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Jurisprudence : Logiciel

mardi 24 juillet 2007
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Tribunal de commerce de Nanterre 2ème chambre Jugement du 09 février 2007

Dalysco / Adelior

constat - contrefaçon - logiciel - preuve - reproduction - site internet

FAITS

La société Dalysco a réalisé et édite un logiciel de réservation de salles de réunions en ligne dénommé « MJ Rooms », la société Absis s’est en vue confier en 2001 la commercialisation auprès des services généraux des entreprises. Diverses licences d’utilisation de ce logiciel ont ainsi été conclues jusqu’en 2003, leur prix de vente étant réparti entre Dalysco et Absis.

La société Infeo a procédé à la fusion absorption de Absis en février 2003.

En décembre 2003, à l’occasion d’un rendez-vous chez un client prospecté par Absisr, Dalysco a appris que cette dernière proposait sur son site internet la démonstration d’un logiciel de réservation de salles de réunion dénommé « Res@net » présentant des caractéristiques similaires à celles de « MJ Rooms ».

Dalysco a fait dresser par ministère d’huissier un procès verbal de constat établissant qu’à la date du 16/03/04 le site internet www.absis-gip.net proposait ledit logiciel.

Par courrier de mise en demeure du 18/03/04 adressé à Infeo, Dalysco estimait qu’au regard des nombreuses similitudes du logiciel « Res@net » avec « MJ Rooms », la reprise de ces différents éléments s’analysait comme un acte de contrefaçon par reproduction. Que ces faits étaient constitutifs d’actes de concurrence déloyale ou à tout le moins parasitaire, eu égard à l’ancienneté et à la nature de leurs relations depuis 2001.

Elle demandait à Infeo :
– de cesser toute reproduction et exploitation du logiciel « Res@net »,
– de lui restituer l’ensemble des documents et matériels relatifs au logiciel « MJ Rooms » encore en sa possession,
– de lui adresser une proposition d’indemnisation de son préjudice,

Selon Dalysco, Infeo lui aurait répondu oralement par voie de son conseil :
– avoir cessé toute commercialisation de « Res@net »,
– que ce logiciel n’était resté qu’à l’état de projet, contestant par ailleurs les griefs invoqués à son encontre.

PROCEDURE ET PRETENTIONS

Par acte d’huissier délivré à personne le 09/07/04, Dalysco assigne Infeo devant le tribunal de grande instance de Nanterre et lui demande de ;
Vu les articles L 112-2, 13°, L 122-6, L 335-2 et L 335-3 alinéa 2 du code de la propriété intellectuelle,
Vu l’article 1382 du code civil,

Dire que Infeo a commis des actes de contrefaçon de son logiciel,
Dire que Infeo a également commis des actes distincts de concurrence déloyale et parasitaire à son préjudice,

En conséquence,

Condamner Infeo à lui payer :
– la somme de 15 000 € à titre de dommages-intérêts pour s’être rendue coupable d’actes de contrefaçon de logiciel à son égard,
– la somme de 15 000 € à titre de dommages-intérêts pour s’être rendue coupable d’actes de concurrence déloyale et parasitaire à son égard.

Faire interdiction à Infeo de poursuivre le développement, l’offre à la vente et la vente de son logiciel « Res@net », ou de tout autre logiciel susceptible de contrefaire son logiciel « MJ Rooms », et ce sous astreinte de 500 € par infraction constatée à compter du prononcé du jugement à intervenir,

Ordonner à Infeo de lui restituer tous matériels relatifs au logiciel « MJ Rooms » qu’elle pourrait détenir, notamment au support Cdrom ou disquette,

Ordonner à titre de réparation complémentaire la publication judiciaire du dispositif du jugement à intervenir dans deux revues ou journaux à son choix et aux frais exclusifs de Infeo, sans que le coût de chaque insertion ne puisse excéder la somme de 3500 € HT, ainsi que, pour une durée de deux mois, sur la page de présentation du site internet de Infeo accessible au public et dont l’adresse est www.infeo.fr,

Assortir le jugement à intervenir de l’exécution provisoire, nonobstant appel et sans constitution de garantie,

Condamner Infeo à lui payer 2000 € au titre de l’article 700 du ncpc ainsi qu’aux dépens.

Par ordonnance du 7/04/05, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Nanterre, faisant droit à l’exception d’incompétence soulevée par Infeo, a déclaré ce tribunal incompétent au profit du tribunal de commerce de céans.

Par conclusions remises à l’audience du 10/11/05, la société Adelior France, ci-après Adelior, venant aux droits de Infeo par suite de sa fusion absorption en date du 26/08/05, demande au tribunal de,

Vu les dispositions des articles 9, 14 et 16 du ncpc,
Vu les dispositions des articles L 112-2-13°, L 122-6, L 335-2 et L 335-3 alinéa 2 du code de la propriété intellectuelle,
Vu l’article 1382 du code civil,

A titre principal,

Dire le procès verbal de Me Lachkar, huissier de justice, du 16/03/04, et les captures d’écrans du site internet de présentation du logiciel « Res@net » dépourvus de toute force probante,

En conséquence,

Dire que Dalysco n’apporte pas la preuve d’un quelconque acte de contrefaçon ou de concurrence déloyale commis à son préjudice par Adelior,
Débouter Dalysco de l’ensemble de ses prétentions,

A titre subsidiaire,

Constater l’absence de toute contrefaçon du logiciel « MJ Rooms » de Dalysco par le logiciel « Res@net »,
Constater la défaillance de Dalysco dans l’administration de la preuve d’actes de concurrence déloyale commis par Adelior à son préjudice,

En tout état de cause,

Constater l’absence de tout acte de concurrence déloyale commis par Adelior au préjudice de Dalysco,

En conséquence,

Débouter Dalysco de l’ensemble de ses prétentions,
Condamner Dalysco à lui verser la somme de 5000 € au titre de l’article 700 du ncpc,
Condamner Dalysco aux dépens.

Par conclusions remises aux audiences des 2/02/06 et 17/03/06, Dalysco réitère ses demandes introductives.

Par conclusions remises à l’audience du 26/05/06, Adelior réitère ses précédentes demandes.

MOYENS ET DISCUSSION

Sur la demande principale

Sur les éléments de preuve versés par Dalysco

Dalysco expose ;

Que la contrefaçon de logiciel, la concurrence déloyale et parasitaire, se prouvent par tous moyens,

Qu’en l’espèce elle a pu obtenir de la part d’un des clients démarchés par Adelior des copies d’écran des pages du site internet sur lequel était présenté le logiciel « Res@net »,

Qu’elle a également fait constater le 16/03/04 par officier ministériel l’existence du site internet sur lequel Adelior présentait effectivement son logiciel « Res@net ».

Que ce procès verbal de constat précise :
– que celui-ci a été établi depuis l’ordinateur de l’étude,
– que l’huissier a pris toutes mesures utiles avant d’accéder aux pages du site en supprimant de son ordinateur les fichiers temporaires, le contenu hors connexion, l’historique, les « cookies ».

Que de plus ce procès verbal bénéficie de la force probante attachées aux actes rédigés par un officier ministériel et fait foi jusqu’à inscription de faux.

Adelior fait valoir ;

Que le procès verbal du 16/03/04 démontre que l’huissier n’a pas indiqué :
– d’une part l’adresse IP de l’ordinateur utilisé pour ses opérations sur le réseau internet,
– d’autre part, s’il s’était assuré de l’absence de serveur proxy lors de ses opérations de constat.

Que ces observations sont également valables pour les captures d’écran réalisées par Dalysco, en l’absence de toute indication relative aux précautions prises (adresse IP, cache de l’ordinateur, existence ou non d’un proxy, date des impressions).

Qu’en conséquence les éléments versés par Dalysco sont dépourvus de force probante et doivent être écartés des débats.

Sur ce,

Attendu que la preuve en matière commerciale peut être apportée par tout moyen,

Attendu que Adelior a reconnu dans ses écritures avoir développé un logiciel dénommé « Res@net » qui avait un objet identique à celui de « MJ Rooms »,

Que Adelior qui invoque l’absence de force probante des éléments versés par Dalysco, ne conteste pas pour autant le contenu des impressions écran de démonstration de « Res@net » obtenues tant lors du constat d’huissier, qu’antérieurement par Dalysco,

Que Adelior n’a du reste pas démontré que son logiciel aurait une forme différente des captures d’écran incriminées,

En conséquence le tribunal dira que les éléments de preuve précités, versés par Adelior à l’appui de sa demande, sont recevables et déboutera Adelior.

Sur la contrefaçon, la concurrence déloyale et parasitaire

Dalysco expose ;

Que la contrefaçon de logiciel est constituée dès qu’il y a reproduction par le programme incriminé, de la forme dans laquelle le thème de base est exprimé et des caractéristiques originales qui sont de nature à donner au programme une physionomie propre.

Que le logiciel « Res@net » mis en ligne par Absis présentait les mêmes caractéristiques originales, tant de forme que de fond, que son logiciel « MJ Rooms ».

Sur la forme,
– calendrier présenté sous la forme horizontale, faisant apparaître le nom des utilisateurs, leur adresse téléphonique, et mail, la possibilité de vérifier la disponibilité des salles, de les réserver, ceci par jour et tranche horaire,
– la possibilité de préciser dans une fonction « pop-up » les services supplémentaires souhaités,
– la page récapitulant la réservation présentant des similitudes avec son logiciel « MJ Rooms »,

Sur le fond

Outre que les deux logiciels ont la même vocation, à savoir la gestion en ligne de salle de réunion à distance via le réseau internet, la procédure de réservation et les fonctions quasi-identiques.

Que l’enchaînement logique de l’exécution de ces différentes étapes est original et protégeable au titre du droit d’auteur, « MJ Rooms » ayant d’ailleurs fait l’objet d’un dépôt auprès de l’Agence pour la Protection des Programmes le 16/10/01.

Par ailleurs, l’utilisation du terme validateur dans « Res@net » est particulièrement révélatrice de la reprise de son logiciel « MJ Rooms ».

Ces éléments versés, les points ci-dessus évoqués ainsi que l’attestation de M. Roux de la société Fichet-Bauche, établissent indéniablement que Adelior a proposé à la vente son logiciel « Res@net », qu’il ne s’agissait donc nullement d’une application restée en phase de tests, ainsi que le soutient Adelior.

Adelior fait valoir ;

Que la jurisprudence considère qu’il n’y a pas contrefaçon de logiciel lorsque les fonctions et fonctionnalités d’une application sont identiques à une autre, car celles-ci ne sont pas protégeables.

Que seule la forte similitude dans l’écriture de deux logiciels est susceptible de constituer un acte de contrefaçon dès lors « qu’il apparaît pratiquement exclu que l’agencement des instructions soit le même dans l’un et l’autre des programmes par l’effet du hasard ».

Qu’en l’espèce, aucune similitude ne saurait être retenue dans l’écriture des deux logiciels, dès lors qu’ils reposent sur des langages de programmation totalement distincts Java pour Dalysco et ASP pour Adelior.

Qu’aucune contrefaçon ne saurait lui être reprochée par Dalysco, dès lors que cette dernière ne peut revendiquer par ailleurs un quelconque droit de propriété intellectuelle.
– sur le fond l’utilisation d’un calendrier horizontal, présentation usuelle en la matière,
– sur la forme la fonction même des deux logiciels, c’est-à-dire la gestion en ligne de salles de réunion.

Qu’elle a justifié que « Res@net » qui n’était qu’en période de tests n’a jamais été commercialisé et qu’il n’a été établi aucune facturation concernant ce logiciel.

Que par ailleurs c’est elle qui ayant prospecté la société Fichet-Bauche, lui a indiqué le logiciel « MJ Rooms » développé par Dalysco.

Sur ce

Attendu,

Que Adelior a affirmé sans être contredite par Dalysco que la langage de programmation utilisé pour « Res@net » était ASP, alors que Java l’était pour « MJ Rooms », ce qui exclut tout similitude d’écriture et d’agencement des instructions entre les deux logiciels,

Que les similitudes conceptuelles tant des fonctions que des fonctionnalité des deux logiciels, sont dictées par un objet identique limité et faisant appel à des paramètres réduits (salle, utilisateur, jour, heure, réservation, validation, etc…),

Que dès lors ces similarités inhérentes à la nature des tâches et traitements à effectuer sont parfaitement normales et ne sauraient suffire à caractériser la contrefaçon alléguée par Dalysco,

Que par ailleurs Adelior par son courriel du 13/05/03, faisait remarquer à Dalysco, dans le cadre du suivi client « …le problème réside souvent dans le fait que les services informatiques de ces contacts proposent de développer des applications similaires ».

Que l’attestation précitée de Fichet-Bauche fait mention :
– d’une simple offre de démonstration le ligne de « Res@net » par Adelior et d’une impossibilité de mise en œuvre avant plusieurs mois,

D’avoir été informé par Adelior de l’existence de Dalysco et de son logiciel de gestion de salles « MJ Rooms »,

Que Dalysco n’a pas démontré une offre de commercialisation de « Res@net » par Adelior.

Que Adelior qui a affirmé que « Res@net », avait pour objectif de démontrer ses capacités techniques et n’avait pas dépassé le stade des tests, a justifié par l’attestation de son commissaire aux comptes M. R., qu’aucune mention d’un logiciel « Res@net » n’apparaissait sur les facturations émises par elle pour la période courant du 01/01/03 au 31/12/05,

Que Dalysco n’a versé aux débats aucun contrat relatif à ses relations avec Absis, n’a pas plus justifié avoir remis à Adelior la copie du logiciel « MJ Rooms » ainsi que sa documentation,

Que Dalysco n’a aucunement démontré des actes de contrefaçon, concurrence déloyale et parasitaire invoqués à l’encontre de Adelior.

En conséquence, le tribunal déboutera de l’ensemble de ses demandes.

Sur l’article 700 du ncpc

Attendu que Adelior a engagé des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, qu’il serait inéquitable de lui en laisser supporter la charge, le tribunal, compte tenu des éléments d’appréciation en sa possession, lui allouera 2000 € et condamnera Dalysco à lui payer cette somme au titre de l’article 700 du ncpc, déboutera Adelior du surplus, déboutera Dalysco de sa demande contraire et la condamnera aux dépens.

DECISION

Le tribunal statuant par jugement contradictoire rendu en premier ressort,

. Déboute la société Dalysco de l’ensemble de ses demandes à l’encontre de la société Adelior France venant aux droits de la société Infeo,

. Condamne la société Dalysco à payer la somme de 2000 € au titre de l’article 700 du ncpc à la société Adelior, déboute cette dernière du surplus,

. Condamne la société Dalysco aux dépens,

. Liquide les dépens.

Le tribunal : M. Brunel (président)

Avocats : Me François Xavier Boulin, Me Thierry Pariente

 
 

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