif sur la recevabilité et y portant sa demande au titre de l’article 700 du ncpc à 10 000 €.
A cette audience sur proposition du président et dans l’intérêt des parties, celles-ci donnent leur accord pour que le tribunal désigne un médiateur.
Par jugement en date du 29 mai 2007 le tribunal a en conséquence désigné Monsieur Antoine C. comme médiateur fixant au 9 août 2007 le terme de sa mission et dit qu’il sursoit à statuer sur toutes les demandes des parties et renvoie la cause à l’audience du 14 septembre 2007
La médiation n’ayant pas abouti bien que de nombreux points d’accord aient été trouvés d’après les dires des parties, celles-ci sont convoquées à une audience collégiale de plaidoirie fixée au 26 octobre 2007. A cette audience Nouvelles Frontières Distribution dépose de nouvelles conclusions demandant au tribunal :
A titre principal
Vu les articles 31 et 122 du ncpc,
– dire et juger que l’Association est dépourvue d’intérêt à agir dans le cadre de la présente instance,
– dire et juger en conséquence l’Association irrecevable en son action pour défaut de droit d’agir,
Subsidiairement et si par extraordinaire, le Tribunal déclarait la présente action recevable :
– dire et juger que l’Association est mal fondée à invoquer une obligation de renégocier les contrats de bonne foi ;
– constater, à toutes fins utiles, que plusieurs phases de négociations ont en lieu entre les parties sans que la bonne foi de NFD puisse être mise en cause à cette occasion ;
– dire et juger que NFD n’a commis aucun manquement à l’obligation d’exécuter les contrats de bonne foi ;
– débouter en conséquence l’Association de toutes ses demandes à ce titre ;
– dire et juger que NFD n’a commis aucun manquement à ses obligations contractuelles ;
– débouter en conséquence l’Association de toutes ses demandes, fins et conclusions de ce chef ;
En tout état de cause :
– condamner l’Association à payer à Nouvelles Frontières Distribution la somme de 30 000 € au titre de l’article 700 du ncpc,
– la condamner en tous les dépens.
Et l’Association dépose également des conclusions en réplique et récapitulatives n°2
– constater que l’objet de l’Association des Agents et Mandataires Exclusifs Nouvelles Frontières tel qu’il résulte de l’article 2 de ses statuts, est la représentation et la défense des intérêts particuliers et/ou, collectifs de ses membres et qu’il prévoit que l’Association des Agents et Mandataires Exclusifs Nouvelles Frontières peut ester en justice ou déposer toute forme de réclamation auprès des juridictions ou instance de contrôle afin de préserver ses intérêts et ceux de ses membres ;
– constater que l’Association des Agents et Mandataires Exclusifs Nouvelles Frontières a reçu pouvoir des Agents et Mandataires Exclusifs Nouvelles Frontières de renégocier en leur nom, les termes du nouveau contrat d’Agent Mandataires Exclusifs Nouvelles Frontières ;
– constater qu’au cours de l’Assemblée Générale Extraordinaire du 15 mars 2007, les membres de l’Association des Agents et Mandataires Exclusifs Nouvelles Frontières ont renouvelé leur mandat pour la poursuite de la procédure ;
– constater que la médiation a permis aux parties de rentrer dans un processus de dialogue ;
– constater qu’au cours de l’Assemblée Générale Extraordinaire du 13 septembre 2007, les membres de l’Association des Agents et Mandataires Exclusifs Nouvelles Frontières a donné à l’unanimité quitus au bureau de l’Association dans son implication dans la médiation ;
En conséquence,
– dire et juger que l’Association des Agents et Mandataires Exclusifs Nouvelles Frontières a qualité et intérêt à agir pour la défense des intérêts, collectifs des Agents et mandataires Exclusifs Nouvelles Frontières ;
– dire et juger que l’Association des Agents et Mandataires Exclusifs Nouvelles Frontières est recevable en la présente action ;
En tout état de cause,
– dire et juger que la société NFD manque à ses obligations de loyauté, et de bonne foi dans l’exécution des contrats la liant aux Agents et Mandataires Exclusifs NF ;
– dire et juger que la société Nouvelles Frontières Distribution porte atteinte à l’exclusivité territoriale concédée aux Agents et Mandataires Exclusifs Nouvelles Frontières en vertu du contrat d’Agent et de Mandataires Exclusifs NF ;
En outre,
– dire et juger qu’en déduisant unilatéralement des frais de dossiers et de billetterie des commissions dues aux Agents et Mandataire Exclusifs Nouvelles Frontières la société Nouvelles Frontières Distribution porte atteinte à l’article 12 du contrat d’Agent et des Mandataires Exclusifs NF ;
– interdire à la société Nouvelles Frontières Distribution qui ne peut déduire unilatéralement les frais de dossiers et de billetterie des commissions dues aux Agents et Mandataires Exclusifs Nouvelles Frontières ;
– dire et juger que la société Nouvelles Frontières Distribution porte atteinte à l’article 12 du contrat d’Agent et de Mandataires Exclusifs NF en déduisant les surcharges de carburant du chiffre d’affaires des Agents et Mandataires Exclusifs Nouvelles Frontières ;
– interdire à la société Nouvelles Frontières Distribution de déduire les surcharges dues à l’augmentation du prix du carburant du chiffre d’affaires des Agents et Mandataires Exclusifs Nouvelles Frontières servant d’assiette à la rémunération de 6,5% ou 8 % versée aux Agents et Mandataires Exclusifs Nouvelles Frontières en contrepartie de leurs prestations ;
– dire et juger que la société Nouvelles Frontières Distribution porte atteinte à l’article 12 du contrat en ne versant aux Agents et Mandataires Exclusifs Nouvelles Frontières qu’une commission de 6,5 % ou 8 % sur les primes d’assurance rapatriement au lieu des 20 % contractuels ;
– dire et juger que la société Nouvelles Frontières Distribution doit réintégrer les primes d’assurances rapatriement parmi l’assiette des primes d’assurance et rémunérer ces primes au taux contractuellement prévu de 20 % ;
– dire et juger que la société Nouvelles Frontières Distribution porte atteinte à l’article 12 du contrat en retranchant unilatéralement du chiffre d’affaires réalisé par les Agents et Mandataires Exclusifs Nouvelles Frontières, les frais de billetterie et en ne versant aucune commission aux Agents sur ces sommes facturées aux clients ;
– dire et juger que la société Nouvelles Frontières Distribution a l’obligation de verser aux Agents et Mandataires Exclusifs Nouvelles Frontières une commission de 20 % sur les frais de billetterie ;
– dire et juger que la société Nouvelles Frontières Distribution manque à son obligation d’exécuter de bonne foi l’article 15 du contrat relatif à ses obligations, en matière de publicité ;
– dire et juger que la société Nouvelles Frontières Distribution doit mentionner dans les brochures Nouvelles Frontières, les coordonnées téléphoniques des Agents et Mandataires Exclusifs Nouvelles Frontières ;
– ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir ;
– condamner la société Nouvelles Frontières Distribution aux dépens ;
– condamner la société Nouvelles Frontières Distribution à verser à l’Association des Agents et Mandataires Exclusifs Nouvelles Frontières une somme de 7500 € au titre de l’article 700 du ncpc ;
Compte tenu de ces nouvelles conclusions l’affaire est renvoyée une dernière fois à une nouvelle audience collégiale de plaidoirie fixée au 16 novembre 2007 afin que les parties finissent leurs demandes.
À l‘audience du 16 novembre l’Association dépose des conclusions en réplique et récapitulatives n°3 qui reprennent son précédent dispositif y ajoutant dans le 2ème alinéa :
– constater que la société NFD ne conteste plus que l’association des agents et mandataires exclusifs nouvelles frontières a reçu pouvoir et :
– Débouter la société NDF de l’intégralité de ses demandes fins et conclusions.
L’affaire étant en l’état, les parties présentent respectivement leurs arguments. A l’issue de cette audience l’affaire est mise en délibéré pour un jugement mis à disposition le 29 janvier 2008.
DISCUSSION
Sur la recevabilité des demandes de l’Association NF
NFD s’oppose aux demandes de l’Association NF dont elle soutient en premier lieu qu’elle est irrecevable au motif que celle-ci ne peut se substituer à ses membres et agir pour leur compte, les principes régissant le fonctionnement des associations ne le permettant pas et qu’à tout le moins elle est dans l’incapacité de soutenir à défaut de mandat exprès de leur part, une demande qui intéresse exclusivement ses membres, sans qu’elle puisse faire état elle-même d’un préjudice propre qui se distingue de celui dont elle affirme que souffrent ceux-ci.
L’Association NF réplique que son seul et unique objet est la représentation et la défenses des intérêts des Agents NF qui dans leur quasi totalité, la composent et qu’à ce titre elle est fondée, le pouvoir d’ester en justice dans les limites de son objet lui ayant été reconnu de par ses statuts, à demander à ce tribunal de contraindre NFD à se conformer au contrat conclu avec chacun de ses membres dont le contenu, s’agissant d’un véritable contrat d’adhésion, est le même pour tous.
A ces arguments qui s’opposent, il y a lieu de répondre que la difficulté à cet égard provient de ce que, selon un principe fondamental du droit procédural français, il est interdit à une personne, fut-elle une organisation défendant, par exemple, un intérêt commun à ses adhérents, d’agir en justice pour le compte d’une ou plusieurs autres, même si ce sont ses membres, sans que ceux-ci soient eux-mêmes parties à la procédure ; cette règle de base est exprimée sous la forme d’un adage remontant à une époque bien antérieure au code de procédure civile et aux termes de laquelle «en France, sauf le Roi, nul ne plaide par procureur».
La question est de savoir quelle peut donc être la portée de cette règle à l’époque actuelle et, plus particulièrement, si une association qui a précisément pour objet la défense des intérêts de ses membres est tenue par celle-ci ou bien au contraire, peut y échapper ?
D’une manière générale, la loi et la jurisprudence ont, lorsque cette question est posée avec de plus en plus d’acuité à notre époque, s’agissant notamment de la défense des consommateurs, fixé des limites strictes à la possibilité qu’ont les associations chargées de celle-ci, d’ester en justice dès lors qu’elles sont conduites à le faire hors du domaine, de la défense de leurs intérêts propres en tant que personne morale une association peut, en effet, comme toute autre entité juridique dotée de la personnalité morale, agir en justice, par exemple en cas de litige avec son personnel, ses fournisseurs ou ses membres ainsi que pour la mise en valeur ou la défense de son patrimoine propre.
Il en va différemment dès lors qu’il s’agit pour l’association de défendre les intérêts de ses membres, surtout lorsque ceux-ci se confondent peu ou prou avec l’intérêt général. On peut dire à cet égard que, portée par la tradition essentiellement individualiste du droit français, telle qu’elle transparaît dans le code civil, la règle « nul ne plaide par procureur » a précisément trouvé un regain d’intérêt avec la problématique de l’action en justice des associations. La jurisprudence que NFD ne manque pas d’invoquer, a depuis toujours, en quelque sorte, affirmé qu’une association, même régulièrement déclarée et rendue publique, n’a pas qualité pour agir en justice en vue de la défense des intérêts individuels de ses membres car il ne lui appartient pas de se substituer à eux à cette fin sauf à laisser s’instituer dans l’organisation juridique de ce pays en dehors de tout cadre légal une sorte d’action de groupe ou «class action», contraire donc à cette tradition individualiste sur laquelle est fondé notre système juridique.
Sous la pression des évènements et de l’opinion publique, il a été certes récemment admis que certaines associations ayant fait l’objet d’un agrément à cet effet, telles que les associations de défense des consommateurs ou de protection de l’environnement, étaient recevables à exercer l’action dite de représentation conjointe au bénéfice de plusieurs personnes lésées par un même professionnel ou ayant subi un préjudice ayant une origine commune, l’intention du législateur a été en l’occurrence de favoriser les recours des victimes concernées qui isolément, n’auraient vraisemblablement jamais osé prendre l’initiative d’une action en justice ou d’une plainte.
En dehors de ses cas, le principe demeure qu’une association non agrée qui en l’espèce, n’a aucun lien de droit avec NFD, n’est pas admise à agir au nom et dans l’intérêt de chacun de ses membres sur le fondement d’un contrat auquel elle n’est pas partie : les nombreuses décisions cités par NFD, qui constituent la mise en application de ce principe, rappellent, en effet, que les intérêts collectifs des membres d’une association ne sauraient être confondus avec les intérêts individuels propres chacun d’eux, la somme de ces derniers ne pouvant être considérés précisément comme étant assimilable à l’intérêt collectif qu’elle a pour objet de représenter.
Mais la question est de savoir si l’Association NF se trouve bien dans une situation identique ou au moins comparable au sujet desquelles il a été statué dans les décisions ci-dessus ou s’il ne faut pas, au contraire, considérer qu’elle représente non pas uniquement les intérêts individuels de ses membres mais bien leur intérêt collectif.
Or sans qu’il soit nécessaire de refaire maintenant l’historique de l’Association NF et de ses rapports avec la défenderesse, il convient de rappeler que cette association a été créée en 1991 dans le but de regrouper les agences composant Ie réseau NFD, qui se trouvaient du fait même des termes de leur contrat, dans une situation de faiblesse et de vulnérabilité par rapport à leur mandant, et d’unir leur forces pour pouvoir parler par la voix de cette association d’une manière concertée et cohérente et, en quelque sorte, d’égal à égal avec NFD.
L’objet principal de l’Association est d’ailleurs «la représentation et la défense des intérêts particuliers et/ou collectifs de ses membres, tout en favorisant les échanges entre eux grâce à des réunions de travail périodiques, des conférences et toutes autres initiatives pouvant aider à la réalisation de l’objet de l’association ». Il s’agit d’une association selon la loi de 1901, régulièrement déclarée, qui dispose de la capacité juridique et peut donc ester en justice ; contrairement à des associations de consommateurs ou pour la défense de l’environnement par exemple, qui sont de par leur objet ouvertes à tous et doivent pour la défense des intérêts de leur membres avoir reçu un agrément les y autorisant, l’Association NF est réservée aux seules agences NFD qui en sont, de fait, toutes membres.
La situation en l’espèce se présente donc de manière assez différente de celles à propos desquelles les décisions citées par NFD ont été rendues. Il s’avère au surplus que les contrats conclus entre les agences, membres de l’association, et NFD sont semblables, ce qui est normal, s’agissant de véritables contrats d’adhésion. Il y a de ce fait une homogénéité quasi complète entre les intérêt de ses membres, qui est telle que la notion d’intérêt collectif prend en l’occurrence toute sa valeur, les intérêts individuels de chacun d’eux se confondant en réalité avec l’intérêt collectif de ce que l’on pourrait appeler la «corporation» des Agents exclusifs NF.
La représentativité de l’Association s’est d’ailleurs presque aussitôt imposée d’elle-même à NFD qui a toujours accepté de discuter et négocier avec elle au sujet des intérêts collectifs de ses membres, c’est à dire ceux qui leur étaient communs à tous et ont concerné essentiellement l’évolution du contrat, édition 2003, conclu avec ceux-ci et ont porté sur un projet de nouveau contrat destiné à le remplacer à terme.
Il résulte des circonstances ci-dessus évoquées que, conformément à sa vocation initiale et à son objet statutaire, l’Association NF est habilitée à représenter et à défende les intérêts de ses membres dont le caractère collectif est particulièrement marqué en l’espèce.
S’il est, en effet, de principe ainsi que rappelé ci-dessus qu’en vertu de la règle nul ne plaide par procureur, une association ne peut représenter les intérêts individuels de ses membres, il en va autrement s’agissant de leurs intérêts collectifs ainsi qu’une jurisprudence bien établie l’a rappelé en plusieurs occasions, dès lors que ceux dont l’association est chargée d’assurer la défense ne se confondent pas avec l’intérêt propre de chacun des membres, et il est indifférent à cet égard que cette défense consiste à obtenir par le moyen d’une action située sur le terrain délictuel réparation d’un préjudice causé aux membres de l’association ou bien qu’il s’agisse, comme en l’espèce, d’obtenir le respect des termes d’un contrat qui leur est commun.
Or ce que demande l’Association NF selon sa citation devant ce tribunal, et confirmé lors de l’audience de plaidoirie du 16 novembre 2007, c’est, en substance qu’il soit fait obligation à NFD de se conformer, dans le respect du principe de bonne foi qui doit présider à l’exécution des contrats, au statut des Agences tel que défini dans le contrat qui leur est donc commun et qu’en conséquence il soit mis fin aux manquements audit contrat que les Agents, voix de l’Association, lui reprochent.
De fait, l’organisation du réseau de distribution NF est telle, ce depuis l’origine, que toutes les agences qui en font partie sont traitées de manière identique, toute discrimination entre elles ou régime particulier à l’une ou à l’autre étant pratiquement impossible. Les agences ont d’ailleurs elles-mêmes choisi de partager en quelque sorte un destin commun, et ont donc décidé de s’unir au sein de l’Association pour défendre ensemble leurs intérêts.
L’action engagée par l’Association, avec d’ailleurs l’accord exprès de ses membres donné lors d’une assemblée qui s’est régulièrement tenue au préalable, s’inscrit directement dans cette perspective de sorte qu’au regard des principes ci-dessus rappelés et des circonstances de la cause, sa recevabilité s’avère certaine.
Il en eût été autrement si l’action introduite par l’Association NF avait eu pour objet d’obtenir pour ses membres une indemnisation de la part de NFD au titre des prétendues violations du contrat qui lui sont reprochées ou au titre de la concurrence déloyale : les intérêts des agences eussent, en ce cas, été distincts selon, notamment, la nature de la clientèle ainsi que la situation financière de chaque agence concernée.
Mais la situation est totalement différente en l’espèce et égard à la nature particulière de celle-ci, le tribunal dira que l’Association NF sera donc déclarée recevable en l’action qu’elle a engagée en toutes fins qu’elle comporte.
Sur le fond
En premier lieu,
Le tribunal remarquera que les parties se sont largement rencontrées dans le cadre de la médiation et même au-delà, qu’elles ont déposé des conclusions importantes, détaillées, précises et qu’elles connaissent donc parfaitement leurs points de vue respectifs dont le tribunal a connaissance tant par ces conclusions que par les plaidoiries en audiences générales, sans qu’il soit ainsi nécessaire de présenter à nouveau la position des parties. Il sera donc successivement répondu à leurs arguments.
En second lieu,
Un contrat lie les parties et bien entendu, il doit être exécuté de bonne foi. Des contraintes pèsent aussi sur chaque partie, pouvant effectivement entraîner des difficultés en cas d’évolution du contexte économique que dans lequel elles évoluent, qui peuvent affecter l’une ou l’autre des parties mais aussi les deux.
Dans ces conditions et sous peine d’avoir à collaborer dans le cadre d’un contrat devenu inadapté, entraînant tensions et conflits entre les parties, ce qui est le cas aujourd’hui, leur est de mettre à jour le contrat, bien qu’effectivement, en droit, aucune obligation n’existe de renégocier le contrat mais impose de l’exécuter de bonne foi c’est à dire de tenir compte de l’intention initiale de chaque partie.
En troisième lieu,
L’état de dépendance concerne chaque partie. Elles doivent chacune respecter de bonne foi leurs obligations contractuelles respectives et en sont donc dépendantes chacune. Les agents NF ne peuvent vendre sur leur territoire que des produits NF aux prix et conditions NF ; NFD ne peut distribuer les produits NF que par son réseau d’agents aux prix NF et conditions NF, ce qui impose pour NFD de pratiquer les mêmes conditions pour tout distributeur quelqu’il soit, y compris sur son site internet et son numéro de réservation centralisé, sauf accord entre les parties.
Très conscients de ces problèmes, les parties ont longuement négocié sans trouver un accord final. Chacune est maître de son devenir. Elles en supportent les conséquences. Le Tribunal ne peut que constater avec regret, l’échec de ces négociations qui mettent en cause tout un modèle.
En conséquence, le contrat doit s’appliquer jusqu’à ce qu’un nouvel accord définitif soit conclu ou jusqu’à la fin du contrat et ce de bonne foi. C’est ce que demande l’Association qui fait état de manquements contractuels qui seront examinés ci-après.
Sur la prise en compte des commandes sur internet dans les contrats des agents
La principale demande de l’Association pour le compte de ses mandants porte sur la prise en compte au titre de leur contrat des commandes passées sur internet, donc directement à NFD, sur lesquelles ils ne sont pas rémunérés et qui viennent donc en diminution du chiffre d’affaires donnant lieu à commission en leur faveur.
Le développement de ces commandes n’avait, en effet, pas été prévu et pris en considération lors de l’élaboration des contrats signés par les agents, qui sont toujours en vigueur puisque, aux termes de ceux-ci, leur exclusivité de distribution ne porte que sur les ventes physiques ; or la part des ventes sur internet dans le chiffre d’affaires de NFD s’est accrue de manière significative depuis lors et le groupe NF paraît désormais axer sa stratégie sur l’augmentation de celles-ci dans les années à venir.
En outre l’existence d’un numéro d’appel téléphonique centralisé ne fait qu’accentuer la tendance ci-dessus.
Or les agences qui n’interviennent pas au stade de la commercialisation sur internet, seule NFD possédant un site internet à laquelle les clients où qu’ils se trouvent peuvent accéder de même d’ailleurs qu’au numéro d’appel centralisé, ne perçoivent rien sur les ventes ainsi réalisées mais sont cependant conduites et contraintes à intervenir parfois, au titre du service après vente, à la demande de leurs clients qui ont commandé directement par internet.
Du fait de la part grandissante prise par le chiffre d’affaires internet leur rémunération, se trouve amputée d’autant, de sorte qu’à tenue plus ou moins proche, l’équilibre économique du réseau est susceptible de se trouver compromis et la survie des agences mise en cause. Ce risque est encore aggravé en raison de la situation de dépendance dans laquelle sont les agents vis à vis de NFD.
En refusant de prendre en considération cet élément dont l’importance et les conséquences n’avaient pas été prévues lors de l’élaboration du contrat 2003 et d’adapter celui-ci à cette nouvelle donne, l’Association NF estime que NFD n’exécute pas le contrat dans le respect du principe de bonne foi qui doit prévaloir en la matière elle demande donc que le contrat des agents soit renégocié de telle sorte que l’équilibre du réseau puisse être préservé en y intégrant selon des modalités à définir le chiffre d’affaires réalisé sur internet, les discussions qui ont eu lieu jusqu’ici et qui ont certes conduit à des avancées significatives n’ayant pas permis sur ce point d’apporter une réponse satisfaisante aux Agents.
NFD s’oppose à cette demande en rappelant que la notion d’imprévision ne s’applique pas aux contrats civils, les parties devant faire leur affaire de la survenance d’évènements ou d’évolutions imprévues lors de la conclusion de leur accord, quelles que soient leurs conséquences sur l’exécution de celui-ci il n’existe pas, en effet, en pareil cas d’obligation de renégocier le contrat,
NFD conteste à ce propos que les agences soient vis à vis d’elle dans une situation de dépendance économique au sens de l’article L442-6 du code de commerce qui selon celles-ci justifierait, eu égard au principe d’exécution de bonne foi des contrats, qu’il y ait re-discussion du contrat afin de tenir compte de l’incidence des ventes par internet.
D’ailleurs, rappelle-t-elle, des négociations ont bien eu lieu qui ont conduit à des avancées importantes et auraient pu aboutir, notamment à l’issue de la médiation ordonnée par le tribunal le 29 mai 2007, n’était-ce la volonté délibérée de l’Association en la personne de son président de porter l’affaire sur le plan contentieux afin de faire pression sur elle.
Que peut-il être répondu à la demande de l’Association compte tenu de la position de NFD et des arguments qu’elle a développés à l’appui de celle-ci, sachant que, de l’aveu même de NFD, ses ventes sur internet atteindraient près de 20% de son chiffres d’affaires total en produits sous marque Nouvelles Frontières et que sa progression pour les années à venir est d’ores et déjà programmée ?
NFD ne conteste d’ailleurs pas directement que cette évolution, on peut même parler de changement, puisse être préjudiciable aux agents et de nature à les mettre en difficulté, encore que, selon elle, ils ne soient pas en état de dépendance économique vis à vis d’elle.
Il n’en est pas moins exact que le système de l’imprévision, qui s’applique aux contrats de concession le service public par exemple, ne s’étend effectivement pas aux conventions de droit privé de sorte qu’il n’existe pas d’obligation de renégocier un contrat lorsque l’évolution de la situation ou le contexte dans lequel il s’inscrit ou bien encore les changements survenus ont pour conséquence d’entraîner comme en l’espèce un déséquilibre en faveur d’une des parties et au détriment de l’autre au point de mettre cette dernière en difficulté, la clause «rebus sic stantibus» qui est, par exemple, d’application assez générale en droit international public ne se retrouvant pas en droit privé.
La jurisprudence en ce que NFD ne se prive pas d’invoquer est constante à cet égard. Il y a lieu cependant relever que dans la plupart des cas qui ont donné lieu à la réaffirmation de l’absence de la théorie de l’imprévision en droit privé contractuel, les évènements ayant entraîné le déséquilibre du contrat étaient, pour une grande part, indépendants de la volonté de la partie en faveur de laquelle le changement ou l’évolution s’était produit.
Ce n’est pas tout à fait le cas ici car l’ouverture d’un site centralisé est une décision délibérée de NFD. Certes l’essor du mode de réservation sur internet était tel lors de la création du site Nouvelles Frontières, ainsi qu’en témoigne, par exemple, le succès du site «lastminutecom», qu’on ne peut reprocher à NFD d’avoir pris cette décision.
Ce faisant, NFD n’ignorait cependant pas, même si les conséquences pour le réseau étaient alors difficiles à mesurer précisément, qu’elle allait causer un certain préjudice à ses agents en détournant d’eux une partie de l’activité et qu’elle portait ainsi atteinte au principe de l’exclusivité de distribution même limitée aux ventes physiques, sur lequel reposait leur contrat, encore que, dans l’absolu, il n’y ait pas à proprement parler de violation de l’exclusivité territoriale ; elle le pouvait d’autant moins que si la notion de dépendance économique dont d’ailleurs l’Association ne revendique pas l’application à la situation dans laquelle se trouvent les agents vis à vis de NFD, ne peut être retenue en l’espèce, il n’en demeure pas moins que le contrat des agents organise, en quelque sorte, une situation de dépendance juridique et contractuelle de ceux-ci vis à vis de NFD qui n’est évidemment pas sans conséquence sur Ie plan économique.
L’agent agit, en, effet, en tant que mandataire de NFD : il vend les produits Nouvelles Frontières et eux seuls pour le compte de NFD et encaisse le prix correspondant qui est aussitôt reversé à celle-ci ; il n’a aucun pouvoir sur le prix des produits qu’il vend et il est comptable avers NFD en cas de difficulté de règlement de la part du client. Sa rémunération consiste en une commission sur le chiffre d’affaires ainsi réalisé pour le compte de NFD qui lui est versé selon un processus sur lequel il n’a aucune prise.
On peut dire, sans exagérer, que l’agent se trouve «pieds et poings liés» à la discrétion de NFD. Certes, seul il peut, à l’expiration de la durée du contrat, ne pas le renouveler et reprendre sa liberté mais l’exercice de ce droit demeure assez théorique dans la mesure où ayant été totalement identifié à Nouvelles Frontières, il n’a pratiquement pas d’existence commercial en dehors du réseau NFD.
Le contrat entre NFD et l’agent est, en effet, un mandat d’intérêt commun ; or le principe d’exécution de bonne foi des contrats doit, bien entendu, s’apprécier en considération de la nature particulière des rapports entre les parties à un tel contrat. Comme le nom l’indique, le mandat d’intérêt commun est une convention dans laquelle au delà de leurs intérêts contradictoires qu’elles cherchent avant tout à défendre comme dans tout contrat lors de la conclusion de leur accord, les parties poursuivent un objectif commun à savoir l’espèce la promotion de la marque Nouvelles Frontières auprès d’une clientèle de plus en plus large dont le chiffre d’affaires et donc le résultat de NFD d’une part, la rémunération de l’agent de l’autre, dépendent directement.
C’est la raison pour laquelle le mandant ne peut mettre fin à un tel contrat que moyennent le versement au mandataire d’une indemnité destinée à compenser la perte de la part prise par celui-ci dans le développement de la clientèle.
En ouvrant son site internet de réservation directe et en empêchant ainsi les agents de remplir leur fonction en vue du développement de la marque, et en les privant de la rémunération sur le chiffre des ventes réalisées par internet, alors que de son côte, l’agent, lié par la clause d’exclusivité figurant au contrat, était dans l’impossibilité de compenser ce manque à gagner par la distribution de produits concurrents, NFD n’a pas respecté le principe d’exécution de bonne foi du contrat de mandat d’intérêt commun le liant à ses agents.
Cette situation se trouve encore aggravée dans la mesure où les mêmes produits vendus sur internet sont généralement proposés à des prix inférieurs à ceux imposes par NFD aux agents.
Le choix de la formule du mandat d’intérêt commun traduit d’ailleurs bien l’esprit coopératif et quasi amical, reposant sur de relations personnelle, qui a animé le fondateur de Nouvelles Frontières et les agents lorsqu’ils se sont lancés dans cette aventure et ont organisé le réseau de distribution Nouvelles Frontières cet esprit qui a sous tendu les premiers contrats dont le contrat 2003 est la suite, a perduré jusqu’à aujourd’hui sous réserve des adaptations nécessaires, malgré les changements dans l’actionnariat du groupe en lançant son site internet sans concertation préalable avec son réseau, NFD s’en est, dans une certaine mesure, détournée.
Or le groupe Preussag en acquérant Nouvelles Frontières n’ignorait évidemment pas le mode très original de distribution des produits de celle-ci, reposant donc sur un réseau d’agents liés entre eux dans la poursuite d’un objectif commun : les nouveaux actionnaires de NFD se devaient de tenir compte de cette situation et d’associer les agents au développement de ses ventes ainsi que le font, par exemple, les constructeurs automobiles avec leurs concessionnaires.
Il est donc légitime et conforme au principe de bonne foi dans les contrats que les termes de celui qui lie les agents à NFD soient rediscutés afin qu’il y soit tenu comte des conséquences de l’existence du site internet de NFD, et de son développement prévisible, de sorte que l’équilibre sur lequel est fondé le mandat d’intérêt commun qui les unit puisse être préserver et que, notamment, le principe de la participation des agents aux opérations promotionnelles décidées par NFD ainsi que celui d’une harmonie tarifaire, quel que soit le mode de vente, y soient prévus.
Dans cette attente, le tribunal dira que le contrat doit continuer à s’appliquer avec ses conditions économiques actuelles, et pour aider à la recherche d’une solution, sur demande éventuelle des parties et nommera un conciliateur.
Sur l’exclusivité territoriale et la vente du contrat GIR
L’Association invoque par ailleurs des violations de l’exclusivité territoriale résultant de l’implantation des agences Havas et de la vente de produits TUI et d’autre part de la vente directe de contrats GIR.
L’Association estime que la vente de produits TUI, élaborés par la même société Touraventure que les produits NFD, vendus par le réseau Havas et des grandes surfaces dans les territoires exclusifs des Agences, et en raison principalement du fait que tous ces produits sont très proches, constitue une violation de l’exclusivité territoriale.
Le tribunal répondra qu’il est fréquent qu’un groupe s’adressant, aux particuliers, dans quelque domaine que ce soit vende plusieurs marques dans des réseaux différents. C’est la loi de la concurrence et ce fait n’implique pas de violation d’exclusivité territoriale.
Cette pratique pourrait être considérée comme une violation, si les produits proposés étaient strictement identiques aux produits exclusifs NFD constituant ainsi une concurrence déloyale qu’il faudrait démontrer par les Agents concernés.
En ce qui concerne les contrats GIR, ils s’adressent à des partenaires au niveau national, le problème des accords avec les comités d’entreprise ayant été résolu. Il n’est pas contesté que ces accords GIR prévoient une réduction de prix de 5%, mais les Agents auraient tort de se plaindre car les clients de ces groupes achètent leurs voyages dans les Agences NF qui touchent ainsi leur commission.
Rien ne dit que les clients seraient venus directement chez les Agents sans cette commission, bien au contraire peut-être.
En conséquence, le tribunal ne retiendra pas cette demande
Sur le non respect des clauses de rémunérations
Attendu que l’article 12 du Contrat d’Agent et de Mandataires Exclusifs doit être appliqué entre les parties et que son, application littérale est la règle en la matière faute d’avenants signés entre les parties y apportant modifications de sorte, que, sauf à ce que cela soit indiqué différemment dans le dit Contrat :
• toute prestation « obligatoire » rentre dans l’assiette de la rémunération 6,5% ou 8%,
• à l’inverse toute prestation «optionnelles» doit être traitée comme telle c’est-à-dire faire l’objet d’une appréciation isolée.
Attendu que la «surcharge carburant» perçue par les compagnies aériennes fait partie de la rémunération de ces dernières et que ce «prélèvement» ne peut être assimilée à une taxe,
• n’ayant pas de caractère fiscal,
• n’alimentant pas la trésorerie de l’Etat, d’une collectivité locale ou d’un établissement public administratif en contrepartie d’un service rendu aux administrés,
le Tribunal dira que la surcharge carburant a un «caractère obligatoire» et doit donc faire partie du chiffre d’affaires et donner droit à commission 6,5% ou 8%.
Attendu que « la prime d’assurance rapatriement » que NFD dans un souci de protection de sa clientèle a souscrit pour compte de celle-ci, assurance qui de fait revêt un caractère «obligatoire» et non optionnel, fait partie du prix du billet : NFD est donc bien fondé à appliquer la commission de 6,5 % ou de 8 % et non de 20%,
Attendu que «les frais de billetterie» ont été créés par NFD pour remplacer la commission que les compagnies aériennes versaient a NFD sur le prix d’achat des billets, ces commissions ayant été supprimées NFD ne les a pas, logiquement inclus dans le chiffre d’affaires des agents et a continué à verser la commission de 8 % sur le prix du seul billet comme auparavant, ne lésant pas ainsi les Agents, qui invoquent l’article 12 pour prétendre maintenant avoir droit à commission sur ces frais.
Attendu que le raisonnement des Agents est logique, bien qu’ils bénéficient ainsi d’un surplus de commission,
Le Tribunal dira que ces frais «obligatoires» et non «optionnels» doivent s’intégrer au chiffre d’affaires des Agents qui percevront donc leur commission de 8% ou de 6,5% mais non de 20%, ne s’agissant pas de frais de dossiers.
Attendu que l’Association se plaint que NFD viole, les dispositions financières du contrat en retranchant unilatéralement des commissions, les réductions faites par les Agents pour s’aligner sur les frais internet et rester concurrentiels,
Attendu qu’à cet égard, il faut constater que les Agents contreviennent eux-mêmes au contrat en n’appliquant pas les prix tarifs, pénalisant ainsi NFD qui a réagi en réclamant logiquement aux Agents les minorations effectuées.
Attendu cependant que NFD n’ayant pas, pour l’instant, associé son réseau à ses promotions internet ne peut reprocher aux dits Agents de pratiquer les mêmes conditions tarifaires.
Le Tribunal dira en conséquence, que dans l’attente d’un accord, il est logique que la commission versée porte sur les seuls frais de dossier ou billetterie facturés au client.
Sur l’exécution de bonne foi de l’article 15 du contrat en matière de publicité
Le principal reproche de l’Association consiste à dire que NFD ne s’appuie pas sur son réseau en présentant mal les adresses, les numéros de téléphone de ses agents sur le site internet et les brochures NF et ce pour favoriser les ventes directes internet, puis que NFD adresse directement des newsletters à ses clients sans faire mention des Agents. Ceci est contesté par NFD qui soutient que les adresses des Agents sont bien sur le site internet et que les documents publicitaires contiennent bien localement l’adresse et le numéro de téléphone de l’Agent.
De toute manière, la publicité nationale profite à tout le réseau NF, NFD exécute de bonne foi l’article 15 du contrat.
Il est possible de comprendre l’agacement des Agents devant la diminution de leur rôle depuis l’apparition du site internet et la volonté de NFD d’en faire un important support de vente.
On voit mal cependant l’intérêt de NFD de court-circuiter ses Agents, sauf à vouloir délibérément petit à petit les éliminer. Ce qui compte pour NFD, c’est l’augmentation de ses ventes que ce soit par internet ou par son réseau. De toute manière, la clientèle connaît parfaitement l’Agent de son secteur et toute publicité nationale ne peut que favoriser, même indirectement les Agents.
Il n’est donc pas possible de dire que NFD manque à son obligation de bonne foi s’agissant de la mise en oeuvre de l’article 15.
Reste à NFD à bien définir avec son réseau sa politique commerciale et son désir de continuer à utiliser et aider son réseau.
Sur les demandes au titre de l‘article 700 du ncpc
L’Association sollicite 7500 € quand NFD sollicite 30 000 €. Les décisions du tribunal donnant en partie, satisfaction à l’Association sur le respect du contrat, il est équitable de faire droit à la seule demande de l’Association mais en laissant le soin aux parties d’exécuter ou non cette décision si une conciliation intervenait dans les trois mois.
Sur l’exécution provisoire
Le tribunal souscrira à la demande de l’Association puisque les décisions prises concernent le seul respect du contrat et ne remet pas en cause la poursuite des discussions actuelles.
Sur les dépens
Le tribunal dira qu’ils seront à charge des parties, chacune pour moitié.
DECISION
Le Tribunal, après en avoir délibéré, statuant publiquement par jugement contradictoire en premier ressort
Recevant les parties en leurs demandes,
. Dit que l’Association des Agents et Mandataires exclusifs Nouvelles Frontières a qualité et intérêt à agir pour la défense des intérêts collectifs de ceux-ci,
. Dit en conséquence que l’Association des Agents et Mandataires exclusifs Nouvelles Frontières est recevable en la présente action,
. Dit que les contrats en vigueur doivent s’appliquer de bonne foi par Nouvelles Frontières Distribution dans les termes de ceux-ci, mais que dans l’intérêt des parties, les termes en soient rediscutés afin qu’il soit tenu compte des conséquences du site internet NFD et de son développement prévisible de sorte que l’équilibre sur lequel est fondé le mandat d’intérêt commun qui les unit puisse être préservé, de même qu’une harmonie tarifaire, quelque soit le mode de vente,
Le Tribunal, pour aider à la recherche de cette solution, sur demande éventuelle des parties, nommera un conciliateur,
. Dit que, en l’état Nouvelles Frontières Distribution ne porte pas atteinte à l’exclusivité territoriale de ses Agents et déboute I’Association de cette demande,
. Dit que la surcharge carburant fait partie du chiffre d’affaires entraînant droit à commission de 6,5% ou 8%,
. Dit que la prime d’assurance rapatriement fait également partie du chiffre d’affaires donnant droit à commission de 6,5% ou de 8% mais non de 20%,
. Dit également que les frais de billetterie font partie du chiffre d’affaires entraînant donc la commission de 6,5% ou de 8% mais non de 20%,
. Dit que la commission versée aux Agents doit porter sur les seuls frais de dossier ou de billetterie facturés au client, les remises éventuellement accordées par les Agents sur ces frais ne pouvant être retranchées du montant de la commission,
. Dit que NFD n’a pas violé l’article 15 du contrat sur la publicité déboute l’Association de sa demande à cet égard,
. Dit que NFD paiera la somme de 7500 € à l’Association au titre de l’article 700 du ncpc, en laissant le soin aux parties d’exécuter de bonne ou non cette condamnation si une conciliation intervenait dans les trois mois,
. Ordonne l’exécution provisoire,
. Dit que les dépens seront à la charge des parties, chacune pour moitié,
. Liquide les dépens.
Le tribunal : M. Seguin (président), MM. Godefroi, Bejui, De Chambine, Fournie (juges)
Avocats : Me Fabrice Degroote, Me Anne Rebiffe, Me Dominique Jardin
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.