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Jurisprudence : Contenus illicites

mercredi 21 septembre 2005
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Tribunal de commerce de Nantes Référé du 12 juillet 2005

Armor / Seiko Epson et autres

contenus illicites - dénigrement - préjudice

FAITS ET PROCEDURE

Attendu qu’aux termes de son exploit introductif d’instance, la société Armor demande de :

Vu les dispositions des articles 872 et suivants du ncpc,
Vu les dispositions des articles 1382 et suivants du code civil ;

– Condamner les sociétés requises à faire disparaître du site http://www.epson.co.jp/e/newsroom/2005/news_2005_04_28.htm et de tous autres sites qu’elles contrôlent toutes références à la procédure initiée devant le juge de Portland Oregon et ce sous astreinte de 100 000 € par infraction constatée à compter du prononcé de la décision à intervenir ;
– Condamner conjointement et solidairement les sociétés requises à payer à la société Armor une provision de 1 000 000 € à valoir sur le grave préjudice que cette dernière subit du fait de cette insertion intempestive ;
– Ordonner une expertise qui sera confiée à tel expert qu’il plaira à M. Le président de désigner aux fins de fixer avec précision le montant du préjudice subit par la société Armor du fait de l’acte de concurrence déloyale dénoncé ;
– D’ores et déjà ordonner la publication de la décision à intervenir dans cinq journaux spécialisés au choix de la requérante, ainsi que sur les sites internet de la société Armor et des sociétés requises pendant un mois, et ce dans la limite d’un budget de 20 000 €, somme à laquelle le juge des référés condamnera sous la même solidarité les sociétés requises au paiement au profit de la requérante ;
– S’entendre les sociétés requises sous la même solidarité condamner à payer à la société Armor la somme de 30 000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du ncpc ;
– S’entendre les sociétés requises condamner aux entiers dépens.

Attendu que la société Armor fait plaider à l’appui de sa demande :

La société Seiko Epson, située au Japon, et ses filiales Epson America Incorporated (Epson America) et Epson Portland Incorporated (Epson Portland), aux USA, fabriquent et distribuent des imprimantes.

Elles fabriquent et distribuent également des cartouches d’encre à marque Epson pour ces imprimantes.

La société Armor, quant à elle, fabrique et distribue, entre autres, soit directement, soit par l’intermédiaire de ses filiales, des cartouches d’encre à marque Armor compatibles avec les imprimantes Seiko Epson.

Or, la société Seiko Epson vient de prendre une initiative particulièrement regrettable, qui amène la société Armor à saisir le juge des référés du tribunal de commerce de Nantes tant sur fondement des dispositions des articles 872 et suivants du ncpc que de celles des articles 1382 et suivants du code civil.

La société Armor a en effet découvert le 28 avril 2005, en consultant le site internet de Seiko Epson aux Etats-Unis, que les trois sociétés requises avaient, aux termes d’une requête datée du 25 avril 2005, initié à son encontre (ainsi d’ailleurs qu’à l’encontre de deux de ces filiales, la société Armor USA Inc et Artech Gmbh Allemagne) une procédure de contrefaçon de brevets devant le tribunal du district de l’Oregon aux Etats-Unis.

L’examen attentif du site internet d’Epson USA révèle que l’information y a figuré dès le 27 avril sous la rubrique « News Release » soit 48 heures après la date de la signature de la requête en contrefaçon.

Au jour où la présente assignation est rédigée, la société Armor n’est toujours pas officiellement informée de l’existence d’une procédure menée à son encontre, aucun acte judiciaire en lui ayant été transmis de façon régulière conformément aux procédures en vigueur aux USA, puisque c’est dans ce pays que la société Armor est attraite.

Avant même que le juge du fond n’ait tranché la question de savoir si Armor a, ou n’a pas, contrefait douze de ses brevets, les sociétés requises prennent l’initiative de faire savoir au monde entier par le biais de leurs sites internet à la rubrique « News Release » que la société Armor est contrefacteur et que par conséquent elles engagent une procédure de contrefaçon de brevets à l’encontre d’Armor, Armor USA et Artech Allemagne (toutes deux filiales d’Armor). Elle n’explique pas cependant en quoi les cartouches Armor contreferaient les brevets Seiko Epson.

La société Armor, sans contester en aucune manière à la société Seiko Epson le droit qui est le sien de soumettre à l’appréciation des juges du fond toutes atteintes qu’elle estime être portées à ses droits de propriété intellectuelle et industrielle, estime qu’il s’agit là d’un comportement inacceptable constitutif d’un acte de concurrence déloyale par dénigrement.

Il est de jurisprudence constante que la publicité donnée par un commerçant, qu’il s’agisse d’une personne physique ou d’une société commerciale, aux poursuites judiciaires dont fait l’objet un concurrent, notamment en matière de contrefaçon de brevets, constitue un acte de dénigrement.

Ce dénigrement est ici opéré par le biais d’internet, support parfaitement susceptible d’être utilisé pour commettre un tel acte.

Cette publication sur le site internet de Seiko Epson, manifestement mis en place à sa propre diligence, jette le discrédit sur la société Armor en répandant sur ses produits des informations malveillantes et non avérées. Ces informations étant relayées dans le monde entier par les sites internet tant de Seiko Epson que des concurrents directs d’Armor, de nombreux journalistes, « supports » médiatiques, clients et revendeurs des produits Armor se sont aussitôt manifestés auprès de la direction et des services commerciaux de la requérante aux fins d’obtenir tous éclaircissements et explications sur la procédure en cours aux USA. – Et ce, alors que la société Armor, rappelons-le n’est toujours pas officiellement informée de l’existence d’une procédure menée à son encontre, ni par conséquent des griefs retenus par Seiko Epson, aucun acte judiciaire ne lui ayant été transmis à ce jour de façon régulière et conforme aux procédures conventionnelles en vigueur entre les USA et la France -.

Tout ceci constitue un trouble manifestement illicite qu’il est de la compétence du juge des référés de faire cesser, conformément aux dispositions de l’article 873-1 du ncpc.

C’est dans ces conditions que la société Armor est fondée à solliciter la condamnation des sociétés requises à faire disparaître du site www.epson.co.jp et de tous autres sites qu’elles contrôlent toutes références à la procédure initiée devant le juge de Portland Oregon, et ce sous astreinte de 100 000 € par infraction constatée à compter du prononcé de la décision à intervenir.

Par ailleurs, ces insertions électroniques illicites causent un préjudice à la société Armor qu’il convient de réparer.

Ces publications portent gravement atteinte à l’image de la société Armor présentée à sa clientèle et au monde de la bureautique et de l’informatique comme un contrefacteur.

Il convient à cet égard de rappeler que la société Armor se démarque d’une certaine concurrence asiatique sur le marché des cartouches jet d’encre compatibles en veillant scrupuleusement au respect des brevets existants.

Elle dispose pour ce faire d’un important département Recherche et Développement de 25 personnes chargé précisément de développer des techniques libres de tous droits de propriété industrielle.

Cette garantie du respect des brevets existants lui permet et lui a permis par le passé de fidéliser une clientèle non désireuse de traiter avec une certaine concurrence asiatique.

Aujourd’hui, le dénigrement engagé à l’échelle mondiale par les sociétés requises crée un doute dans l’esprit des clients de la société Armor en jetant le discrédit sur l’argument commercial fort de la société Armor.

Dans l’esprit de la clientèle des produits consommables, la société Armor est désormais reléguée au rang de certains producteurs asiatiques considérés comme peu scrupuleux sur le respect des brevets protégeant les cartouches compatibles jet d’encre.

Une telle assimilation est totalement dramatique d’un point de vue commercial pour la société Armor.

Cette dernière a en effet dû mettre immédiatement en place une cellule de communication destinée à répondre aux nombreuses interrogations posées tant par les journalistes que par ses clients, et à faire face à une campagne de presse jetant gravement et durablement le discrédit sur les produits commercialisés sous la marque Armor.

Aussi, la société Armor est fondée à solliciter la condamnation conjointe et solidaire des sociétés requises à lui payer une somme de 1 million d’euros à titre provisionnel, une expertise étant ordonnée pour le surplus afin de fixer précisément le préjudice subit par Armor du fait de cet acte de concurrence déloyale.

Enfin, la société Armor est fondée à demander que soit ordonner la publication de la décision à intervenir dans cinq journaux spécialisés au choix de la requérante, ainsi que sur les sites internet de la société Armor, et des sociétés requises pendant un mois, et ce dans la limite d’un budget de 20 000 €.

Elle est fondée enfin à solliciter la condamnation des sociétés requises sous la même solidarité à lui payer une somme de 30 000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du ncpc.

****

Attendu que les sociétés Seiko Epson, Epson America Incorporated et Epson Portland Incorporated font plaider pour leur défense :

Attendu que les sociétés Seiko Epson, Epson America Incorporated et Epson Portland Incorporated; s’opposent à la demande de la société Armor.
Qu’en effet, le talent de littérateur et la puissance d’imagination du rédacteur de l’assignation ne permettent pas de pallier l’inanité de cette demande.

Rappel des faits

Attendu que les sociétés Seiko Epson sont concepteurs et fabricants de matériels d’impression et photographiques et de cartouches d’encres.
Qu’elles innovent en permanence pour proposer à la clientèle de nouveaux produits qu’elles protègent en déposant des brevets.

Attendu que la société Armor est une des plus importantes sociétés françaises de fabrication de cartouches d’encres pour imprimantes et elle produit en particulier des cartouches adaptables aux imprimantes Seiko Epson, à des prix très inférieurs (entre 20 et 40% moins cher).
Que si la fabrication de cartouches d’encres adaptables est licite, c’est à la condition qu’elle ne porte pas atteinte à un droit de propriété industrielle.

Attendu que par acte du 24 janvier 2002, la société japonaise Seiko Epson a assigné la société Armor en contrefaçon de brevet, devant le tribunal de grande instance de Paris.
Que par jugement du 1er octobre 2004, le tribunal a fait droit à sa demande.

Attendu que par acte du 25 avril 2005, les sociétés Seiko Epson ont assigné la société Armor et deux filiales, les sociétés allemande Artech et américaine Armor USA, devant le tribunal du district de l’Oregon pour contrefaçon de 12 brevets.

Attendu que le 1er juin 2005, la société Armor a sollicité et obtenu l’autorisation d’assigner à jour fixe les sociétés Seiko Epson pour l’audience du 28 juin 2005.
Que par acte du 3 juin 2005, la société Armor a donc fait assigner la société Seiko Epson en référé et demande à monsieur le président de :
– les condamner à faire disparaître du site http://www.epson.co.jp/e/newsroom/2005/news_2005_04_28.htm et de tout autre site qu’elles contrôlent toute référence à la procédure devant le juge de Portland (Oregon) et ce, sous astreinte de 100 000 € par infraction constatée,
– les condamner à payer à la société Armor une provision de 1 000 000 € à valoir sur le préjudice que cette dernière prétend avoir subi,
– ordonner une expertise pour le surplus,
– ordonner la publication de la décision à intervenir dans cinq journaux spécialisés, ainsi que sur le site de la société Armor et celui de la société japonaise Seiko Epson pendant un mois,
– condamner in solidum les sociétés Seiko Epson à payer à la société Armor la somme de 30 000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc.

Attendu que monsieur le président dira qu’il n’y a pas lieu à référé et déboutera en conséquence la société Armor de sa demande.

Discussion

Attendu que la société Armor reproche aux sociétés Seiko Epson d’avoir fait état sur leur site internet japonais « www.epson.co.jp » de la procédure engagée à son encontre devant le tribunal du district de l’Oregon, et soutient qu’il s’agirait d’un acte de dénigrement commis sur le territoire français

L’incompétence territoriale :

Attendu que la société Armor, bien que demanderesse, ne motive en aucune façon la compétence territoriale du président du tribunal de commerce de Nantes.
Qu’il ne s’agit pas d’un oubli de sa part qui serait dû à un excès de précipitation, mais simplement de l’impossibilité d’une quelconque justification.
Qu’en effet, la société Armor ne peut se prévaloir ni des articles 42 et 43, ni de l’article 46 du ncpc pour attraire les sociétés Seiko Epson devant une juridiction de Nantes.

Attendu en conséquence, que le président du tribunal de commerce de Nantes se déclarera territorialement incompétent au profit des juridictions américaines ou japonaises.

L’absence de lien de rattachement avec la France :

Attendu au surplus, et en application d’une jurisprudence établie et encore récemment confirmée par la Cour de cassation (Reemstma c/Hugo Boss, cass.com 11 janvier 2005), que dès lors qu’il n’y a pas de lien de rattachement avec la France, l’article litigieux ne peut être incriminé.

Qu’en effet :
– l’article incriminé est rédigé en japonais avec une version anglaise,
– cet article est inaccessible sur le site français,
– il ne peut être trouvé, avec difficulté, que sur le seul site japonais,
– la procédure invoquée ne concerne que les brevets américains et le litige qui se situe en Oregon (Etats Unis) est américain,
– ce litige est à la demande de deux sociétés américaines et d’une société japonaise,
– le consommateur français n’est pas concerné par le procès en contrefaçon qui, aux dires mêmes des dirigeants de la société Armor, « ne concerne que le marché américain ».

Attendu en conséquence, que monsieur le président constatera que les demandes de la société Armor sont mal fondées et la déboutera.

Subsidiairement, l’absence de dénigrement :

Attendu en droit, que la jurisprudence décide que des communiqués faisant état d’une procédure en contrefaçon « ne préjugent nullement de la décision judiciaire et ne constituent pas un dénigrement mais un moyen de prévenir la clientèle ou d’autres concurrents, d’autant plus qu’ils sont rédigés en termes mesurés » et que « dès lors que les communiqués parus dans la presse à l’occasion d’un litige concernant la contrefaçon de brevets sont conformes à la réalité…la concurrence déloyale n’est, aux termes de l’article 1382 du code civil, pas caractérisée ».

Attendu qu’en l’espèce, l’article incriminé par la société Armor, et bien qu’elle n’en ait effectué aucune traduction, est rédigé en termes objectifs, mesurés et neutres puisqu’il se contente d’indiquer, sans faire le moindre commentaire, que les sociétés Seiko Epson ont introduit une action judiciaire devant un tribunal américain à l’encontre de la société Armor et de deux de ses filiales, ce qui est la stricte réalité.
Qu’à cet égard, il est fallacieux de prétendre que le texte litigieux relèguerait la société Armor « au rang de certains producteurs asiatiques considérés comme peu scrupuleux sur le respect des brevets protégeant les cartouches compatibles jet d’encre », puisqu’il ne prétend rien de tel ni même ne le suggère.

Attendu que pour tenter de donner une consistance à sa demande, la société Armor verse aux débats divers articles de presse ou extraits de sites internet d’information, faisant état de la procédure engagée aux Etats-Unis.
Qu’il est vain de vouloir reprocher aux sociétés Seiko Epson ces articles qui n’émanent pas d’elle, mais de journalistes faisant leur travail d’information.
Qu’à cet égard, la jurisprudence décide que « ne constituent pas un acte de dénigrement les articles de presse sur l’affaire dès lors qu’il n’est pas prouvé que la société soit à l’origine des articles ».
Que la société Armor ne peut donc pas reprocher aux sociétés Seiko Epson l’existence de ces articles qu’elles n’ont pas sollicités.

Attendu au surplus, que l’information ainsi relayée s’inscrit dans un contexte plus large concernant les récents procès en contrefaçon de brevets engagés par les principaux concepteurs et fabricants de cartouches (Canon, Lexmark, Hewlett Packard).

Attendu enfin que ces articles ou extraits sont d’autant moins critiquables que les journalistes, avant de les rédiger, ont pris contact avec la société Armor afin de recueillir sa position et qu’à aucun moment elle ne s’est insurgé contre cette information à laquelle elle a donc directement participé.

Attendu par ailleurs, que c’est en vain que la société Armor verse aux débats douze messages électroniques dont la plupart émanent d’une secrétaire de direction qui transmet les appels téléphoniques des journalistes ayant rédigé les articles précités.
Qu’en toute hypothèse, ces pièces établissent que la société Armor a elle-même entretenu l’information et qu’elle a eu tout loisir d’intervenir sur celle-ci.
Qu’il en est pour preuve que les articles parus ne sont pas défavorables à la société Armor, loin s’en faut.

L’absence de préjudice :

Attendu que la société Armor demande à monsieur le président de condamner la société Seiko Epson à lui payer la somme de 1 000 000 € à titre de dommages-intérêts provisionnels et d’ordonner une expertise pour le surplus.
Que pour tenter de justifier cette somme exorbitante, elle affirme qu’elle aurait dû mettre en place « une cellule de communication » du fait de l’impact négatif qu’aurait eu cette information sur sa clientèle.
Que ce faisant, la capacité de la société Armor à romancer est à son comble, car il n’existe pas le moindre commencement de preuve d’une telle structure.

Attendu de même, que la société Armor ne développe aucun argument susceptible d’étayer sa prétention, pas plus qu’elle ne démontre le lien qui existerait entre l’article litigieux et le préjudice allégué.
Que ce n’est pas en répétant à l’envi des mots tels que « dénigrement » ou « discrédit » que l’on prouve l’existence d’un préjudice.
Qu’en réalité, la société Armor s’invente un préjudice pour faire croire à une faute qui n’existe pas.

Attendu enfin qu’il n’y a pas plus de grave « atteinte à l’image » de la société Armor sauf à vivre dans la persécution.
Qu’en toute hypothèse, il doit être rappelé que la société Armor a participé à la diffusion de l’information qu’elle incrimine aujourd’hui, de sorte qu’elle ne peut s’en prendre qu’à elle-même sans pouvoir reprocher aux sociétés Seiko Epson la moindre faute.

Attendu que monsieur le président déboutera donc la société Armor de sa demande en réparation car il existe une contestation sérieuse sur le fond et aucun préjudice n’est démontré.

L’absence de dommage imminent

Attendu que la société Armor prétend qu’il y aurait urgence à faire cesser le trouble dont elle prétend être victime, alors qu’elle a attendu plus d’un mois après l’article litigieux pour assigner en référé les défenderesses.
Que la lenteur de réaction de la société Armor illustre l’absence de dommage imminent.

La légitime demande reconventionnelle

Attendu que monsieur le président, après avoir débouté la société Armor de toutes ses demandes, fins et conclusions comme étant, si ce n’est irrecevables, à tout le moins mal fondées, la condamnera à payer à chacune des sociétés Seiko Epson la somme de 12 000 € au titre de l’article 700 du ncpc.

Elles demandent en conséquence de :
– s’entendre le président du tribunal de commerce de Nantes se déclarer territorialement incompétent au profit des juridictions américaines ou japonaises,
– Dire qu’il n’y a pas lieu à référé,
– Débouter la société Armor de toutes ses demandes, fins et conclusions comme étant, si ce n’est irrecevable, à tout le moins mal fondées,
– Condamner la société Armor à payer à chacune des sociétés Seiko Epson Corporation, Epson America Incorporated et Epson Portland Incorporated la somme de 12 000 € au titre de l’article 700 du ncpc,
– Condamner la société Armor aux entiers dépens d’instance en application de l’article 699 du ncpc.

****

Attendu que par conclusions en réponse la société Armor fait observer :

In limine litis, sur la compétence rationae loci

La société Seiko Epson Corporation, située au Japon, et ses filiales société Epson America Incorporated et Epson Portland Incorporated, aux USA, ont été attraite devant la juridiction de céans par acte judiciaire en date du 8 juin 2005.

La société Seiko Epson conteste aujourd’hui la compétence territoriale de monsieur le juge des référés et reproche à la société Armor de ne pas avoir justifié cette compétence sur le fondement des articles 42, 43 et 46 du ncpc.

Or, c’est bien sur le fondement de l’article 46 tiret 2 de ce même code que la société Armor entend démontrer que monsieur le juge des référés est parfaitement compétent pour juger de la présente espèce. Cet article précise en effet que « en matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi » est compétente.
Peu importe à cet égard que le dommage ait également été subi dans le ressort d’autres tribunaux.

C’est ce qu’a affirmé la Cour de cassation dans un arrêt de la 2ème chambre civile en date du 25 octobre 1995 (Légifrance n° de pourvoi 93-10245) :

« Mais attendu que l’arrêt relève que le dommage tient à la parution dans la presse écrite et à la diffusion par la télévision d’images de véhicules et de combinaisons de pilotes et équipiers portant des logos et dénominations de marques Camel et Rothmans et que ces images ont été diffusées, notamment dans le ressort du juge saisi, que de ces constatations et énonciations, la cour d’appel a pu déduire que le dommage avait été subi à Quimper, peu important que le fait dommageable se soit également produit dans le ressort d’autres tribunaux, fût-ce sur l’ensemble du territoire national et a pu décider que le tribunal était donc compétent ».

La compétence ratione loci pour juger d’un dommage commis sur internet suit précisément les mêmes règles.

Internet est en effet un média au même titre que la télévision ou que les journaux.

La doctrine relayée par la jurisprudence, a donc adopté une approche identique.

Ainsi à propos de la localisation du dommage lorsque la faute se produit sur internet, un auteur apporte l’éclairage suivant :

« Les moyens modernes de diffusion de l’information ont donné à la question une dimension nouvelle. Tel est le cas en matière de diffamation de contrefaçon ou de publicité illicite réalisée par voie de presse écrite ou télévisée, ou grâce à un site internet. Le dommage se répand alors dans l’espace au point que sa localisation effective devient pratiquement impossible. C’est sans doute ce constat qui a conduit la jurisprudence à estimer que le dommage, est, en ce cas, subi en tous lieux ou les exemplaires contrefaits ont été diffusés.
Cette solution conduit à ce résultat que la victime peut, selon son intérêt, porter son action où bon lui semble (…) » (Juris-classeur Procédure civile, fasc. 211 « compétence territoriale », n°102)

En l’espèce, l’article litigieux a été diffusé sur un site internet, lequel peut par essence être consulté dans le monde entier. Dès lors, le dommage résultant de cette parution est subi en tout point du monde et notamment à Nantes.

Monsieur le juge des référés de Nantes retiendra donc sa compétence ratione loci sur le fondement de l’article 46 tiret 2 du ncpc.

Discussion

La société Seiko Epson Corporation, située au Japon, et ses filiales Epson America Incorporated et Epson Portland Incorporated, aux USA, fabriquent et distribuent des imprimantes.

Elles fabriquent et distribuent également des cartouches d’encre à marque Epson pour ces imprimantes.

La société Armor, quant à elle, fabrique et distribue, entre autres, soit directement, soit par l’intermédiaire de ses filiales, des cartouches d’encre à marque Armor compatibles avec les imprimantes Seiko Epson.

Or, la société Seiko Epson vient de prendre une initiative particulièrement regrettable, qui amène la société Armor à saisir le juge des référés du tribunal de commerce de Nantes tant sur fondement des dispositions des articles 872 et suivants du ncpc que de celles des articles 1382 et suivants du code civil.

La société Armor a en effet découvert le 28 avril 2005, en consultant le site internet de Seiko Epson aux Etats-Unis, que les trois sociétés requises avaient, aux termes d’une requête datée du 25 avril 2005, initié à son encontre (ainsi d’ailleurs qu’à l’encontre de deux de ces filiales, la société Armor USA Inc et Artech Gmbh Allemagne) une procédure de contrefaçon de brevets devant le tribunal du district de l’Oregon aux Etats-Unis.

L’examen attentif du site internet d’Epson USA révèle que l’information y a figuré dès le 27 avril sous la rubrique « News Release » soit 48 heures après la date de la signature de la requête en contrefaçon.

A ce jour, la société Armor n’est toujours pas officiellement informée de l’existence d’une procédure menée à son encontre, aucun acte judiciaire en lui ayant été transmis de façon régulière conformément aux procédures en vigueur aux USA, puisque c’est dans ce pays que la société Armor est attraite.

Avant même que le juge du fond n’ait tranché la question de savoir si Armor a, ou n’a pas, contrefait douze de ses brevets, les sociétés requises prennent l’initiative de faire savoir au monde entier par le biais de leurs sites internet à la rubrique « News Release » que la société Armor est contrefacteur et que par conséquent elles engagent une procédure de contrefaçon de brevets à l’encontre d’Armor, Armor USA et Artech Allemagne (toutes deux filiales d’Armor). Elle n’explique pas cependant en quoi les cartouches Armor contreferaient les brevets Seiko Epson.

La société Armor, sans contester en aucune manière à la société Seiko Epson le droit qui est le sien de soumettre à l’appréciation des juges du fond toutes atteintes qu’elle estime être portées à ses droits de propriété intellectuelle et industrielle, estime qu’il s’agit là d’un comportement inacceptable constitutif d’un acte de concurrence déloyale par dénigrement.

Sur la faute de la société Seiko Epson

En droit,

Il est de jurisprudence constante que la publicité donnée par un commerçant, qu’il s’agisse d’une personne physique ou d’une société commerciale, aux poursuites judiciaires dont fait l’objet un concurrent, notamment en matière de contrefaçon de brevets, constitue un acte de dénigrement.

La définition du terme « dénigrer » tirée par la société Seiko Epson du dictionnaire Grand Robert n’étant, en l’espèce, pas d’une grande aide, il est utile de rappeler celle donnée par la cour d’appel de Paris (4ème ch A 3 avril 1995, D 1996, somm. p.254) :

« Le simple fait de dénoncer à la clientèle les agissements d’un concurrent nommément désigné comme contrefacteur, alors qu’aucune décision de justice ne vient en établir la réalité, constitue un « dénigrement » contraire aux usages loyaux du commerce engageant la responsabilité de celui qui y procède. Le préjudice, comme pour tout acte de concurrence déloyale, s’infère du seul dénigrement commis sans qu’il soit besoin de démontrer un détournement effectif de clientèle ou une baisse de chiffre d’affaires ».

Ainsi, « se rend coupable de concurrence déloyale une société qui, agissant en contrefaçon de brevet contre une société concurrente, porte à la connaissance d’un fournisseur de cette dernière l’existence alléguée de la contrefaçon » (CA Paris, 4ème ch A 29 janvier 1979, JCP 1979, IV, P 334, voir également CA Paris, 4ème ch A 29 novembre 1994, Gaz. Pal. 1995 Somm.505).

La jurisprudence de la cour d’appel de Paris est donc constante sur ce point. L’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux de 1992 cité par la société Seiko Epson apparaît par conséquent anecdotique et en tout cas isolé.

La doctrine valide d’ailleurs totalement l’approche de la cour d’appel de Paris en déclarant notamment que « publier une décision de justice constitue un cas classique de concurrence déloyale. Même définitive, la publication ne peut être faite qu’avec prudence ». (RTD Com. 1969, p 77).

Enfin, quand au mode de publication de l’information dénigrante, il peut parfaitement s’agir de l’internet comme l’a jugé à plusieurs reprises le tribunal de grande instance de Paris (TGI Paris, 9 mai 2001, RJDA 01/02 n°112 et 113, p.88).

En fait

La société Seiko Epson a publié sur son site internet un article dénigrant nommément la société Armor, et indiquant qu’un procès lui est intenté pour contrefaçon.

Cet article est très aisément accessible à l’internaute français. Il suffit pour s’en convaincre de taper l’adresse du site général de la société Seiko Epson www.epson.com puis de cliquer sur « new », dans le menu pour être redirigé automatiquement vers le site www.epson.co.jp sur la page duquel on trouve les communiqués de la société Seiko Epson classés dans différentes sections. A la section Products News, on trouve l’article incriminé.

Il faut donc environ 30 secondes et 3 clics à l’internaute français pour accéder à l’article litigieux. Nul besoin donc, comme le laisse entendre la société Seiko Epson de parler japonais et de chercher des heures pour avoir accès à l’article litigieux.

Contrairement aux vaines allégations de la société Seiko Epson, la France est donc bien l’un des terrains sur lesquels s’exerce la concurrence déloyale menée par l’intimée.

En tout état de cause, la preuve indiscutable que cet article est bien accessible librement de France ou d’ailleurs est que l’information qu’il contient – et qui n’était connue que de la société Seiko Epson initialement – s’est retrouvée dans de très nombreux articles de presse, en France et ailleurs en l’espèce de quelques heures après publication sur le site Epson.

Et contrairement, aux allégations de l’intimée, il n’est bien évidemment pas dans l’intention de la société Armor de reprocher aux journalistes de relayer l’information dénigrante qui leur est fournie par la société Seiko Epson.

La société Seiko Epson est seule responsable de cette publication.

Pratiquement, la publication litigieuse sur le site internet de Seiko Epson jette le discrédit sur la société Armor en répandant sur ses produits des informations malveillantes et non avérées.

Ces informations dénigrantes, non seulement relayées dans le monde entier par les sites internet de Seiko Epson ont bien entendu par la suite été reprises par les concurrents directs d’Armor, par de nombreux journalistes, et par tous types de « supports » médiatiques.

Clients et revendeurs des produits Armor se sont bien évidemment aussitôt manifestés auprès de la direction et des services commerciaux de la requérante aux fins d’obtenir tous éclaircissements et explications sur la procédure en cours aux USA, – et ce, alors que la société Armor, rappelons-le, n’est toujours pas officiellement informée par l’existence d’une procédure menée à son encontre, ni par conséquent des griefs retenus par Seiko Epson, aucun acte judiciaire ne lui ayant été transmis à ce jour de façon régulière et conforme aux procédures conventionnelles en vigueur entre les USA et la France.

Tout ceci constitue un trouble manifestement illicite qu’il est de la compétence du juge des référés de faire cesser, conformément aux dispositions de l’article 873-1 du ncpc.

C’est dans ces conditions que la société Armor est fondée à solliciter la condamnation des sociétés requises à faire disparaître du site www.epson.co.jp et de tous autres sites qu’elles contrôlent toutes références à la procédure initiée devant le juge de Portland Oregon, et ce sous astreinte de 100 000 € par infraction constatée à compter du prononcé de la décision à intervenir.

Sur le préjudice causé à la société Armor

Par ailleurs, ces insertions électroniques illicites causent un préjudice à la société Armor qu’il convient de réparer.

Ces publications portent gravement atteinte à l’image de la société Armor présentée à sa clientèle et au monde de la bureautique et de l’informatique comme un contrefacteur.

Il convient à cet égard de rappeler que la société Armor se démarque d’une certaine concurrence asiatique sur le marché des cartouches jet d’encre compatibles en veillant scrupuleusement au respect des brevets existants.

Elle dispose pour ce faire d’un important département Recherche et Développement de 25 personnes chargé précisément de développer des techniques libres de tous droits de propriété industrielle.

Cette garantie du respect des brevets existants lui permet et lui a permis par le passé de fidéliser une clientèle non désireuse de traiter avec une certaine concurrence asiatique.

Aujourd’hui, le dénigrement engagé à l’échelle mondiale par les sociétés requises crée un doute dans l’esprit des clients de la société Armor en jetant le discrédit sur l’argument commercial fort de la société Armor.

Dans l’esprit de la clientèle des produits consommables, la société Armor est désormais reléguée au rang de certains producteurs asiatiques considérés comme peu scrupuleux sur le respect des brevets protégeant les cartouches compatibles jet d’encre.

Une telle assimilation est totalement dramatique d’un point de vue commercial pour la société Armor.

Cette dernière a en effet dû mettre immédiatement en place une cellule de communication destinée à répondre aux nombreuses interrogations posées tant par les journalistes que par ses clients, et à faire face à une campagne de presse jetant gravement et durablement le discrédit sur les produits commercialisés sous la marque Armor.

Aussi, la société Armor est fondée à solliciter la condamnation conjointe et solidaire des sociétés requises à lui payer une somme de 1 million d’euros à titre provisionnel, une expertise étant ordonnée pour le surplus afin de fixer précisément le préjudice subit par Armor du fait de cet acte de concurrence déloyale.

Enfin, la société Armor est fondée à demander que soit ordonner la publication de la décision à intervenir dans cinq journaux spécialisés au choix de la requérante, ainsi que sur les sites internet de la société Armor, et des sociétés requises pendant un mois, et ce dans la limite d’un budget de 20 000 €.

Elle est fondée enfin à solliciter la condamnation des sociétés requises sous la même solidarité à lui payer une somme de 30 000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du ncpc.

Il est donc demandé :

Vu l’article 46 tiret 2 du ncpc,
– Se déclarer compétent pour juger du présent litige ;

Vu les dispositions des articles 872 et suivants du ncpc,
Vu les dispositions des articles 1382 et suivants du code civil ;

– Débouter les sociétés requises de leur demande reconventionnelles ;
– Condamner les sociétés requises à faire disparaître du site http://www.epson.co.jp/e/newsroom/2005/news_2005_04_28.htm et de tous autres sites qu’elles contrôlent toutes références à la procédure initiée devant le juge de Portland Oregon et ce sous astreinte de 100 000 € par infraction constatée à compter du prononcé de la décision à intervenir ;
– Condamner conjointement et solidairement les sociétés requises à payer à la société Armor une provision de 1 000 000 € à valoir sur le grave préjudice que cette dernière subit du fait de cette insertion intempestive ;
– Ordonner une expertise qui sera confiée à tel expert qu’il plaira à M. Le président de désigner aux fins de fixer avec précision le montant du préjudice subit par la société Armor du fait de l’acte de concurrence déloyale dénoncé ;
– D’ores et déjà ordonner la publication de la décision à intervenir dans cinq journaux spécialisés au choix de la requérante, ainsi que sur les sites internet de la société Armor et des sociétés requises pendant un mois, et ce dans la limite d’un budget de 20 000 €, somme à laquelle le juge des référés condamnera sous la même solidarité les sociétés requises au paiement au profit de la requérante ;
– S’entendre les sociétés requises sous la même solidarité condamner à payer à la société Armor la somme de 30 000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du ncpc ;
– S’entendre les sociétés requises condamner aux entiers dépens.

DISCUSSION

Attendu que les notes en délibéré n’ayant pas été autorisées, celles-ci sont écartées des débats ;

Motifs de la décision

Sur l’exception de compétence soulevée par les sociétés défenderesses

Attendu que la compétence territoriale du tribunal de commerce de Nantes est contestée par les sociétés défenderesses qui soutiennent que la société Armor ne peut se prévaloir, ni des articles 42 et 43, ni de l’article 46 du ncpc pour les attraire devant une juridiction à Nantes ;
Que de son coté la société Armor soutient que le tribunal de commerce de Nantes peut se déclarer compétent par application de l’article 46 du ncpc qui prévoit qu’en matière délictuelle le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de la quelle le dommage a été subi ;
Qu’elle invoque à l’appui de sa thèse des décisions de jurisprudence ou commentaires desquelles il découle que lorsque le fait dommageable se produit en divers lieux, le demandeur peut saisir, à son choix, la juridiction du lieu où demeure le défendeur, la juridiction du fait dommageable, ou encore celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi ;
Qu’il découle de cette analyse que lorsque les faits litigieux ont été diffusés par le biais d’un site internet, le demandeur peut choisir tous les tribunaux dans le ressort desquels la consultation de ce site peut être réalisée, c’est-à-dire dans le monde entier ;
Que certes, lors du débat oral en audience, les sociétés défenderesses ont fait état de ce que, pour reconnaître sa compétence en ce domaine, le juge français considère qu’il suffit d’établir par constat d’huissier dressé dans le ressort de la juridiction établissant, en ce lieu comme partout, l’exploitation d’un site qui s’apparente à un acte de concurrence déloyale ;
Qu’en outre le tribunal de grande instance de Paris a estimé que trois conditions cumulatives étaient exigées, pour que le constat d’huissier ait force probante, savoir : 1) l’accès aux pages litigieuses possible par tout internaute, 2) la matérialisation des pages visualisées, 3) l’action de vider les caches de l’ordinateur et du navigateur utilisés pour l’établissement du constat avec, en outre, le concours d’un expert pour assister l’huissier ;
Que si la société Armor ne produit pas de constat d’huissier pour prouver que le site incriminé peut être consulté dans le ressort du tribunal de commerce de Nantes, les sociétés défenderesses ne sont pas plus à même de démontrer qu’il ne le serait pas ;
Que dès l’instant où ce site existe il est nécessairement accessible à Nantes, comme tout autre site de la toile internet ;
Qu’en outre les très nombreux articles de presse commettant les informations dommageables publiées par les sociétés défenderesses sur leur site internet constituent, si besoin était, la preuve qu’elles peuvent être consultées sur tous points du territoire français, sans qu’il soit besoin de le faire constater par un huissier ;
Qu’enfin il est bon de rappeler que la société Armor agit dans le cadre d’une procédure de référé, pour qu’il soit mis fin à ce qu’elle considère comme un trouble manifestement illicite auquel il convient, selon elle, de mettre fin ;
Qu’il est admis que le juge des référés peut se déclarer compétent, même en la présence d’une clause attributive de compétence ou d’une clause compromissoire, dès l’instant où il s’agit de mettre fin à une situation de trouble ou s’il y a lieu de prendre des mesures conservatoires ;
Que pour ces motifs le tribunal de commerce se reconnaît compétent pour examiner les demandes formulées par la société Armor ;

Sur la demande de la société Armor de condamner les sociétés requises à faire disparaître du site http://www.epson.co.jp/e/newsroom/2005/news_2005_04_28.htm et de tous autres sites qu’elles contrôlent toutes références à la procédure initiée devant le juge de Portland Oregon et ce sous astreinte de 100 000 € par infraction constatée à compter du prononcé de la décision à intervenir

Attendu que cette demande vise à faire cesser un trouble que la société Armor considère comme manifestement illicite ;
Qu’elle présente au soutien de cette affirmation de nombreux articles publiés par des revues spécialisées faisant état de l’accusation de contrefaçon dont elle fait l’objet de la part des sociétés défenderesses, ce qui, selon elle, constitue un acte de dénigrement auquel il convient de mettre fin sans délai en raison du préjudice qu’il est susceptible de lui procurer ;
Qu’il a effectivement été jugé que le simple fait de dénoncer à la clientèle les agissements d’un concurrent nommément désigné comme contrefacteur, alors qu’aucune décision de justice ne vient en établir la réalité, constitue un « dénigrement » contraire aux usages loyaux du commerce engageant la responsabilité de celui qui y procède ;
Qu’il en est de même en cas de diffusion d’une telle information par tout moyen de communication ;
Que pour s’opposer à cette prétention les sociétés défenderesses invoquent d’autres décisions de jurisprudence aux termes desquels de tels communiqués en préjugent nullement de la décision judiciaire et ne constituent pas un dénigrement mais un moyen de prévenir la clientèle ou d’autres concurrents, d’autant plus qu’ils sont rédigés en termes mesurés ;
Que si les sociétés défenderesses ne sont pas directement à l’origine des très nombreux articles publiés par la presse spécialisée au sujet de cette affaire, il n’en demeure pas moins qu’ils ont pour origine les informations diffusées par ces dernières sur leurs sites internet et alors qu’aucune condamnation n’est encore intervenue ;
Qu’en conséquence cette situation étant susceptible de causer un préjudice à la société Armor il convient d’y mettre fin en faisant droit à sa demande précitée, et de dire que toute infraction à cette décision sera sanctionnée par une astreinte d’un montant de 20 000 € par infraction constatée passé un délai de huit jours à compter de la signification de l’ordonnance à intervenir, le tribunal se réservant d’en liquider le montant ;

Sur la demande de condamner conjointement et solidairement les sociétés requises à verser à la société Armor la somme de 1 000 000 € à valoir sur le préjudice subi

Que pour qu’il soit fait droit à une telle demande, encore faudrait-il que la société Armor présente un dossier suffisamment étayé sur les éléments chiffrés sur lesquels celle-ci repose, ceci afin de permettre au juge de se forger une opinion sur le bien fondé du quantum sollicité ;
Que tel n’étant pas le cas elle en est purement et simplement déboutée ;

Sur la demande de voir désigner un expert afin de fixer avec précision le montant de son préjudice

Que la désignation d’un expert pourrait se justifier en cas de nécessité impérieuse de conserver des preuves, ce qui n’est pas démontré en la circonstance ;
Qu’une mesure d’expertise ne peut avoir pour objet de réunir des éléments qu’il appartient en tout premier lieu à la société Armor de recueillir avec tous moyens de preuve à l’appui, l’intervention d’un expert ne se justifiant qu’en cas de contestation desdits éléments ;
Qu’une telle désignation étant manifestement prématurée, la société Armor ne peut qu’être déboutée de sa demande à cet effet ;

Sur la demande d’ordonner la publication de la décision à intervenir

Qu’en raison de la très large publicité faite au communiqué publié par les sociétés défenderesses sur leur site internet, il est fait droit à la demande de la société Armor et ce dans la limite d’un budget de 15 000 €, ledit budget devant être mis à la charge des sociétés défenderesses avec solidarité entre elles ;

Sur les demandes annexes

Que la société Armor ayant du engager des frais irrépétibles pour faire reconnaître ses droits, il lui est alloué la somme de 20 000 € en application de l’article 700 du ncpc, somme qui devra lui être versée par les sociétés défenderesses avec solidarité entre elles, ces dernières étant quant à elles déboutées de leur demande à ce titre ;
Que les sociétés défenderesses succombant supporteront les entiers dépens ;

DECISION

Le tribunal, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuons par ordonnance contradictoire et en premier ressort :

. Au fond, renvoyons les parties à se pourvoir comme il appartiendra ;

Dès à présent, vu l’urgence, par provision tous droits et moyens des parties étant réservés ;

. Recevons les sociétés défenderesses en leur exception de compétence, les en déboutons, et nous déclarons compétent ;

. Condamnons les sociétés Seiko Epson Corporation de droit japonais, Epson America Corporated de droit californien et Epson Portland Incorporated de droit de l’Oregon, à faire disparaître du site : http://www.epson.co.jp/e/newsroom/2005/news_2005_04_28.htm et de tous autres sites qu’elles contrôlent toutes références à la procédure initiée devant le juge de Portland Oregon et ce sous astreinte de 20 000 € par infraction constatée passé un délai de huit jours à compter de la signification de la présente ordonnance, le tribunal se réservant d’en liquider le montant ;

. Déboutons la société Armor de sa demande de provision au titre du préjudice invoqué ;

. Déboutons la société Armor de sa demande de voir ordonner une mesure d’expertise en vue de déterminer son préjudice ;

. Ordonnons aux sociétés Seiko Epson Corporation de droit japonais, Epson America Corporated de droit californien et Epson Portland Incorporated de droit de l’Oregon de publier pendant un mois sur leurs sites internet la présente décision ;

. Autorisons la société Armor à publier la présente décision sur ses sites internet pendant un mois ainsi que dans cinq journaux spécialisés de son choix sans que le coût total de ces insertions excède la somme de 15 000 €, ledit coût devant être supporté par les sociétés Seiko Epson Corporation de droit japonais, Epson America Corporated de droit californien et Epson Portland Incorporated de droit de l’Oregon avec solidarité entre elles ;

. Condamnons les sociétés Seiko Epson Corporation de droit japonais, Epson America Corporated de droit californien et Epson Portland Incorporated de droit de l’Oregon à verser à la société Armor la somme de 20 000 € en application de l’article 700 du ncpc, avec solidarité entre elles et les déboutons de leur demande à ce titre ;

. Condamnons les sociétés Seiko Epson Corporation de droit japonais, Epson America Corporated de droit californien et Epson Portland Incorporated de droit de l’Oregon aux entiers dépens.

Le tribunal : Michel Humeau (président)

Avocats : Me Cornet, Me Ruffault, Me Monegier du Sorbier

 
 

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.